Briard (Poulet-Malassis) (p. 61-80).

VIVE LE VIN ! VIVE L’AMOUR !




QUATRIÈME FRAGMENT




Le Comte (au chevalier, se levant brusquement). — Je connais trop la façon de penser de madame la duchesse pour pouvoir douter que vous soyez un homme comme il faut ; ainsi, monsieur, nous n’aurons probablement ensemble qu’une explication très-décente sur le hasard qui vous fait recueillir le fruit d’un rendez-vous donné pour moi. Cependant, si par malheur je me trouvais encore plus lésé que je ne suppose l’être…

Le Chevalier (avec fierté). — Qu’en serait-il, monsieur ?

Le Comte (fièrement à son tour). — C’est ce que je vous ferai savoir, monsieur.

Le Chevalier (se soulevant). — Je n’aime pas à différer ces sortes d’éclaircissements… (Il s’échappe du lit et suit nu le comte, qui vient de passer dans la salle du bain, où sont aussi les habits du chevalier.)

Madame Durut (leur courant après). — Holà ! mes beaux champions ! ce lieu n’est du tout celui des scènes tragiques.

La Duchesse (accourant aussi, à madame Durut). — Arrêtez-les, ma bonne amie ! Si j’ai quelque empire sur vous, messieurs…

En même temps, madame Durut a fermé la pièce à la clef. Le chevalier s’habille en grande hâte. Madame Durut sert la duchesse, qui en fait autant, marquant par des mouvements presque convulsifs qu’elle éprouve quelque chose de bien pénible…

Le Comte. — Quel est ce jeune homme, madame Durut ?

La Duchesse (vivement). — Son neveu[1].

Le Comte (feignant de se calmer, et d’un ton ironique). — Digne choix, en vérité ! Je n’ai plus rien à dire. (À madame Durut.) Ouvrez-moi.

Le Chevalier. — On vous trompe, monsieur. Dans un moment je retourne à Paris ; si vous n’avez rien de mieux à faire que de m’y suivre, nous pourrons causer en chemin et déterminer à quel point chacun de nous offense son rival.

Le Comte. — Je suis à vos ordres.

Madame Durut. — Cela vous plaît à dire : vous êtes tous deux aux miens. Mais voyez donc un peu ces mutins ! Sachez, mes beaux messieurs, que, toute taquinerie cessante, vous ne sortirez pas d’ici que je ne le veuille bien. Oh ! vous êtes, en dépit de vos bouillants courages, tout à fait en mon pouvoir.

La duchesse ne sort des mains de madame Durut que pour aller tomber pesamment dans une bergère, où elle joue assez bien la défaillante.

La Duchesse (avec les mines convenables). — Je me sens mal… Durut, de l’eau de Cologne,… des sels,… de l’éther… Je n’en puis plus,… j’étouffe,… je me meurs… (Elle est pour lors immobile, dans l’attitude la plus théâtrale, l’œil fermé, mais sans que les roses des joues et des lèvres aient pâli de la moindre nuance.)

Le Chevalier (aux pieds de la duchesse). — O ciel ! quel malheur !

Madame Durut (assez calme et donnant du secours). — La ! la ! ne vous désespérez pas, cela n’aura pas de suites…

En effet, à peine a-t-on mis des sels d’Angleterre sous le nez de la duchesse qu’un long soupir annonce la clôture de son évanouissement.

Madame Durut (au comte). — Voilà pourtant, vilain homme, la belle besogne que vous êtes venu faire ici ! Que je déteste ces vaniteux ! Tout irait si bien, si l’on voulait ne mettre que de la folie à ce qui est uniquement affaire de plaisir.

Le Comte. — Vous verrez maintenant que c’est moi qui ai tort !

Madame Durut. — Assurément, et en tout point. Vous vous êtes conduit en homme qui n’a pas le sens commun. Vous arrivez trop tard, premier tort d’autant plus inexcusable qu’il est absolument volontaire ; vous vous montrez ici avec l’assurance et la brusquerie dont on blâmerait même un mari, second tort ; vous nous rompez tous en visière, plus grand tort qui vous donne en même temps beaucoup de ridicule : la preuve en est à ce qu’il vous a été forcé de voir et d’endurer. Répondez à tout cela. Eh ! morbleu ! puisque vous aviez assez joliment passé votre temps là-bas, que n’y restiez-vous ? Célestine aurait bien eu la complaisance de vous y tenir plus longtemps compagnie.

La Duchesse (avec intérêt). — Célestine !… ils ont été ensemble ?

Madame Durut. — Assurément, et de la meilleure intelligence encore.


LES MÊMES, CÉLESTINE.

Célestine (en dehors et frappant). — J’entends qu’on parle de moi, veut-on bien m’ouvrir ?

Madame Durut ouvre et lui conte rapidement la querelle de ces messieurs.

Célestine (gaiement). — Fort bien ! (Au comte.) Voilà donc, petit perfide, comment je puis me fier à vos belles protestations ! (Avec une menace badine.) Si j’étais babillarde, comme vous seriez grondé ! Allons, la paix, mes bons amis. (Au comte, en lui montrant le chevalier.) Voyez donc comme il est joli ! Vous auriez la barbarie de l’embrocher en face ?

Les esprits sont déjà considérablement apaisés, la duchesse et madame Durut souriant à l’épigrammatique plaisanterie de Célestine,

La Duchesse (au comte, d’un ton piqué). — Il paraît, monsieur, que nous ne sommes pas en reste l’un avec l’autre… (D’un ton moins sec.) Que tout ceci finisse donc convenablement. (Elle lui tend la main.) Je vous pardonne l’aimable Célestine ; faites-vous de même une raison au sujet du charmant chevalier… Touchez-là.

Le Comte (obéissant). — Vous avez tant d’ascendant sur moi… qu’il faut bien en passer par ce que vous voulez. Allons, madame,… qu’il n’en soit plus parlé.

Célestine (avec espièglerie). — Oui-da ! cela est fort aisé à dire. Je ne prends pas, moi, la chose aussi indifféremment. J’avais fait une conquête ; on m’avait juré les plus belles choses du monde ; il faut que mon compte se trouve à tout ceci. Je déclare donc que je m’empare de monsieur (du chevalier),… sauf à le restituer à qui il appartiendra lorsque je croirai m’être suffisamment vengée.

Madame Durut. — La matoise ! tout en riant, elle le fera comme elle le dit, ou le diable m’emporte ! Oh ! je la connais ! Mais pensons enfin au solide : il faut dîner ; qu’en pensez-vous, mes enfants ?

La Duchesse. — Je meurs d’appétit.

Madame Durut. — Eh bien, allons ! Nos jeunes braves videront leur querelle à table et se battront à l’aise le verre à la main. (Elle prend au comte une main ; à Alfonse :) La vôtre : approchez ! (Le chevalier approche. Elle réunit leurs mains.) La paix, au nom du plaisir !

Le Comte. — De tout mon cœur. (Ils s’embrassent.)

Madame Durut. — Je ne demande pas à madame la duchesse si elle trouve bon que nous ne nous séparions pas. Si sa conversion est sincère…

La Duchesse (interrompant). — Très-sincère, je te jure, ma chère Durut. Il faut que Célestine et toi soyez des nôtres ; je l’aurais exigé si tu ne m’avais pas prévenue…

Madame Durut. — C’est parler, cela. Allons, je commence à espérer qu’enfin on pourra faire quelque chose de vous. (Madame Durut s’en va.)

Peu d’instants après, un des jockeys, qu’on connaît déjà, vient annoncer qu’on a servi et conduit les convives à une pièce délicieuse. Elle représente un bosquet dont le feuillage, peint de main de maître, se recourbe en coupole jusque vers une ouverture ménagée en haut et d’où vient le jour à travers une toile légèrement azurée qui complète l’illusion. On voit, sur le fond transparent, les extrémités des feuilles et quelques jets élancés se découper avec une vérité frappante. Tout autour de la pièce, au tronc des arbres régulièrement espacés on voit attachée une draperie blanche bordée de crépines d’or, qui est censée cacher tous les intervalles au-dessous du feuillage. Le bas est une balustrade du meilleur style, peinte en marbre blanc et qui paraît se détacher. Le tapis est un gazon factice parfaitement imité. À peine s’est-on réuni dans cet agréable lieu qu’il y survient le dîner le plus sensuel.

La duchesse, le comte, le chevalier, Célestine et madame Durut sont à table et mangent.

Madame Durut. — Vous ne paraissez pas penser à me remercier, cependant vous avez l’étrenne de cette jolie salle, qui n’est achevée que depuis quelques jours et où je n’ai permis à qui que ce soit d’entrer tandis qu’on y travaillait.

Le Chevalier. — On ne pouvait rien penser de plus agréable, et l’exécution en est parfaite.

Le Comte. — L’architecte a un peu écouté aux portes. Je connaîs la pareille salle, je dis absolument pareille, chez le marquis de[2]

Madame Durut (interrompant). — Je connais, je connais ! assurément vous pouvez connaître. Une chose n’a-t-elle donc de prix qu’autant qu’elle soit unique ? À boire ! Je passe ma vie à entendre d’insoutenables gens comparer, épiloguer, au lieu de jouir…

Célestine (interrompant). — Et ma bouillante sœur se fâche au lieu de manger ! cela ne revient-il pas au même ?

La Duchesse. — Célestine a raison, et je suis enchantée, Durut, qu’elle vous ait prise sur le fait. Savez-vous que vous devenez d’une humeur…

Madame Durut (avec surprise). — Et vous aussi ? À votre tour, messieurs, grondez-moi. J’ai donc de l’humeur ? Eh bien ! il faut la noyer dans le bourgogne. (Elle s’en fait donner une bouteille et se verse rasade.) À vos santés !…

Le Comte. — J’aime mieux cela que de la morale.

On boit à la ronde. Ils mangent tous du meilleur appétit et boivent à proportion. Avec le second service on a apporté des vins délicieux. Les entremets sont ingrédientés de manière à ne pas permettre que de tels convives conservent longtemps leur sang-froid et demeurent à table sans s’agacer. Quoique le chevalier ait fait passablement des siennes, il se sent déjà des velléités pour cette friponne de Célestine, dont il est voisin, et qui joue avec lui de la prunelle, à faire sauter le bouchon. La vue de plus de la moitié de ses merveilleux tétons (qu’elle découvre sous prétexte d’y pourchasser un peu de pain qui la blesse) achève de mettre en rut l’inflammable jouvenceau.

Cependant il s’observe assez bien pour ne pas se mettre dans le cas d’offenser la duchesse, qui le guette du coin de l’œil. De son côté, le comte croit de son honneur qu’avant qu’on se quitte la duchesse ait fait aussi quelque chose pour lui. Durut, qui ne perd rien de tout ce manége, rit sous cape et déjà se doute de ce qui va suivre. Au dessert, les gens renvoyés, la conversation s’anime par degrés et devient des plus polissonnes. En voici un léger échantillon :

Madame Durut. — À propos, madame la duchesse, il y a longtemps que vous n’êtes venue par ici avec ce grand lévrier… cet étranger, si blond, si pomponné !…

La Duchesse. — Elle me divertit avec son lévrier, c’est justement un Danois… l’Opéra me l’a enlevé…

Célestine. — L’Opéra ne vous a pas enlevé grand’chose. Cet homme est bien le plus glacial bande-à-l’aise ! (Gaiement) Nous sommes tous garçons ici ?

La Duchesse (souriant). — Il a donc l’avantage de vous connaître ?

Célestine. — Oh ! ne m’en parlez pas. J’eus un jour, je ne sais par quel caprice d’avoir quelqu’un d’encore plus blond que moi, le malheur de m’aventurer avec ce beau monsieur ; cela fut d’un nul !… Il est vrai qu’il resta sur le champ de bataille un diamant ; mais vivent les gens qui savent les faire gagner !

La Duchesse (sentant une atteinte). — Comte, j’ai des cors, je vous en avertis. (Elle sourit)

Madame Durut. — Oh ! je le reconnais au langage des pieds. Chez moi, certain soir qu’il s’agissait d’enivrer un provincial et de lui souffler sa jolie femme, ne voilà-t-il pas mon maladroit qui, à table, en face du couple, se trompe, et, croyant faire une gentillesse à madame, vous appuie amoureusement un pied sur l’orteil goutteux du mari ! Celui-ci de jeter le cri de quelqu’un qu’on mettrait à la broche et de retirer les jambes si promptement, si fort et si haut, qu’il soulève la table et renverse tout ce qui la couvrait. Figurez-vous le bacchanal, le tracas, la consternation d’une femme peu faite, alors, à de pareils événements !… Il est vrai que, depuis, nous en avons fait une rude lame… Comte, vous pouvez certifier ce que je dis.

Le Comte (froidement). — Qu’en faites-vous ?

Madame Durut. — C’est du véreux maintenant. Elle vient encore de temps en temps dans ma maison de Paris, pour les moines.

La Duchesse. — Fi !

Le Comte. — Quant à moi, le l’ai totalement perdue de vue, il y a bien six mois, depuis qu’elle m’a débauché mon valet de chambre.

Célestine. — Ce fut sans doute pour vous un grand crève-cœur que de perdre ainsi deux maîtresses à la fois ?

Madame Durut. — Pourquoi pas trois ? car la dame ne se faisait pas beaucoup prier pour faire le thème en deux façons.

Le Comte. — De la méchanceté ! Il est assez plaisant qu’on gronde ici ces sortes de caprices, tandis qu’on veut bien les laisser en paix dans la société. Vous voilà trois femmes : laquelle de vous osera jurer de n’avoir jamais varié la manière de faire des heureux ?

Célestine. — Monsieur le comte voudrait nous confesser apparemment. Quant à moi, je ne suis pas pressée de m’accuser de péchés dont il est très-possible que je n’aie aucun repentir. (Avec espièglerie.) Pends-toi, brave Crillon[3]

Madame Durut. — Pour moi, je pose en fait qu’il n’y a que les sots qui se privent d’user de tous leurs moyens. Je dis hommes et femmes. Avis à l’auditeur, beau chevalier, qui semblez être à mille lieues de nous. Si j’étais un aussi joli garçon que vous, je ne me contenterais pas de tourner la tête aux femmes, je voudrais m’amuser encore à me faire lancer par tous les Villettes du royaume. Il en vient ici à qui ce chien de museau-là ferait faire, ma foi, de belles extravagances ! Notre fortune serait faite à tous deux.

La Duchesse. — Taisez-vous, Durut. Voyez comme vous embarrassez ce pauvre enfant !

Madame Durut. — Lui ! pas tant que vous l’imaginez, madame. Priez-le de vous raconter ses petites facéties d’écolier… Il y a passé, je vous le jure.

Le Chevalier (avec grâce). — Voilà qui est très-mal de ta part, ma chère Durut, et tu justifies le proverbe qui dit qu’on n’est jamais trahi que par ses proches.

Célestine. — Comment ! on te l’a mis, mon cher petit chevalier ? Si j’avais l’honneur d’être garçon, je donnerais beaucoup pour avoir la même joie.

Le Chevalier (l’embrasse et lui dit à l’oreille) : — Si des hommes pouvaient ressembler à la magique Célestine, je voudrais être la catin de tous les bougres de l’univers. (Elle lui rend son baiser avec transport, et risque, à la faveur de la table, de lui faire plus bas une visite d’amitié. En même temps, la duchesse sent une main du comte qui se faufile à travers l’ouverture de ses poches…)

La Duchesse. — Mais, mon cher comte, que voulez-vous donc me voler ?… Les mains sur la table, s’il vous plaît !

Madame Durut (avec malice). — Eh bien !… Célestine ! chevalier ! l’ordre est pour tout le monde ; à quoi diable vous amusez-vous donc là ?

Célestine (riant). — Voyez quelle tracasserie ! On ne peut donc, sans scandale, manier un peu les breloques du monde ?

Madame Durut (se levant brusquement et détournant la nappe). — Sacrebleu, quelles breloques ! C’est bien aussi la montre, ma foi !

Célestine (ainsi prise sur le fait, en donnant au charmant boute-joie un petit coup badin) : — Au revoir donc !… (À la société.) Puisqu’il faut reprendre le fil de la conversation, où en est-on ? (Moment de silence.) Vous voyez, ma sœur, qu’on ne dit mot. C’était bien la peine de nous déranger !…

La Duchesse. — J’aime Célestine à la folie ; si j’étais là, je l’embrasserais à cause de sa sincérité.

Célestine (accourant). — Ah ! je viendrais de bien plus loin pour cueillir une faveur si douce. (Elles s’embrassent vivement ; le chevalier a suivi sans trop savoir pourquoi.)

La Duchesse. — Eh bien ! vous voilà ?

Le Chevalier. — C’était pour observer de plus près la chose du monde la plus intéressante et que j’aime le mieux voir : deux jolies femmes se faisant des caresses.

La Duchesse (sans humeur). — Petit roué ! tu venais tout bonnement à la piste de Célestine. Va, tu ne vaux pas les bons sentiments qu’on pourrait avoir la folie de prendre pour toi… Il me prend aussi fantaisie maintenant de consoler ce pauvre comte, avec qui j’ai bien quelques petits torts.

Madame Durut. — Quant à moi, j’aurais tort de ne pas vider cette bouteille : elle est digne de la bouche des dieux ! (Elle boit.)

Ce qu’a dit la duchesse n’avait pour but que de piquer un peu le chevalier, mais le comte l’a pris au pied de la lettre. En conséquence, profitant de ce que la duchesse s’est levée pour embrasser Célestine, il s’est glissé à la place de la première, et, méditant de la recevoir sur lui quand elle voudrait se rasseoir, il dispose tout si bien qu’en effet il se trouve qu’elle retombe à cru sur quelque chose qui surprend toujours agréablement les dames. Pour peu qu’un homme soit adroit en pareil cas, il est au but avant qu’on ait eu le temps de soupçonner son dessein… Bref, la duchesse est enfilée à cheval sur le comte et lui tournant le dos. Au même instant, cette coquette de Célestine, qui se proposait de faire au comte en passant quelque amitié, s’incline pour lui donner un baiser, qu’il reçoit en se penchant un peu sur la gauche derrière la duchesse. L’égrillard de chevalier profite de la posture de Célestine pour lui jeter ses jupons par-dessus les hanches, et, sans dire gare, il lui plante vigoureusement ce dont tout à l’heure elle venait de s’amuser. La formation de cette assemblage est telle que les célestes figures de la duchesse et du chevalier se trouvent fort à portée l’une de l’autre. En dépit de la double infidélité, l’aimant du plaisir les attire ; leurs bouches s’unissent, leurs langues s’enlacent ; ils se baisent et se sucent avec fureur. Ainsi chacun des quatre acteurs se partage presque également ; la volupté circule ; le plaisir que la duchesse doit au comte, elle le communique au chevalier, qui le rend à Célestine, qui le ramène enfin à sa première source. Madame Durut est enchantée ; elle boit un grand coup à la santé de la quadruple alliance, puis elle vient le plus près qu’elle peut examiner en tous sens cet intéressant impromptu. Elle s’assied enfin, tout contre le chevalier, dont elle caresse d’une main les dépendances, tandis que de l’autre elle se donne une électrique et très-active commotion. Bientôt on n’entend plus que soupirs, sanglots, petits mots charmants qui perdent tout à être répétés ; gros mots de madame Durut possédée d’une double ivresse, et qui ne se pique pas, comme on sait, de raffinement.

On se décompose enfin, on reprend des forces dans les flacons, on babille avec ce délire d’heureuse folie qu’aucun récit ne peut fixer. Un excellent café, suivi des liqueurs les plus fines, termine ce voluptueux dîner.

Le comte, très-pressé (ou qui feint de l’être) d’assister à l’auguste pétaudière, part tout de suite dans son rapide cabriolet. La duchesse reste. L’adroite et complaisante Célestine prête son ministère pour la mettre en état de paraître au spectacle. Le chevalier, dont on a renvoyé les chevaux et qui n’a rien de mieux à faire que de se reposer, suit aux Italiens son équivoque conquête, qui l’enlève dans un vis-à-vis d’une élégance achevée, attelé de deux anglais sans prix pour la vitesse et la beauté.


FIN DU PREMIER NUMÉRO.
  1. Ce mensonge a pour but à la fois et de vexer le comte et de prévenir une affaire d’honneur.
  2. Le comte a raison. Cette salle existe en original chez une dame fort célèbre, que les deux sexes déchirent également, les femmes par hypocrisie, car elles ont son amour et lui prodiguent le leur, les hommes par un sot amour-propre, car près d’elle ils sont rarement heureux. Mais qui peut juger sans passion cette Sapho moderne ne peut s’empêcher de l’admirer et de l’aimer, et s’étonne de lui voir concilier de la manière la plus naturelle les goûts et les habitudes de la femme à la fois la plus légère et la plus réfléchie, la plus frivole et la plus essentielle, la plus capricieuse en fait de plaisir, et la plus invariable en fait de sentiments.
  3. C’est ainsi que Célestine trahit son goût bizarre, et fait sentir au comte qu’il a perdu, le matin, une belle occasion.