Les 120 journées de Sodome/33

Numérisation : Jean Franval (p. 240-249).

(XXXIII)

Vingt-neuvième journée

Il y a un proverbe (et c’est une fort bonne chose que les proverbes), il y en a un, dis-je, qui prétend que l’appétit vient en mangeant. Ce proverbe, tout grossier qu’il est, a pourtant un sens très étendu : il veut dire qu’à force de faire des horreurs, on en désire de nouvelles, et que plus on en fait plus on en désire. C’était l’histoire de nos insatiables libertins. Par une dureté impardonnable, par un détestable raffinement de débauche, ils avaient condamné, comme on l’a dit, leurs malheureuses épouses à leur rendre, au sortir de la garde-robe, les soins les plus vils et les plus malpropres ; ils ne s’en tinrent point là, et de ce même jour on proclama une nouvelle loi qui parut être l’ouvrage du libertinage sodomite de la veille, une nouvelle loi, dis-je, qui statuait qu’elles serviraient, à compter du 1er de décembre, tout à fait de vase à leurs besoins, et que ces besoins, en un mot, gros et petits, ne se feraient jamais que dans leur bouche ; que chaque fois que messieurs voudraient satisfaire à leurs besoins, ils seraient suivis de quatre sultanes pour leur rendre, le besoin fait, le service que leur rendaient jadis les épouses, et qu’elles ne pouvaient plus leur rendre à présent, puisqu’elles allaient servir à quelque chose de plus grave ; que les quatre sultanes officiantes seraient Colombe pour Curval, Hébé pour le duc, Rosette pour l’évêque et Michette pour Durcet ; et que la moindre faute à l’une ou à l’autre de ces opérations, soit à celle qui regarderait les épouses, soit à celle qui regarderait les quatre jeunes filles, serait punie avec une prodigieuse rigueur. Les pauvres femmes n’eurent pas plus tôt appris ce nouvel ordre qu’elles pleurèrent et se désolèrent, et malheureusement sans attendrir. On prescrivit seulement que chaque femme servirait son mari, et Aline l’évêque, et que, pour cette seule opération, il ne serait pas permis de les changer. Deux vieilles, à tour de rôle, furent chargées de s’y trouver de même, pour le même service, et l’heure en fut invariablement fixée le soir, au sortir des orgies. Il fut conclu que l’on y procéderait toujours en commun ; que, pendant qu’on opérerait, les quatre sultanes, en attendant le service qu’elles devaient rendre, présenteraient leurs fesses, et que les vieilles iraient d’un anus à l’autre pour le presser, l’ouvrir et l’exciter enfin à l’opération. Ce règlement promulgué, on procéda, ce matin-là, aux corrections que l’on n’avait point faites la veille, attendu le désir qui avait pris de faire des orgies d’hommes. L’opération se fit dans l’appartement des sultanes ; elles furent expédiées toutes les huit, et, après elles, Adélaïde, Aline et Cupidon, qui se trouvaient aussi tous trois sur la fatale liste. La cérémonie, avec les détails et tout le protocole d’usage en pareil cas, dura près de quatre heures, au bout desquelles on descendit au dîner, la tête très embrasée, et surtout celle de Curval qui, chérissant prodigieusement ces opérations, n’y procédait jamais sans la plus certaine érection. Pour le duc, il y avait déchargé, ainsi que Durcet. Ce dernier, qui commençait à prendre une humeur de libertinage très taquine contre sa chère femme Adélaïde, ne la corrigea pas sans de violentes secousses de plaisir qui lui coûtèrent du foutre. Après dîner, on passa au café ; on aurait bien voulu y offrir des culs frais, en donnant en hommes Zéphire et Giton et bien d’autres, si l’on l’eût voulu : on le pouvait, mais en sultanes c’était impossible. Ce furent donc tout simplement, suivant l’ordre du tableau, Colombe et Michette qui le servirent. Curval, examinant le cul de Colombe dont la bigarrure, en partie son ouvrage, lui faisait naître de très singuliers désirs, lui mit le vit entre les cuisses par-derrière, en maniant beaucoup les fesses ; quelquefois, son engin, revenant sur ses pas, heurtait comme sans le vouloir le trou mignon qu’il aurait bien voulu perforer. Il le regardait, il l’observait. « Sacredieu ! dit-il à ses amis, je donne deux cents louis tout à l’heure à la société si l’on veut me laisser foutre ce cul-là… » Cependant, il se contint, et ne déchargea même pas. L’évêque fit décharger Zéphire dans sa bouche, et perdit son foutre en avalant celui de ce délicieux enfant ; pour Durcet, il se fit donner des coups de pied au cul par Giton, le fit chier, et resta vierge. On passa au salon d’histoire, où chaque père, par un arrangement qui se rencontrait assez souvent, ayant ce soir-là sa fille sur son canapé, on écouta, culottes basses, les cinq récits de notre chère historienne.

« Il semblait que depuis la manière exacte dont j’avais acquitté les legs pieux de la Fournier, le bonheur affluât sur ma maison, dit cette belle fille : je n’avais jamais eu tant de riches connaissances. Le prieur des bénédictins, l’une de mes meilleures pratiques, vint me dire un jour qu’ayant entendu parler d’une fantaisie assez singulière, et que l’ayant même vu exécuter à un de ses amis qui en était entiché, il voulait l’exécuter à son tour, et il me demanda en conséquence une fille qui eût beaucoup de poils. Je lui donnai une grande créature de vingt-huit ans qui avait des touffes d’une aune, et sous les aisselles et sur la motte. “C’est ce qu’il me faut”, me dit-il. Et comme il était extrêmement lié avec moi et que nous nous étions très souvent amusés ensemble, il ne se cacha point à mes yeux. Il fit mettre la fille nue, à demi couchée sur un sofa, les deux bras élevés ; et lui, armé d’une paire de ciseaux très affilés, il se mit à tondre jusqu’au cuir les deux aisselles de cette créature. Des aisselles, il passa à la motte ; il la tondit de même, mais avec une si grande exactitude, que ni à l’un ni à l’autre des endroits qu’il avait opérés il ne semblait pas qu’il y eût jamais eu le plus léger vestige de poil. Son affaire finie, il baisa les parties qu’il venait de tondre, et répandit son foutre sur cette motte tondue en s’extasiant sur son ouvrage.

« Un autre exigeait sans doute une cérémonie bien plus bizarre : c’était le duc de Florville. J’eus ordre de conduire chez lui une des plus belles femmes que je pourrais trouver. Un valet de chambre nous reçut, et nous entrâmes à l’hôtel par une porte détournée. “Arrangeons cette belle créature, me dit le valet, comme il convient qu’elle le soit pour que M. le duc puisse s’en amuser… Suivez-moi.” Par des détours et des corridors aussi sombres qu’immenses, nous parvenons enfin à un appartement lugubre, seulement éclairé de six cierges, placés à terre autour d’un matelas de satin noir ; toute la chambre était tendue de deuil, et nous fûmes effrayées en entrant. “Rassurez-vous, nous dit notre guide, il ne vous arrivera pas le moindre mal ; mais prêtez-vous à tout, dit-il à la jeune fille, et exécutez bien surtout ce que je vais vous prescrire.” Il fit mettre la fille toute nue, défit sa coiffure, et laissa pendre ses cheveux, qu’elle avait superbes. Ensuite, il l’étendit sur le matelas, au milieu des cierges, lui enjoignit de contrefaire la morte, et surtout de prendre sur elle, pendant toute la scène, de ne bouger ni de ne respirer que le moins qu’elle pourrait. “Car, si malheureusement mon maître, qui va se figurer que vous êtes réellement morte, s’aperçoit de la feinte, il sortira furieux, et vous ne serez sûrement pas payée.” Dès qu’il eut placé la demoiselle sur le matelas, dans l’attitude d’un cadavre, il fit prendre à sa bouche et à ses yeux les impressions de la douleur, laissa flotter les cheveux sur le sein nu, plaça près d’elle un poignard, et lui barbouilla, du côté du cœur, une plaie large comme la main avec du sang de poulet. “Surtout n’ayez aucune crainte, dit-il encore à la jeune fille, vous n’avez rien à dire, rien à faire : il ne s’agit que d’être immobile et de ne prendre votre haleine que dans les moments où vous le verrez moins près de vous. Retirons-nous, maintenant, me dit le valet. Venez, madame ; afin que vous ne soyez pas inquiète de votre demoiselle, je vais vous placer dans un endroit d’où vous pourrez entendre et observer toute la scène.” Nous sortons, laissant la fille d’abord très émue, mais néanmoins un peu plus rassurée par les propos du valet de chambre. Il me mène dans un cabinet voisin de l’appartement où le mystère allait se célébrer, et, au travers d’une cloison mal jointe, sur laquelle la tenture noire était appliquée, je pus tout entendre. Observer me devenait encore plus aisé, car cette tenture n’était que de crêpe : je distinguais tous les objets au travers, comme si j’eusse été dans l’appartement même. Le valet tira le cordon d’une sonnette ; c’était le signal, et quelques minutes après, nous vîmes entrer un grand homme sec et maigre, d’environ soixante ans. Il était entièrement nu sous une robe de chambre flottante de taffetas des Indes. Il s’arrêta dès en entrant ; il est bon de vous dire ici que nos observations étaient une surprise, car le duc, qui se croyait absolument seul, était très éloigné de croire qu’on le regardât. “Ah ! le beau cadavre ! s’écria-t-il aussitôt… la belle morte !… Oh ! mon Dieu ! dit-il en voyant le sang et le poignard, ça vient d’être assassiné dans l’instant… Ah ! sacredieu, comme celui qui a fait ce coup-là doit bander !” Et se branlant : “Comme j’aurais voulu lui voir donner le coup !” Et lui maniant le ventre : “Était-elle grosse ?… Non, malheureusement.” Et continuant de manier : “Les belles chairs ! elles sont encore chaudes… le beau sein !” Et alors il se courba sur elle, et lui baisa la bouche avec une fureur incroyable : “Elle bave encore, dit-il… que j’aime cette salive !” Et, une seconde fois, il lui renfonça sa langue jusque dans le gosier. Il était impossible de mieux jouer son rôle que ne le faisait cette fille ; elle ne bougea pas plus qu’une souche, et tant que le duc l’approcha, elle ne souffla nullement. Enfin il la saisit, et la retournant sur le ventre : “Il faut que j’observe ce beau cul”, dit-il. Et dès qu’il l’eut vu : “Ah ! sacredieu, les belles fesses !” Et alors il les baisa, les entrouvrit, et nous le vîmes distinctement placer sa langue au trou mignon. “Voilà, sur ma parole, s’écria-t-il tout enthousiasmé, un des plus superbes cadavres que j’aie vus de ma vie ! Ah ! combien est heureux celui qui a privé cette belle fille du jour, et que de plaisir il a dû avoir !” Cette idée le fit décharger ; il était couché près d’elle, la serrait, ses cuisses collées contre les fesses, et lui déchargea sur le trou du cul avec des marques de plaisir incroyables, et criant comme un diable en perdant son sperme : “Ah ! foutre, foutre ! comme je voudrais l’avoir tuée !” Telle fut la fin de l’opération. Le libertin se releva et disparut. Il était temps que nous vinssions relever notre moribonde : elle n’en pouvait plus ; la contrainte, l’effroi, tout avait absorbé ses sens, et elle était prête à jouer d’après nature le personnage qu’elle venait de si bien contrefaire. Nous partîmes avec quatre louis que nous remit le valet, qui, comme vous imaginez bien, nous volait au moins la moitié. »

« Vive Dieu ! s’écria Curval, voilà une passion ! Il y a du sel, du piquant, au moins, là-dedans. — Je bande comme un âne, dit le duc ; je parie que ce personnage-là ne s’en tint pas là. — Soyez-en sûr, monsieur le duc, dit Martaine, il y veut quelquefois plus de réalité. C’est de quoi Mme Desgranges et moi aurons l’occasion de vous convaincre. — Et que diable fais-tu en attendant ? dit Curval au duc. — Laisse-moi, laisse-moi ! dit le duc, je fous ma fille, et je la crois morte. — Ah ! scélérat, dit Curval, voilà donc deux crimes dans ta tête. — Ah ! foutre ! dit le duc, je voudrais bien qu’ils fussent plus réels ! » Et son sperme impur s’échappa dans le vagin de Julie. « Allons, poursuis, Duclos, dit-il aussitôt qu’il eut fait, poursuis, ma chère amie, et ne laisse pas décharger le président, car je l’entends incester sa fille : le petit drôle se met de mauvaises idées dans la tête ; ses parents me l’ont confié, je dois avoir l’œil sur sa conduite, et je ne veux pas qu’il se pervertisse. — Ah ! il n’est plus temps, dit Curval, il n’est plus temps, je décharge ! Ah ! double Dieu, la belle morte ! » Et le scélérat, en enconnant Adélaïde, se figurait comme le duc qu’il foutait sa fille assassinée : incroyable égarement de l’esprit du libertin, qui ne peut rien entendre, rien voir, qu’il ne veuille à l’instant l’imiter ! « Duclos, continue, dit l’évêque, car l’exemple de ces coquins-là me séduirait, et dans l’état où je suis je ferais peut-être pis qu’eux. »

« Quelque temps après cette aventure, je fus seule chez un autre libertin, dit Duclos, dont la manie, peut-être plus humiliante, n’était pourtant pas aussi sombre. Il me reçoit dans un salon dont le parquet était orné d’un très beau tapis, me fait mettre nue, puis, me faisant placer à quatre pattes : “Voyons, dit-il, en parlant de deux grands danois qu’il avait à ses côtés, voyons qui, de mes chiens ou de toi, sera le plus leste ; va chercher !” Et en même temps, il jette de gros marrons rôtis à terre, et me parlant comme à une bête : “Apporte, apporte !” me dit-il. Je cours à quatre pattes après le marron, dans le dessein d’entrer dans l’esprit de sa fantaisie et de le lui rapporter, mais les deux chiens, s’élançant après moi, m’ont bientôt devancée ; ils saisissent le marron et le rapportent au maître. “Vous êtes une franche maladroite, me dit alors le patron, avez-vous peur que mes chiens ne vous mangent ? N’en craignez rien, ils ne vous feront aucun mal, mais, intérieurement, ils se moqueront de vous s’ils vous voient moins habile qu’eux. Allons, votre revanche… apporte !” Nouveau marron lancé, et nouvelle victoire remportée par les chiens sur moi. Enfin le jeu dura deux heures, pendant lesquelles je ne fus assez adroite pour saisir le marron qu’une fois, et le rapporter à la bouche à celui qui l’avait lancé. Mais que je triomphasse ou non, jamais ces animaux, dressés à ce jeu, ne me faisaient aucun mal ; ils semblaient, au contraire, se jouer et s’amuser avec moi comme si j’eusse été de leur espèce. “Allons, dit le patron, voilà assez travaillé ; il faut manger.” Il sonna, un valet de confiance entra. “Apporte à manger à mes bêtes”, dit-il. Et en même temps, le valet apporta une auge de bois d’ébène, qu’il posa à terre, et qui était remplie d’une espèce de hachis de viande très délicat. “Allons, me dit-il, dîne avec mes chiens, et tâche qu’ils ne soient pas aussi lestes au repas qu’ils l’ont été à la course.” Il n’y eut pas un mot à répondre, il fallut obéir, et, toujours à quatre pattes, je mis la tête dans l’auge, et comme le tout était très propre et très bon, je me mis à pâturer avec les chiens qui, très poliment, me laissèrent ma part, sans me chercher la moindre dispute. Tel était l’instant de la crise de notre libertin : l’humiliation, l’abaissement dans lequel il réduisait une femme échauffait incroyablement ses esprits. “La bougresse ! dit-il alors, en se branlant, la garce, comme elle mange avec mes chiens ! Voilà comme il faudrait traiter toutes les femmes, et si on le faisait, elles ne seraient pas si impertinentes ; animaux domestiques comme ces chiens, quelle raison avons-nous de les traiter autrement qu’eux ? Ah ! garce, ah ! putain ! s’écria-t-il alors en s’avançant et me lâchant son foutre sur le derrière ; ah ! bougresse, je t’ai donc fait manger avec mes chiens !” Ce fut tout ; notre homme disparut, je me rhabillai promptement, et trouvai deux louis sur mon mantelet, somme usitée, et dont le paillard, sans doute, avait coutume de payer ses plaisirs.

« Ici, messieurs, continua Duclos, je suis obligée de revenir sur mes pas, et de vous raconter, pour finir la soirée, deux aventures qui me sont arrivées dans ma jeunesse. Comme elles sont un peu fortes, elles auraient été déplacées dans le cours des faibles événements par lesquels vous m’aviez ordonné de commencer ; j’ai donc été obligée de les déplacer et de vous les garder pour le dénouement. Je n’avais pour lors que seize ans, et j’étais encore chez la Guérin ; on m’avait placée dans le cabinet intérieur de l’appartement d’un homme d’une très grande distinction, en me disant simplement d’attendre, d’être tranquille, et de bien obéir au seigneur qui viendrait s’amuser avec moi. Mais on s’était bien gardé de m’en dire davantage ; je n’aurais pas eu autant de peur si j’avais été prévenue, et notre libertin certainement pas autant de plaisir. Il y avait environ une heure que j’étais dans ce cabinet, lorsqu’on l’ouvre à la fin. C’était le maître même. “Que fais-tu là, coquine, me dit-il avec l’air de la surprise, à l’heure qu’il est, dans mon appartement ? Ah ! putain, s’écria-t-il en me saisissant par le col jusqu’à me faire perdre la respiration, ah ! gueuse, tu viens pour me voler !” À l’instant, il appelle à lui ; un valet affidé paraît : “La Fleur, lui dit le maître tout en colère, voilà une voleuse que j’ai trouvée cachée ; déshabille-la toute nue, et prépare-toi à exécuter, après, l’ordre que je te donnerai.” La Fleur obéit ; en un instant je suis dépouillée, et on jette mes vêtements dehors à mesure que je les quitte. “Allons, dit le libertin à son valet, va chercher un sac, à présent, couds-moi cette garce dedans, et va la jeter à la rivière !” Le valet sort pour aller chercher le sac. Je vous laisse à penser si je profitai de cet intervalle pour me jeter aux pieds du patron, et pour le supplier de me faire grâce, l’assurant que c’est Mme Guérin, sa maquerelle ordinaire, qui m’a placée elle-même là, mais que je ne suis point une voleuse… Mais le paillard, sans rien écouter, me saisit les deux fesses, et les pétrissant avec brutalité : “Ah ! foutre, dit-il, je vais donc faire manger ce beau cul-là aux poissons !” Ce fut le seul acte de lubricité qu’il parût se permettre, et encore n’exposa-t-il rien à ma vue qui pût me faire croire que le libertinage entrait pour quelque chose dans la scène. Le valet rentre, apporte un sac ; quelque instance que je puisse faire, on me campe dedans, on m’y coud, et La Fleur me charge sur ses épaules. Alors j’entendis les effets de la révolution de la crise chez notre libertin, et vraisemblablement il avait commencé à se branler dès qu’on m’avait mis dans le sac. Au même instant où La Fleur me chargea, le foutre du scélérat partit. “Dans la rivière… dans la rivière… entends-tu, La Fleur, disait-il en bégayant de plaisir ; oui, dans la rivière, et tu mettras une pierre dans le sac pour que la putain soit plus tôt noyée.” Tout fut dit ; nous sortîmes, nous passâmes dans une chambre voisine, La Fleur, ayant décousu le sac, me rendit mes habits, me donna deux louis, quelques preuves non équivoques d’une manière de se conduire dans le plaisir très différemment que son maître, et je revins chez la Guérin que je grondai fort de ne m’avoir point prévenue, et qui, pour se raccommoder avec moi, me fit faire, deux jours après, la partie suivante où elle m’avertit encore moins.

« Il s’agissait à peu près, comme dans celle que je viens de vous raconter, de se trouver dans le cabinet de l’appartement d’un fermier général, mais j’y étais, cette fois-là, avec le valet même qui était venu me chercher chez la Guérin de la part de son maître. En attendant l’arrivée du patron, le valet s’amusait à me faire voir plusieurs bijoux qui étaient dans un bureau de ce cabinet. “Parbleu, me dit l’honnête mercure, quand vous en prendriez quelqu’un, il n’y aurait pas grand mal ; le vieux crésus est assez riche : je parie qu’il ne sait seulement pas la quantité ni l’espèce des bijoux qu’il tient dans ce bureau. Croyez-moi, ne vous gênez pas, et n’ayez pas peur que ce soit moi qui vous trahisse.” Hélas ! je n’étais que trop disposée à suivre ce perfide conseil : vous connaissez mes penchants, je vous les ai dits. Je mis donc la main, sans me le faire dire davantage, sur une petite boîte d’or de sept ou huit louis, n’osant m’emparer d’un objet de plus grande valeur. C’était tout ce que désirait le coquin de valet, et pour ne plus revenir sur cela, j’appris depuis que, si j’avais refusé de prendre, il aurait, sans que je m’en aperçusse, glissé un de ces effets dans ma poche. Le maître arrive, il me reçoit très bien, le valet sort, et nous restons ensemble. Celui-ci ne faisait pas comme l’autre, il s’amusait très réellement : il me baisa beaucoup le derrière, se fit fouetter, se fit péter dans la bouche, mit son vit dans la mienne, et se gorgea, en un mot, de lubricités de tous genres et toutes espèces, excepté celle de devant ; mais il eut beau faire, il ne déchargea point. L’instant n’était pas venu, tout ce qu’il venait de faire n’était pour lui que des épisodes ; vous en allez voir le dénouement. “Ah ! parbleu, me dit-il, je ne songe pas qu’un domestique attend dans mon antichambre un petit bijou que je viens de promettre d’envoyer à l’instant à son maître. Permettez que je m’acquitte de ma parole, et dès que j’aurai fini, nous nous remettrons en besogne.” Coupable du petit délit que je venais de commettre à l’instigation de ce maudit valet, je vous laisse à penser comme ce propos me fit frémir. Un moment je voulus le retenir ; ensuite je fis réflexion qu’il valait mieux faire bonne contenance et risquer le paquet. Il ouvre le bureau, il cherche, il fouille, et ne trouvant point ce dont il a besoin, il lance sur moi des regards furieux. “Coquine ! me dit-il enfin, vous seule et un valet dont je suis sûr êtes entrés ici depuis tantôt ; mon effet manque, il ne peut donc être pris que par vous. — Oh ! monsieur, lui dis-je en tremblant, soyez certain que je suis incapable… — Allons, sacredieu ! dit-il en colère (or vous remarquerez que sa culotte était toujours déboutonnée et son vit collé contre son ventre : cela seul aurait dû m’éclairer et m’empêcher d’être si inquiète, mais je ne voyais, je n’apercevais plus rien), allons, bougresse, il faut que mon effet se trouve.” Il m’ordonne de me mettre nue. Vingt fois je me jette à ses pieds pour le prier de m’épargner l’humiliation d’une telle recherche : rien ne l’émeut, rien ne l’attendrit, il arrache lui-même mes vêtements avec colère, et dès que je suis nue, il fouille mes poches, et, comme vous croyez, il n’est pas longtemps à trouver la boîte. “Ah ! scélérate, me dit-il, me voilà donc convaincu. Bougresse ! tu viens chez les gens pour les voler.” Et appelant aussitôt son homme de confiance : “Allez, lui dit-il tout en feu, allez me chercher à l’instant le commissaire ! — Oh ! monsieur, m’écriai-je, ayez pitié de ma jeunesse, j’ai été séduite, je ne l’ai pas fait de moi-même, on m’y a engagée… — Eh bien ! dit le paillard, vous direz toutes ces raisons-là à l’homme de justice, mais je veux être vengé.” Le valet sort ; il se jette sur un fauteuil, toujours bandant et toujours dans une grande agitation, et m’adressant mille invectives. “Cette gueuse, cette scélérate ! disait-il, moi qui voulais la récompenser comme il faut, venir ainsi chez moi pour me voler !… Ah ! parbleu, nous allons voir.” En même temps on frappe, et je vois entrer un homme en robe. “Monsieur le commissaire, dit le patron, voilà une coquine que je vous remets, et je vous la remets nue, dans l’état où je l’ai fait mettre pour la fouiller ; voilà la fille d’un côté, ses vêtements de l’autre, et, de plus, l’effet dérobé ; et surtout faites-la pendre, monsieur le commissaire.” Ce fut alors qu’il se rejeta sur son fauteuil en déchargeant. “Oui, faites-la pendre, sacredieu ! Que je la voie pendre, sacredieu, monsieur le commissaire ! que je la voie pendre, c’est tout ce que j’exige de vous.” Le prétendu commissaire m’emmène avec l’effet et mes hardes, il me fait passer dans une chambre voisine, défait sa robe, et me laisse voir le même valet qui m’avait reçue et engagée au vol, que le trouble dans lequel j’étais m’avait empêchée de reconnaître. “Eh bien ! me dit-il, avez-vous eu bien peur ? — Hélas, lui dis-je, je n’en puis plus. — C’est fini, me dit-il, et voilà pour vous dédommager.” Et, en même temps, il me remet de la part de son maître l’effet même que j’avais volé, me rend mes habits, me fait boire un verre de liqueur, et me ramène chez Mme Guérin. »

« Cette manie-là est plaisante, dit l’évêque ; on peut en tirer le plus grand parti pour d’autres choses, et en mettant moins de délicatesse, car je vous dirai que je suis peu partisan de la délicatesse en libertinage. En y en mettant moins, dis-je, on peut apprendre de ce récit la manière sûre d’empêcher une putain de se plaindre, quelle que soit l’iniquité des procédés qu’on veuille employer avec elle. Il n’y a qu’à lui tendre ainsi des panneaux, l’y faire tomber, et dès qu’une fois on est certain de l’avoir rendue coupable, on peut à son tour faire tout ce qu’on veut ; il n’y a plus à craindre qu’elle ose se plaindre, elle aura trop peur ou d’être prévenue ou d’être récriminée. — Il est certain, dit Curval, qu’à la place du financier je m’en serais permis davantage, et vous auriez bien pu, ma charmante Duclos, ne pas vous en tirer à si bon compte. » Les récits ayant été longs, cette soirée-ci, l’heure du souper vint sans qu’on eût le temps de paillarder un peu avant. On fut donc se mettre à table, bien résolus de se dédommager après le repas. Ce fut alors que tout le monde étant rassemblé, on détermina de constater enfin les jeunes filles et les jeunes garçons que l’on pouvait mettre au rang des hommes et des femmes. Il fut question, pour décider la chose, de branler tous ceux de l’un et l’autre sexe sur lesquels on avait quelque soupçon. En femmes on était sûr d’Augustine, de Fanny et de Zelmire : ces trois charmantes petites créatures, âgées de quatorze et quinze ans, déchargeaient toutes trois aux plus légers attouchements ; Hébé et Michette, n’ayant encore que douze ans, n’étaient pas même dans le cas d’être essayées. Il ne s’agissait donc, chez les sultanes, que d’éprouver Sophie, Colombe et Rosette, âgées, la première de quatorze ans et les deux autres de treize. Chez les garçons on savait que Zéphire, Adonis et Céladon lâchaient du foutre comme des hommes faits ; Giton et Narcisse étaient trop jeunes pour être essayés. Il ne s’agissait donc que de Zélamir, Cupidon et Hyacinthe. Les amis firent cercle autour d’une pile d’amples carreaux que l’on arrangea à terre ; Champville et Duclos furent nommées pour les pollutions ; l’une, en sa qualité de tribade, devait branler les trois jeunes filles, et l’autre, comme maîtresse en l’art de branler des vits, devait polluer les garçons. Elles passèrent dans la ceinture formée par les fauteuils des amis, et qu’on avait remplie de carreaux, et on leur livra Sophie, Colombe, Rosette, Zélamir, Cupidon et Hyacinthe, et chaque ami, pour s’exciter pendant le spectacle, prit un enfant entre ses cuisses. Le duc prit Augustine, Curval Zelmire, Durcet Zéphire et l’évêque Adonis. La cérémonie commença par les garçons, et Duclos, la gorge et les fesses découvertes, le bras nu jusqu’au coude, mit tout son art à polluer l’un après l’autre chacun de ces délicieux ganymèdes. Il était impossible d’y mettre plus de volupté ; elle agitait sa main avec une légèreté… ses mouvements étaient d’une délicatesse et d’une violence… elle offrait à ces jeunes garçons sa bouche, son sein ou ses fesses avec tant d’art, qu’il était bien certain que ceux qui ne déchargeraient pas n’en avaient pas encore le pouvoir. Zélamir et Cupidon bandèrent, mais on eut beau faire, rien ne sortit. Sur Hyacinthe, la révolution se fit sur-le-champ, au sixième coup de poignet : le foutre sauta sur son sein, et l’enfant se pâma en lui maniant le derrière ; observation qui fut d’autant plus remarquée que, de toute l’opération, il n’avait pas imaginé de lui toucher le devant. On passa aux filles. Champville, presque nue, très bien coiffée et élégamment ajustée du reste, ne paraissait pas plus de trente ans, quoiqu’elle en eût cinquante. La lubricité de cette opération de laquelle, comme tribade fieffée, elle comptait retirer le plus grand plaisir, animait de grands yeux noirs qu’elle avait toujours eus fort beaux. Elle mit pour le moins autant d’art dans sa partie que Duclos en avait mis dans la sienne : elle pollua à la fois le clitoris, l’entrée du vagin et le trou du cul ; mais la nature ne développa rien chez Colombe et Rosette ; il n’y eut pas même la plus légère apparence de plaisir. Il n’en fut pas ainsi de la belle Sophie : au dixième coup de doigts, elle se pâma sur le sein de Champville ; de petits soupirs entrecoupés, ses belles joues qui s’animèrent du plus tendre incarnat, ses lèvres qui s’entrouvrirent et se mouillèrent, tout prouva le délire dont venait de la combler la nature, et elle fut déclarée femme. Le duc, qui bandait extraordinairement, ordonna à Champville de la branler une seconde fois, et, à l’instant de sa décharge le scélérat vint mêler son foutre impur à celui de cette jeune vierge. Pour Curval, son affaire s’était faite entre les cuisses de Zelmire ; et les deux autres, avec les jeunes garçons qu’ils tenaient entre leurs cuisses. On fut se coucher, et le lendemain matin n’ayant fourni aucun événement qui puisse mériter place en ce recueil, non plus que le dîner ni le café, on passa tout de suite au salon, où Duclos magnifiquement vêtue, parut sur sa tribune pour y terminer, par les cinq récits suivants, la partie des cent cinquante narrations qui lui avait été confiée pour les trente jours du mois de novembre.