Les Automnales/Solus eris

Les AutomnalesAlphonse Lemerre, éditeurPoésies d’Auguste Lacaussade, tome 1 (p. 209-213).

XII

SOLUS ERIS

réponse à Madame A.-M. Blanchecotte


C’est quand le cœur se lasse, amoindri par la vie
Quand on insulte son rêve et qu’on n’a plus la foi.
Nos défaillances font notre misanthropie.
Ne plus croire au passé, c’est ne plus croire en soi.
Mme  Blanchecotte.


 
Il est en moi déjà bien des tombes muettes,
Il est en moi des morts bien chèrement pleurés ;
Mon âme à tous voilant ses angoisses secrètes,
Les visite, la nuit, de ses pleurs ignorés.

Mais s’ils coulent, ces pleurs, ils coulent en silence.
Pour étouffer mes cris j’ai bâillonné ma voix.
L’oiseau que la vipère a surpris sans défense
Et mordu, pour mourir se cache au fond des bois.

Dans la forêt paisible aux lumineux feuillage
Restez, hôtes ailés des printemps radieux !
De la chantante arène un de vous, avant l’âge,
S’éloigne, implorant l’ombre où se cloront ses yeux.


Aux cœurs blessés laissons leur pénombre discrète,
Respectons le silence où leur pudeur se plaît.
Chacun porte en son sein quelque peine secrète ;
La plus âpre souvent est celle qui se tait.

Je n’ai point renié mon passé ni mon rêve !
Ce qu’une fois j’aimai, je l’aimerai toujours ;
Mais le dégoût m’a pris, mais le cœur me soulève,
Car j’ai trouvé mes dieux moins hauts que mes amours !

Je renonce à ces dieux dont je hais l’imposture.
Nul ne trahira plus mes vierges dévoûments.
Pourquoi recommencer et lécher sa torture,
Comme un chien qui retourne à ses vomissements ?

Répudions l’idole et gardons nos croyances.
Je me suis trompé d’heure, et d’autel, et de lieu !
Pour ne plus s’attarder aux lâches défaillances,
A d’ingrates erreurs disons nous-même adieu.

Brillante de fraîcheur comme une fleur mouillée,
Notre âme, à son matin, prête à tous ses candeurs.
De ses espoirs ma vie aujourd’hui dépouillée
Oppose aux coups du sort ses muettes pudeurs.

Se lamenter ! gémir ! — gémir pour qu’on nous plaigne
Ou subir résigné les maux immérités !
Non ! je n’accepte point les coups dont mon cœur saigne !
Je suis né, je mourai parmi les révoltés !


Dédaignant la pitié, pour imposer l’estime
De sa propre détresse il faut sortir vainqueur !
Si le monde en nous croit briser une victime,
Montrons-lui que la force est du côté du cœur !

J’ai trop voulu, j’ai trop attendu de la vie,
Et je sais le mensonge où j’accouplai ma foi.
Je m’en vais du festin la lèvre inassouvie :
Les fruits que j’ai connus n’étaient point faits pour moi !

Je ne veux plus d’un monde aux idoles traîtresses !
Préférant ma chimère à ses réalités,
J’ai repoussé la coupe aux banales ivresses !
Mon âme a soif d’amour et non de voluptés !

Interrogeant mes jours, penché sur mes ruines,
Je le sens trop, des fleurs de nos étés ardents
J’ai perdu les parfums et gardé les épines,
Et mon cœur saigne ! — soit ! mais qu’il saigne en dedans !

N’étalons point aux yeux nos vivaces blessures !
Étouffons nos soupirs sur nos lèvres en feu !
Écrasons sur nos cœurs l’aspic et ses morsures !
Nos angoisses sans nom, ne les crions qu’à Dieu !

Rentrons en nous, rentrons nos vertus blasphémées !
Voilons nos vœux déçus des ombres du linceul !
Couvrons d’un masque froid nos pâleurs enflammées !
Disons à notre esprit : « Debout ! et marche seul ! »


Je l’ai fait ; et voici que votre voix me blâme,
Vous, la muse au doux verbe, au front vêtu de noir.
Mais en moi, sachez-le, vous blâmez, ô belle âme !
Un frère par l’épreuve et par le désespoir.

Vous vous trompez : ma voix n’a point raillé mes peines !
Le sort n’a point glacé mon cœur, il l’a bronzé.
Je souffre comme vous, mais, libre dans mes chaînes,
Je souffre du malheur d’être désabusé !

Vous vous trompez : les pieds sur mes tendresses mortes,
J’ai maudit, non raillé qui m’a su torturer !
J’ai crié dans l’angoisse au Dieu des âmes fortes :
Guérissez-moi d’aimer, de croire et d’espérer !

J’ai trop cru, trop aimé ! — ce crime, je l’expie !
Le doute après la foi ! la nuit après le jour !
Mon idéal trompé fait ma misanthropie !
Ma haine — si c’est haine — est fille de l’amour !

Ce que j’attends des jours, ce n’est pas l’espérance,
Mais l’ombre. — Eh ! que m’importe à moi le væ soli !
La solitude est douce et bonne à ma souffrance :
En attendant la mort, j’y viens chercher l’oubli.

Qui ? moi ! me replonger dans les mêmes détresses !
Abdiquer mon orgueil aux douloureux efforts !
Non ! — Ne point triompher de nos lâches tendresses,
C’est aux faibles donner raison contre les forts !


Je veux l’ombre et l’oubli, — l’oubli des luttes vaines !
Je ne veux plus souffrir du mal dont j’ai souffert !
D’un ardent idéal n’embrasons plus nos veines !
Autour de nous faisons la nuit et le désert !

Solitudes des mers aux horizons sans bornes,
Sables maudits que brûle un soleil destructeur,
Espace désolés, ô solitudes mornes !
Qu’êtes-vous ? qu’êtes-vous près du désert du cœur ?

Eh bien, je te préfère encore aux foules vides,
Désert du cœur ! désert par Dieu seul visité !
Si l’on n’y peut guérir ses blessures livides,
On en meurt dans tes bras, austère Liberté !…

Compatissante amie, âme éprouvée et douce,
Vous dites vrai, vivons ! la vie est un devoir.
Vivons !… mais vos espoirs, ma raison les repousse !
Je puis encor donner, mais non plus recevoir !

Écoutez de la Muse en vous la voix sereine ;
Moi, je suis de mon cœur le stoïque conseil.
Jeune et calme, restez dans la brûlante arène !
Restez ! — Je ne veux plus de ma place au soleil !