Les Amours (Ovide)/Traduction Séguier/09

Traduction par Ulysse de Séguier.
(p. 28-31).

ÉLÉGIE VI

Au portier de Corinne


Portier, humble gardien chargé d’indignes fers
Fais mouvoir ta porte indocile.
Un jour étroit suffit ; ouvre à peine : en travers
Discrètement je me faufile.
L’amour m’a tellement rendu maigre et fluet
Qu’entrer ainsi n’est pas merveille.
Je sais, guidé par lui, d’un pied lent et muet,
Des surveillants tromper l’oreille.

Jadis l’obscurité provoquait mon effroi ;
Sortir, la nuit, me semblait grave.
Cupidon et Vénus tout haut rirent de moi :
« Aime, ont-ils dit, tu seras brave. »
Marchons, l’heure est venue. Ombres qu’on voit voler,
Poignards cachés, rien ne m’arrête.
Je ne flatte que toi ; toi seul me fais trembler :
Tu tiens la foudre sur ma tête.
Regarde, et, pour mieux voir, enlève ces verrous !
Mes pleurs du seuil mouillent la pierre.
Sur ton dos, certain jour, allaient pleuvoir les coups ;
Le fouet s’abstint à ma prière.
Quoi ! ma voix, qui jadis te sauva d’un tourment,
Pour moi serait moins efficace !
Rends le bien pour le bien. Tu cherchais ce moment ?
La nuit s’avance ; ouvre de grâce.

Ouvre, et qu’on te libère, en échange, demain,
De ton eau vile et de ta chaîne.
Mais tu ne réponds pas, portier, j’appelle en vain ;
Ton cœur est dur comme ce chêne.
Qu’il faille, en temps de guerre, un gond bien affermi,
Soit ; mais, en paix, qui te menace ?
Tu me crains comme amant, que serait-ce ennemi ?
La nuit s’avance ; ouvre, de grâce.

Je ne viens point suivi de farouches soldats ;
L’Amour est seul de la partie.

Je voudrais le chasser que je ne pourrais pas ;
Prends plutôt mot sang et ma vie.
L’Amour donc, puis deux doigts de la rouge liqueur,
Des fleurs à ma tête un peu lasse,
Voilà mes combattants ! Qui n’accourrait sans peur ?
La nuit s’avance ; ouvre, de grâce.

Es-tu lent ? ou dors-tu d’un hostile sommeil
Que ma requête aux airs s’envole ?
On te trouvait sans cesse autrefois en éveil,
Quand je rôdais près de ta geôle.
Peut-être ton amie est-elle dans tes bras :
Oh ! sort plus gai, meilleure place !
De ta chaîne, à ce prix, que je n’ai-je l’embarras !
La nuit s’avance ; ouvre, de grâce.

Me trompé-je ? Les gonds n’ont-ils pas résonné ?
Est-ce un indice, une assurance ?
Erreur ! c’était le vent. Son souffle inopiné
Emporte au loin mon espérance.
Viens, au nom d’Orythie, ô Borée, et d’un bond
Romps cette barrière tenace !
Tout est silencieux… Rosée et brume au front,
La nuit s’avance ; ouvre, de grâce.

Ouvre, ou, plus prompt que toi, par le fer, par le feu,
Je détruis l’orgueilleuse enceinte.
La nuit, l’amour, le vin au calme invitent peu ;

Tous trois narguent pudeur et crainte,
Mots rudes ou mielleux, sans fruit j’ai tout-tenté,
Homme plus sourd que cette porte.
Non, tu ne devrais pas servir une beauté,
Mais aux bourreaux prêter main-forte.
Déjà l’aube blanchit l’horizon vaporeux,
Et le coq sonne sa fanfare.
Toi, couronne à regret tombant de mes cheveux,
Reste devant ce mur barbare.
Quand ma maîtresse, au jour, te verra sur le seuil,
Tu lui diras ma vaine attente.
Adieu, portier, rougis. Que ce funeste accueil
Te soit rendu par ton amante.
Enfin, adieu toi-même, insurmontable écueil ;
Je pars, adieu, porte irritante !