Les Amours (Ovide)/Traduction Séguier/44

Traduction par Ulysse de Séguier.
(p. 135-138).

ÉLÉGIE VII

Impuissance.


Cette enfant n’avait donc ni beauté ni culture !
Assez donc je n’en rêvai pas !
Malheur ! en vain son lit m’a livré ses appas,
J’y fus une masse, une injure.
Non, je n’ai pu, malgré nos désirs mutuels,
Du plaisir réveiller l’organe.
À mon col elle eut beau, plus blanche que Diane,
Jeter ses deux bras sensuels,

Elle eut beau m’agacer de sa langue vermeille
Cuisse à cuisse étreindre mes chairs,
M’appeler son seigneur, et des mots les plus chers,
Savamment flatter mon oreille :
Comme si la ciguë eût gelé mes ressorts,
Je refusai la chose due :
Je restai comme un tronc, un spectre, une statue.
Étais-je une ombre ? étais-je un corps ?

Ah ! s’il me faut vieillir, que sera ma vieillesse
Quand mon printemps se fane ainsi ?
Je rougis de mes ans : homme et jeune, en ceci
J’ai démenti sexe et jeunesse.
Ma belle s’est levée en vierge de Vesta,
En chaste sœur quittant son frère.
Pourtant deux fois Chloé, trois Libes et Néère
M’ont vu naguère entrer recta.
Et dans une nuit courte, excité par Corinne,
J’entrai neuf fois, je m’en souviens.
Dois-je mon crime au fait de sacs thessaliens,
À quelque sort, quelque racine ?
Ou sur la cire rouge ayant mon nom inscrit,
M’a-t-on d’un dard percé le foie ?
Sous l’action d’un charme aucun pré ne verdoie,
Toute fontaine se tarit.
Grâce aux sorciers, les fruits tombent tout seuls de l’arbre,
Le cep meurt, les glands se font clairs :
L’art magique peut donc paralyser les nerfs :

Il m’a changé peut-être en marbre.

Ajoutez-y la honte ; oui, la honte en était, —
Seconde cause d’impuissance.
Quel beau corps cependant s’offrait là sans défense !
Car ma main à nu l’inspectait.
Au doux contact, Nestor eût oublié son âge ;
La vigueur eût repris Tithon.
Moi, je tins une femme, elle, un pauvre avorton.
Par quels vœux ravoir l’avantage ?
Sans doute que les Dieux, choqués de mon début,
De leur don rare ont repentance.
Je brûlais d’être admis, on admit ma présence ;
J’aimai voir, toucher : ainsi fut.
À quoi bon tant de biens, un sceptre sans empire,
Mille trésors improductifs ?
Ainsi Tantale a faim sous des pommiers rétifs,
Et, dans l’onde, après l’eau soupire.
De son épouse ainsi se sépare, au matin,
L’époux marchant vers le saint prêtre.
Mais ses plus chauds baisers m’auront manqué peut-être ?
L’on n’aura su me mettre en train ?
Erreur ! sa bouche avide et son brûlant manège
Eussent fondu rocs, diamants.
Elle eût certe animé tous les hommes vivants :
Mais alors à peine vivais-je.
Que feraient à des sourds les chants de Phémius,
À Thamyras des toiles peintes ?

Oh ! combien en secret j’imaginai d’étreintes !
Quelles voluptés je conçus !
Las ! ma bête resta quasi morte, et plus sèche
Que la rose détachée hier.
La voilà maintenant qui, raide, le nez fier,
Voudrait remonter sur la brèche.
Engourdis-toi plutôt, appendice honteux !
C’est ainsi que j’ai pu te croire :
Tu trahis ma maîtresse et ma valeur notoire ;
Je te dois un revers affreux.

La belle néanmoins de son poignet d’albâtre
Daigna dûment l’aiguillonner ;
Mais, malgré tout son art, le voyant s’obstiner
À choir, oublieux de combattre :
« Te moques-tu de moi ? dit-elle… Homme de peu,
Qui t’ordonnait d’être en ma couche ?
Ou d’Éa te traverse une aiguille farouche,
Ou tu sors las d’un autre lieu. »

Et du lit, à l’instant, sans robe elle s’élance,
Et vers ses femmes court pieds nus :
Là, pour qu’on ne crût pas ses charmes méconnus,
Un bain local masqua l’offense.