ANECDOTES

Un pauvre Arabe avait pour tout bien une jument magnifique. Le consul de France à Seïde voulut la lui acheter, dans l’intention de l’envoyer à Louis XIV. L’Arabe, quoique pressé par le besoin, hésita longtemps ; enfin il consentit, et en demanda un prix considérable. Le consul, n’osant de son chef donner une si grosse somme, écrivit à Versailles pour en obtenir l’agrément de la cour. Louis XIV donna ordre qu’elle fût comptée. Le consul mande sur-le-champ l’Arabe, qui arrive monté sur sa belle jument, et lui remet l’or qu’il avait demandé. L’Arabe, couvert d’une méchante natte, met pied à terre, regarde l’or ; il jette ensuite les yeux sur sa jument, il soupire, et dit : « À qui vais-je te livrer ? à des Européens qui t’attacheront, qui te battront, qui te rendront malheureuse ; reviens avec moi, ma belle, ma mignonne, sois la joie de mes enfants. » En disant ces mots il s’élance dessus, et reprend le chemin de sa demeure.

Les Arabes partagent leurs coursiers en deux castes bien distinctes, les Kadeskis, ou chevaux de races inconnues, et les Koclanis, ou chevaux dont la généalogie est connue depuis plus de deux mille ans. Les premiers sont méprisés et employés aux travaux communs, les seconds sont exclusivement réservés à servir de chevaux de main. Les récits des voyageurs sont remplis d’anecdotes sur le courage, l’agilité et l’intelligence extraordinaires de ces coursiers du désert. Nous citerons seulement le trait suivant, raconté par M. de Chateaubriand dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem.

« L’histoire d’une jument fait souvent l’entretien du pays. On me raconta les prouesses d’une de ces cavales merveilleuses. Le Bédouin qui la montait, poursuivi par les sbires du gouverneur, s’était précipité avec elle du sommet des montagnes qui dominent Jéricho. La jument était descendue au grand galop, presque sans broncher, laissant les soldats dans l’admiration et l’épouvante de cette fuite. Mais la pauvre gazelle creva en arrivant à Jéricho, et le Bédouin, qui ne voulut point l’abandonner, fut pris pleurant sur le corps de sa compagne. Cette jument a un frère dans le désert ; il est si fameux que les Arabes savent toujours où il a passé, où il est, ce qu’il fait, et comment il se porte. On m’a religieusement montré dans les montagnes, près de Jéricho, le pas de la jument morte en voulant sauver son maître. »

Un vivandier anglais avait élevé un joli petit cheval brun auquel il avait donné le nom de Capdy. La plus étroite intimité régnait entre l’homme et l’animal, qui prenait ses repas avec son maître, et la nuit couchait à côté de lui.

Lors de la fameuse bataille de Maupertuis, que gagna le prince Noir sur le roi Jean, le vivandier fut tué par des archers poitevins, et le petit cheval fut pris par l’un d’eux. À la première occasion, Capdy s’échappa, s’enfuit à travers la campagne, et arriva sans se tromper jusqu’aux bas-fonds qui avoisinent Boulogne ; puis, chose incroyable ! il traversa à la nage le pas de Calais jusqu’à Douvres.

S’étant rendu tout d’un trait à la chaumière de son maître, située à sept milles de cette ville, il y hennit avec allégresse, dans l’espoir de l’y trouver. Les habitants caressèrent beaucoup le fidèle animal, lui donnèrent à manger, et en eurent le plus grand soin ; mais au bout de quelques jours, le pauvre Capdy, ne voyant point reparaître son maître, refusa toute nourriture, et peu de temps après il mourut de chagrin.