Les Aventures de Nono/VIII. L'école

P.-V. Stock (p. 109-121).


VIII

L’ÉCOLE


En se levant de table, les enfants s’étaient répandus sur les pelouses, où ils avaient organisé toutes sortes de jeux. Nono, redescendu de sa chambre, était venu se mêler à eux. Mais un groupe de jeunes demoiselles de cinq à sept ans voulut qu’il commençât de suite ses leçons sur l’art de tresser les fleurs, et il avait accédé à leur désir.

C’est au milieu de ce groupe qu’une heure plus tard vinrent le chercher Hans, Mab et compagnie.

— Nous allons à l’école, lui dirent-ils, tu viens avec nous ?

— Tu verras comme on s’y amuse, ajouta Dick qui s’était joint à eux.

Nono, qui ne demandait pas mieux que de voir du nouveau, promit à ses élèves de reprendre sa leçon le lendemain et suivit le groupe des étudiants.

Ils entrèrent en une salle spacieuse, au rez-de-chaussée du palais, où étaient rangés des tables, des bancs et des chaises ; mais non de ces grandes tables, longues comme des jours sans pain, qui encombrent toute la salle et que l’on ne peut changer de place. C’était de petites tables carrées que l’on pouvait transporter à la place que l’on désirait, et disposer comme on voulait ; car les écoliers avaient la faculté de se réunir par groupes.

Nono et ses amis allèrent se placer à une de ces tables où ils s’installèrent à leur aise. Nombre de leurs camarades avaient déjà pris place en différents endroits de la salle.

C’était Liberta qui présidait aux leçons, mais cherchant plutôt à s’attirer les questions des enfants que de leur farcir la tête d’idées que, la plupart du temps, ils ne comprennent pas.

Lorsque tout le monde fut assis, Liberta demanda aux écoliers ce qu’il fallait mettre à l'étude ?

— Racontez-nous l’histoire de l’imprimerie, crièrent quelques voix.

— Non, faites-nous de l’astronomie, firent quelques autres.

— Oh ! non, expliquez-nous la formation de la terre.

— La géographie, c’est plus amusant.

— On en a fait hier, protestèrent quelques autres voix.

— Eh bien ! des problèmes, fit tout un groupe de garçons de dix à douze ans.

— Tout ce que vous voudrez, fit Liberta en souriant, mais il faudrait pourtant vous entendre. Par quoi commençons-nous ?

— Que l’on commence par les problèmes si l’on veut, fit un autre groupe, mais que l’on continue ensuite par la géographie.

— Oui, et ensuite on n’aura pas le temps de faire de l’astronomie, grognèrent quelques mécontents.

— Ni de parler de la formation de la terre, ajoutèrent d’autres.

— Ni de nous raconter quelque jolie histoire, renchérit un groupe de plus petits.

— Eh ! bien, si vous voulez, fit Liberta, il y a moyen de tout arranger. Voulez-vous que la première partie de notre journée soit consacrée à résoudre des problèmes, ensuite nous passerons à la géographie. Et demain, sans faute, nous raconterons des histoires, nous étudierons ensuite la formation de la terre. Quant à l’astronomie, ce soir, après dîner, cela me semble tout indiqué de l’étudier en plein ciel, alors que brillent les étoiles.

— Oui ! oui ! crièrent la plupart des élèves.

Mais en un coin, le groupe des jeunes qui voulait des histoires, protestait, ne voulant pas attendre au lendemain, voulant partir si on ne leur donnait pas satisfaction.

Liberta prit un livre sur la table devant elle et le leur donna.

— Puisque vous voulez absolument des histoires, dit-elle, voici de quoi choisir. Vous y trouverez celle de Gutenberg et de l’imprimerie. Vous pouvez vous mettre dans un coin, ou aller au jardin, comme il vous plaira, et lire tout ce que vous voudrez. »

Les choses ainsi arrangées, on put commencer, le silence s’était rétabli.

On se mit donc à l’étude des problèmes. Liberta commença par en dicter quelques-uns qu’un des élèves venait résoudre au tableau. Puis ce fut le tour aux élèves d’en dicter, que leurs camarades devaient résoudre.

Nono remarqua un des élèves qui voulait toujours parler avant son tour, haussait les épaules lorsqu’un de ceux interrogé semblait embarrassé, et qui voulait toujours trouver des solutions meilleures.

— Jacquot, — c’était le nom de l’élève — Jacquot, fit Liberta, à votre tour, dictez un problème.

Jacquot énonça un problème où il était question d’heures, de secondes, de litres, et de mètres. Un problème très compliqué et qu’il était fier d’avoir trouvé.

C’était si compliqué que personne ne put le résoudre, et que l’auteur lui-même invité à l’expliquer, s’embarrassa si bien dans ses opérations qu’il ne put en sortir.

Comme il était pas mal vaniteux, les autres enfants se moquèrent de lui, et Liberta lui fit remarquer qu’il valait mieux prendre des problèmes plus simples et bien les raisonner que d’en prendre de si compliqués et ne pas les comprendre. Puis elle lui fit voir en quoi péchait son problème, et pourquoi il était impossible de lui trouver une solution.

Jacquot, très mortifié, alla à sa place. Mais il profita d’un moment où l’on ne faisait plus attention à lui, pour s’esquiver.

À un moment, ce fut au tour de Nono de dicter. Et il en dicta un qu’il se rappelait avoir fait à l’école où il s’agissait d’un marchand qui ayant acheté tant de pièces de drap, de tant de mètres, pour la somme de tant, on demandait ce qu’il fallait qu’il le vendît le mètre pour faire un bénéfice de tant.

— Ton problème est bien posé, fit Solidaria qui venait de paraître parmi les enfants, mais il est posé selon les règles égoïstes que l’on vous enseigne aux écoles d’un monde où l’on ne travaille qu’en vue de spéculer sur ses semblables.

Ici, le problème se pose tout autrement ; à ta place, je dirais : « Étant donné qu’un homme a tant de pièces de drap, qu’il peut, dans chaque pièce, tirer tant d’habits, à combien d'amis pourra-t-il faire plaisir, en en donnant un à chacun ? »

Va, mon enfant, ajouta-t-elle, en embrassant Nono, tu es peut-être encore un peu jeune pour bien en saisir la différence, mais lorsque tu seras en âge de comparer, tu comprendras. »

Cela termina la leçon d’arithmétique, et l’on passa, comme il était convenu, à celle de géographie.

Liberta expliqua aux enfants ce que c’était qu’un continent, un cap, une île, une presqu’île, un archipel. Et, au moyen d’un appareil semblable à une lanterne magique, elle faisait passer sous leurs yeux, la représentation de ce qu’elle leur expliquait.

Pour que sa leçon fût moins aride, elle l’entrecoupait de récits se rapportant à ses explications, et pendant qu’elle racontait, l’appareil faisait défiler sur le mur, les scènes animées de l’anecdote racontée.

Les partisans de l’histoire avaient eux-mêmes fini par déserter leur coin, venant écouter les récits de Liberta.

D’autres, au contraire, que cela ennuyait ou qui éprouvaient le besoin de se dégourdir les jambes, s'étaient levés sans bruit ; filant du côté des jardins.

Aussi Liberta, qui savait qu’il ne faut pas abuser de l’attention des enfants, même lorsqu’ils sont intéressés, le jeune âge éprouvant le besoin de se remuer, de s'agiter, courir, faire du bruit, leva la séance. Et les enfants, libres, coururent au jardin où Labor, avec quelques-uns ceux qui avaient préféré le grand air, présidait aux travaux de culture.

Nono fut attiré en un groupe qui, près d’une forge portative, travaillait à réparer les bêches, fourches et autres instruments aratoires.

Il voyait les étincelles bleues et rouges, pareilles à des feux d’artifices, jaillir du fer incandescent sous les coups de marteau. Et lui aussi, voulant en faire jaillir de semblables, se mit à marteler le fer, se faisant expliquer comment il fallait le façonner pour que son travail fût utilisable.

Le soir arriva, que Nono, qui s’était mêlé à tout, croyait n’être encore qu’au milieu de la journée, tant elle lui avait semblé courte.

Après la leçon d’astronomie, qui eut lieu après le dîner, dans un observatoire arrangé sur une tour du château, Amorata leur donna des nouvelles de leurs parents, puis tout le monde alla se coucher.

Mais, auparavant, les amis de Nono l’emmenèrent à la bibliothèque où il fit choix de deux volumes dont les titres et les images semblaient lui promettre des merveilles.

Monté dans sa chambre, Nono, qui avait encore, au dîner, fourré dans sa poche quelques fruits de la table, voulut les joindre à ceux qu’il avait pris à midi ; mais, en ouvrant le tiroir de l’armoire où il les avait mis, il ne fut pas peu surpris de voir à leur place d`affreux petits lutins qui lui faisaient des grimaces, pendant que ceux qu’il apportait se changeaient, dans sa main en d’aussi horribles gnomes qui se cramponnaient après lui, essayant de l’entraîner.

Nono, effrayé, jeta un cri perçant.

Solidaria, près de lui, n'eut qu’à faire un signe pour faire disparaître ces effrayantes petites apparitions.

Nono était tout tremblant.

— Ce qui t'arrive est de ma faute, fit Solidaria, j`aurais dû te prévenir qu’en ce pays, ce n’est plus comme en le monde d’où tu viens. Il n’y a pas à craindre de jamais manquer de rien. Ces fruits que tu mets de côté, tu n’aurais jamais pu les manger, puisque tu as, à table, toujours plus qu’il ne te faut. Ce seraient des

ordinaires, ils se gâteraient pour rien.

Mais ici, comme c’est un défaut sans excuse de mettre à part des choses dont on ne peut tirer aucun parti soi-même, alors qu’elles peuvent être utiles à d’autres ; pour punir les avares, elles se changent en lutins qui, s’ils avaient été plus nombreux, t’auraient entraîné chez notre ennemi Monnaïus avant que je puisse te venir en aide.

Pour cette fois-ci, sois-en quitte pour la peur, mais ne recommence pas. »

Et, ayant embrassé Nono, elle disparut comme elle était venue, tandis que ce dernier, tout penaud, se glissait tout frissonnant dans le lit, craignant de voir reparaître les horribles monstres qui l’avaient tant effrayé.