Les Atomes/Conclusions

Librairie Félix Alcan (p. 289-291).



CONCLUSIONS



119. — La convergence des déterminations. — Parvenus au terme actuel de cette étude, si nous jetons un coup d’œil sur les divers phénomènes qui nous ont livré les grandeurs moléculaires, nous serons conduits à former le Tableau suivant :

phénomènes observés
Viscosité des gaz (équation de Van der Waals)
62,0
Mouvement brownien
Répartition de grains
68,3
Déplacements
68,8
Rotations
65,0
Diffusion
69,0
Répartition irrégulière des molécules
Opalescence critique
75,0
Bleu du ciel
60,0 (?)
Spectre du corps noir
64,0
Charge de sphérules (dans un gaz)
68,0
Radioactivité
Charges projetées
62,5
Hélium engendré
64,0
Radium disparu
71,0
Énergie rayonnée
60,0

On est saisi d’admiration devant le miracle de concordances aussi précises à partir de phénomènes si différents. D’abord qu’on retrouve la même grandeur, pour chacune des méthodes, en variant autant que possible les conditions de son application, puis que les nombres ainsi définis sans ambiguïté par tant de méthodes coïncident, cela donne à la réalité moléculaire une vraisemblance bien voisine de la certitude.

Pourtant, et si fortement que s’impose l’existence des molécules ou des atomes, nous devons toujours être en état d’exprimer la réalité visible sans faire appel à des éléments encore invisibles. Et cela est en effet très facile. Il nous suffirait d’éliminer l’invariant entre les 13 équations qui ont servi à le déterminer pour obtenir 12 équations où ne figurent plus que des réalités sensibles, qui expriment des connexions profondes entre des phénomènes de prime abord aussi complètement indépendants que la viscosité des gaz, le mouvement brownien, le bleu du ciel, le spectre du corps noir ou la radioactivité.

Par exemple, en éliminant les éléments moléculaires entre l’équation du rayonnement noir et l’équation de la diffusion par mouvement brownien, on trouvera tout de suite une relation qui permet de prévoir la vitesse de diffusion de sphérules de 1 micron dans de l’eau à la température ordinaire, si l’on a mesuré l’intensité de la lumière jaune dans le rayonnement issu de la bouche d’un four où se trouve du fer en fusion. En sorte que le physicien qui observe le four sera par là en état de relever une erreur dans les pointés microscopiques de celui qui observe l’émulsion ! Et ceci sans qu’il soit besoin de parler de molécules.

Mais, sous prétexte de rigueur, nous n’aurons pas la maladresse d’éviter l’intervention des éléments moléculaires dans l’énoncé des lois que nous n’aurions pas obtenues sans leur aide. Ce ne serait pas arracher un tuteur devenu inutile à une plante vivace, ce serait couper les racines qui la nourrissent et la font croître.



La théorie atomique a triomphé. Nombreux encore naguère, ses adversaires enfin conquis renoncent l’un après l’autre aux défiances qui longtemps furent légitimes et sans doute utiles. C’est au sujet d’autres idées que se poursuivra désormais le conflit des instincts de prudence et d’audace dont l’équilibre est nécessaire au lent progrès de la science humaine.

Mais dans ce triomphe même, nous voyons s’évanouir ce que la théorie primitive avait de définitif et d’absolu. Les atomes ne sont pas ces éléments éternels et insécables dont l’irréductible simplicité donnait au Possible une borne, et, dans leur inimaginable petitesse, nous commençons à pressentir un fourmillement prodigieux de Mondes nouveaux. Ainsi l’astronome découvre, saisi de vertige, au delà des cieux familiers, au delà de ces gouffres d’ombre que la lumière met des millénaires à franchir, de pâles flocons perdus dans l’espace, Voies lactées démesurément lointaines dont la faible lueur nous révèle encore la palpitation ardente de millions d’Astres géants. La Nature déploie la même splendeur sans limites dans l’Atome ou dans la Nébuleuse, et tout moyen nouveau de connaissance la montre plus vaste et diverse, plus féconde, plus imprévue, plus belle, plus riche d’insondable Immensité.