Les Associations ouvrières dans le passé (Pelletan)/Les Conséquences

Librairie de la Bibliothèque ouvrière (p. 144-148).

CHAPITRE XIII

Les Conséquences.


La centralisation, l’appesantissement de la main de l’État sur les corporations, ont donné tous leurs résultats. Nous les pouvons juger maintenant.

Du xiiie au xviie siècle, qu’a fait la Royauté ? Elle a créé les privilèges, elle a payé en avantages donnés aux patrons les libertés supprimées à tous ; première conséquence de la corporation devenue officielle : ruine des ouvriers.

Au xviie siècle, que fait-elle ? Par ses monstrueux empiétements voici qu’elle atteint non plus le travailleur, mais le patron lui-même, mais l’industrie tout entière. Deuxième conséquence : ruine des patrons.

À la mort du grand roi, quand le cadavre de Louis XIV alla à sa demeure dernière, au milieu des feux de joie du peuple, presque toutes les corporations étaient sur le point de faire banqueroute.

Cela pour de bonnes raisons. D’abord les privilèges accordés à certaines manufactures tuèrent des industries entières. Par exemple, le monopole des dentelles ruina toute la fabrication de France. Le monopole des savons, donné à un seul industriel faisait dire au prévôt de Lyon : cette nouveauté détruit un des plus grands négoces du royaume, etc. Ensuite la réglementation excessive lie et paralyse le travail. La vénalité corrompt l’industrie et surtout les demandes incessantes d’argent sous toutes les formes l’épuisent complètement.

Ajoutez que la révocation de l’édit de Nantes, cette odieuse proscription des protestants, demandée par l’Église, et accordée par un roi dévot que poursuivait l’idée de ses vices et de ses crimes, et qui comptait se racheter de l’enfer en exilant ou tuant les hérétiques ; cette fameuse révocation avait chassé de France, et envoyé en Angleterre, en Hollande ou en Prusse, les plus actifs, les plus intelligents et les plus riches industriels et commerçants.

Les dernières exigences de Louis XIV surtout, chargèrent tellement les dettes des communautés industrielles, qu’on vit se reproduire, dans un autre genre, et en très-petit, ce qui s’était produit quand sous l’Empire romain le despotisme avait été obligé de lier le membre du « collège » à sa situation industrielle. Seulement, ici, si nous ne trouvons que quelques faits isolés, ils sont plus frappants. C’est la situation privilégiée de « maître » ou patron à laquelle on cherche à se dérober à la fin du xviie siècle. Le corps de la draperie, en Touraine, qui avait compté cent-vingt maîtres, était réduit à six personnes ! Pourquoi ? Personne n’y voulait plus entrer, pour n’en pas subir les dettes. — Dans d’autres corporations, les maîtres préférèrent abandonner le métier en masse. La royauté fit comme avait fait l’Empire : elle les attacha à leur maîtrise ; elle annula leurs retraites.

Et pourtant la monarchie devait durer presque cent ans encore ! sans se corriger ! Il fallait, pour qu’elle pérît, qu’elle eût livré nos colonies, et conduit la France au bord de la plus affreuse banqueroute. Il fallait surtout que les idées mûrissent. La Révolution vint à temps. Le pays put se relever.

Un des premiers soins du ministre Turgot, qui précéda de quelques années la Constituante dans la voie des réformes, et de la Constituante après lui, fut d’abolir les corporations, qui ne répondaient plus depuis des siècles qu’à des souvenirs de servitude, d’exploitation et de misère. Il a fallu longtemps pour que l’impopularité de l’idée corporative disparût. La Révolution ne fit que des citoyens libres, mais isolés, dans un État puissant. La tradition et la centralisation monarchiques pesèrent sur elle, à son insu.

Les temps sont venus où l’on a compris que le danger n’est pas dans la corporation en elle-même, mais dans la corporation tombant entre les mains de l’État.