Les Amours de Tristan/Le triomphe d’Iris

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 124-127).


LE TRIOMPHE D’IRIS.

STANCES.



LES foudres qui grondoient auec tant d’inſolence
        Ceſſent leur violence ;
      Les flots paroiſſent adoucis,
Et le diuin pouuoir qui regiſt toutes choſes
Semble ſe preparer à nous donner des roſes
        Apres tant de ſoucis.

Malgré tous les efforts qu’a pû faire l’Enuie
        Pour affliger ſa vie,
      Yris triomphe du mal-heur.
Le ſort pour ſon ſujet n’a plus rien de funeste ;
Et de tous nos ennuys, maintenant il ne reſte
        Que ma ſeule douleur.

Mais le digne ſujet dont ma peine eſt cauſée
        Me la rend trop aiſée

      Pour en vouloir la gueriſon :
Et le charme eſt ſi doux qui mon Ame poſſede,
Que dans cette langueur i’eſtime tout remede
        Pire que du poiſon.

Les plus ſuperbes Rois qu’enuironne la Gloire,
        Et que ſuit la Victoire
      Par tout où marche leur courroux,
Fuſſent-ils eſleuez dans l’humeur la plus vaine
Ne pourroient obſeruer le ſujet de ma peine
        Sans en eſtre ialoux.

Le deshonneur que fait le beau teint que i’adore
        À celuy de l’Aurore,
      Leur feroit receuoir ſa loy.
Ils poſeroient leur Sceptre aux pieds de cette Belle
Et quitteroient l’honneur de commander comme elle,
        Pour ſeruir comme moy.

L’or de ſes blonds cheueux qu’eſmeut vn doux Zephire
        Vaut celuy d’vn Empire,
      Leur eſclat n’a point de pareil.
Ils ſemblent composez d’vne flame immortelle,
Et c’est auec raiſon que chacun les appelle
        Les Rayons d’vn Soleil.

C’eſt auec du peril que les Marchands auares
        Aux riuages Barbares
      Frequentent auec tant de ſoing :
Sans pratiquer les vents & les ondes traiſtreſſes,
Ie treuue depuis peu beaucoup plus de richeſſes
        Et ne vay pas ſi loing.

Graces aux doux apas dont Yris eſt pourueuë,
        Ie contante ma veuë,
      De tous les biens les plus charmans :
Ie voy mille treſors en ſes beautez diuines,
Sa bouche eſt de Rubis, ſes dents de Perles fines,
        Ses yeux de Diamans.

Le reſte de ce corps dont ie ſuis idolatre
        Eſt de viuant Albaſtre,
      Animé d’vn eſprit des Cieux ;
Si bien que l’on y trouue vn concert de Merueilles,
Qui rauiſſent les cœurs & charment les oreilles
        Außi bien que les yeux.

Arbitres des Mortels, Puiſſances ſouueraines,
        Renforcez bien mes chaines,

      Cette captiuité me plaiſt :
Ie ne demande point de fortune meilleure
Que de bruſler touſiours, pourueu qu’Yris demeure
        Au meſme eſtat qu’elle est.