Les Amours (Ovide)/Traduction Séguier/07

Traduction par Ulysse de Séguier.
(p. 22-25).

ÉLÉGIE IV

Il enseigne à sa maîtresse par quel art ils peuvent
s’entretenir à table, en présence de son mari.


Corinne, ton mari soupe avec nous ce soir :
Pour ton mari la mort s’ensuive !
Je ne te verrai donc qu’à titre de convive ?
Un autre en maître doit t’avoir !
Ton corps va réchauffer sa poitrine ennemie !
À sa guise il prendra ton sein !
Cesse de t’étonner du carnage soudain,

Fruit des noces d’Hippodamie.
D’un Centaure je n’ai ni les mœurs ni le bras ;
Crains pourtant mon jaloux délire.
.Sache alors tes devoirs : de grâce, qu’au zéphire
Mes conseils ne s’envolent pas.
Viens avant ton mari : que ferons-nous sur l’heure ?
Je ne sais ; viens toujours avant.
Il paraît… feins un air modeste, en le suivant ;
Mais qu’en passant ton pied m’effleure.
De ton lit, vois mon front et mes gestes adroits ;
Réponds-leur vite avec prudence.
Mes sourcils, sans parler, auront de l’éloquence ;
Tout t’instruira, mon vin, mes doigts.
Si de nos doux plaisirs l’idée en toi s’éveille,
Pince ta joue au teint rosé.
M’as-tu de quelque faute en secret accusé,
Mollement tire ton oreille.
Mon astre, t’ai-je plu par mes mots, mon entrain,
Que ta bague en cercle s’agite.
Invoques-tu l’enfer que ton époux mérite,
Comme en priant, étends la main.
S’il remplissait ta coupe, eh ! dis-lui qu’il la vide !
Puis demande un vin de ton choix.
Après toi je veux boire au calice où tu bois :
J’y chercherai ta trace humide.
T’avance-t-il un mets que lui-même a goûté ?
Jette ce poison sous la table.
Soustrais ton cou d’ivoire à son bras détestable,

Ta tête à son sein détesté,
Garde le tien, si pur, des excès de sa flamme ;
Nuls baisers, de ta part surtout.
Ose en donner !… je crie, en fondant tout à coup :
« Ils sont à moi ! je les réclame. »
Cela, je puis le voir ; mais combien j’aurai peur
Des privautés qu’un manteau cache !
Défends qu’à tes mollets, à ta cuisse il attache
Son dur genou provocateur.
Je crains ces libertés, me les étant permises ;
Mon propre exemple est mon tourment.
J’ai hâté bien des fois, sous un long vêtement,
L’heure des voluptés promises.
Tu seras sage… mais, pour me tranquilliser,
Repousse un voile trop commode.
Fais boire ton mari, remplis sa coupe en fraude, ;
Sans l’étourdir d’un seul baiser.
Quand il s’endormira dans une lourde ivresse,
Du temps, des lieux, inspirons-nous.
Tu quittes le banquet, et nous te suivons tous :
Marche au milieu de cette presse.
Tes yeux sauront m’y voir, mes bras t’y rencontrer ;
Alors touche mon corps fébrile.
Hélas ! pour peu de temps ma leçon est utile ;
La nuit viendra nous séparer.
Ton époux, réveillé, vers sa chambre t’emmène ;
Je reste à la porte en pleurant.
Dieux ! j’entends ses baisers… Le voilà savourant

Tous ces trésors que j’eus à peine !
Ne cède qu’à regret à ses affreux transports.
Que Vénus trompe sa luxure !
Si mes vœux sont comblés, son impuissance est sûre ;
Toi, fais un marbre de ton corps.
Enfin, dis-moi demain, quels que soient ses efforts :
« Je suis vierge de sa souillure. »