Paul Ollendorff (Tome 1p. 271-273).
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Ils se turent, assis devant le foyer, le petit minet entre eux, tous trois immobiles, absorbés, et regardant le feu. La flamme, près de s’éteindre, caressait de son battement d’aile le fin visage de Mme  Arnaud, que rosissait une exaltation intérieure qui ne lui était pas coutumière. Elle s’étonnait elle-même de s’être ainsi livrée. Jamais elle n’en avait tant dit. Jamais plus elle n’en dirait autant.

Elle posa sa main sur celle de Christophe et dit :

— Que faites-vous de l’enfant ?

C’était à cela qu’elle pensait, depuis le commencement. Elle parlait, elle parlait, elle était une autre femme, elle était comme grisée. Mais à cela seul elle pensait. Dès les premiers mots de Christophe, elle s’était bâti un roman dans son cœur. Elle pensait à l’enfant que sa mère avait laissé, au bonheur de l’élever, de tresser autour de cette petite âme ses rêves et son amour. Et elle se disait :

— Non, c’est mal, je ne dois pas me réjouir de ce qui est le malheur des autres.

Mais c’était plus fort qu’elle. Elle parlait, elle parlait, et son cœur silencieux était baigné d’espoir.

Christophe dit :

— Oui, sans doute, nous y avons bien pensé. Le pauvre petit ! Ni Olivier, ni moi ne sommes capables de l’élever. Il faut les soins d’une femme. J’avais songé qu’une amie voudrait bien nous aider…

Mme  Arnaud respirait à peine.

Christophe dit :

— Je voulais vous en parler. Et puis, Cécile est venue justement, tout à l’heure. Quand elle a su la chose, quand elle a vu l’enfant, elle était si émue, elle a montré tant de joie, elle m’a dit : « Christophe… »

Le sang de Mme  Arnaud s’arrêta ; elle n’entendit pas la suite ; tout se brouilla devant ses yeux. Elle avait envie de crier :

— Non, non, donnez-le-moi…

Christophe parlait. Elle n’entendait pas ce qu’il disait. Mais elle fit effort sur elle-même. Elle pensa aux confidences de Cécile. Elle pensa :

— Elle en a plus besoin que moi. Moi, j’ai mon cher Arnaud… et puis toutes mes choses… Et puis, je suis plus vieille…

Et elle sourit et dit :

— C’est bien.

Mais la flamme du foyer s’était éteinte ; et aussi la roseur du visage. Et sur le cher visage las, il n’y avait plus que l’expression habituelle de bonté résignée.