Charles Delagrave (p. 162-169).

XXVII

LES MÉSANGES

Paul. — Enfin voici des échenilleurs sur le compte desquels ne court aucun sérieux reproche. Et d’abord les mésanges.

Ce sont de gracieux petits oiseaux vifs et pétulants, toujours en action, qui voltigent sans cesse d’arbre en arbre, en visitent soigneusement les branches, se suspendent à l’extrémité des plus faibles rameaux, s’y maintiennent dans toutes les positions, souvent la tête en bas, et suivent le balancement de leur flexible support sans lâcher prise, sans discontinuer leur visite des bourgeons véreux, qu’ils mettent en pièces pour en extraire les vermisseaux et les œufs inclus. On calcule qu’une mésange consomme par an trois cent mille œufs d’insectes ; il est vrai qu’elle doit suffire aux besoins d’une famille comme on en trouve très peu d’aussi nombreuses. Vingt oisillons et plus â nourrir à la fois dans le même nid ne sont pas une charge trop forte pour son activité. C’est alors qu’il faut en visiter des bourgeons et des gerçures d’écorce, pour trouver larves, araignées, chenilles, vermisseaux de toute espèce et donner à manger à vingt becs toujours bâillant de faim au fond du nid. La mère arrive avec une chenille : la nichée est en émoi, vingt becs s’ouvrent ; un seul reçoit le morceau, dix-neuf attendent. La mésange sort à l’instant pour une autre expédition ; elle revient, repart, infatigable, et quand le vingtième est repu, le premier depuis longtemps recommence à bâiller de faim. Je vous laisse à penser ce qu’un pareil ménage consomme de vermine en un jour. Aussi vous recommanderai-je hautement les mésanges comme ferventes échenilleuses de nos arbres fruitiers. On leur reproche, je le sais, d’ouvrir les bourgeons et de les détruire. Le mal n’est qu’apparent. Quand elles épluchent un bourgeon, c’est pour atteindre quelque petite larve logée entre les écailles, et non les jeunes feuilles ou les fleurs en bouton. Mieux vaut que ce bourgeon véreux disparaisse ; il n’aurait rien produit, et l’ennemi qu’il loge laisserait sa descendance pour ravager l’arbre l’année d’après.

Louis. — Les mésanges ne se nourrissent donc pas de matières végétales ?

Paul. — Nullement, si ce n’est parfois de quelques semences, comme le chènevis. Il leur faut une nourriture animale. Les petits insectes de toute espèce, leurs œufs et leurs larves conviennent aux mésanges avant tout. Leur goût pour la proie est si vif, qu’elles ont l’audace d’attaquer les petits oiseaux affaiblis ou pris aux pièges, pour leur faire sauter le crâne à coups de bec et en manger voluptueusement la cervelle. Il est vrai que les mésanges sont des oiseaux de grand courage malgré leur faible taille, très vifs, hargneux, querelleurs, vrais petits ogres en temps de famine. Leur bec est conique, robuste, court et pointu ; leurs doigts sont armés d’ongles recourbés, semblables à ceux des oiseaux de proie et doués de la faculté de saisir. L’oiseau met à profit cette faculté pour tenir sa nourriture et la porter au bec avec la patte, comme le font les perroquets.

Après les couvées, les mésanges se réunissent par bandes composées d’une ou deux familles et voyagent de compagnie par petites étapes. Ces compagnies paraissent être conduites par un chef, le père ou la mère apparemment ; elles se rappellent sans cesse d’un arbre à l’autre, se réunissent un instant, puis se dispersent encore pour se rapprocher de nouveau au cri d’appel du chef de bande. Leur vol est court, incertain, léger. Elles se répandent dans les forêts, les jardins, les champs, les vergers, passant l’inspection des arbres et des buissons, cueillant adroitement les larves et les insectes, s’accrochant des griffes à l’extrémité des roseaux flexibles et chassant dans toutes les attitudes.

Le genre mésange est nombreux en espèces. Nous en avons huit dans nos pays. Je vous parlerai seulement des principales.

La mésange charbonnière est la plus grande ; sa faille est celle du rouge-gorge. Elle est d’un gris bleuâtre sur le dos et jaune en dessous. La tête est d’un beau noir lustré ; une large bande de la même couleur traverse par le milieu la poitrine et le ventre, et contourne les yeux, ornés d’une grande tache blanche. Les grosses plumes des ailes sont bordées de cendré-bleu.

La charbonnière est fort commune dans les taillis et les jardins. C’est elle qui, tout en inspectant les écorces des arbres fruitiers, répète en automne : titipu, titipu, titipu, et donne parfois à sa voix un grincement de lime qui lui a valu, dans quelques provinces, le nom de serrurier. Elle niche dans un trou d’arbre qu’elle garnit de matériaux doux et soyeux, de beaucoup de fines plumes principalement. La ponte est d’une quinzaine d’œufs blancs tachetés de rougeâtre clair, surtout vers le gros bout. Pour la subsistance de sa famille, il ne faut pas moins de trois cents chenilles par jour à la charbonnière, ou l’équivalent en tout genre de vermine. Ce que le jardinier, le pépiniériste, le forestier, doivent à cette vaillante échenilleuse est au bout de l’an incalculable. J’en ai vus pourtant plonger le bras, avec une sorte de rage, dans le tronc caverneux de vieux pommiers, pour en extraire le nid de la charbonnière, et jeter au vent, à pleine main, œufs, plumes, oisillons éclos d’un jour. Et ils croyaient faire œuvre méritoire, car, à leur dire, la charbonnière mange les bourgeons. — Mais non, répéterai-je, la mésange ne mange pas les bourgeons ; elle mange les petites larves logées entre leurs écailles, et elle est trop clairvoyante pour s’attaquer aux bourgeons sains, qui ne renferment rien de bon pour elle. Laissez-lui donc éplucher en paix les bourgeons véreux, qu’elle distingue très bien des autres.

Pour varier sa nourriture, la charbonnière ne dédaigne pas le chènevis et la noisette, dont elle extrait l’amande avec une habileté du bec et de la patte, je dirais presque de la main, qu’aucun autre oiseau ne possède. Le moineau, le pinson, le chardonneret et les autres concassent le chènevis entre leurs mandibules ; la charbonnière le saisit dans sa patte, le porte adroitement au bec et taille dans l’écorce une petite ouverture ronde par où le grain est vidé, comme nous le ferions d’un œuf à la coque. La noisette est travaillée avec la même dextérité.

La mésange bleue est un magnifique petit oiseau qui voyage de compagnie avec la charbonnière et fréquente les jardins fruitiers. Elle est olivâtre dessus, jaune dessous, avec le sommet de la tête d’un beau bleu d’azur, le front blanc, la joue blanche encadrée de noir. Un petit collier de cette couleur cerne la nuque et les côtés du cou. Les grosses plumes des ailes et de la queue sont bordées de bleu. Cette mésange, si élégante de plumage, si gracieuse d’allure, toujours grimpant contre les écorces, toujours tournant autour des branches, toujours suspendue à l’extrémité des rameaux flexibles, toujours furetant, toujours becquetant, marche de pair avec la charbonnière pour les talents d’échenillage. On l’a vue, en quelques heures, nettoyer un rosier de deux mille pucerons. Les chenilles et les œufs d’insectes, surtout de ceux qui s’attaquent aux fruits, sont sa principale nourriture. Elle est avide de la cervelle des petits oiseaux ; au besoin elle s’accommodeMésange charbonnière.
Mésange charbonnière.
de chènevis. Comme la charbonnière, elle niche dans le trou d’un arbre. Son nid, construit sans art, est un entassement de fines plumes. Aucune autre espèce n’élève plus nombreuse famille. Les œufs dépassent le chiffre de vingt ; ils sont blancs et mouchetés de rougeâtre, surtout au gros bout.

Deux autres mésanges, d’importance moindre pour l’échenillage, construisent leurs nids avec un art admirable. Ce sont la mésange à longue queue et la penduline.

La mésange à longue queue se distingue de toutes les autres par le développement excessif de la queue, qui fait plus de la moitié de la longueur totale du corps. Elle habite les bois pendant la belle saison et ne vient que l’hiver dans nos jardins et nos vergers. C’est un petit oiseau à peine supérieur en dimension au roitelet. Il est gris-rougeâtre sur le dos et blanc en dessous ; le ventre est teinté de roux, la nuque et les joues sont blanches.

Le nid est tantôt placé dans l’enfourchure des hautes branches d’un arbuste, tantôt dans l’épais fourré d’un buisson à quelques pieds de terre ; mais il est plus souvent accolé au tronc d’un saule ou d’un peuplier. Sa forme est celle d’un ovale allongé, ou mieux d’un énorme cocon élargi par la base. Il a son entrée sur le côté, à un pouce environ du sommet de la voûte. La coque extérieure se compose de lichens conformes à ceux qui viennent sur l’arbre servant de support, afin de se confondre avec l’écorce et de tromper les regards des passants. Des filaments de laine en retiennent toutes les parties enchevêtrées entre elles. Le dôme, pour mieux résister à la pluie, est un feutre épais de mousse et de fils d’araignée. L’intérieur ressemble à la cavité d’un four dont le sol serait excavé en coupe et la voûte très élevée. Cette forme est la plus favorable à la conservation de la chaleur. Un lit très épais de plumes soyeuses forme l’ameublement du nid. Là reposent seize à vingt oisillons, rangés avec ordre dans l’étroite conque, de la grandeur au plus du creux de la main. Par quel miracle de parcimonieux emménagement ces vingt petites créatures avec leur mère trouvent-elles place en ce logis ? comment d’aussi longues queues peuvent-elles s’y développer ? On chercherait vainement plus belle application de l’économie de l’espace.

Émile. — Que j’aimerais à voir les vingt petites mésanges dans le fond de leur nid !

Paul. — J’ai eu dans le temps cette bonne fortune. Aujourd’hui encore l’émotion me gagne quand je songe aux vingt petites têtes qui se dressèrent du fond du nid, tremblotant et ouvrant le bec comme à l’approche de leur mère. Par l’orifice du four, un coup d’œil fut rapidement donné à ce gracieux spectacle, et je me retirai. Les parents étaient déjà là, la plume ébouriffée d’anxiété. Ne craignez rien, petits oiseaux si vigilants pour votre famille, ce n’est pas l’oncle Paul qui commettra le sacrilège de toucher à vos nids.

Émile. — Émile non plus.

Louis. — Jules et Louis pas davantage.

Paul. — Je l’espère bien, sinon l’oncle Paul ne raconterait plus d’histoires.

Le nid de la mésange penduline est encore plus remarquable. Cette mésange n’habite guère que les bords du cours intérieur du Rhône. Elle suspend très haut son nid à l’extrémité de quelque rameau flexible d’un arbre de la rive, de manière que sa famille est mollement bercée par la brise des eaux. C’est une sorte de bourse ovale de la grosseur à peu près d’une bouteille, percée, vers le haut et sur le flanc, d’un étroit orifice qui se prolonge en un court goulot d’entrée oùMésange à longue queue.
Mésange à longue queue.
l’on peut au plus engager le pouce. Pour franchir ce passage, la mésange, toute petite qu’elle est, doit forcer la paroi élastique, qui cède un peu, puis se rétrécit. Cette bourse est fabriquée avec la bourre cotonneuse qui s’échappe, en mai, des chatons mûrs des peupliers et des saules. La mésange assemble et consolide les flocons cotonneux par une trame de laine et de chanvre. Le tissu obtenu ressemble au feutre de quelque chapeau grossier. Je cherche vainement à me rendre compte de quelle manière s’y prend l’oiseau pour lisser avec le bec et les pattes une étoffe que n’obtiendrait pas l’industrieuse main de l’homme livré à ses propres ressources ; et cela sans apprentissage aucun, sans hésitation, sans jamais l’avoir vu faire à d'autres. En son premier coup d’essai, la mésangeNid de la mésange penduline.
Nid de la mésange penduline.
dépasse l’art de nos ouvriers tisserands et fouleurs. Le haut du nid comprend dans son épaisseur l’extrémité du rameau et ses dernières divisions, qui servent de charpente à la voûte ; mais le feuillage sort des lianes de la bourse et les protège de son ombre. Enfin, pour plus de solidité dans l’attache, un cordage de laine et de chanvre entortille les brins supérieurs autour du rameau, tandis que ses brins inférieurs se distribuent dans la trame du feutre. L’intérieur de la demeure est rembourré de coton de peuplier première qualité. Trois semaines du travail le plus assidu sont nécessaires à un couple de pendulines pour construire cette merveille.

Émile. — La pluie ne passe pas à travers l’enveloppe du nid ?

Paul. — Le feutre est si épais et si serré que par les pluies les plus fortes il n’entre pas une goutte d’eau dans la demeure de coton.

Émile. — Comme les mésanges doivent être bien dans leur nid ! Le vent les balance doucement au-dessus des eaux ; de leur petite fenêtre elles regardent couler le fleuve. Comment est-elle, cette penduline si habile ?

Paul. — Elle est cendrée, avec les ailes et la queue brunes et un bandeau noir au front. Elle est simple de costume, vous le voyez, comme le sont toujours les gens de vrai mérite. La mésange bleue est de riche plumage, mais pour faire son nid elle ne sait qu’entasser plumes sur plumes au fond d’un trou d’arbre ; la penduline est de plumage modeste, mais elle est d’une incomparable adresse pour se bâtir le nid le plus merveilleux qu’il soit possible de voir. À chacun son lot : le talent ou le bel habit.

Jules. — Nous tous ici préférons le premier.

Paul. — Ayez toujours profondément gravé en vous, mes bien-aimés enfants, le noble sentiment que vous venez d’exprimer.

Jules. — Nous serions bien oublieux de vos leçons si nous pouvions jamais avoir d’autre pensée.

Émile. — Et les œufs, comment sont-ils ?

Paul. — Émile ne me ferait grâce de rien au sujet de la penduline. Il vous intéresse donc bien, ce fabricant de nids en feutre ?

Émile. — Beaucoup.

Paul. — Eh bien, les œufs sont tout blancs et un peu allongés. Il y en a trois ou quatre.

Émile. — Pas plus ! lorsque les autres mésanges en ont une vingtaine ?

Paul. — Pas plus ; mais en compensation il y a deux pontes par an.