Les Ages préhistoriques de l’Espagne et du Portugal

Les Ages préhistoriques de l’Espagne et du Portugal
Revue des Deux Mondes3e période, tome 80 (p. 182-189).
LES
AGES PRÉHISTORIQUES
DE
L’ESPAGNE ET DU PORTUGAL

<span style="display:inline-block;min-width:Les Âges préhistoriques de l’Espagne et du Portugal, par M. Émile Cartailhac, préface de M. A. de Quatrefages, avec 450 gravures et 4 planches. Paris, 1886 ; Ch. Reinwald.;max-width:Les Âges préhistoriques de l’Espagne et du Portugal, par M. Émile Cartailhac, préface de M. A. de Quatrefages, avec 450 gravures et 4 planches. Paris, 1886 ; Ch. Reinwald.;">


L’attention des lecteurs de la Revue a été attirée à plusieurs reprises sur les travaux et les découvertes attestant l’ancienneté de l’homme, et révélant sa présence à des époques trop reculées pour que l’histoire en ait transmis le souvenir. C’est là une science nouvelle, à peine soupçonnée il y a un demi-siècle, et dont les recherches ont cependant réussi à remplir des musées, ont accumulé des documens et ouvert des horizons de jour en jour plus étendus. Le « préhistorique, » pour la désigner d’un seul mot, s’applique aux vestiges laissés par les premiers hommes, par des races perdues dont les plus anciennes ne connaissaient pas les métaux et n’avaient pour armes et pour instrumens que ceux qu’elles se procuraient en ouvrant la pierre. Lorsque, à la suite de ces explorations, on s’enfonce dans le passé, on voit d’abord disparaître la culture et les animaux domestiques, puis la pierre elle-même n’est plus appliquée qu’à des usages restreints, et dans le plus lointain de ces âges successifs, elle sert uniquement d’arme défensive ; elle devient un « coup de poing. » Les animaux qui entourent l’homme en Europe sont alors remplacés par des espèces éteintes ou émigrées, et nous sommes en plein « quaternaire, » c’est-à-dire au sein d’une Europe très différente, par son aspect, ses productions et les êtres vivans qu’elle possède, du continent que nous habitons, sans que rien puisse encore faire deviner les progrès futurs dont l’humanité devait pourtant donner plus tard le spectacle.

Toutes ces notions ont été classées, ordonnées, régularisées. Les âges divers se trouvent caractérisés par la race, par la nature et la forme des instrumens, enfin par les animaux contemporains et caractéristiques. — En France, nous partons des graviers de la Somme, des sables de Grenelle, du temps des éléphans, des rhinocéros et des hippopotames : c’est le premier âge, la race de Canstadt de M. de Quatrefages, le « chelléen » de M. de Mortillet ; puis on arrive à l’âge du moustier, celui du grand ours des cavernes, pour aboutir à l’âge du renne, à la disparition graduelle du mammouth, à la race artistique de Cro-Magnon, précédée par celle de Solutré et conduisant par étapes aux derniers temps de la pierre taillée, puis aux « kjœkenmœdings, » et enfin à la période néolithique, pendant laquelle les cités lacustres, les cavernes habitées ou converties en sépultures, les constructions mégalithiques, offrent le tableau d’une société véritable, ayant ses rites, son idéal, son organisation, mais ignorant encore les métaux et même le bronze, introduit pourtant bien avant le fer, d’où que le premier de ces métaux soit venu.

Le mérite de M. Cartailhac, dont le nom est une garantie de sincérité scientifique, c’est d’avoir appliqué ces notions générales à l’étude d’un champ d’exploration aussi riche que peu connu jusqu’à présent. La Péninsule ibérique a déjà livré ou laissé entrevoir bien des documens paléanthropiques, quelques-uns de premier ordre, d’autres plus ou moins contestés ; mais on n’aurait pas soupçonné, avant le beau volume que nous avons sous les yeux, un accord aussi exact, une correspondance aussi complète entre les faits observés sur notre sol et ceux qui résultent des recherches poursuivies sur l’autre versant des Pyrénées. C’est une révélation véritable, une confirmation éclatante des vues émises par nos savans sur la façon dont les races préhistoriques ont dû se développer et se succéder, sur la signification à attacher aux vestiges laissés par elles dans leur passage à travers les âges. — Avec quel art l’auteur rend la vie à ces peuplades primitives et traduit leur physionomie! Il les évoque devant nous avec leurs instincts si variés; il les suit dans leurs migrations présumées; il retrouve leurs procédés industriels et reconstruit leur manière d’être. En même temps, il discute, il compare, il devine et il nie au besoin, lorsqu’il se heurte à des opinions hasardées ou à des hypothèses non justifiées. La préface magistrale de M. de Quatrefages ne dissimule pas ces divergences de vues qui honorent les deux savans et témoignent des scrupules auxquels ils obéissent, au moment où il s’agit pour eux d’affirmer.

M. Cartailhac expose les raisons qui le portent à ne pas admettre l’homme tertiaire, dont un géologue portugais, M. Ribeiro, avait cru rencontrer des vestiges dans une formation d’eau douce, près de Lisbonne. L’homme « tertiaire, » toujours annoncé, jamais exhumé assez sûrement pour que son existence paraisse démontrée, a cependant un partisan résolu, et certainement des plus autorisés, en M. de Quatrefages. Celui-ci, dans sa préface, formule des réserves explicites vis-à-vis des dénégations ou tout au moins des doutes de M. Cartailhac sur les silex taillés des environs de Lisbonne. Ces silex sont en effet trop rudimentaires pour entraîner la conviction qu’ils ne sont pas dus à des causes naturelles, trop épars à la superficie pour que leur provenance directe du gisement tertiaire de Monte-Redondo puisse être nettement établie. Ils prêtent par cela même à des conjectures peu en rapport avec la grandeur d’une découverte qui reculerait au fond d’un passé des plus éloignés le berceau de l’humanité. M. de Quatrefages insiste, il est vrai, sur des restes humains recueillis par M. Ragazzoni à Castenedolo, près de Brescia, et qui feraient connaître a l’homme tertiaire lui-même. » Les ossemens de plusieurs individus, adultes ou enfans, et le squelette presque entier d’une femme auraient été extraits d’un terrain non remanié. Ici, l’abondance de débris demeurés en connexion comme dans une sépulture, mise en regard de leur pénurie sur le niveau « chelléen » ou des graviers de la Somme, si riches pourtant en instrumens d’un caractère frappant et d’une conservation merveilleuse, suffit à elle seule pour justifier les doutes et fortifier les objections.

D’ailleurs, la question est elle-même mal posée dans les termes par lesquels on semble vouloir la définir. que dit-on en parlant de « l’homme tertiaire,)> et l’opposant à celui dont la coexistence avec les grands pachydermes, éléphans, rhinocéros, hippopotames, du quaternaire inférieur est maintenant hors de contestation, celui dont les armes ou instrumens sont aussi bien déterminés et répandus, au bord de la Somme, de la Seine, de la Garonne, comme plus loin, près de Madrid et de Lisbonne, que s’il s’agissait d’antiquités gallo-romaines? S’agit-il d’un précurseur de l’homme actuel, comme l’a pensé M. de Mortillet, et comme l’abbé Bourgeois était disposé à l’admettre, trop éloigné de nous par l’apparence extérieure pour être notre ascendant direct, adapté à un ordre de choses encore très différent du nôtre, aux prises avec une nature incomplète au point de vue de certaines séries animales, telles que les équidés, les ruminans, les carnassiers? Ce précurseur dépend, il est vrai, d’une simple hypothèse, et ceux qui l’acceptent, sur la foi d’indices controversés, sont bien forcés d’en tracer l’image d’après ces indices, c’est-à-dire d’appuyer une présomption sur une autre présomption. Mais, en dehors du précurseur ainsi conçu et que nous ne saurions à coup sûr ni repousser d’une façon absolue et par fin de non-recevoir, ni accueillir en l’absence de documens décisifs, l’homme « tertiaire » ne saurait avoir qu’une signification, celle du prolongement rétrospectif de notre race, plus ou moins modifiée, si l’on veut, jusque dans la période géologique immédiatement antérieure à celle qui en a fourni les plus anciennes traces, c’est-à-dire jusque dans la période tertiaire. En lui-même, ce prolongement n’offre rien d’invraisemblable; il n’a rien qui soit de nature à choquer l’esprit. Il ne s’écarte pas, en un mot, de ce que serait le résultat possible de recherches relatives aux origines d’un peuple quelconque, Francs, Goths ou Vandales, dont un érudit poursuivrait les vestiges au fond d’un passé plus lointain que le moment précis où ce peuple inaugure son rôle historique. Remarquons-le, puisque l’observation est applicable à la paléoethnie, l’archéologue qui rechercherait ainsi les premiers débuts d’un peuple historique s’adresserait de préférence aux siècles immédiatement voisins de celui où ce peuple entre en scène. — Où étaient les Francs avant Clovis et avant Chilpéric ou Mérovée? Ils nous apparaissent en corps de nation dans le cours du IVe siècle ; vers la fin du IIIe, sous Aurélien, il est fait d’eux quelque mention; voilà pour eux ce que le quaternaire est maintenant pour l’homme; mais, plus loin, s’il était possible d’interroger le passé, en le remontant, et d’obtenir de nouveaux documens, n’est-ce pas sous Septime-Sévère ou sous les Antonins que nous aurions quelque chance de saisir la plus lointaine filiation des Francs? Aurions-nous la pensée de remonter au-delà? — Et, dans le tertiaire même, si nous espérions rencontrer des éléphans ou des rhinocéros plus anciens que ceux signalés jusqu’à présent, est-ce à l’éocène et au paléocène, c’est-à-dire aux débuts de la période, que nous irions les demander? — Non, assurément! — Hé bien ! le même calcul, la même méthode, les mêmes procédés d’investigation doivent être également appliqués aux recherches relatives à l’origine de la race humaine.

L’homme quaternaire, déjà répandu sur une vaste étendue de pays, taillant des armes semblables entre elles, de l’embouchure de la Somme à celle du Tage, n’était certainement pas à son premier début. Il existait auparavant à coup sûr; mais où? En Europe ou ailleurs?.. Nous le saurons peut-être quelque jour; mais si jamais nous l’apprenons, il est bien certain que c’est dans la partie récente du tertiaire que cette présence nous sera révélée. Mais alors ce n’est pas précisément l’homme tertiaire, c’est-à-dire répandu dans tout le « tertiaire » qu’on aura découvert, mais plus exactement l’homme « pliocène. » Ce serait une étrange erreur, en effet, que de croire qu’il en ait été autrement des âges géologiques que de l’histoire même : celle-ci ne s’arrête jamais et se prolonge perpétuellement. Aucune barrière, aucune limite ne la détermine ; ce sont des enchaînemens sans fin. — En géologie, le pliocène récent touche et confine au quaternaire, et le pliocène ancien touche en arrière et confine au miocène, de même que celui-ci à son début se confond avec l’oligocène, qui à son tour se relie à l’éocène et ce dernier au paléocène. Ce sont là des termes inventés par nous, propres à nous guider et désignant des époques dont les limites n’ont rien de tranché, mais présentent plutôt des transitions comparables à celles des couleurs du prisme réunies à l’aide de nuances insensibles. Gardons-nous de confondre les classifications de la science avec la réalité vivante et objective ; gardons-nous même de croire à une sorte d’équivalence entre ces divisions dont la faiblesse de notre esprit invoque l’appui. Il semblerait au premier abord que le quaternaire et le tertiaire fussent des âges comparables par leur durée présumée. Ce serait là pourtant une complète illusion : le quaternaire n’est que la fin du tertiaire, sa terminaison dernière, une sorte d’intervalle marqué par des phénomènes de transport, des accumulations de sables, d’argiles et de graviers, dont la stratification n’est pas assez constante ni assez régulière pour fournir les élémens d’une exacte chronologie ; tandis que le tertiaire répond à une époque immense, à un des âges de notre planète, à une période pendant laquelle non-seulement le sol continental a changé de configuration à plusieurs reprises, mais encore l’animalité terrestre, rudimentaire au début, s’est transformée tout entière, tandis que de son côté la végétation se distribuait par zones, se différenciait par régions, et que la température, achevant de perdre son uniformité première, s’échelonnait peu à peu de l’équateur au pôle. Celui-ci, refroidi graduellement, disparaissait enfin sous des glaces éternelles. Aucune parité ne saurait donc être établie entre le quaternaire et le tertiaire pris dans son ensemble, mais seulement entre le premier de ces âges et la fraction la plus récente de l’autre.

Le problème de l’homme dit tertiaire une fois mis de côté, on voit, en prenant M. Cartailhac pour guide, se dérouler en Portugal et en Espagne le tableau saisissant des âges préhistoriques enchaînés sans interruption. Nous ne songeons pas à suivre l’auteur dans cette étude, où rien n’est oublié de ce qui peut tenir le lecteur en éveil et l’intéresser en l’instruisant ; mais nous ne résistons pas à relever certains traits qui, sans isoler la Péninsule du reste de l’Europe préhistorique, ont cependant quelque chose de spécial à la région explorée par M. Cartailhac.

Les instrumens chelléens, c’est-à-dire les plus anciens, proviennent les uns de San Isidro, près de Madrid, les autres des environs de Lisbonne. Il est impossible de ne pas être frappé de leur ressemblance, on peut dire de leur identité avec ceux des bords de la Somme, tellement la forme, la dimension et le procédé de fabrication sont les mêmes de part et d’autre. Cette régularité de contour qui les a fait comparer à une amande est encore plus frappante dans une pierre de Leira, au nord-ouest de Lisbonne. Certains de ces instrumens, qui ne sont pas les moins curieux, ont été rencontrés dans des cavernes, circonstance intéressante, parce qu’elle indiquerait la propension des hommes de ce premier âge à les utiliser, en Portugal, comme lieux de refuge, tandis qu’en France l’absence de pareils indices, à la même époque, donne à supposer qu’elles étaient inhabitables. N’oublions pas que l’homme était ici dans une région méridionale où les encombremens glaciaires et les phénomènes torrentiels n’atteignirent jamais l’intensité qu’ils avaient ailleurs, soit par l’effet de la latitude, soit par celui du voisinage de grandes chaînes envahies par les glaciers. Le mélange des objets, ceux de l’industrie « moustiérienne » avec les « chelléens, » ceux des âges de Solutré et « madaleinien, » ou des stations de la Dordogne, respectivement associés, marquent des passages, peut-être des progrès dans l’outillage, progrès qui se traduisent surtout par la division du travail, la spécialisation croissante des instrumens. Le plus ancien est, pour ainsi dire, unique; il est à deux fins : il est une arme et secondairement il sert d’outil; mais, à l’âge madaleinien, sans sortir du silex et de l’os, quelle variété l’homme a graduellement introduite dans les objets qu’il façonne ! Les arts d’imitation et d’ornementation ont fait leur apparition, et ce qui prouve que ces tendances nouvelles n’ont rien d’isolé ni d’exceptionnel, mais qu’elles dépendent d’un instinct de la race même, ce sont les vestiges répétés de gravure au trait sur les ossemens ouvrés qui accompagnent les silex madaleiniens de la grotte d’Altamira, non loin de Santander. Le renne, ce compagnon assidu des stations françaises de cet âge, fait absolument défaut, il est vrai, à celles d’Espagne; mais cette absence ne doit pas étonner; elle est caractéristique en Provence, et, à Menton aussi bien qu’en Espagne, elle atteste que, favorisé par le froid de l’Europe centrale et par l’extension des glaciers des massifs alpins et pyrénéens, le renne ne dépassait pas, au sud, une limite déterminée; même dans ses migrations d’hiver, il ne s’écartait pas d’un certain périmètre, et, comme de nos jours, le froid et la glace lui étaient nécessaires.

Après la disparition complète du mammouth ; après le retrait du renne et des immenses glaciers ; après le temps correspondant à l’âge où l’homme fabriquait, en éclatant le silex, des grattoirs, des couteaux, des poinçons, des burins, des pointes de dards, où avec l’os façonné il obtenait des traits, des harpons, des bouts de javelines, des aiguilles, nous sortons du quaternaire et nous pénétrons dans les temps actuels. C’est alors, selon une remarque importante de M. Cartailhac, qu’une solution de continuité se produit. « Jusqu’alors, dit-il, le progrès avait été constant et régulier, et la civilisation de la pierre taillée ou paléolithique s’était développée insensiblement; elle aurait été autochtone. » Mais, à l’origine de la pierre polie, à l’aurore des temps actuels, une lacune apparaîtrait, un intervalle obscur et difficile à interpréter s’interposerait : il y aurait eu invasion de l’Europe par une race nouvelle, plus forte, plus active, plus avancée, submergeant les races antérieures, les refoulant peu à peu, s’insinuant d’abord le long des côtes et pénétrant de là daris l’intérieur du continent. Désormais, et une fois la révolution accomplie, l’homme européen, bien que dépourvu encore de la connaissance des métaux et réduit à l’usage de la pierre polie, posséderait pourtant des animaux domestiques, pratiquerait l’agriculture, aurait des rites funéraires et élèverait des monumens. Cet âge nouveau, qui est celui des amas de coquilles, des sépultures mégalithiques et des cités lacustres, a cela de particulier qu’il s’étend à l’Europe entière, de la Scandinavie en Portugal, et, plus loin, jusqu’en Afrique. C’est une civilisation ayant ses traits, répondant à une phase de l’humanité, et qui, en Europe, a dû se prolonger jusqu’aux plus lointaines lueurs crépusculaires des temps historiques.

L’Espagne et le Portugal apportent un riche contingent au trésor de découvertes caractéristiques de cet âge. — Des amas de coquilles, assimilables aux « kjœkenmoeddings » des plages baltiques, se rencontrent en Portugal : ce sont des débris ou rebuts de cuisine qui paraissent se rattacher aux premiers temps de la pierre polie. Ils ont fourni, grâce à l’immensité des entassemens d’objets qui les composent parfois, les plus curieux enseignemens sur le régime et les habitudes des peuplades dont ils sont l’ouvrage, et qui, dans certains cas, les choisissaient pour y placer leurs morts. Certaines pratiques de cette époque, encore mal expliquées, présentent un côté mystérieux et sont de nature à exciter la sagacité des savans. Tel est le fait de la trépanation, dont les crânes de l’âge de la pierre polie offrent trop d’exemples pour ne pas y reconnaître un usage établi dans un dessein déterminé, médical ou superstitieux, lié peut-être aussi à un mode d’ensevelissement lorsqu’il s’agit de crânes perforés après la mort. La question, examinée sous toutes ses faces par M. Cartailhac, reste ouverte, malgré les efforts de Broca et de plusieurs autres pour en découvrir le véritable sens. — Mais ce qui attire le plus dans les souvenirs encore debout de cet âge, ce sont les cryptes sépulcrales ou, si l’on veut, les cavernes artificielles, tantôt simplement creusées et agrandies en forme de caveau, avec ouverture ménagée pour servir d’entrée, tantôt érigées au dehors au moyen d’élémens mégalithiques assemblés, quoique bruts, de manière à présenter une ordonnance symétrique : ce sont alors des dolmens, toujours destinés à l’origine, selon la remarque de M. Cartailhac, à disparaître sous un amas de terre constituant un tumulus.

Les dolmens ne sont que des tombes et renferment constamment un mobilier funéraire, lorsqu’ils n’ont pas été fouillés; ils couvrent le Portugal et y prennent le nom de Anta, au pluriel Antas, mot qui aurait, à ce qu’il paraît, la signification « d’autel. » Comme les dolmens bretons, ils sont souvent précédés d’une allée couverte, et témoignent, si l’on songe à la fréquence de ces sortes de monumens en Scandinavie, en Angleterre, dans toute la France et une partie au moins de l’Allemagne, de la longue durée et de la puissance du peuple ignoré qui eut la force d’ériger ces masses, de les aligner et de les superposer, en y gravant parfois des signes mystérieux, pour y coucher ses morts, dans la pensée de leur procurer un asile inviolable.

Les siècles s’écoulèrent ainsi jusqu’au moment où la métallurgie prit naissance, le cuivre d’abord, puis le bronze. Le progrès dut être très lent, puisque les objets en métal s’associent d’abord en très petit nombre aux instrumens en pierre polie, dont l’usage persiste. Il semble que longtemps encore, et sans que le commerce soit venu directement alimenter les peuplades européennes, celles-ci aient reçu du dehors et de proche en proche la matière métallique, d’abord ouvrée à l’aide de procédés élémentaires et primitifs. Il y a là des phases successives, habilement analysées dans le livre de M. Cartailhac, auquel nous renvoyons ceux, — Et le nombre en est grand, — qui tiennent à se rendre compte des efforts complexes et répétés, des tâtonnemens de toutes sortes, au moyen desquels l’homme, si longtemps rudimentaire, est parvenu peu à peu à s’élever jusqu’à la connaissance et à la pratique des arts techniques, puis à l’intuition de la beauté typique, associée en lui à la pensée de ses triomphes sur la matière inerte. C’est par là que ses luttes pour le bien-être le conduisent, à son insu et en dépit de ses défaillances, à voir au-dessus et plus loin, à ne jamais s’arrêter, au risque de déchoir, dans cette marche ascendante vers un but qu’il croit toujours être sur le point de toucher et qui ne recule incessamment que pour mieux apprendre à l’homme à s’en rapprocher de plus en plus.


G. DE SAPORTA.