Les Avares (Verhaeren)
LES AVARES
N’ont poings et mains que pour garder ou prendre ;
L’âpre janvier, avec sa neige et ses glaçons,
Règne en leur cœur et les travaille,
Mordant leur être inculte et ses broussailles,
Sournoisement, semble courir
Dans leur corps dur comme le cuir,
D’instinct font des gestes rapaces ;
Parmi les rides de leur face
Au trou d’un mur ou d’un sommier,
Même aux fentes de leurs fumiers,
Cerveaux étroits, âmes féroces,
Comme des pois au creux des cosses,
Jamais ne dort leur vigilance ;
Ils se chauffent avec du foin ;
Ils voient venir, vers eux, de loin,
Ceux des hameaux et des villages
Le soir, quand par les sentes tortes,
Passent, au long des clos, ceux qui n’ont rien,
Ils imitent l’aboi d’un chien
Dans l’étau morne et froid de leur sordide amour,
Franc par franc, sou par sou, centime par centime,
Effrayants effrayés sur qui plane le sort,
Mais dont la foi en leur folie est si entière
Qu’aucun ne voit les deuils emplir les cimetières