Les Ailes qui se brisent

Éclairs et FuméeEditions Armorica Voir et modifier les données sur WikidataOeuvres posthumes, 1907-1930, vol. 1 (p. 98-99).


LES AILES QUI SE BRISENT


À Théophile Guyomarc’h[1]


Ici-bas j’ai voulu vivre mon idéal,
Ne doutant point de moi, ne doutant de personne,
Et croyant fermement au joli mot qui sonne,
Et mon réveil ne fut que d’autant plus brutal.

Passion d’idéal ! Cruelle erreur de l’âme,
Vague parfum de fleur, stupide enchantement !
Vaines illusions, mirage décevant
D’un banal mot d’amour, d’un sourire de femme.

… Et je n’emporterai que de pauvres regrets,
De lointains souvenirs, estompant leur tristesse,
Dans la fade saveur d’une morne caresse,
Qu’on offre sur-le-champ, tout en pensant : Jamais !

J’ai des doutes affreux — angoisse du dilemme —
Car j’ai pourtant chéri. Dites-moi, l’amitié
N’est-elle point parfois de l’obscure pitié ?
Mais le doute est humain ; on doute lorsqu’on aime.


Malade et malheureux, dégringolant la cime,
J’ai voulu, mais trop tard, retourner sur mes pas.
Chaque soleil couchant me trouve un peu plus las
Et ce sera demain que s’ouvrira l’abîme.

Demain je partirai pour le plus grand voyage.
Ah ! ne protestez pas… Mais sans nous dire adieu,
Tous les honnêtes gens se rencontrant en Dieu !
Il n’est besoin là-bas que d’un cœur pour bagage.




  1. Le Barde Guyomarc’h est mort d’un accident d’auto, dans la nuit du 15 décembre 1929, en revenant de Botmeur, où il avait visité Abgrall alité