Les Abeilles (Henry Mürger, Le Présent)

Le PrésentTome deuxième (p. 97-99).

LES ABEILLES


En avril, lorsque la branche
Que mars a fait bourgeonner,
D’une étoile rose ou blanche
Commence à se fleuronner,
Le printemps nouveau réveille
Tout un peuple industrieux
— Aux fleurs du pêcher l’abeille
Prend son miel délicieux.


En juin, quand la plaine brille
Sous les feux de la Saint-Jean ;
Quand l’acier des faux scintille
En rapide éclair d’argent,
Quand la faucheuse sommeille
Son grand chapeau sur ses yeux
— Aux fleurs de sainfoin l’abeille
Prend son miel délicieux.


Au mois où la terre étale
La richesse des moissons,
Quand la sonore cigale
Frappe l’air de ses chansons,

Dans la lumière vermeille
Bourdonne un essaim joyeux,
— Aux fleurs des sillons l’abeille
Prend son miel délicieux.


Sur la mousse colorée,
Où l’aurore le matin
Dans ses larmes s’est mirée,
La mouche trouve un butin ;
Et quand l’amour appareille
La biche au cerf langoureux,
— Aux fleurs des genêts l’abeille
Trouve un miel délicieux.


Dans la futaie éclaircie,
Sur le sol retentissant,
Quand la cognée ou la scie
Abat le chêne puissant,
Quand l’automne a sur la treille
Jeté ses mourants adieux,
— Aux fleurs des jardins l’abeille
Trouve un miel délicieux.


Sur les roches calcinées,
Lorsque la pente des eaux
Entraîne les graminées
Qui nourrissaient les oiseaux ;
Au retour de la corneille,
Quand l’âtre allume ses feux,
— Dans les bruyères l’abeille
Trouve un miel délicieux.


Quand on ne voit plus de rose
Qu’aux visages de quinze ans,
À la veillée où l’on cause
De l’amour et des amants,
Pendant qu’un conte émerveille
L’auditoire curieux.
— Dans sa ruche chaque abeille
Trouve un miel délicieux.


Henri Mürger.