Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Texte entier


LES
ŒVVRES DE
MES-DAMES DES RO-
ches de poetiers
mere et fille.
SECONDE EDITION.
Corrigee & augmentee de la Tragi-comedie de
Tobie & autres œuures poëtiques.
À PARIS,
Pour Abel l’Angelier, tenant ſa boutique
au premier pillier de la grande
ſalle du Palais.
M. C. LXXIX.

avec privilege dv roy.


EPISTRE AVX
dames


SI le marbre bien taillé, ou les couleurs du pinceau employé d’vne docte main, nous ont fait congnoiſtre, non la ſeule beauté du corps, mais encores les mœurs & complexions de ceux qu’ils ont repreſentez : i’ay penſé que la parolle, vraye image de l’ame, & la voix fuyante arreſtee par la plume ſur le papier, dõnoit vn certain indice, non ſeullement de la richeſſe de l’eſprit & de ſes ſens acquis ou naturel, mais de l’integrité naïfue de ceux qui parlent ou eſcriuent. Pour ceſte cauſe, i’ay voulu en ce petit tableau où ie me ſuis depeinte, arreſter ma parolle, pour vous aſſeurer de l’amitié entiere que i’ay touſiours portee à vous (Meſdames) ſi aucunes de vous daignez lire mes humbles vers. Et ſi, m’eſtant plus charitables, vous m’aduiſez, que le ſilence ornement de la femme peut couurir les fautes de la langue & de l’entendement : ie reſpondray qu’il peut bien empeſcher la honte, mais non pas accroiſtre l’honneur, auſſi que le parler nous ſepare des animaux ſans raiſon : au fort i’eſpere de voz courtoiſies, que ſi vous ne me iugez digne d’eſtime, vous ne penſerez pas que ie merite grande reprehenſion, pource que ſi c’eſt peu de mes eſcrits pour la valeur, auſſi n’eſt-ce point beaucoup pour la longueur. Ainſi vous me trouuerez aucunement excuſable, mais il vaut mieux que je trouue la fin de mon Epiſtre aſſez pres du commencement, de crainte que vous ennuiant pour ſa longueur, elle contrediſe à moymeſme, & à voſtre deſir, de ſorte qu’il me falluſt chercher excuſe, à mon excuſe, à Dieu mes Dames.


EPISTRE A MA
fille


Les anciens amateurs de ſçauoir,
Diſoiẽt qu’à Dieu faut rẽdre le deuoir,
Puis au pays, & le tiers au lignage,
Les induiſant à force de courage,
Soit quelques fois pour ſouffrir paſſiõ,
Soit pour dompter la forte affection.
Au ſeigneur Dieu ie porte reuerence,
Pour mon pays, ie n’ay point de puiſſance,
Les hommes ont toute l’autorité,
Contre raiſon & contre l’équité :
Mais enuers toy fille qui m’es ſi proche
Ce me feroit vn grand blaſme & reproche
De te conduire au ſentier plus battu,
Veu que ton cueur est né à la vertu,
Il ne ſuffit pourtant d’eſtre bien nees,
Le ſens acquis nous rend morigences,
Et le flambeau dans noſtre ame allumé
Sans le ſcauoir eſt bientoſt conſommé.
La lettre ſert d’vne ſaincte racine,
Pour le regime, & pour la Medecine :
La lettre peut changer le vitieux,
La lettre accroiſt le cueur du vertueux,
La lettre eſt l’art qui prenant la matiere
Luy peut donner ſa forme plus entiere.

Ce brief diſcours ſur vn tel argument
Soit bien receu de ton entendement,
Ma fille unique, & de moy cher tenue,
Non pour autant que tu en es venue
Et que dans toy ie me voy vn pourtraict
Du poil, du teint, de la taille, & du traict,
Façon, maintien, parolle, contenance,
Et l’aage ſeul en faict la difference :
Ny pour nous voir tant ſemblables de corps,
Ny des eſprits les gracieux accords,
Ny ceſte douce aymable ſympathie,
Qui faict aymer la ſemblable partie,
N’ont point du tout cauſé l’entier effect
Demon amour enuers toy ſi parfaict,
Ny les efforts mis en moy par nature,
Ny pour autant qu’és de ma nourriture.
Mais le penſer, qu’entre tant de mal-heurs,
De maux, d’ennuis, de peines, de douleurs,
Suiection, tourment travail, triſteſſe,
Qui puis treze ans ne m’ont point donné ceſſe,
Tu as, enfant, apporté vn cueur fort,
Pour reſiſter au violent effort
Qui m’accabloit, & m’offris dès enfance
Amour, conſeil, ſupport, obeiſſance.
Le tout puiſſant à qui i’eu mon recours,
A faict de toy naiſtre mon ſeul ſecours :
Or ie ne puis de plus grands benefices
Recompenſer tes louables offices,
Que te prier de faire ton deuoir

Enuers la Muſe & le diuin ſçauoir.
„ Mais le vray centre & globe de l’eſtude
„ C’eſt de donner à vertu habitude,
„ Et ſe vouloir en elle inſinuer,
„ L’abit ſe faict difficile à muer.
Tu es au temps pour apprendre bien nee,
Et ſembles eſtre aux Muſes inclinee,
Le Ciel te face auoir tant de déſir
Des ſainctes mœurs le ſeul iuſte plaiſir,
Et le Dœmon, qui l’œuure a commencee
Guide ſi bien l’effect de ta penſee,
Que teſmoignant à la poſterité.
Combien d’honneur tu auras merité,
Tu ſois vn iour par vertu immortelle,
Ie t’ay touſiours ſouhaitee eſtre telle.


Extraict du Priuilege du Roy.


Il eſt permis à Abel l’Angelier marchand Libraire en ceſte ville de Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & diſtribuer vn liure intitulé : Les œuures de mes Dames des Roches de Poëtiers Mere & Fille. Et ſont faictes expreſſes deffences à tous autres Imprimeurs, ou Libraires d’imprimer ou vendre ledict liure iuſques au temps & terme de dix ans ſans le conſentement dudict Angelier, ſur peine de confiſcation des liures qui ſe trouueront imprimez, & d’amende arbitraire. Et outre voulõs qu’en mettant ce preſent extrait dans ledict liure, il ſoit tenu pour deuëment ſignifié : comme plus amplement eſt declairé aux lettres datees du douzieſme iour de Iuillet mille cinq cens ſoixante & dix-huict.


Signé par le Roy en ſon Conſeil.

Le voayer.

AV ROY


SIre durant l’effort de la guerre ciuille,
Ie plaignois le malheur de notre pauure ville.
I’eſleuois iuſque au ciel ma parole & mes yeux,
Ayant le cueur espoint d’vn ennuy ſoucieux
Mais, helas ! cependant que ma triſte penſee,
De tant de maux publics griefuement offencee,
Alloit ſur les autels, i’apperceu deux maiſons
Que i’auois au faubourg, n’eſtre plus que tiſons,
Et ſi ce n’euſt eſté que la perte commune,
M’eſtoit cent mille fois plus aſpre & importune :
A peine euſſe ie pu m’apaiſer promptement,
Voyant mon peu de bien ſe perdre en vn moment.
Ces maiſons popuoient bien valoir deux mille liures,
Plus que ne m’ont valu ma plume n’y mes liures,
Qui ſeront inutil ; ſ’ils n’ont ceſte faueur,
Que voſtre majeſté eſtime leur labeur.
Depuis i’ay entendu que votre main Royalle,
A ceux qui ont perdu, ſe monſtre liberalle :
Et que voſtre bonté les veut recompenſer :
Voila l’occaſion qui m’a fait avancer,
Sire pour vous offrir ma tres humble requeſte,
Priant le Seigneur Dieu vous couronner la teſte
De l’heur de Salomon, comme de ces vertus
De voir vos ennemis à vos pieds abbatus,
D’acomplir vn tres beau & tres long cours de vie,
Sans auoir de mourir n’y crainte, n’y enuie :
D’establir pour iamais ce regne ferme & ſeur,
Et d’y laiſſer de vous un digne ſucceſſeur.

O de mon bien futur le frelle fondement !
O mes deſirs ſemez en la deſerte Arene !
O que i’esprouue bien mon eſperance vaine !
O combien mon trauail reçoit d’acroiſement !
O douloureux regrets ! ô triste penſement
Qui auez mes deux yeux conuertis en fontaine !
O trop ſoudain depart ! ô cause de la peine
Qui me fait lamenter inconſolablement !
O perte ſans retour du fruit de mon attente !
O Eſpoux tant aimé, qui me rendois contente !
Que ta perte me donne un furieux remort !
Las ! puis que ie ne puis demeurer veufue & viue,
I’impetre du grand Dieu que bien toſt ie te ſuiue
Finiſſant mes ennuis par vne douce Mort.

O miſerable estat où ie me voy poſee !
Dont i’ay touſiours au cueur vn amer ſonuenir :
Qui me fait le cerueau fontaine deuenir,
Dont l’humeur par les yeux n’eſt iamais eſpuiſee.
Si le ſens quelque fois ma peine repoſee,
C’eſt vn preſage ſeur du malheur aduenir :
Et le menteur espoir, n’a pu entretenir,
La promeſſe qui m’a longuement abuſee.
Ainſi donc le printemps & l’eſté de mon aage,
Dont l’Automne cruel deſpouille le feuillage,
Sans fruit & ſans plaiſir ſe paſſe vainement :
Les triſteſſes, qui ſont dedans mon ame encloſes
Ayant formé de moy mille Metamorphoſes,
N’ont pourtant transformé mon extreme tourment.


Ce monſtre a cent pourtraicts porté de l’eſperance
Subiect & argument de nos triſtes Martels :
Se voyant comme vn Dieu leué ſur les Autels,
Et que l’opinion triomphoit de ſcience :
Quita de la Caos l’Antique demeurance,
Voulant encore vn coup la guerre aux immortels,
Quand vn nouueau Demon, du genre des mortels,
Par le vouloir diuin vainquit ſa violence.
Ia des ſept gouverneurs le pouuoir eſtonné,
Demandoit à Themis, ſ’il eſtoit deſtiné :
Qu’un mortel ruaſt ius ceſte grande Chimere
Lors que du Iouuenceau le courage inuaincu,
Prenant encre & papier pour glaiue & pour eſcu
Aſſura la Caos, la terre & la lumiere.

Iuge qui reduiſez en leur perfection,
Les droits Auſonien, de Hellas & de Sparte,
Qui au mers de proces eſtes l’encre & la carte !
Pour guider ſeurement la nauigation,
Iuge qui ſans faueur, enuie ou paſſion
Faites que le droit ſaintement ſe departe :
Premier que mon prier de deuant vous ſe parte,
Oyez au nom de Dieu ma ſupplication.
Treze ans font ia paſſez que cherchans la iuſtice,
Nous auons voyagé, plus que ne feit Vliſſe,
Pour trouuer un arreſt, qui nous puſt arreſter :
Nos arrets nous ont mu au deſtroit de Sicile,
Tirez de Caribdis nous retombons en Scylle.
Soyez nous ſ’il vous plaiſt Palas & Iupiter.

Triſte penſer, qui me rends taciturne,
Que dans mon ſein tu gliſſas promptement !
Quand un procez couſu à clous d’aimant
Me feit changer Apolon pour Saturne.
Depuis ce iour, le ciel & la fortune,
L’air & la terre & tout autre Element
Ont coniuré l’incroyable tourment,
Dont toy mon cueur, ſens la peine commune.
Mon dieu faut-il, que ta belle ieuneſſe,
Et ta douceur, du malheur qui me preſſe
Indignement ſente le dur effect ?
Ainſi Cadmus feit au ſerpent l’outrage,
Et vne voix menace le lignage.
Pour le peché que l’Ayeul auoit faict.

Si quelque fois ta gentille ieuneſſe,
Par ſes diſcours naiſuement bien faits,
A ſoulagé le miſerable faix
Qui abortif auança ma vieilleſſe.
Le rhume froid, qui maintenant te bleſſe
M’en fait payer l’uſure à ſi grand fraicts,
Que ie ne ſçay (pauure moy) que ie fais :
Tant ie reſens ta peine & ma triſteſſe !
Dea mon doux ſoin reprends vn peu ta force,
Ayes pitié de ceſte frelle eſcorçe.
Ie te ſuply par ta chaſte beauté,
Par ta douceur, par l’amour maternelle,
Par le doux ſuc tiré de la mamelle,
Et par les flancs qui neuf mois, t’ont porté.

LES ŒVVRES DE M. DES
ROCHES DE POETIERS.

Ode 1.



SI mes eſcris n’ont gravé ſur la face
Le ſacré nom de l’immortalité,
Ie ne l’ay quis non plus que merité,
Si ie ne l’ay de faueur ou de grace.

Ie ne deſcry Neptune en ſa tourmente
Ie ne prins pas Iupiter irrité,
Le vaſe ouuert, la fuite d’equité,
Dont noſtre terre à bon droict ſe lamente,

L’enfant venu de Porus & Pœnie,
Qu’on dit bruſler le plus froid des glaçons,
Se plaiſt d’ouyr les ſuperbes chanſons.
Et ie me play d’vne baſſe armonie,

Mais qui pourroit, chargé de tant de peine,
L’eſprit geenné de cent mille malheurs,
Voire Apollon réuérer les neuf Seurs,
Et dignement puiſer en leur fontaine.

Le Ciel a bien infuz dedans noſtre Ame
Les petis feux principes de vertu :
Mais le chaud eſt par le froid combatu
Si vn beau bois n’alimente la flame.


Nature veut la lettre & l’exercice
Pour faire voir vn chef-d’œuure parfaict :
Elle bien ſage en toutes choſes, faict :
Ses premiers traits limer à l’artifice.

Noz parens ont de loüables couſtumes,
Pour nous tollir l’vſage de raiſon,
De nous tenir cloſes dans la maiſon
Et nous donner le fuzeau pour la plume.

Traſſant noz pas ſelon la deſtinee,
On nous promet liberté & plaiſir :
Et nous payons l’obſtiné desplaiſir,
Portant le dot ſous les loix d’Hymenee.

Bien toſt apres ſuruient vne miſere,
Qui naiſt en nous d’vn deſir mutuel,
Accompagné d’vn ſoing continuel,
Qui ſuit touſiours l’entraille de la mere,

Il faut ſoudain que nous changions l’office
Qui nous pouuoit quelque peu façonner,
Où les marys ne nous feront ſonner
Que l’obeir, le ſoing, & l’auarice.

Quelcun d’entr’eux, ayant fermé la porte
A la vertu, nourice du ſçauoir,
En nous voyant craint de la receuoir
Pource qu’ell’ porte habit de noſtre ſorte.


L’autre reçoit l’eſprit de ialouſie,
Qui poſſeſſeur d’vne chaſte beauté :
Au nid d’Amour loge la cruauté,
En bourellant ſa propre fantaſie.

Pyrrha choiſiſt vne claire ſemence
Pour repeupler le terreſtre manoir,
Et Deücal ſema le caillou noir,
Dont le Ciel meſme a faict experience.

Mon Dieu, mon Dieu combien de tolerance,
Que ie ne veux icy ramenteuoir !
Il me ſuffit aux hommes faire voir
Combien leurs loix nous font de violence.

Les plus beaux iours de noz vertes annees,
Semblent les fleurs d’un printems gracieux,
Preſſé d’orage, & de vent pluuieux,
Qui vont borner les courſes terminees.

Au temps heureux de ma ſaiſon paſſee,
I’auoy bien l’aile vnie à mon coſté :
Mais en perdant ma ieune liberté,
Auant le vol ma plume fut caſſee.

Ie voudroy bien m’areſter ſur le liure,
Et au papier mes peines ſouſpirer.
Mais quelque ſoing m’en viẽt touſiours tirer,
Diſant qu’il faut ma profeſſion ſuiure.


L’Agrigentin du ſang de Steſichore
A dignement honoré le ſçauoir,
Qui enuers nous feit ſemblable deuoir,
Pareil miracle on reuerroit encore.

Dames, faiſons ainſi que l’Amarante
Qui par l’hyuer ne pert ſa belle fleur :
L’eſprit imbu de diuine liqueur
Rend par labeur ſa force plus luiſante.

Pour ſupporter les maux de noſtre vie,
Dieu nous feit part de l’intellect puiſsãt
Pour le reduire à l’intellect agent
Maugré la mort, la fortune, & l’envie.


Ode. 2.



AINSI que la lumiere
Dompte l’obſcurité,
La ſcience eſt premiere
Mais tout eſt vanité.

Ce qui fut vray-ſemblable
Selon l’antiquité,
Se contera pour fable
À la poſterité.

Noſtre principe eſt ſonge,
Noſtre naiſtre mal-heur,
Noſtre vie menſonge,
Et noſtre fin douleur.


Qui dreſſe l’édifice,
Qui le rend plus tortu,
Qui embraſſe le vice,
Qui ayme la vertu.

Qui chemine en tenebre,
Qui ayme la clarté,
Qui ioint ſon iour funebre,
À ſa nativité.

Toute choſe a ſon terme,
Et ne le peut paſſer,
L’inconſtance eſt plus ferme
Qu’on ne ſçauroit penſer.

La ſeure ſapience,
Suit la grand’-vnion,
Et l’humaine ſcience
N’eſt rien qu’opinion.

Les fleuues par leurs courſes,
De grans ſe font petis,
Puis reprennent leurs ſources
Dans le sein de Tethys,

Le ciel, la terre & l’onde,
Tout a mutation,
Qui cauſe au petit monde
Diuerſe paſſion,


Qui du Pole Antartique
Connoiſt le changement,
Ou la fable Atlantique
Deduite hautement.

Pour n’auoir de Caſſandre
Creu les diuins ſecrets,
Troye fut miſe en cendre
Par l’outrage des Grecs.

De l’ouurage ſuperbe
Par Eufrate laué,
Le Prince paiſſoit l’herbe
Contre Dieu eſleué.

Cyrus montre ſa force
Sur les Aſſyriens,
Crœſus en vain ſ’efforce
Sauuer les Lydiens.

L’armee eſt ia ſortie
De la hautaine tour,
La Royne de Scythie
Luy faict ſemblable tour.

Perſe & Grece on veit prendre
Au Prince renommé,
Au Monarque Alexandre
Qui naquit tout armé.


Antioche domine
Au mal exercité,
La ſeconde ruine
De la ſaincte Cité.

Laconie eſt heureuſe
De Pollux & Caſtor,
Et Rome glorieuſe
Des fils de Numitor.

La Romaine ſageſſe
Chaſſa la Royauté,
Et rendit à la Grece
La douce liberté.

Commandant ſur la terre,
Ce fort peuple de Mars,
Vne ciuile guerre
L’aſſaut de toutes pars.

O humaine entrepriſe
Des Aigles triomphans !
On voit que Rome eſt priſe
Par ſes propres enfans.

Pleins de telle demence
Que le Sicilien,
Ou le cruel Mezence
Du peuple Cerien.


On a veu l’Auſonie
Pleine de Thieſtes,
Et l’Europe fournie
De nouueaux Oreſtes.

La fin d’vn tel orage
Demontre le ſerain,
Mais c’eſt le ſeul ouurage
Du grand Dieu ſouuerain.

Ode 3.



HEVREVX fardeau qui aporte
Tant d’honneur, fuſſe-ie forte
Pour chanter d’vn ton diuin
L’aſtre clair, dont la lumiere
Eſt declarer couſtumiere
Le riuage Poëteuin.

Mais ie n’ay pas la puiſſance
Egalle à la connoiſſance,
Ainſi que faut le pouuoir :
Si ce que ie puis ie donne,
Ie vous pry qu’on me pardonne
Si ie ne fay mon deuoir.

Quand par plus claires bucines,
Dames graues & inſignes,
Voſtre loz ſera chanté :
Ne deſdaignez pas l’ouurage
Qui vous porte teſmoignage
De ma bonne volonté.


Au moins mes Dames ne faictes
Comme Iudee aux prophetes
A eux peculiers donnez
Les vers que bas ie ſouſpire
Sur les fredons de ma lyre
Ne ſoyent ainſi guerdonnez.

Quelque langue de Satyre,
Qui tient banque de meſdire
Dira touſiours il ſuffit
Vne femme aſſez ſage
Qui file & faict ſon meſnage,
L’on y fait mieux ſon profit.

L’autre tient que ceſt office
De plus loüable exercice
Se leuer vn peu matin,
Dire mal de ſa Couſine,
Quereler à ſa voiſine
Ou feſtier Sainct Martin.

L’autre vn peu mieux auiſee
Se ſent beaucoup plus priſee
D’vn habit bien etofé,
D’vne belle decoupure,
D’vn Carquan, d’vne dorure,
D’vn chaperon bien coifé.

Mais quelque choſe plus digne
A la dame Poïteuine

Que le braue acoutrement :
Ia deſia ell’ faict couſtume
De choiſir l’ancre & la plume
Pour l’employer doctement.

Auſſi le Ciel qui a cure
De vous mes Dames, vous iure,
Et ne iure point en vain :
Que vous pourrez de vous meſme
Vous venger de la mort bleſme
Sans mendier l’eſcriuain.

Le Clain & ſa riue mole
Admirant la docte échole
D’vne ſi douce leçon :
Furiant contre l’enuie
Donnera pour iamais vie
Aux vers de voſtre façon.

Ie vay par vn riche Temple
Pour raporter quelque exemple
Des Dames d’exellent pris :
Mais pour le trop d’abondance
Ou pour mon inſuffiſance
Ie n’en ay beaucoup apris.

I’y ay pourtant ſceu aprendre
Comme la mere d’Euandre
Les Arcades gouuerna,
Par le moyen des loix ſainctes

De religion etraintes
Que ſagement leur donna.

On voit par le rond du monde
Le nom de Ceres la blonde
De temps en temps refleurir,
Qui garda tant ell’ ſceut faire
Porte-blez & Legifere
Corps & ames de perir.

De la grand’ Deeſſe armee
Le loz & la renommee
Se borne par l’vniuers :
Moins ne ſe chante la gloire
Des neuf Filles de Memoire
Ornement des plus beaux vers.

Celle que la Grece vante
Belle, docte, bien diſante,
Qui tant de bonheur acquit,
Le prix qui graue la pare
Porte le nom de Pindare
Qu’en Olympe elle vainquit.

Qui ſe taira de Camille,
De Tomiris, & de Mille,
Du ſiecle digne ornement :
Du Nil & de Babylone,
Et de celle dont Auſone
Eſcrit veritablement.


Voyez les Dames de France
Qui ce monſtre d’ignorance
Ont froiſſé en tant de pars :
Que leur quittant la carriere
Il ſaute ſur la barriere
Eſloigné de leurs rampars.

Voy ma fille ma chere ame,
Fortune, Vertu, & Fame,
Se parer de ce beau nom :
Foy, Eſperance, Concorde,
Pieté, Miſericorde,
Toutes d’immortel renom.

Ode 4.


QVel ſorcier rẽpli d’enuie
Sur ma languiſſante vie
A verſé tant de poiſon,
Que l’ame aux ſens aſſeruie
Bruſle comme le tiſon.

Le Mercure ainſi que l’onde
Fuſile en ſa forme ronde
Se voit ſans fin agité,
Et ma triſteſſe profonde
N’a point de cours arreſté.

Ie voy touſiours l’hydre preſte
A me marteler la teſte

Par contraire mouuement :
Car quãd l’vn guerir ſ’appreſte,
L’autre prend accroiſſement.

L’eſprit lent, mort & labile
Le corps ſec, froid, & debile,
Souffrir plus que ie ne dis :
Si ie me tire de Scylle
Ie retombe en Carybdis.

Du chef iuſques à la plante
Vne humeur froide ſe plante
Par le millieu de mes os :
Dont la douleur trop preſſante
M’oſte repas & repos.

Le penſer qui ne repoſe
Le triſte effect de la cauſe
Raporte continuel,
Que ma paupiere fut cloſe
Au ſommeil perpetuel.

Ma nef en ce dur orage
Perd le voile & le cordage
Dedans ce fleuue inconnu :
He Dieu ie fay le naufrage
Quand le ſerain eſt venu

Ie ſeray ſaine & entiere
Quand la forme & la matiere

Par leur alteration
Feront la terre heritiere
D’autre generation.


Ode 5.


LORS que la cauſe des cauſes
Vniſt les freres diuers,
Dont l’ame de l’vniuers
Tient les puiſſances encloſes
Qu’à longs traits le ſoleil verſe
Sur les mortels animaux
Dont la nature diuerſe
Receut les biens & les maux.

Le ſens commun fut la bride
Des animaux ſans diſcours,
L’homme ſerena ſon cours
Par vne plus douce guide :
Suiuant la raiſon diuine
Il peut l’apetit dompter,
Et ſeparer l’Androgine
S’il ſe laiſſe ſurmonter.

Le ſacrifice d’enuie,
Fut faict du premier Adam
Qui aux delices d’Edem
Gouſta de l’arbre de vie :
Et dechaſſa l’innocence

De ce monde vitieux,
Et la Vierge & la Balance
Prirent le chemin des Cieux.

Cette gent enuenimee
Se deuoit aneantir,
Dieu ſe voulut repentir
D’auoir la terre formee,
Là Thetis cloſt & enſerre
Les corps dans les floz noyez,
On voit les filz de la terre
Sur leur mere foudroyez.

La douceur & la clemence
De Pyrrha & Deücal,
Ont rompu le iuſte cal
De la diuine vengeance,
Qui voulut ce petit reſte
Soulager d’un ſi grand faix
Montrant ſon bel arc celeſte
Heureux ſignacle de paix.

Ce bon pere pitoyable
Nous laiſſa de iuſtes loix,
Et les Heroes pour Rois
Deſſus la terre habitable :
L’ame à la vertu ſ’accorde
Suiuant la diuinité,
Le corps tient le periode
Regi par neceſſité.


Regnant Vranus & Rhee
Sur la baſſe region,
La vraye religion
Rendoit la terre doree :
Quand la Cohorte du vice
Sortant de ſon propre lieu,
Courut demander iuſtice
Deuant le troſne de Dieu.

Tachant de ſon meſme crime
L’ange le plus precieux,
Que l’erreur ambicieux
Plongea au fond de l’abiſme :
Lors la diuine puiſſance
Apella l’Humilité,
Qui par l’effort de ſa lance
L’orgueil a precipité.

Le vice connoiſt les bornes
Qu’il ne doit outrepaſſer,
Mais deſireux d’offencer
Veut or’ eleuer ſes cornes :
Touſiours la grande Chimere
Dont l’homme a eſté baſti,
Touſiours cette antique mere
Se range de ſon parti.

Soudain la vertu diuine
D’vn cueur braue & inuaincu
Donne l’eſpee & l’eſcu.

A la troupe feminine,
Qui iuſqu’à la riue noire
A le monſtre combatu,
Puis d’vn Cantique de gloire
Va loüangeant la vertu.


Ode 6.


POVR tenter ma patience
Vous me dictes quelquefois
Qu’il vous ſemble que ie vois
A la ſource de iouence.

Quand i’aurois en mon courage
La ſeuere majeſté,
Dont la graue antiquité
Se feit heureuſement ſage.

Quand d’vne Tigre felonne
D’un Panthere ou Leopard
Ore ie ſerois le part
D’vne Ourſe ou d’vne Lyonne.

Quand vn cruel Roy de Cere
Regiroit mes quatre humeurs,
Quand i’aprouueroy les mœurs
D’vn Alexandre de Phere.

Quand le tourment domeſtique
Qui bleſſe dans la maiſon,

Auroit pillé ma raiſon
Comme le repos publique.

Si auray-ie l’ame atteinte
D’une extreme marriſſon
Oyant le tragique ſon
D’vne ſi iuſte complainte.

L’obiect triſte & lamentable
Deuant noz yeux preſenté
Faict la meſme cruauté
De noz mal-heurs pitoyable.

Voyant ces nouueaux Ephores,
Ces contrerooles des Rois
Violer les ſainctes loix,
Et la Deité encores.

Meurdrir le pere & le frere
Comme Oedipe ou Thyeſtes,
Comme nouueaux Oreſtes
Tuer l’innocente mere.

Deſſous le tiltre honorable
De vaine religion
Semer la contagion
Dont la France eſt incurable.

De main ſacrilege & forte
Ce malin peuple de fer

Tirer du fond de l’enfer
Sa renaiſſante Cohorte.

Abolir le ſainct office
De l’Eueſque ſouuerain,
Tirer l’Anglois & Germain
A ſon ſanglant ſacrifice.

Deſſous ce pretexte meſme
D’vne ſerue liberté
Nous offrir la cruauté,
Le menſonge & le blaſpheme.

Rauir la vierge Veſtale,
Violer ſon chaſte vœu,
Vomir l’impudique feu
D’vne affection brutale.

Vous voyez ceſte inclemence
Que ie plains en triſte voix :
Deuinez donc ſi ie vois
A la ſource de iouence.


Ode 7.


LEſprit reſidant ſur les eaux
Tira du ſein de la Cahos
La premiere ſemence,
Raporta le nombre à l’vny,

Liant l’Atome indefiny,
D’ordre & d’intelligence.

L’ame de ce grand vniuers
Agita les membres diuers,
D’accord & ſympathie :
Donna pour loy aux plus mutins
Les ineuitables deſtins
De la ſage Adraſtie.

Cet animal ſage & parfaict
Reduiſant la force à l’effect,
Par le vouloir du pere :
Sema le froid, lent & gelé
Parmy l’actif prompt & bruſlé,
Qu’vn doux moyen tempere.

Le tout au verbe compaſſé,
L’œil du grand Dieu ſ’eſt abaiſſé
Sur les lampes errantes,
Sur l’air qui change en vn inſtant,
Sur l’element ferme & conſtant,
Sur les ſources courantes.

Par ſon diuin entendement
Il reigla du haut firmament
La puiſſance ſupreme :
Le diſcours, & la volonté,
La raiſon, & la volupté,
Le diuers, & le meſme.


Il voulut former de ſa main
L’homme deuot, clement, humain,
D’excellente nature :
Luy leuant la teſte & les yeux
Pour contempler dedans les Cieux,
Sa diuine peinture.

L’homme domté des paſſions,
Porté par ſes affections
Perd ſa claire conduite :
Luy qui eſtoit celeſte né
Eſt miſerable retourné,
En la terre maudite.

Mais celuy qui plein de raiſon,
Connoiſt que l’ame en ſa priſon
Eſt des ſens mal guidee :
La retire de ce bas lieu
Pour chercher le ſouuerain Dieu
En ſa plus belle idee.


Ode 8.


LHonneur proüeſſe, & la vertu,
Sur le ſommet deux fois pointu,
Reſumoyent les loix de la Parque
Deſſus le ſiege de Poetiers
Où tant de braues Cheualiers
Chargerent la fatale barque.


Themis roüant ſon œil ardant,
Par l’Orient & l’Occident,
De l’Eſſedon au Garamente :
Tirant ſa formidable voix
Poetiers, dit elle à ceſte fois,
Eſcoute les vers que ie chante.

Or que Typhon faict denicher,
De ce miſerable Rocher
Ces monſtres viuans de rapine :
Le ieune Hercule Guiſien
Sur le bord Acherontien
Les ſacrifie à Proſerpine.

Voy-tu quel nombre d’ennemis
Au ſommeil d’ærain endormis
Par ce valeureux chef de guerre,
Pluſieurs ſont ia des floz couuers,
Les autres giſent à l’enuers,
Deſſus la face de la terre.

Ils ne ſeront de l’eternel
Receuz au cloiſtre ſupernel,
Et meſme leur triſte auanture,
Ne peut permettre que leurs os
Iouyſſent d’vn commun repos
D’vne honorable ſepulture.

Comme ils penſoyent tenir le pont,
On veit de ce Cocles ſecond

La hardieſſe ſeure & pronte,
Qui le rompit deuant leurs yeux,
Et de leurs aſſauts furieux,
Ils eurent la perte, & la honte.

Pluſieurs ſeigneurs d’illuſtre ſang,
Suiuant leur chef marchent de rang
Curieux d’vne belle gloire :
Pluſieurs en ce dangereux pas
Par vn plus loüable treſpas
Changent leur vie à la victoire.

La poudre, la bale, & le ſon
Du beau & vaillant Brianſon
Emportent la ſaincte ceruelle :
Qu’vn Dœmõ prend ſoigneuſemẽt,
Puis Iupiter tout promptement
En faict vne Pallas nouuelle.

Parmy ces effroyables coups,
Ie voy le grand guerrier Onoux
Tombé ſur la riue du fleuue,
Il eſt (ô doloreux meſchef !)
Bleſſé mortellement au chef
Malgré le caſquet à l’eſpreuue.

Voicy le hardy Boif-iourdain,
Qui le releue de ſa main
Sans abandonner l’entrepriſe :
Bien que froißé, caſſé, battu,

Leur nombre cede à ſa vertu,
La breche par luy eſt repriſe.

Tandis ce grand Orithien,
Cherche touſiours nouueau moyen,
Pour faire vne braue ſortie
Sur cet Harpiac eſtranger
Lequel deſcend pour te manger
De l’extremité de Scythie.

Tes murs ſont preſque ruinez,
Tes ſouldars morts ou mutinez,
Tu languis de faim qui te preſſe :
Toutefois ce genereux cœur,
Iamais vaincu, touſiours vainqueur
Te leuera de ton opreſſe.

Contre l’Armoric & l’Anglois,
Tu ſouſtins le ſceptre, & les loix
Par deux Vierges Roines guidee :
Tu te ſauuas diuinement,
Et ores tu es ſainctement
Par le grand Guiſien gardee.

L’Hebrieu arreſta le ſoleil,
Le petit Clain en cas pareil
Reuerant ſa puiſſance forte :
A faict vn lac dedans le pré,
A diane, & Pallas ſacré,
Contre le courant qui l’emporte,


Les Manes ſont tous reſiouis
Au tour de ce grand Roy Louis,
Qui de ſon illuſtre ſemence
Voit ſortir ce braue ſeigneur,
Dont le conſeil, force, & bõ-heur
Soutient le beau lys de la France.

Preſte l’oreille à ce doux bruit,
Voy-tu ce viel Sennacherib
Rompu par la force de l’Ange :
Voy-la Femme de ce guerrier
Celebrer le digne Laurier,
Au Po, au Iourdain, & au Gãge.


Ode 9.


IE ſçay bien qu’auãt le treſpas,
Vn ſeul bõ-heur ne ſe voit pas
En ce bas ſeiour où nous ſommes :
La boëte pleine de trauaux,
Sema l’infini de ſes maux
Deſſus les miſerables Hommes.

Amodont & la volupté
Ont l’Hydre nouueau enfanté
Maſqué d’vne vaine apparence
Prenant ce mal-heureux deſir,
La robbe du iuſte plaiſir
Qui faict au ciel ſa demeurance.


Si nous ſommes tẽtez d’honneur,
De richeſſe, ou quelque bon-heur,
Gardons que noſtre eſprit debile.
Suiue ſon premier mouuement,
Les Cieux reſiſtent prudemment
Au mouuoir du premier mobile.

L’eſtoile nous peut auancer
Mais non pas pourtant nous forcer,
L’homme eſt forgeur de ſa fortune
Reprimant ſon affection,
Il reprime l’influxion
De ſon Mars & de ſon Saturne.


Sonnets.


LE Moteur eternel, de ce grand vniuers
Commencement & fin, la diuine penſee
Qui tient deſſous ſes pieds la terre balancee,
Et qui au fõd du cœur voit les ſecrets ouuers.
Reſerua en ce temps, amer, dur & diuers,
Où ſemble que l’Aſtree eſt de chacun chaſſee,
A montrer la vertu du haut Ciel abaiſſee
Pour ceindre tõ beau chef de rameaux touſiours vers.
Bien qu’icy nous voyons, Neron & Domitie,
Et qu’vn nouueau Breüs ait la terre obſcurcie
Ton honneur graue & ſainct luiſt de ſi clair flambeau :
Rue le Siecle eſt heureux, où tu es deſcendue
Pour miracle nouueaux, Car Dieu t’a deffendue.
Du vice, de l’oubly, du temps, & du tombeau,

Sur le Pole en certain compas,
Le Ciel graue & rapide tourne :
L’an en ſerpent ſa fin retourne,
Et reprend vie en ſon treſpas.
Las nous ne luy reſſemblons pas,
Le deſtin prend mieux qu’il ne donne :
Luy qui principe & fin ordonne
Guide noz pieds d’vn autre pas.
Noſtre chef ſans retour ſ’incline,
Mais celle part qui eſt diuine
Ne ſent les iniures du temps.
Ainſi voit on voſtre excellence
Tourner en la circonference
De ſon perdurable Printemps.

Le corps, l’ame & l’eſprit, reçoiuent leur eſſence
De l’Element, de l’Aſtre, & de la Deité :
Soit par la rectitude, ou par l’obliquité,
Ou ſoit par les effectz de moienne puiſſance,
Dieu donne à noſtre eſprit la ſage intelligence,
Et par elle nous ioint à ſa diuinité :
L’ame par la chaleur & par l’humidité,
Des deux aſtres luiſans connoiſt la difference.
Le corps de terre & d’eau reçoit accroiſſement
Par l’air, & par le feu, & par ſon aliment,
Deſquels trop augmenté, il ſ’efforce de nuire
À l’ame, qui ſ’altere auecque le tiſon,
Et à l’eſprit diuin le priuant de raiſon,
Si par intelligence il ne ſe veut conduire :

Le plus melancolic quelquesfois ſe recree,
Fut le graue cenſeur plein de ſeuerité,
Le Theologien rempli de ſaincteté
Aux meditations quelque plaiſir ſe cree.
Mais quand on eſt bleſſé en la teſte ſacree,
Le cours de noſtre bien eſt du tout arreſté,
Ce mal a tout ſoudain l’indiuidu gaſté,
Nous metamorphoſant trop pis qu’vn autre Aſcree.
Le triangle admiré qui tient l’ame atachee
Aux organes du corps, la raiſon empeſchee,
La veüe, le parler, & le plus doux ouir,
Ont au cerueau bleſſé leur puiſſance finie,
Et l’eſprit qui viuoit de la douce armonie,
Entre tant de diſcors ne ſe peut eſiouir.



Ayant ſouffert treze ans d’vne iniuſte puiſſance
L’ennuy, & le travail, la peine & la douleur,
Ont pris ſi forte place au centre de mon cœur
Que ie n’y trouue lieu pour la ſeule eſperance.
On me dit que le temps guerit la violence,
Et qu’vn mal couſtumier n’a plus tant de vigueur,
Cela eſt vain en moy, ie ſens meſme rigueur
Bien qu’ores ie ne voy que douceur & clemence.
Pource que ſi long temps mon mal-heur a eu place,
En le voulant chaſſer il laiſſe telle traſſe
Qu’on ne peut releuer l’edifice deſtruit.
La triſte paſſion dont i’ay l’ame offenſee
M’a tant bleſſé le corps l’eſprit, & la penſee,
Que ce bien tard venu n’aporte point de fruict.

Sera iamais la fortune aſſouuie
Du mal ſans fin en mon cœur renaiſſant,
Las que i’endure (ô Seigneur tout puiſſant !)
Guide mon ame en l’eternelle vie.
Voy à mes ſens ma raiſon aſſeruie,
Ma foible force, & mon travail preſſant,
Si mon prier (ô Dieu) m’eſtoit decent,
I’ay ſeigneur, i’ay de mourir bonne enuie.
Ô bien heureux dont la mortalité,
Par foy ſe guide à la Diuinité
Purifiant ceſte tache imparfaicte.
Heureux qui plein de prudence & raiſon,
Par viue foy dit en ſon oraiſon,
Du ſeigneur Dieu la volonté foit faicte.




Pleurant amerement mon douloureux ſeruage,
Qui tient mon corps mal ſain, mon eſprit en ſouci,
Le cœur comblé d’amer le visage tranſi,
Cachant l’ombre de vie en une morte image.
Ie cherche vainement qui l’eſprit me ſoulage,
Le Medecin du corps i’eprouue vain auſſi,
D’un front Saturnien, d’un renfrongné ſourci
Ie trouue tout amy en amitié volage.
Voyant donc mes mal-heurs croiſtre en infinité,
N’eprouuant rien qu’ennuy, peine & aduerſité,
Un celeſte deſir eſleue ma penſee,
Diſant, il ne faut plus en la poudre geſir,
Il faut chercher au Ciel le bien-heureux plaiſir,
« N’eſpere pas ſalut en vne nef caſſee.

Quelqu’vn mieux fortuné dira de ma complainte,
Mes douloureux ſoupirs, & mon gemiſſement :
Cette cy n’eut iamais que mal-contentement,
On ne voit que rigueur deſſus ſa charte peinte.
Eſt-ce une histoire vraie ou une fable feinte,
Se veut elle exercer ſur vn triſte argument ?
La perte du repos me faict plus de tourment
Cent & cent mille fois que je ne fay de plainte.
Par le repos perdu i’ay la raiſon bleſſee,
I’ay le diſcours rompu, la memoire offencee,
L’aprehenſion faict mon cerueau diſtiller.
Le feu de mon esprit perd ſa douce lumiere,
Et ne me reſte plus de ma forme première
Sinon que i’ayme mieux eſcrire que filer.




Les Preſtres de Memphis pillerent de l’Indie.
De leur docte ſçauoir le premier rudiment,
La Grece de l’Egypte eut ſon commencement,
Paſſant ſes geniteurs d’une audace hardie.
Puis le peuple de Mars connut la maladie
Qui vient de l’ignorance, & embla doucement
Des trois & de l’Hebrieu le plus digne ornement,
Le François la faueur de ces quatre mendie.
Mais tout ainsi que l’or qui par le feu ſ’affine
Eſt plus clair & luiſant qu’au ſortir de ſa mine,
Le François ſe verra mieux que nul autre apris.
D’autant que noſtre Prince a ſurmonté en armes
L’Eſpaignol, les Anglois, & les Romains gẽs-d’armes,
La Togue de la France aura le premier prix.

Sire, Trayan le Bon vous egale en prudence,
Mais vous le ſurpaſſez en ſaincte pieté,
Vous auez ieune d’ans ſur le ſceptre porté
Des plus rares vertus la plus digne excellence.
Plutarque prit Traian dés ſa premiere enfance,
Le Phenix Amiot vous ba preſque alaitée,
Son nom eſt immortel pour ſa grande bonté,
Vous eſtes admirable en douceur, & clemence
Amiot plein de ſens, de prudence, & raiſon,
De vous & de Traian face comparaiſon,
Si aurez vous touſiours ſur luy cet auantage.
C’eſt qu’il a commandé un peuple gracieux,
Vous ſur un peuple armé, brave & audacieux,
Comme Traian le Bon, & Adrian le Sage.




Ô Prince aymé de Dieu quittez vous noſtre terre,
Laiſſez vous ce grand Roy voſtre frere germain,
Ores que Dieu & luy, & voſtre heureuſe main
Auez tiré la paix du ventre de la guerre ?
Auez vous tant à cœur la barbare Angleterre,
Vous qui eſtes clement, courtois doux, & humains,
Vous qui eſtes l’apuy du ſainct ſiege Romain,
De l’Egliſe de Dieu de la foy de ſainct Pierre ?
Mõſieur l’Anglois ſ’eſt veu, le meurdrier de ſes Rois,
Contempteur du vray Dieu ennemy de ſes loix,
Et fleau capital du repos de la France.
Au moins ſouvenez-vous que leur dernier ſeigneur
Par vn ſemblable nœu, dneſprouuant que mal-heur
Deteſtoit le pais le peuple, & l’alliance.

Ô genereux ſeigneur qui ſi haute entrepriſe
Meiſtes heureuſement à execution,
Comme un prudent Fabie, & vaillant Scipion,
Ornant voſtre vertu d’une fortune exquiſe.
L’authorité du Roy, des loix, & de l’Egliſe
Prend pour ſon ferme apuy voſtre protection :
Magnanime ſeigneur plein de perfections,
La France vous admire, eſtime honore, & priſe.
Voz geſtes (mon grand Duc) feront à l’auenir,
Le vray Hiſtorien Poëte deuenir,
La cauſe, l’argument, le ſubiect, & matiere,
Vous font le clair flambeau de la poſterité,
Laquelle vous loüant ſelon la verité
L’on en compoſera une Illiade entiere.


Ce Roy dont la vertu eſt d’autant admiree
Comme plus rarement on la voit imiter,
N’eſt point enfant de Mars, Mercure, ou Iupiter,
Conceu de flame, foudre, ou de pluye doree.
Vne Louue n’a pas ſa mammelle tiree
Pour à ſes ieunes ans nourriture preſter,
La cheure ou la brebis, ne luy ont faict gouſter,
La prudente douceur de ſa foy reueree.
Sa volonté ſans plus eſtoit la blanche Chartes
Et l’immortel cizeau des iuſtes loix de Sparte,
Auſſi fut-il amy de la diuinité.
Mais de ces demi-Dieux l’vn a tué ſon pere,
L’autre a debandé l’arc contre ſa propre mere,
L’autre a baſti de ſang les murs de ſa Cité.

Les legitimes Rois ſont enuoyez des Cieux
Pour Lieutenans de Dieu, en ſûpreme puiſſance :
Ils ioignent la rigueur à la douce clemence,
Car la ſaincte Iuſtice eſt mignonne des Dieux.
Sire, le tige ſainct des antiques ayeux,
Qui vous ont miſe au chef la couronne de France.
Ont tenu l’un & l’autre en egale balance,
Et ieune vous paſſez l’honneur des ſiecles vieux.
Voſtre effigie entr’eux n’a point trouué de place
Au Palais de Paris : la vertu & la grace.
Vous ont plus qu’à eux tous d’heur & bõneur promis.
C’eſt qu’apres voz ans vieux Dieu prenant l’ame inſigne,
Voſtre corps dãs le Ciel ſera faict nouueau ſigne,
Et ſur les ſaincts autels voz portraicts ſeront mis.


Le debord des ruiſſeaux dont le mont Pyrence
Feit iadis denommer la gentille Aquitaine,
Predit l’euenement des mutins de Guienne,
Et que Saturne & Mars regiroient ſur l’année.
Sacrileges, larrons nous ont la loy donnee
Sous le pretexte faux d’vne opinion vaine,
Orleans, Tours, & Blois, ſont cauſes de la peine,
Dont ma pauure Cité ſe pleint mal fortunee.
Ce n’eſt le Biſantin, l’Eſpaignol, ou Romain
Ce n’eſt pas l’Eſcoſſois, l’Anglois, ou le Germain
Qui nous ont mis au ſac, cauſe de tant de plaintes.
C’eſt le mutin François qui a faict le deroy
Ne craignant d’offencer un ieune & iuſte Roy,
Apres auoir polu toutes les choſes ſainctes.

Cambiſes, & Brenus, deuindrent maniacles.
L’un bleſſant à Memphis le Dieu Egyptien,
L’autre pillant aux Grecs le temple Delphien
Où Apollon rendoit le vain de ſes oracles.
Des vaiſſeaux profanez les ſacre-ſaincts miracles
Oſterent vie & regne au Babylonien
Artrayctes volant le ſepulchre ancien
En lieu profane où ſainct n’eut de ſeurs receptacles.
Si ce grand Dieu permit l’effect de ſa vengeance,
Pour ce qui n’a de foy vertu, force, ou puiſſance,
Saincte ceremonie, eſperance, ny foy :
Ne vous punira il, violeurs des ſaincts temples,
Qui auez des Payens pris les cruels exemples
Offençant l’Eternel, le pays, & la Loy ?


Ierobban, Iebu, Piſiſtrate, Lyſandre,
Et le prophete faux de la grand’region,
Cettuy là qui arma ſa forte legion,
Pour contre le Senat ſa puiſſance deffendre.
Premier que leurs proiects au peuple faire entendre
Vouloient changer l’eſtat de la religion :
Les François corrompus de leur contagion
Oſent de Foy, de Loy, & de Prince contendre,
Voire & leurs aduis forger vne ſcience
Pres de la liberté, loing de la conſcience,
Seduiſant les troupeaux des plus ſimples brebis.
Qui euſt preſché les mœurs, & la pure doctrine,
Noſtre Prince eut vengé l’iniure de Pauline,
Et ſi eut ruiné le temple d’Anubis.

Puis que le Philoſophe eſt amy de ſcience,
Et que le vray ſçauoir giſt en la Deité,
Heureux qui pour auoir ce beau nom merité
Chaſſe l’ambition, l’enuie, & l’ignorance,
Qui par la cauſe prend de l’effect connoiſſance,
Traſſant le beau ſentier de vie & verité,
Et en tant que permet noſtre fragilité,
Nous demontre vn rayon de la grand ſapience.
En ce temps ſi amer il ne deffaut d’office
Il batiſt ſur un fort l’immortel edifice,
De Iuſtice & de Foy, ainſi qu’il eſt eſcrit :
La loy eſt le ſeruant qui meine à la Piſcine
Et le ſang de l’aigneau la vraie medecine,
Mais il faut que la loy nous meine à Ieſus-Chriſt.


Vous nous preſchez ſouuent, que la chair eſt fragile,
Parlant de l’abſtinence, de la chaſteté,
Et que mignons de Dieu, couſins de verité
Vous auez eu du Ciel le ſeau de l’Euangile.
Vraiement ie penſe voir le vieux Sadrageſile,
À qui l’on a razé la barbe d’un coſté,
Le ſeigneur ſupernel regnant en Trinité
Qui d’un vent de ſa voix feit la forme, & l’argile
À noz premiers parens deffendit la ſcience,
Mais il recommanda la bonne conſcience
Pour l’accompliſſement des poincts de noſtre loy.
C’eſt ce que l’eſcriture aux Iuifs impropere,
Qui eſt fils d’Abraham faict l’œuure de ſon pere.
Nous allons au ſeigneur par l’œuure, & par la foy.

Multiplier parolles ſans ſcience
N’eſt agreable à la Diuinité,
Inuectiuer ſur la tranquilité,
Subtiliſer pour une indiference.
Vne ſyncere & bonne conſcience,
Un cœur benin rempli de charité
Garde la ſeure & ſage verité
Par qui de Chriſt le beau regne ſ’aduance.
Mais depriſer toutes traditions,
Ne reigler point ſes imperfections,
Trainer à ſoy la ſotte multitude,
Sont les proiets de ces preſcheurs ruſez,
Qui ont du nom de Vertu deguiſez
L’ambition, l’erreur, l’ingratitude.


Comme le Ciel reſiſte à ſon premier mobile,
Ainſi faict la prudence au premier mouuement,
Le diſcours, le ſçauoir, par leur bon iugement,
Liment noſtre raiſon per caute & mal habile.
Les ſens qui ſont trompeurs, la memoire labile,
N’imaginent le vray que par l’euenèment :
Mais l’eſprit qui reçoit le diuin mandement,
Comme vn roc agité eſt ferme & immobile,
Cettuy ne baſtit point ſur l’incertain du ſable
Ains ſuiuant le ſçauoir vtile & profitable
Guide par la vertu l’effect & le propos.
Et cettuy-là qui prend la vertu pour ſa guide
Vaincra ces monstres vains comme un ſecond Alcide
Et iouyra ſans fin de l’eternel repos

Comme parfois la mere au grand Tiphœe,
Ayant receu la celeſte clarté,
Tient vn broüillaz dans la nue arreſté
Pour eſtre trop du ſoleil eſchaufee.
Ainſi voit on la raiſon eſtoufee
Par le ſenſible & par la Volupté,
Cachant le ray de la Divinité
Dont l’ame fut richement etoffee.
Plongez, perdus dans le gouffre d’Alcine
Logiſtile eſt la vraye medecine
Pour nous tirer de l’obſcure priſon.
Comme Phœbus conſomme la fumière,
L’eſprit remis en ſa clarté premiere,
Le cheual blanc gouuerne la raiſon.


Dea ſi mon œil a decouuert
Cette trame tant demenee,
Ay-ie d’une main profanee,
Le corbillon d’ozier ouuert.
Ie ne ſuis de fiel iaune & verd
Comme l’enuie empoisonnée :
Mais quoy ! la colere eſt mal nee
Pour tenir un ſecret couuert,
Nous auons pluſtoſt l’oraiſon
Que l’vsage de la raiſon
Compaigne de la modeſtie,
Qui haut ſe veut en ſoy fier
Eſt ſuiet à ſacrifier
À l’inconſtance de Cynthie

Monſieur, i’auoy pour moy cette excellence Aſtree,
Fille du tout-puiſſant, Deeſſe de raiſon,
Belle comme le Dieu de la claire maiſon
Quand il faict de nouueau aux iumeaux ſon entree.
Mais litige malin ſoudain l’a rencontree,
Qui des armes du dol l’a bleſſee en trahiſon,
Et humble ie vous fay ma deuote oraiſon
Pour punir ce mutin qui a la vierge outree.
Comme vn nouueau Prothé il ſe va transformant
En feu, en air, en eau, en vn autre element
Ainſi que feit Thetis aux mains du Peleide.
Treze ans ſont ia paſſez qu’il me ſceut attacher,
Et m’eſtraint de nouveau au ſommet d’vn rocher
Si la vertu de vous ne m’eſt vn autre Alcide.


Ains que le grand Hebrieu fuſt adopté pour fils,
Et qu’il euſt ſon beau nom ſacré à la memoire
L’Egyptien auoit ſes loix, fable, & histoire
Dans le riche treſor du temple de Memphis.
Mais auenant le but de ſon terme prefix
Tombe ſur l’Amelite, il eſt forcé de boire
L’antique Hellenien ignoroit la victoire
Que contoient à Solon les Preſtres de Sais.
Par Neptune, Vulcan, & la faux coutumiere
Ce qui fut clair & beau perd ſa douce lumiere,
Nature ſymboliſe en diuers changemens.
La Muſe & la Vertu forcent bien quelque annee,
Mais l’immuable point qui meut la deſtinee
Nous en cache les fins & les commancemens.

Cette Dame d’honneur parée à l’auantage
Qui voit Europe, Aſie, la Lybie encore :
Qui de ſes leures faict couler vn fleuue d’or,
Et d’vn graue maintien ſerene ſon visage.
Non plus que la nature a borné ſon partage,
Où à vn peuple ſeul deployé ſon treſor,
S’ell’ayme Delbora plus que le Prince Hector,
Ce n’eſt pour le pays, le ſexe, ou le langage
Iadis elle changea l’Egypte au Paleſtin,
L’Olympe renommé pour le mont Palatin,
Puis aux Arabes feit voir ſa belle préſence.
Connoiſſant leur ſçauoir, diſcours, & iugement,
Et c’eſt ores pourquoy trop plus heureuſement,
Tant de gentils eſprits l’ont arreſtée en France.


Ce feu luiſant & beau dans noſtre œil eſpandu
Preſente ſes obiects à l’ame plus diuine,
Le ſens le plus capable à toute diſcipline
Nous offre le loyer au temps bien dependu.
Il donne à la raiſon ce qu’il a entendu
Qui ſoudain le reçoit, le poliſt, & affine,
Monté par ces degrez en la part plus inſigne,
L’esprit iouyt du bien par luy tant pretendu,
Luy qui connoiſt ſoudain ſa demeure eternelle,
Reiette loing les ſens qui ont ſerui d’échelle,
Il pourroit empeſcher la parfaicte union,
De l’heureux intellect qui connoiſt l’exiſtance
Car les ſens plus trompeurs n’ont rien que l’aparence,
L’eſprit cherche le vray, les ſens, l’opinion.

De parens indiſpos fortuitement planté,
Ayant le Ciel malin qui ſi fort nous peut nuire,
Vn mauuais precepteur qui ne ſçait pas eſlires
Le vray d’auec le faux, le mal de la bonté.
Nous ne faillons d’auteur qui nous ait raconté
Des Prophetes Iuifs le plus cruel martyre
Meurdris en leurs pays auſſi vous pouvez lire
De Brute & Catilin la grande cruauté
Le meſchant Theodore, & le traiſtre Rhodon,
Vendent le ſang Royal pour vn petit guerdon
Dont les parens, le Ciel, le pays, & le maitre,
Sont les quatre bourreaux de noſtre genre humain,
Et celuy ſeulement a les Dieux plus à main
Qui prouue en meſme inſtant le mourir & le nai^ftres


Le ſouuerain auec intelligence
Forma le ſiege à ſa Diuinité,
Puis au deſſous de ſon palais voûté
Rengea les ſept maiſtres de l’influence.
En leur donnant ſur la terre puiſſance
Et que par eux tout corps fut agité
Mais deſirant ſa haute Deité
Faire vn pourtrait de ſa diuine eſſence.
Pour l’ame il feit la terreſtre maiſon
Puis feit l’eſprit maiſtre de la priſon
Clair, ſimple & pur de la plus belle Idée.
Lequel preſſé du corps funeſtre & noir
Cherche touſiours ſon antique manoir
Volant au Ciel d’une aile mieux guidee.

Il eſt certes plus beau de donner que de prendre,
Car l’vn eſt volontaire, l’autre violent,
L’on eſt prompt & fubtil l’autre tardif lent :
L’actif, & le Paſſif en eux ſe peut comprendre.
Qui reçoit le preſent ſans deſir de le rendre,
N’a iamais eu l’eſprit marqué pour excellent,
N'allez point ſous la Fable un Hiſtoire celant,
La meſme verité vous veut pour moy reprendre.
On voit des droicts diuins, des gens & de nature
Par l’Hiſtoire profane & la ſaincte eſcriture,
Que ſous le nom d’ingrat le debteur eſt compris.
Sinon que le deuoir la puiſſance ſurpaſſe
En cela ie dois trop à voſtre bonne grace,
Et à voſtre vertu digne de plus haut pris.


L’un chante les effects dont la ſage nature,
D’une prudente main diſpoſa l’vniuers,
L’autre dont l’eſprit clair cherche les Cieux ouuers
Raconte leur pouuoir leur grace, & leur peinture.
Cet autre mal inſtruit remet à l’auanture
Le mouuoir continu de tant d’Aſtres diuers,
Et le mieux auiſé veut embellir ſes vers
Des paſſages tirez de la ſaincte eſcriture.
La raiſon de chacun par ſa plume eſt deduite,
L’on cache verité dans le puys d’Heraclite,
Le plus ingenieux tache de la r’auoir.
Mais tel preſume bien d’en auoir connoiſſance
Qui ne planta iamais dedans ſa conſcience
La crainte du ſeigneur principe de ſçauoir.

Ô Dame de clair ſang honnorable & inſigne,
Qui luiſez entre nous comme un autre ſoleil,
Vn ſoleil de Vertus qui n’a point de pareil,
De ſaincte pieté & chasteté le ſigne.
Olda pour expoſer la parolle diuine
Seconde Delbora en Prudence & conſeil,
Sizare voit briſer ſon guerrier appareil
Au ſon de voſtre voix agreable & benine.
Madame ce grand Dieu dont vous eſtes venue,
Voulant que vous fuſſiez diuine reconnue
Par voz doctes eſcrits & ſainctes actions :
Vous donna vn beau corps du ſang Royal de Frãce,
Vn esprit plein de foy, grace & intelligence,
Comme vn ſacré ſeiour de ſes perfections.


Ou que noſtre ſçauoir ſoit la reminiſcence
De ce qui eſt au Ciel par nous preſupoſé,
Ou que nature ait bien l’organe diſpoſé,
Pour receuoir en ſoy la diuine influence :
Ou que nous ſoyons champ propre à toute ſemence,
Qui procede de ſimple on bien du compoſé,
Ou bien ſoit que le ciel ait ſon treſor poſé
En vn ſubiect qu’il voit digne de ſa puiſſance.
Si eſt ce que le temps (o griefue paſſion)
Surmonte la memoire & l’aprehenſion
La diſpoſe beauté au fil des ans ſe paſſe :
Mais tes beautez de mœurs, ton eſprit, ton ſçauoir,
Dons que le Ciel en toy admirables faict voir
Par le decours des ans t’aquièrent plus de grace

Le doux ſommeil ayant fermé la porte
À mes trauaux, ie voy du Ciel deſcendre
L’unique oyſeau r’alumé de ſa cendre,
Qui auoit Mars & Minerue pour ſcorte.
Son vol repris il laiſſa l’Aigle forte,
Pour le Germain de la Toiſon deffendre,
À ſes petits la place ie vey prendre,
Comme un deſtin inopiné l’emporte.
Lors vn ſerpent ſous vn aſpect benin,
Au nid Royal ietta tant de venin,
Que des petits l’aile bien trauaillee,
Volant plus haut qu’on n’euſt oſé penſer
Faict le ſerpent ſous la terre muſſer,
Et ſur ce point ie me ſuis éueillee.


Ô ſeigneur Dieu eſleue ma penſee,
Fay que i’embraſſe en grand deuotion
Ta douloureuſe & ſaincte paſſion,
Payement ſeur de la loy tranſgreſſee.
À toy mon Dieu ma priere eſt dreſſee :
Ayde Seigneur mon imperfection,
Deliure moy de tant d’affliction,
Qui m’a du Ciel vers la terre abaiſſee.
Graue en mon cœur ta iuſte verité,
Guide mes pas au ſentier d’equité
Benin ſeigneur en qui ſeul ie me fie.
Ie veux offrir à ton ſacré autel ;
Ô Dieu viuant mon eſprit immortel.
Qui mort en moy en toy ſe viuifie.

Las où eſt maintenant ta ieune bonne grace,
Et ton gentil eſprit plus beau que la beauté :
Où eſt ton doux maintien, ta douce priuauté
Tu les auois du Ciel, ils y ont repris place.
Ô miſerable, helas toute l’humaine race,
Qui n’a rien de certain que l’infelicité !
Ô triſte que ie ſuis, ô grande auerſité,
Ie n’ay qu’un ſeul appuy en cette terre baſſe !
Ô ma chere compaigne & douceur de ma vie,
Puis que les Cieux ont eu ſur mon bon-heur enuie,
Et que tel a eſté des Parques le decret :
Si apres noſtre mort le vray amour demeure
Abaiſſe un peu tes yeux de leur claire demeure
Pour voir quel eſt mõ pleur, ma plainte & mon regret.


Épitaphe de feu maiſtre François Eboiſſard ſeigneur de la Villee ſon mary.


Vevx-tu ſçauoir paſſant, quel a été mon eſtre,
Scaches que la nature, & fortune, & les Cieux,
Noble, riche, & ſcauant autrefois m’ont fait maiſtre,
Me rendant poſſeſſeur de leurs dons precieux.

Apres auoir veſcu d’une louable vie,
Ie fus pris d’vn catere, & maintenant le fort
Des Parques me guerit de ceſte maladie :
Ie mourois en ma vie, & ie vis en ma mort,

Ie fus trente ans Breton, vingt & huict mon espouſe
Me retint dans Poetiers lié de chaſte amour,

Mon ame deuant Dieu maintenant ſe repoſe,
Et mon corps en ce lieu attend le dernier iour.

Mon corps n’est pas tout ſeul ſouz ceſte froide tombe
Le cœur de ma compaigne y giſt auec le mien,
Iamais de ſon eſprit noſtre amitié ne tombe,
La mort ne trenche point vn ſi ferme lien.

Ô Dieu, dont la vertu dedans le Ciel encloſe
Encloſt meſme le Ciel, vueillez que ma moitié
Toutes ſes actions heureusement diſpoſe,
Honorant pour iamais noſtre ſaincte amitié.


Épitaphe de feu monſieur le Comte de Briſſac.


Ô France que tu es es perdue & dolente !
Ô tragiques regrets, ô peine violente !
Il faut ores, il faut pleurer amerement,
Il nous faut lamenter inconſolablement.
Nous perdons au befſin cette viue lumiere
Dont la clarte merite vne Illiade entiere.
Las faut il que la mort triomphe à cette fois
D’amour, de pieté, de proueſſe, & de foy !
Lacheſis luy filoit vne ſi belle vie,
Que ſa cruelle ſœur luy a porté enuie
Fauchant en ſa verdeur cet illuſtre ſeigneur,
Qui eſtoit des François l’honneur, & le bonheur,
La Palme, le Laurier, le triomphe, & la gloire,
Que les ſiecles voirront ſacrez à la memoire.

Ô Dieu qui ſouſtiendra d’vne pareille main
Les trois diuines fleurs & le ſiege Romain,
Qui reduira en paix la rebelle contree,
Qui nous r’apellera la ſaincte vierge Aſtree,
Qui rendra au pays la douce liberté,
Ô gracieux ſeiour d’honneur, & de bonté,
De prudence, valeur, ſageſſe, & courtoiſie,
Ores tu as au Ciel ta demeure choiſie,
La France auoit en toy l’eſpoir de ſon repos.
Mais las venue de toy ell’eſt en vn Cahos :
Nous ne regrettons pas que l’ame bien heuree
Ioüiſſe du repos d’eternelle duree :
Nous plaignons ſeulement noſtre condition,
Ne voyant plus icy ta grand perfection,
Le ſoldat ne voit plus cette main liberale,
Main qui eſtoit l’appuy de la grandeur Royale,
Il n’oit plus ta hardie & gaillarde façon,
Ny de ta claire voix l’inimitable ſon,
Voix, dont on ne pourroit raconter la loüange :
Ce n’eſtoit pas la voix d’vn homme, mais d’vn Anges
Ô que tu as laiſſé noſtre camp languiſſant,
Ô combien par ta mort le mutin eſt puiſſant !
La ioye de ſon cœur par ſignes deſcouuerte
Nous faict voir & ſentir l’ineſtimable perte
De ta grande valeur : las faut-il qu’vn pandard,
Vn profane poltron, vn indigne ſoudard,
Ait bleſſé ton beau chef d’vne playe mortelle
Arroſant de ton ſang le dur ſein de Cybelle !
Ah petit Muſſidan ingrat, traiſtre, & mutin,

Qui du ſecond Marcel arreſtas le deſtin,
Dordonne ſoit par toy à iamais diffamee,
Et de toy grand Briſſac viue la renommee.
Ie ſçay que ta vertu alluma le flambeau
Qui ne craint le faucheur Lethes, ny le tombeau,
À Lyon dés ſeize ans tu ſeis voir ta vaillance,
Ô vaillant Scipion l’espoir de noſtre France :
Vn enuieux Dœmon, Dœmon plain de mal-heur
A touſiours pourſuiuis les hommes de valeur,
Il pouſſa le grand Roy dans la fatalle ville,
Il ſe montra hideux au Prince de Sicille,
Le petit Oplites a veu Lyſandre mort,
Pyrrhus dedans Argos eſprouua meſme fort :
Par ce meſme Dœmon Brutus perdit la vie
Ce Dœmon qui fut fils de despit & d’enuie,
Entendit ton beau nom en Hongrie vanter,
En Itale & à Malthe il ouyt raconter,
Ta proëſſe incroyable, & puis veit la Caderue
Que tu feis de ta main ſur cette gent proterue :
Combien dedans Paris te montras tu vaillant
Aſſailly du mutin, ou bien en l’aſſaillant ?
Cholons connoiſt aſſez, Vallery à faict preuue
Comme en un corps menu la forte ame ſe treuue,
Toy ſeul de trois fleaux as l’ennemy batu
Par le ſage conſeil, fortune & la vertu :
Confoulant, Perigueux, Iazeueuil, & les Anſes
Connoiſſent de Briſſac les grandes excellences,
La Mothe, & Chaſteau-neuf : ton bras victorieux
Rempliſt d’ombres ſans corps le grand bord Stygieux,

Qui craignans de Minos le iugement ſupreme
Ont appellé Typhœe, Anthee, & Polypheme,
Diſant nous auons bien oſté le ſceptre aux Rois,
Abrogez leurs edicts, leurs polices, & lois,
Allons prendre les Cieux, noz forces bien vnies
Pourront en raporter des gloires infinies :
Si la terre ha en ſoy maints animaux diuers,
Les Cieux en ſont trop plus parez, pleins & couuers.
Le Ciel montre en ce lieu vne claire ouuerture
Par où l’eſprit ſe range à la vie future,
Quand il doit prendre un corps du plus bas element
Ou receuoir au Ciel ſon dernier iugement.
Ia deſia ces mutins vouloient venir aux priſes
Lors que l’Ange Michel connut leurs entrepriſes.
Michel (ô grand Briſſac) te voit tenir le lieu,
D’vn Iudas Machabee entre le peuple Hebrieu,
Il ſcauoit bien que Dieu par ſa diuine grace,
(Ô Comte ſans pareil) te gardoit une place
Entre les bien-heureux & plus dignes eſprits,
Que le ſainct Ange guide au celeſte pourpris :
Les ſiecles ſont preſens, les temps & les annees,
Les ſaiſons, & les mois, iours, heures, deſtinees,
Dans l’eſprit de Michel : il voit qu’il eſt ſaiſon
Que tu laiſſes du corps la gentille priſon,
Que Dieu redemandoit ton ame tant exquiſe
Et les ſept Gouuerneurs la luy auoient requiſe :
Tu portas en mourant Trophees infinis
Comme eſtant des Guerriers la perle & le Phenis,
Paſſant de l’Acheron la ſource violente.

Tu viſitas Minos, Æaque, & Radamenthe,
Puis ayant ſur le front la merque de l’Aigneau,
Suiuois le trac batu du bien-heureux troupeau,
Lors que les gais eſprits du beau champ Eliſee,
Voyant monter au Ciel vne ame tant priſee
Afferment n’auoir veu en terre ton pareil
Et ſi ont viſité l’un & l’autre ſoleil.
Voicy Dece, Cocles, Camille, les Sceuoles
Qui deſirent te voir, mais ſoudain tu t’en voles
Au cloiſtre ſupernel, trauerſant le ſeiour
Du diſert fils de Maye & du pere du tour.
Quand le grand Roy Henry te veit au ſainct repaire
Il apella ſoudain le Mareſchal ton pere :
Ie croy, dit-il (Briſſac) que vous n’ignorez pas
De l’Achille François le bien-heureux trespas,
Il eſt mort ieune d’ans : mais quoy ? ſa renommee
A bien plus d’une Leuctre ou d’une Mantinee
À peine ſon beau teint ſornoit de la Toiſon
Qui renomme Cholcos en l’honneur de Iaſon,
Qu’il eut de cent Lauriers la teſte enuironnee
Et de Meurthe cent fois dignement couronnee.
Lors ton pere voyant ſon cher & doux ſouci
Serena ſes beaux yeux le frond, & le ſourcil
Diſant, ô mon enfant, ô bonne nourriture,
Mon travail, mon deſir, ma gracieuſe cure !
Ô mon fils bien aymé le ſeigneur a permis
Que nous vaincrons par toy noz plus grands ennemis
Tu eſtois Couronnel ſur les bandes Françoiſes
Qui ont plante le lys aux terres Piedmontoiſes

Mainte lance branloit ſous ton beau Regiment,
Et le cueur des François à ton commandement :
Mais tu es maintenant ſur le beau mont d’Arete
Pour perdre les neueux du viel monſtre de Crete,
Pouſſe les dans la barque au viel Nocher Charon,
Qu’ils paſſent ſans retour la riue d’Acheron,
Courage mon enfant ton ame genereuſe,
N’a iamais entrepris choſe plus glorieuſe :
Voy tu le grand Henry l’amour du genre humain,
Le bon Roy de Nauarre, & le Prince Lorrain :
Eſleuant ton beau chef tu rompis ton ſilence
Puis adorant des trois l’unité de puiſſance
Tu feis ton oraiſon, en diſant (ô Seigneur)
Qui de grace m’as faict digne de tant d’honneur,
Que de me donner part de ce bel heritage,
Et auoir pres de toy aſſigné mon partage,
Ie ſcay, Verbe diuin, que tu as par ta mort
Abatu le peché, le ſerpent, & la mort.
Ô Seigneur tout-puiſſant tu m’as tiré du monde
Où l’homme n’eſt ſinon l’onde qui pouſſe l’onde,
Vn ombre, vn ſonge vain Simulacre qui fuit
Ainſi que Bootes quand le ſoleil reluit :
À toy ſoit gloire, loz, & graces infinies,
Dieu vous tienne en ſa garde, ô ſainctes compaignies :
Et vous mon pere cher, oyez ma ieune voix,
Dieu donna aux François la race des Valois,
Qui de France ont chaſſé l’ignorance barbare
Et le vice plongé au gouffre du Tartare :
Vous auez quatre Rois de ce Tige ſeruis,

Et i’ay voz beaux ſentiers heureuſement ſuiuis,
Seruant Charles mon Roy, ſainct hõneur de la France,
À qui i’auoy voüé mon cueur dés mon enfance,
Et le regret qui tient mon esprit tranſporté,
Ceſt que ie n’ay laiſſé la France en liberté.
Ô grand Roy, dont le nom ne ſuit la morte cendre,
Roy ! qui as mis au Ciel la viue Salemandre :
Et toy qui as laiſſé ton ſceptre fleuriſſant
Mets, Bouloigne, & Calais honorent ton croiſſant,
Et vous François ſecond, le Ciel vous eſt proſpere,
Mon Duc qui eſt des trois le neneu, fils, & frere ;
A de ſon ieune bras combatu le mutin,
Qui faiſoit de la France vn publique butin :
Ia de ceſt Achelois la force il a rompue,
Que de l’Hydre bien toſt ſoit la force abatue,
Par ceſt excellent Duc, magnanime & courtois,
Vn Aſtre bien heureux puiſſe garder les trois.
Tu faiſois à noz Roys ce veritable compte,
(Ô Compte de qui ſeul on doit faire grand conte)
Lors que les ombres noirs connoiſſant la ſplendeur,
Qu’auoit infuſe en toy la diuine grandeur,
Se ſont precipitez dedans la riue noire :
Et par ton ſeul regard le Ciel eut la victoire
Ton ame ores iouyt de la Diuinité,
Et ton beau nom ſe voue à l’immortalité :
La France, qui pour toy de pleurer n’eſt pas laſſe,
A mis ton ieune corps dans une claire Chaſſe,
Où la ſaincte vertu & le docte trouppeau,
Qui chante ſes beaux vers ſur le double coupeau.

Honorent à l’enuy ta belle ſepulture
Regrettant des François la piteuſe auanture.
Ô Muſes decorez ce braue monument
L’art vous pourra manquer pluſtoſt que l’argument :
Ô grand Timoleon ainſi la Poeſie
Euſt pour te celebrer une femme choiſie,
Et que le Delien euſt bien receu mes vœus,
Ie ſerois la merueille à noz futurs neueus,
Et toy, dont les valeurs meritent plus d’vn liure,
Pourrois de ſiecle en ſiecle eternellement viure.


Épitaphe de feu monſieur le Baton d’Angueruacques.


Le iour que ce grand Duc animoit ſes ſoudars
De ſe montrer vaillans pour le ſalut de France,
Le Comte de Briſſac, mais bien le ſecond Mars,
Grauoit ſon nom au Ciel par le fer de ſa lance.

Le Baron d’Angueruacque imitant bien ſes pas
Pouſſa mille ennemis deſſus la riue noire :
Mais le cruel deſtin enuiant ſon treſpas
Il porta deuant Dieu ſon Trophee de gloire.

Iamais vn plus diſcret, vaillant aimable & doux,
Ne contempla des Cieux, la lumiere doree
Son corps giſt au cercueil, ſon loz vit entre tous
Son ame eſt au repos d’eternelle duree.

Fin des œuures de M. des Roches la Mere.

LES ŒVVRES
DE M. DES ROCHES
DE POETIERS LA FILLE.

Epiſtre à ſa Mere.



MA Mere, ie ſçay que vous enſuiuãt, ie pourroy ſuiure vn exemple de vertu ſuiuy de biẽ peu de perſonnes : mais pour ce que ie ne puis vous imiter ny me tirer ſi promptement de la multitude, à tout le moins en cecy ie ſuiray la commune façon de la plus grand part de ceux qui eſcriuent, leſquels ont accouſtumé de prier les lecteurs d’auoir leurs œuures pour agreables, comme ſ’ils vouloient par leurs courtoiſies mendier les faueurs. Or quant à moy ie leur donnerois volontiers licence de penſer & dire de mes eſcrits tout ce que bon leur ſemblera, mais ie croy qu’ils n’ont point beſoing de ma permiſſion. S’il y en a qui les reprennent auecques iuſte occaſion, i’eſſairay de me corriger tirant profit de leur cenſure : ſi quelques vns en iugent ſans aduis & diſcretion, ie penſerois eſtre ſans diſcretion & aduis de m’arreſter à leur iugement. Ils diront peut eſtre que ie ne deuois pas eſcrire d’amour, que ſi ie ſuis amoureuſe il ne faut pas le dire, que ſi ie ne ſuis telle il ne faut pas le feindre : ie leur reſpondray à cela, que ie ne le ſuis, ny ne feins de l’eſtre : car i’eſcry ce que i’ay penſé, & non pas ce que iay veu en Syncero, lequel ie ne connoy que par imagination. Mais cõme il eſt aduenu à quelques grands perſonnages de repreſenter vn Roy parfaict, vn parfaict orateur, vn parfaict courtiſan, ainſi ai-je voulu former vn parfaict amoureux : & ſi l’on dit que pour auoir pris exemple de tãt d’excellens hommes, ie les ay mal enſuyuis, ie diray auſſi que les Roys eſtant perſonnes publiques, doiuent par leurs vertus eſtre l’ornement de leurs peuples, que les orateurs & courtiſans ayant à paroiſtre deuant les grands ont beſoing de ſe pouruoir de toutes perfections qui les facent remerquer des ſages & du vulgaire : mais Syncero ne veut plaire qu’à ſa dame ſeulement, que i’ay formee à ſon patron le plus qu’il m’a eſté poſſible, imitant noſtre grand Dieu, lequel apres qu’il eut creé le pere Adam, luy donna vne femme ſemblable à luy. Beaucoup diront volõtiers que ie ne deuoy point eſcrire de quelque ſuject que ce ſoit, meſme en ce temps que nous voyons tant de Poëtes en la France. Ie ne veux faire autre reſponce à ce propos là, ſinon qu’il y a bien aſſez d’hommes qui eſcriuent, mais peu de filles ſe meſlent d’vn tel exercice, & i’ay touſiours deſiré d’eſtre du nombre de peu : non-pas que i’aye tant d’eſtime de moy, que de me vouloir parangonner aux plus excellentes non plus qu’aux moindres : car ie ne veux iuger de moy ny par audace, ny par vilité de cueur : au-moins ie ne me ſentiray point coupable dauoir perdu beaucoup de temps à compoſer vn ſi petit ouurage que cettuy-cy, pour ce que ie n’y ay jamais employé d’heures, fors celles que les autres filles mettent à viſiter les compaignies pour eſtre veües de leurs plus gẽtils ſeruiteurs, deſirãt qu’ils puiſſent deuenir dignes chantres de leurs beautez, encores qu’elles ayent bien la puiſſance de ſe chãter elles meſmes : toutesfois elles dedaignent de ſy prendre : approuuant (ce croi-je) l’opinion de Zinzime qui ne pouuoit eſtimer les Gentils-hommes Romains pour eſtre bien inſtruits en la Muſique à ſaulter & voltiger, pour ce que les ſeigneurs de Turquie faiſoient faire tels exercices à leurs eſclaues. Ainſi quelques vnes des Damoiſelles de ce temps, ſans vouloir prendre la peine d’eſcrire, ſe contentent de faire compofer leurs ſerfs, attiſant mille flames amoureuſes dans leurs cueurs, par la vertu deſquelles ils deuiennent Poëtes mieux que ſ’ils auoient beu toute l’õde ſacrée de la fontaine des Muſes. Mais quant à moy, qui n’ay iamais faict aueu d’aucun ſeruiteur, & qui ne penſe point meriter que les hommes ſe doiuent aſſeruir pour mon ſeruice : i’ay bien voulu ſuiure l’aduis de la fille de Cleomenes qui reprenoit les Ambaſſadeurs Perſans, dont ils ſe faiſoient accouſtrer par des Gentils-hommes, comme ſ’ils n’euſſent point eu de mains. Auſſi ie m’eſtimerois indigne de ce peu de graces que Dieu ma donnee par voſtre moyen (ma mere) ſi de moymeſme ie n’eſſaïois de les faire paroiſtre : ce n’eſt pas que i’eſpere me tracer auec la plume vne vie plus durable que celle que ie tien de Lacheſis, auſſi n’ay-je point quitté pour elle mes pelotons, ny laiſſé de mettre en œuure la laine, la ſoye, & l’or quand il en a eſté beſoing, ou que vous me l’auez commandé : I’ay ſeulement penſé de vous monſtrer comme i’employe le temps de ma plus grande oiſiueté, & vous ſupplie humblement (ma mere) de receuoir ces petits eſcrits qui vous en rendront teſmoignage : ſi vous en trouuez quelques vns qui ſoient aſſez bien nez, auoüez les ſ’il vous plaiſt pour voz nepueux, & ceux qui ne vous ſeront agreables, puniſſez les à l’exemple de Iacob qui condemna la famille d’Iſachar pour obeir à ſes autres enfans.

Dialogue de Vieilleſſe & Ieuneſſe.

Vieillesse


MAIS qui eſt ceſte ieune folaſtre, couronnee de fleurs, qui court & ſaulte ſi allegrement ? Elle tient vn lut en ſes mains, dont elle accorde l’armonie auec ſon chant, & bien ſouuent laiſſe tout pour ſe mirer : Helas ! ſi elle ſentoit partie des peines qui me ſuiuent, que cela luy feroit toſt oublier ſon allegreſſe. Iev. Ie penſe en moy tant de choſes diuerſes, que ie ne ſçay laquelle commencer premierement. Vaut-il point mieux : ha nenny, ie m’en vais dire vne chanſon, & puis delibereray du reſte.

Le beau printemps de ma ieuneſſe gaye,
Guérit d’amour la dangereuſe playe :
De cet enfant le pouuoir plus qu’humain
Eſt ſouſtenu par ma puiſſante main.

Que ſeruiroit que ſon ardente flame
Brulaſt le ſang le cœur, le corps, & l’ame
Si moy qui ſuis du monde l’entretien,
De ce grand mal ne tirois vn grand bien.

Si vn amant depourueu de ſageſſe
Eſt dedaigné d’vne ſage maiſtreſſe,
Ie luy appren dix mille inuentions.
Pour paruenir à ſes intentions.

Si vn amant depourueu de richeſſe
Eſt desprifé d’une riche maiſtreſſe,
Ie luy fay voir un coulant fleuue d’or,
Et de Plutus le precieux treſor.

Mais ceux qui ſont captifs de la vieilleſſe,
L’on ne ſçauroit animer leur foibleſſe :
Meſme l’amour y ſentiroit glacer
Son feu ardant, & ſes fleſches caſſer.

Vieil. Vrayement iuſques icy ie m’eſtois contraincte d’endurer patiemment toutes ces petites vanitez, mais puis que c’eſt à moy qu’elle en veut, ie luy demanderay pourquoy. Iev. Ô Dieu ! qui ameine vers moy cette vielle decrepite auec le front de damas, & les yeux de verre il ne luy paroiſt aucunes dens en la bouche, le rhume les y a toutes fauchees, que veut elle faire de ce baſton, eſt-ce pour la ſouſtenir ou pour batte quelqu’vn ? doy-ie fuir, nõ, non, que me ſçauroit elle faite ? ie l’attendray : m’aſſurãt bien qu’elle ſe couroucera fort à moy, ie veux ayder à nourir ſon couroux. Par où commẽceray-ie à la mettre en colere ? ie m’ẽ vay parler à elle : Dieu vous gard ma bonne mere, voulez vous dãſer auec moy, & ie diray vne chanſon. Vieil. Allez, allez petite affectee, i’ay bien affaire de vous, ny de voz chãſons, vous auez tantoſt parlé ſi defuantageuſement de moy en vne, que ie vous en feray repẽtir bien aigremẽt. Iev. Toubeau, toubeau ne ſoyez pas ſi facheuſe, danſez ſi bon vous ſemble, & mettez repoſer voſtre cheual de bois. Vieil. Ne vous mocquez point de mõ cheual, il a plus de force que vous ne penſez. Iev. Ha ! ie croy qu’il eſt fort gaillard, mais d’où l’auez vous eu ? eft-ce vn Genet d’Efpaigne, ou vn Roſſin d’Allemaigne, ou bien vne Hacquenee de Bretaigne ? Vieil. Ie ne vous diray point d’où il eſt, vous ſuffiſe que vous le pourrez ſentir à voſtre dõmage. Iev. Comment bonne femme, ſeroit-il bien de la race des cheuaux de Diomede, qui repaiſſoient de corps humains ? ſi ie penſoy cela, ie m’ẽ iroy bien toſt d’icy. Toutesfois ie me doute plus volontiers qu’il eſt parent du cheual Seian, car il mena ſon maiſtre à la mort, & cettuy-cy vous conduit à la voſtre prochaine. Vieil. Qui vous a dit que ie ſuis proche de la mort, & ie vous aſſeure que vous mourrez auant moy, comme vous eſtes nee la première. Iev. Me voulez vous ainſi faire croire que ie fuis au monde auant vous, qui feriez bien mere de l’ancien Demorgorgon ? Vieil. Vous feriez doncques ſon ayeule. Iev. Ô vieille hideuſe ! Vieil. Ô ieune ſotte ! Iev. Vous deſiez tantoſt que i’eſtoy plus vieille que vous, & puis m’appellez ieune, ie penſe que vous radotez. Vieil. Ne vous deſplaiſe, i’ay dict que vous eſtiez nee ayant moy, nõ pas que vous fuſſiez plus vieille, ſ’il eſtoit neceſſaire que ce qui eſt le plus ancien vieilliſt, l’etérnité tomberoit en decadẽce. Iev. Si vieillir eſt vn commencement de perir, vous eſtes pres de voſtre fin comme ie vous ay dict. Vieil. Ie ne vieilly point, car ie fuis touſiours vieille, & l’eſtoy mefme dés le iour que je nacquy : Si i’auoy perdu quelque partie de ma force & vigueur, vous auriez raiſon de tenir tels propos. Iev. Vous ne fuſtes donc jamais autre. Vieil. Non. Iev. Ah mal-heureuſe qui vous reſſemble. Vieil. Eſcoutez, ſi vous me fachez ie me vengeray de vous. Iev. Et que me ſçauriez vous faire ? Vieil. Ie vous chaſtiray de ce baſton ſi rudement que voz blonds cheueux perdant leur teinture, ſe changeront d’or en argent, voz dens d’yuoire en Ebene, voſtre beau teint deuiendra terny, & la lumière de voz yeux eſtainte. Iev. Ie ne vous crain pas beaucoup, ſçachant bien qu’vn age moyen vous empeſche d’aprocher de moy, pource qu’il eſt touſiours oppoſé entre nous deux, comme le prin-temps, & l’automne entre l’hyuer & l’eſté. Vieil. Ceſt age moyen me donne le moyen de vous nuire, car il eſt Fourrier qui merque pour moy les logis où vous demeurez, & bien ſouuent que ie ſuis ennuyee de voſtre orgueil, ie le haſte de vous chaſſer des belles perſonnes, en qui vous eſtiez preſque adoree, de ſorte que vous eſtes contrainte de vous retirer chez quelque laideron. Iev. Soit que nous demeurions auec beaux, ou laids, touſiours ie leur plais, & touſiours, vous les faſchez. Vieil. Il eſt vray que ie ſuis penible à quelques vns pource qu’ils ont mal vſé de vous, en vous donnant pour cõpaignie les voluptez deſordonnees, qui ſont cauſes, dõt ils ſouffrẽt apres les extremes douleurs, pour leſquelles ie reçoy blaſme ſans en eſtre coupable. Voila donc l’origine de leurs maux & des miens, ſ’ils euſſent eu la ieuneſſe moderee, ils ſentiroient la vieilleſſe paiſible. Iev. Vous reprenez autruy des fautes que vous faictes, ſçait on pas bien que vous eſtes haye, pource que vous dérobez toutes beautez, & toute gaillardiſe, d’vne affection trop pire que celle des autres latrons, car ils peuuent vſer de l’argent qu’ils prenent, & vous ne ſçauriez que faire des graces que vous emportez. Vieil. Auſſi n’en veux-ie rien faire, que les chaſſer de place en autre, mais ceux qui font exceſſifs m’auancent de paſſer chez eux. Iev. Voire dea, & ſi traictez vous la terre innocente, comme les citoyens d’elle, apres que ma faueur l’a reueſtue de robe neufue, & que ie luy ay faict produire toutes ſortes de fleurs, herbes & fruicts pour la nourriture de ſes enfans, auſſi toſt vous la deſpoüillez, & luy oſtez cruellemẽt ſa robbe, meſmes pres de l’hyuer. Vieil. Mes effects ne luy ſont pas moins neceſſaires que les voſtres. Et tout ainſi que le feigneur feit enclore dans l’arche de Noé vn pair de toutes ſortes d’animaux, afin de ſe perpetuer apres le deluge, ainſi i’enclos au ſein de la terre durant la rigueur du froid, les ſemences de ce qu’elle doit produire en autre ſaiſon : & ſi pour vn temps ie ne la rendoy eſpargnante, elle ne pourroit apres eſtre liberalle. Iev. Voila comment vous eſtes cauſe de ſa chicheté, ainſi que moy de ſa liberalité : c’eſt ce qui vous rend odieuſe, & qui me faict tant agreable. Or voyez donc, combien l’on me doit preferer à vous. Vieil. Mon Dieu que vous auez de gloire, & ne ſçauez vous pas bien que nous ſommes creatures d’vn meſme Createur, qui nous a faict venir au monde toutes deux pour meſme fin ? Iev. Ie ſçay bien cela mais de toutes les parties qu’on trouue en vn tout, il y en a touſiours de plus excellentes les vnes que les autres, voire iuſques au corps humain on dict le cœur, & les poulmons eſtre parties nobles, à la difference de la ratelle, & du foye. Quant aux exterieures, ce ſeroit mal faict de comparer la main, & le pié, à l’œil & la bouche, pere & mere de la Philoſophie : auſſi ne voudrois-ie pas faire comparaiſon de vous à moy, bien que nous ſoyons toutes deux à vn meſme maiſtre qui nous a commandé de maintenir (moyennant ſon ayde) le mõde en ſon premier eſtre, vous pour deſpecer ce que ie fay de tout voſtre pouuoir, moy pour luy donner vne force touſiours renaiſſante : ainſi ne ſommes nous iamais oiſiues. Vieil. Vrayement vous ne l’eſtes pas à parler, au-moins ſi vous auez autant de raiſon que de parolles, vous triomphez. Iev. Ay-ie dict quelque propos qui vous ſemble deraiſonnable depuis que je parle à vous ? Vieil. Ie ne ſçay, ſelon que vous expoſerez ce que vous auez dict tantoſt, ie feray iugement de vous, pourquoy appellez vous l’œil & la bouche, pere & mere de la Philoſophie ? Iev. Et vous pourquoy demandez vous, à ſçauoir le plus digne vſage de ce dont vous ne pouvez vſer : car n’ayant ny lumiere aux yeux, ny dens en la bouche, vous ne ſçauriez getter vn regard, ny prononcer vne parolle ferme. Vieil. C’eſt le ſens de la parolle qui la rend ferme, & non pas la prononciation, pource dictes ſi bon vous ſemble, ie n’oſteray point la grace de voz propos en les rediſant. Iev. Et bien donc ie le vous diray pour me deſpecher de vous : auparauant que l’on veit aucune ſcience eſcrite, l’œil eſleuant ſa clarté vers les celeſtes feux, liſoit en la carte du Ciel le pouuoir admirable du Createur de l’vniuerse : de là ſ’engendra, la Philoſophie qui reueillant les premieres puiſſances de l’ame, la rẽdit deſireuſe de rechercher le ſouuerain Dieu, en qui demeure la vraye ſapience : depuis ceſte ame eſtãt r’emplie d’vne infinité de belles conceptions les enfanta heureuſement par la bouche : mais Adieu bonne femme, ie m’en vois, ceſt trop demeuré en vn lieu. Vieil. Ecoutez vn peu ſ’il vo’plaiſt. Iev. Ie ne puis. Ô la belle troupe de filles que voila ie me vay ranger entr’elles. Vieil. C’eſt vne choſe eſtrange de voir que tout le mode me fuit ainſi pour ſuiure la ieuneſſe, meſme ceux qui ne l’ont pas en eux, la cherchent en autruy encores qu’elle les fuye : ils n’ont point ſouuenance de ce qui eſt dict par le Sage, Que trop mieux vaut le chien viuant que le lyon mort, ieuneſſe eſt morte pour eux, ils ne la ſçauroient iamais recouurer, & moy ie ſeray touſiours viue pour les conduire entre les mains de la Parque. Or ce-pendant que mon aduerſaire eſt careſſee de toutes ces belles Dames, ie m’en vay cacher en quelque lieu ſolitaire, attendant que ce ſoit à mõ tour d’ẽ receuoir les faueurs, ie voy là vne Egliſe où il ne paroiſt aucũ, il vaut mieux que ie m’y range pour dire mes oraiſons ſans crainte que perſonne m’y vienne chercher, veu ma laideur horrible, dont ie veux deſcrire quelque choſe pendant qu’il m’en ſouuient, pource que bien ſouuent, i’oublie de me connoiſtre.

Ie ne m’eſtonne pas ſi ma face hideuſe
Si mes yeux enfoncez, ſi ma voix depiteuſe,
Font tant d’horreur au monde, & ne m’eſtonne pas
Si me voyant de loing tant ſale & décrépite,
Pluſtoſt que d’aprocher, chafſun ſe met en fuite
Pour ſ’eſloigner de moy plus vite que le pas.

Qui ne me hayroit, quand ma forte foibleſſe
Derobe la freſcheur de la belle ieuneſſe,
La diſpoſition des plus ſains & gaillards,
La vaillance & l’honneur des braues Capitaines,
Le pouuoir des grands Rois, que malgré eux le traines,
Les voulant enroller aux nombres des vieillards.

Si i’ay peu ruiner la haute Pyramide,
Les grands murs, le Coloſſe, & le lieu d’où ſans guide,
D’vn peloton de fil on ne pouuoit ſortir :
Le pourtrait de Iupin, le tombeau de Mauſole
Le temple de Diane, & ſi d’vne parolle,
Ie puis des plus puiſſans, la puiſſance amortir.

Doit-on ſ’eſmerueiller ſi ie ſuis ennuyeuſe,
Doit-on ſ’eſmerueiller ſi ie ſuis odieuſe,
Veu que touſiours ie pille, & ſi ne garde rien :
Ie derobe ſans fin les beautez & la grace
Que ie rends à nature affin qu’elle en reface
Et maintiene le monde en ſon ordre ancien.

Pour mille fois mourir & mille fois renaiſtre
Rien pourtant ne ſe perd, toute choſe a ſon eſtre,

En eſprouuant touſiours ſes diuers changemens,
Mais ceux que le plaiſir, douce ame de la vie,
Entretient & cheriſt me rendent plus haie
Refuſant d’obeyr à mes commandemens.

Iev. Maintenant que la vieilleſſe eſt abſente de moy, & qu’elle ne peut me reprendre d’aucune choſe que ie die, ie veux conter à ces Dames quelque ſecret que i’ay apris d’elle : mais toutesfois on dira que ie ſuis vne grande babillarde qui tire les propos des vns pour les redire aux autres, ie penſe que ie feray mieux de ne le dire point qu’a moy : doncques ie proteſte de le celer à tous ſ’il m’eſt poſſible, fors qu’à ma penſee.

Ie ne l’ay dit qu’à moy, & ſi ie me deffie
Que moy meſme vers moy face tour d’ennemie
Declarant vn ſecret que i’ay pris ſur ma foy :
Ie ne le diray pas, mais le pouray-ie taire ?
Doncques ie le diray : mais ſe peut il bien faire
Que ie vueille trahir mon penſer & moy ?

Or ſus ie le diray, non feray ha ie penſe
Que ne le diſant point ie perdray patience,
Si ie le dy auſſi, i’y auray grand regret :
Si ie ne le dy point, ie ſeray en grand peine :
Mais quoy ? ſi ie le dy ie ſuis toute certaine
De ne pouuoir iamais rappeller mon ſecret.

Ie ne le diray point de pœur de m’en deſdire,
Vrayement ie le diray, cela que peut il nuire ?
Ie ne le diray point de pœur de m’en faſcher.
Ie le diray pourtant, qu’eſt-ce que i’en doy craindre ?
Ie ne le diray point, il faut aprendre à feindre,
Vn fecret perd ſon nom qui ne le peult cacher.

Dialogue de Vertu & Fortune

Vertv.


Bon iour Fortune, il y a long temps que ie vous cherche pour vous ſupplier de faire quelque choſe en ma faueur. For. Ie ne vous cherche point Vertu, ny ne veux rien faire pour vous, car vous auez accouſtumé d’empeſcher tous mes deſſeins & de ruiner vne grand partie de mes ouurages. Ver. Eſcoutez, or ſi ie vous cherche, ce n’eſt pas que i’aye beſoing de vous, ie m’apuie de toutes parts ſur moymeſme, ſans flechir d’vn coſté ny d’autre, & pource ie n’ay que faire d’vn ayde eſtrãgere. For. Vous ne deuiez donc point employer vainement voz pas pour me venit trouuer puis que vous n’auez que faire de moy. Ver. Ie n’ay que faire de vous, mais i’ay affaire à vous pour vous preſenter vne requeſte qui vous fera autãt honorable qu’à moy agréable ſ’il vous plaiſt de l’accorder. For. Et qu’eſt-ce. Ver. C’eſt que ie vous prie de traicter doucemẽt ceux qui me fauorifent & vous en ferez doreſnauant beaucoup plus eſtimee. For. Vrayemẽt vous aurez bõne raiſon de vouloir reformer les abus. Allez allez, gouuernez vous à voſtre fantaſie & me laiſſez gouuerner à la miẽne. Ver. Les Egyptiẽs auoient vne loy. For. Ie n’ay que faire d’eux ny d’elle, & m’eſtonne commẽt vous vous en ſouciez, veu qu’ils ont faict ſi peu de cõte de vous.Il me ſouuient que i’enfermay Seſoſtris dans vne maiſon où il eut bruſlé ſans vous qui conſeillaſtes à la Royne ſa femme de le ſauver par la perte de ſes enfans, & toutesfois elle ne vous feit point apres édifier vn temple comme les Romains à la fortune feminine pour l’amour de Volumnia. Ver. I’edifies mes temples ſactez dedans les ames vertueuſes, & ne demande autre ſacrifice que la volonté mais ſ’il vous eut pleu tantoſt de me preſter lavoſtre, ie vous euſſe raconté vne loy d’Egypte laquelle condamnoit en peine ou amende celuy qui voyant faire mal ne ſe mettoit en deuoir de l’empeſcher. Voila parquoy i’eſſaye de vous adoucir enuers les bons, affin que vous ſoyez plus humaine à leur humanité. For. Mais ie vous prie aller entretenir diuinement la diuinité de ceux qui vous ont en reuerence, vous ne ſerez pas fort empeſchee à contenter ſi peu de gens : quant à moy ie veux touſiours prendre mes plaiſirs accouſtumez tournant inceſſamment ma rouë, ie veux abaiſſer les plus grands comme i’ay faict Dyoniſius, ie veux hauſſer les plus petits comme i’ay fait Agatocles, ie ſuis Royne des hommes & veux diſpoſer d’eux entierement, ceux meſme qui vous obeiſſent, encores ſont ils ſubjects à moy. Ver. Ouy bien leurs richeſſes, mais non pas leurs perſonnes. For. Ie puis diſpoſer de leurs vies autant que de leurs biẽs, ie fey precipiter Ægee dedans la mer, pource que la nef de ſon fils n’auoit point changé de voile, & ſauuay Arion le tirant des ondes impetueuſes en vn port de ſalut. Ver. Encores que vous ayez puiſſance ſur les richeſſes & la vie, vous ne commandez pas à la raiſon. For. Ha vrayement ie la vous quitte faictes en bien voſtre profit, ie penſe que vous n’aurez pas beaucoup de ſectateurs. Mais ie vous prie regardez voz pieds vous les voirrez apuyez ſur vn cube dont la forme ſe raporte à vn element ſeul, & ſi pourrez voir tournãt les yeux vers moy que ie ſuis eſleuce ſur vne boule ronde faicte à l’imitation de tout ce grand vniuers : Ces deux figures montrent cõbien mõ pouuoir eſt plus que le voſtre, puiſque ie maiſtriſe preſque tout le monde & que vous n’en auez pas la quatrieſme pattie à gouuerner. Ver. Ie ne doute point de voſtre puiſſance, mais ie ſuis marrie dont pouuãt faire ce qu’il vous plaiſt vous faictes mal pluſtoſt que bien. For. Ie tiens pour bien tout ce que ie fay, puiſque ie le veux, mon plaiſir eſt ma loy. Ver. Mon deuoir eſt la miene, eſcoutez, que ie parle à vous. For. Ie n’ay pas loiſir. Ver. Demeurez vn peu ſ’il vous plaiſt. For. Ie ne veux point, laiſſez, vous me ferez tõber. Ver. Nõ feray dea ie vous ſouſtiendray ? Or voyez comment vous auez tantoſt expoſé à voſtre aduantage, ce qui vous eſt deſauantageux : car eſtant ſouſtenuë par vne boule ronde, & vn baſton rompu, vous eſtes à toute heure en danger de tomber. For. C’eſt tout vn, ie repren touſiours nouuelle force en tombant comme faiſoit Anthee, mais voſtre pillier eſt plus ſeur que le mien : Ouy vrayemẽt ie ne le ſçaurois faire tomber. Ver. C’eſt pource qu’il eſt faict à la ſimilitude des autels. For. Si eſt-ce que les autels ſont bien quelques fois abbatus, le pays de Poëtou en rend bon teſmoignage principalement ſa maiſtreſſe ville, où il n’en reſta pas vn en ſon entier. Ver. Helas vous dictes vray. For. Ils furent demolis en deſpit de moy, pource que bien ſouuent ils me ſeruoyẽt d’appuy, ceux qui les ruinerent eſtoyent ennemis des vertus & des lettres, ils auoyent ſeulemẽt ie ne ſçay quel vain maſque de religion apparente moins religieuſe en effect que celle qu’ils monſtroient de vouloir reformer : auſſi feirent ils bien connoiſtre qu’ils eſtoient guidez par auarice, & non point par deuotiõ : car ils ſ’adreſſerent premieremẽt aux threſors faignant de vouloir retrancher les ceremonies, comme celuy qui voulant corriger la pompe d’Apollon, & celle d’Eſculape, oſta la robe de l’vn, & la barbe de l’autre : mais ie prie Dieu que ce qu’ils deroberent dans cette pauure ville leur ſoit comme l’Or de Toulouſe, aux ſoldats de Cépio. For. Ie ſuis bien contẽte qu’il aduiene ainſi quand ie les auray eſleuez vn peu plus hauts, afin que le ſaut leur ſoit plus difficile à prendre. Ver. Non ie vous fuplie, ne les abuſez point d’auãtage, vous auez trop fait pour eux, auſſi bien ne vous en ſçauẽt ils point de gré, mais aidez moy doreſnauãt à deffẽdre Poëtiers ; ie ne ſeray pas enuers vous ingrate de ce plaiſir, & fuiuant la couſtume des Spartins ſacrifiõs aux Muſes eſperant que noſtre bien-faict ne fera pas enſeuely dedãs l’oubly. For. Ouy, mais de tout ce que nous ferons de bien l’honneur vous en ſera dõné & ie demeureray ſans louange. Ver. Nõ feray ie vous en aſſeure, tout ainſi que les anciens auoient apris de faire vn meſme temple à Pollux & Caſtor, encor’que Iupiter fut pere de l’vn, & Tyndare de l’autre, ainſi veux ie que nous ſoyons honorees toutes deux enſemble, combien que ie me reconnoiſſe pour la treſ-aymee fille de Dieu, & vous pour ſa ſeruãte. For. C’eſt la raiſon que l’obeiſſe à la fille de mon maiſtre : mais fortune peut elle faire quelque choſe de raiſonnable. Ie crain demeurant auecque vous de perdre mon nom & d’oublier mes effects ordinaires. Ver. Ha que vous n’auez garde, auſſi bien ne vous ay-ie pas cherché à ceſte intention, c’eſt pour m’ayder à garder Poëtiers que ie vous demande, & pour eſtre nuiſante à ceux qui luy voudroyẽt nuire : Car faiſant mal ſelő voſtre aduis à ceux qui luy en veulẽt faire, vous ferez biẽ : cõduiſez dõc toutes leurs entrepriſes au rebours de ce qu’ils deſirent : cependant venez ouyr vne Oraiſon que ie veux preſenter à Dieu, & vous l’accõpaignerez d’vn autre ſ’il vous est agreable.

Ô ſeigneur dont la prouidence
Tient tout en ſon obeiſſante,
Preſtez nous, Dieu ſouuerain,
Voſtre heureuſe & puiſſante main.

Afin que nous puiſſions deffendre
Ce peuple icy qui veut eſpandre
Sa vie, ſon corps & ſon cœur,
Sacrifiez pour voſtre honneur.

Ayez ſoing des femmes gentilles,
Gardez bien les pudicques filles,
Preſeruez les hommes auſſi
Qui de voz bontez ont ſouci.

Si quelque ennemy ſe trauaille,
Pour ruiner noſtre muraille,

Si quelcun cherche les moyens
De ſurprendre noz Citoyens.

Accablez le de la tempeſte,
Qui punit la pariure teſte
Et le cœur ſuperbe & felon
De l’incredule Pharaon.


I’ay dict, fortune, vous plaiſt il de dire ? For. Ouy dea ie ſuis contente de vous accompaigner à ſi bon œuure.

Dieu qui ſans eſtre meu, mouuez tout ce grãd mõde,
Conduiſant arreſté, la courſe vagabonde
De tant de feux luiſans, ornement de voz Cieux :
Regardant aſſeuré, tous les hommes en craincte,
Plaiſe vous d’exauſer vne priere ſaincte
Qui procede d’un cœur humble & deuotieux.

Seigneur bien que ie fois inconſtante & volage,
Si eſt-ce que ie rends continuel hommage
À voſtre maieſté reconnoiſſant touſiours
Que de vous ſeul ie tiens mon ſceptre & ma regence,
Qu’il vous plaiſt de me voir conſtante en inconſtance,
Et me nommer Fortune au variable cours.

Si mes faueurs eſtoient de plus longue duree
La foy que l’on vous doit ſeroit mal-aſſeuree,

L’on ne penſeroit plus que vous fuſſiez l’Eſtant,
L’on oubliroit du tout à vous faire ſeruice
Ce monde deuiendroit eſcole de tout vice,
Voila pourquoy ſeigneur, ie change en vn inſtant.

Ie me monſtre parfois & ſuperbe & maligne,
Ie deuien tout ſoudain gracieuſe & benigne :
Mais tout ce que ie fay c’eſt pour vous obeir,
Pourueu que ie vous ſois humble & obeiſſante :
Ie veux que l’on m’apelle & traitreſſe & meſchante
Et ne me deplay point de me faire hair.

Ô Dieu ſi mes effects vous ſont pour agreables,
Accordez ſ’il vous plaiſt mes requeſtes ſemblables
À celles de Vertu : vueillez mettre à repos
Noſtre pauure Poetiers, & ſi quelcun ſ’apreſte
De l’oſer aſſaillir, qu’il ſente ſur la teſte
La tuile que Pyrrhus ſentit dedans Argos.


Et bien. Vertu, eſtes vous ſatisfaicte ? Ver. Ouy en partie, & le ſeray du tout ſ’il vous plaiſt auſſi bien faire que bien dire. For. On diroit que vous eſtes en deffiance de moy. Ver. Non ſuis, car voſtre deſaſſeurãce m’aſſeure, vous auez accouſtumé d’arreſter fort peu de temps en vn poinct, ſi bien qu’ayant deſia faict beaucoup de mal à noſtre Poëtiers i’eſpere qu’à l’aduenir vous luy ferez meilleure. For. Mais pourquoy en eſtes vous ſi curieuſe. Ver. Pource que ie ſuis reueree de quelques vns qui demeurent dedans. For. Ie croy qu’ils ne ſont pas en grãd nombre. Ver. Le nombre des bons n’eſt iamais grand, auſſi dict on que celuy qui veut demeurer auec les vertueux cherche la ſolitude : or combiẽ que ie ſois honoree de peu, ce peu vaut beaucoup. For. Quant à moy ie ne penſe eſtre aymee de perſonne du monde, ceux meſmes auſquels ie fay le plus de biẽ ont opinion qu’il eſt tout cauſé par leur propre valeur, comme ce Capitaine Grec à qui ie rendoy les villes pendãt qu’il dormoit, & toutesfois il me deſauoüa, diſant que ie n’auoy point de part en ſa victoire, mais je me vẽgé bie de luy, car depuis il n’executa beau fait. Ver. Vous fraudez bien ſouvent l’eſperance de ceux qui vous ayment, cela eſt cauſe dont quelques vns d’entre eux diſſimulent l’affectiõ qu’ils vous portent, pource qu’ils ne ſont point aſſeurez à quelle fin ils ſeront conduits par vous, de moy ie reçois tous ceux qui me cherchẽt quand bien ils m’auroient depriſee, comme Polemõ, ie ne laiſſe pas de leur tendre la main. For. Pource que vous auez touſiours eſté bonne, vous pouuez ſeurement demeurer telle, ie voudroy bien maintenant vous enſuiure ſ’il eſtoit en mõ pouuoir, mais je crain ſi ie me depoſe de mon autorité, pour deuenir meilleure d’eſtre plus iniuriée que Sylla quand il ſe fut démis de la Dictature, & de receuoir maintes offences de ceux qui penſent eſtre offencez par moy. Ver. Ô Fortune mamye, ſ’il vous plaiſt d’amender d’oreſ-nauant voſtre condition, que ie vous conduiray biẽ en vn lieu de ſeur accez, où vous ſerez humainement receue par vne excellente perſonne qui me fauoriſe beaucoup, vous ſerez là ſauüee de tous dangers demeurant aupres de moy, & n’aurez plus la peine de tourner continuellement vne roue, comme le miſérable Ixion. For. Ma peine m’eſt agreable, & me ſemble que vous deuriez pluſtoſt dire que ie tourne ma roue, cõme les intelligẽces font tourner les Cieux. Ver. Le mouuoir des cieux eſt proufitable & celuy de voſtre roue dommageable : ainfi l’vn eſt bon, pource qu’il ayde & conſerue, l’autre mauuais, pource qu’il gaſte & ruine. For. Si ne pouuez vous nier que faiſant mal aux vns, ie ne face bien aux autres, tout ainſi que le ſoleil, lequel donnant le iour à ceux qui nous ſont oppoſez nous faict les nuicts par ſon abſence, mais ie voy bien que c’eſt, vous eſtes enuieuſe ſur mon pouuoir, pource que ie fay bien & mal, & vous ne pouuez faire que l’vn des deux. Ver. Si i’eſtois enuieuſe ie ne ſerois point Vertu, car l’enuie en vn grand vice, n’ayez donc point telle opinion de moy ſ’il vous plaift, & ne penſez point eſtre digne de plus d’eſtime pour faire bien & mal, l’ennemy du genre humain ſeroit en cela de moitié de loüange auec vous : quantà ce que vous m’arguez m’arguez d’impuiſſance diſant que je ne puis faire mal, ie prens, vn tel blaſme pour loüange, & ſi nous demeurons quelque tẽps enſemble i’eſpere que vous connoiſtrez mon pouuoir, mon deuoir, & mon vouloir, eſtre tellement vnis qu’ils ne ſeront iamais ſeparez. For. La douceur de voz propos m’a ſi bien gaignee, que ie voudroy n’eſtre iamais ſeparee d’aivec vous. Ver. Vous ferez bien de fauoriſer quelquesfois de voſtre preſence ceux qui me chaſsẽt, affin qu’ils ne ſoiết pas mal-heureux de tout poinct. For. Ha ie proteſte de n’aymer jamais ceux qui vous haisſent, & ſi pour vn temps ie me montre amiable enuers eux, ce ſera pour leur faire ſentir apres ma rigueur plus aſpre. Pour ce dés maintenãt menez moy où bon vous ſemblera, & vous aſſurez que ie n’ay rien de plus cher en ce monde que le deſir de vous obeyr. Ver. Pour cette heure gardons Poëtiers comme nous auons deliberé, cependant il ſe preſentera quelque bonne occaſiõ pour vous offrir a l’excellence dont ie vous ay parlé, laquelle nonobſtant voſtre defaueur eſt montée par mon moyen iuſques à vn tel degré, que voſtre grãdeur ne ſçauroit pas beaucoup accroiſtre la ſienne. For. Il ne faut donc point que ie me preſẽte là de pœur d’eſtre meſpriſee. Ver. Mais vous en ſerez plus digne de prix ; car vous gaignerez de l’honneur en donnant du profit, & poſſible que vous reſiouiſſant d’vn ſi beau gain vous aurez enuie d’vſer touſiours de vous meſme par diſcretion, eſleuant les plus vertueux. For. À la verité ie me fay tort de fauoriſer les hommes de peu de valeur, mais afin qu’il ne m’auienne plus de faillir ainſi, ie veux doreſnauant ſuiure voz pas, ſçachant bien qu’il vaut mieux eſtre guidee par vn clair voyant, que de conduire vn grand nombre d’aueugles.


Dialogue de la Main, du Pié & de la Bouche.


MOn Dieu que i’ay d’occaſions de me plaindre de mon maiſtre, ie trauaille tant ordinairement pour luy, & toutesfois il faict ſi peu de compte de moy, que ſans me donner aucun habillement il me fait demeurer l’eſté au chaud, & l’hyuer au froid, encore ce villain Pié eſt ſi bien accouſtré. Le P. Vrayement i’euſſe eſcouté patiemment ta plainte, eſſayant de te reconforter, mais ores ie te connoy ſi malicieuſe, que tu te lamente plus de mon heur que de ta miſere. La M. Ha mignon, que tu parles bien à ton aiſe, cependant que ie trauaille tous les iours à filer la laine ou la ſoye, dont tu es veſtu, ou bien à deſcouper les eſcarpins, dans leſquels tu fays les caprioles deuant les Dames. Le P. Comment ne me reprocherois tu mes fautes, ſi tu ne les pouvois connoiſtre quand meſme tu me reproches ce que ie fay de bien ? Or dy moy ſ’il te plaiſt, qui t’aporteroit la leine, la ſoye, & l’or ſi je ne te l’allois querir ? La M. Qui rendroit l’or clair & pur ſinon moy, qui ſuis maiſtreſſe des arts ? Le P. Dy que tu en es ſeruãte, afin de parler plus ſeurement : car l’eſprit les inuente, & te commãde de les executer comme il luy plaiſt. Ainſi tu ne fais rien que par obeiſſance, tes actions ne ſont point guidees par diſcretion ny par raiſon qui ſoit en toy. La M. Et que ſçais-tu que c’eſt de raiſon toy qui es tant eſloigné d’elle, je croy que nature voyant combien tu luy eſtois contraire, la voulut rãger en l’vne des extremitez du corps, & toy à l’autre. Le P. Ce fut pour t’en priver du tout, tu as bien ouy dire comment les ardens raiz du soleil eſchauffent la terre quand il eſt vis à vis du Cancre ou du Lyon : cependant toutes les froideurs ſe retirent en la moyenne regiõ de l’air, ainſi la raiſon qui eſt le ſoleil de l’homme demeurant au Ciel de ſon cerueau, eſclaire tous mes effects, & toutes les folies ſe retirent en toy ou apres de toy : Quel pié, hormis celuy de Philoctete, feit jamais perdre la vie à ſon maiſtre ? où il ſ’eſt trouvé mille mains qui ont faict perdre mille vies à mille hommes, & beaucoup d’autres fuſſent peris par la faute de leurs mains ſi ma diligence ne les euſt ſauuez. Pource doncques ne trouue point eſtrange ſi l’on me faict plus d’honneur qu’à toy, ſouuiens toy que Mercure a des Talonnieres dorees & ne porte point de gans. La M. O meſchant ! oſe tu bien te comparer aux ailes d’vn Dieu toy qui faiſois n’agueres du Philoſophe, ne ſçais tu point que ceux qui ſ’eſleuent ſeront abaiſſez ? Le P. Au fort, on ne me ſçauroit mettre plus bas que ie ſuis, mais ie te prie de n’eſtre plus enuieuſe ſur mon eſtat, conſidere que ſi l’on me donne chauſſes & ſouliers ce n’eſt pour ornemẽt, ſeulemẽt c’eſt pour me preſeruer des fanges, des pierres & des eſpines qui ſe trouuent aux chemins. Auſſi le maiſtre à qui nous ſõmes doit auoir grand’crainte de me perdre : car il n’a partie ſur luy qui luy ſoit plus neceſſaire que moy. La M. Ie veux bien que tu saches que je luy fay plus de beſoing que toy, il ne ſçauroit porter vn morceau dans la bouche, ſi ce n’eſtoit par mon moyen. Le P. Qui va querir de quoy manger ſinõ moy ? La M. Et pẽſes tu que pour quelque neceſſité ie ne me meiſſes pas bien à cheminer ? Le P. Eſſaye ? La M. Ie le veux. Le P. Mais tu demeureras donc en bas comme moy ſouſtenant tout le corps par la force de tes bras comme ie l’ay ſouſtenu. La M. Ie l’entẽs ainſi. Le P. Si n’eſt il point bon de ſe meſler d’vne chose qu’õ ne ſcait pas faire, donne toy garde ie te prie qu’il ne t’auienne comme à Phaëton quand il voulut cõduire le char emprunté. La M. Tu faiſois tantoſt cõparaiſon de toy à Mercure & maintenant tu te compares au Soleil. Le P. Nõ fay point, mais ie te compare à ſon fils : or voyons donc comment tu te porteras en ton nouveau meſtier : ô Dieu que tu trauaille ! ô Dieu que ie crain que tu me faces prendre le ſaut ! La M. Non feray, non, tiens toy bien ſeulement. Le P. Eſcoute qui eſt-ce qui nous menace. La M. C’eſt la bouche de noſtre maiſtre, mon Dieu que ferons nous, La B. Et qu’eſt cecy, qu’eſt cecy, quel meſnage faictes vous canaille que vous eſtes ? Voulez vous peruertir l’ordre du Createur qui nous a mis les yeux en la plus haute partie de nous, afin que par eux nous viſſions ſes plus excellentes œuures : ſus ſus que chaſcun de vous ſe range en ſa place accoutumée & me dittes qui a commencé ce deſordre. Le P. C’eſt la main, qui ſe plaignant de ſa conditiõ enuie l’honneur que vous me faites. La B. Mais qu’eſt-ce qui luy manque pour ſon traictemẽt à cette ingrate ? le Seigneur à qui nous ſommes n’est pas pluſtoſt leué, qui la paſſe ſur la teſte qui eſt la plus noble partie de luy, & bien ſouuẽt luy faict tenir vn peigne d’yuoire pour luy agencer les cheueux. La M. C’eſt pour luy faire ſeruice. La B. Se trouuant aux cõpaignies des ſçauans ou des ſeigneurs, tout ce qu’il voit de remarquable il le declaire à ſa main qui bien ſouuent le met par eſcrit. La M. C’eſt pour luy faire honneur. La B. S’il voit quelques belles Dames il veut que ſa main leur oſte le chapeau en les ſaluant. La M. C’eſt pour luy faire plaiſir. La B. S’il eſt au temple il leue ſes mains vers le Ciel pour faire ſes oraiſons. La M. C’eſt pour adoucir Dieu enuers luy. La B. S’il eſt à table la main eſt touſiours la premiere au plat. La M. C’eſt pour ſon proffit. La B. S’il eſt couché au lit la main eſt le plus du temps ſur ſa poictrine. La M. C’eſt pour ſa ſanté. La B. S’il eſt aporté de l’argent elle eſt la premiere à le toucher, le conter, & le ſerrer ſouz la clef, comme ſeule gardienne, ſi bien que nous autres n’en pouuons auoir que par ſa grace. La M. Il faut que mon maiſtre ſe ſerue de moy en cela, pource que nul autre de vous eſt propre à cet office : mais vous ne contez pas auſſi que bien ſouuent je ſuis employee aux choſes les plus viles & deshonneſtes que lon ſçauroit penſer. La B. Mais vous ne cõtez pas auſſi que vous eſtes incontinent lauee & parfumee d’eau de ſenteurs. Et je vous ſupplie puiſque vous ſongez tant aux maux que vous auez, penſez auſſi vn peu aux biens que vous receuez tous les iours, ne vous ennuyez point de voſtre fortune preſente, mais eſſayez de la rendre meilleure & ſans enuyer les accouſtremens du pié que vous meſme luy auez donnez, regardez d’en prendre pour vous, nous en ſerons tous biẽ aiſes car nous deſirons viure en paix ſçachant bien que les querelles des citoyens cauſent la ruine d’une ville, auſſi les debats qui pourroiẽt aduenir entre nous cauſeroient la perte de noſtre maiſtre. Ayõs donc eſgard à ſon profit plus qu’au noſtre particulier, & nous aſſeurons que le bien de luy ſeul est celuy de nous tous. Le P. Vrayement nous deuons croire ce que nous dict la Bouche. La M. C’eſt vn grand cas que tu veux touſiours parler ſans qu’on t’en demande. La B. Pié, ce n’eſt pas la raiſon que vous entreprenez rien ſur elle, vous deuez penſer que vous luy eſtes inferieur : & vous Main, bien que vous ſoyez plus haute, n’en deuenez pourtant plus audacieuſe, car vous eſtes ſerue auſſi bien comme luy : reconnoiſſant donc que vous eſtes d’une meſme condition aidez vous l’vn l’autre, & vous accordez amiablement enſemble. La M. Je suis contente de ſuivre doreſnavant voz bons enſeignemens, & vous remercie de la peine que vous auez priſe pour accorder noz debats, ie ne veux plus quereller auec toy Pié mon compagnon, & ſi tu as affaire de moy, je ſuis à ton commandement ſoit pour te lauer, ou pour te chauſſer. Le P. Ha ie vous remercie humblement, je ſuis bien aiſe dõt vous eſtes en ſi bon propos, quant à moy vous me trouuerez touſiours preſt pour voſtre ſeruice, ſ’il vous plaiſt faire prouiſion de gans ou d’ãneaux. La M. Bien, bien ie le veux mais que la Bouche ait ordonné du pris, car ie ne veux rien faire que par ſon conſeil.

Dialogue de la Pauureté & la Faim.


IOuy dire l’autre iour que Iupiter faiſoit vn bancquet aux nopces d’vne Nymphe qu’il a d’autre fois aimee, & biẽ que ie n’y euſſe pas eſté conuiée ſi me mis-je en chemin pour y aller pẽſant que ie trouuerois aux dernieres tables quelque lieu pour te renger, Faim mamie. F. À quoy tint il dõc que vous ne m’appellaſtes pour vous y accompagner ? P. Ie vouloy ſçauoir quel il y faiſoit premierement, craignant de t’y mener en vain. F. Comment fuſtes vous receuë ? P. Helas le plus mal du monde, tout auſſi toſt que ces Dieux & Deeſſes m’aperceurent, ils commencerent à fuyr ſerrant leurs ioyaux : Iupiter cacha ſon ſceptre Venus ſa ceinture, Mercure ſes Talõnières, Apollő ſa Harpe, & Amour ſes traits : diſans tous que Pauureté eſtoit mal ſeure. F. Et quoy ? Amour vous craint il, ſçait il pas bien que vous eſtes ſa mere ? P. Ha mamie il feint de ne le ſçauoir pas, il fut le premier à dire en me chaſſãt que ie troubloy toute la feſte, & que ſa fille Volupté ſeroit contrainte de ſ’enfuir ſi ie demeuroy lõgtemps là, pource qu’elle & moy ne pouuons nous accorder enſemble. P. Amour ne vouloit pas que vous fuſſiez reconnue pour ſa mere. P. Auſſi ne l’euſſe-je pas dict. F. Penſez vous qu’il eut eſté en voſtre puiſſance de le taire ? vous l’euſſiez auoüé voſtre fils, & ſes ſubiects l’é euſſẽt à iamais deſpriſé : car vous n’auez point de vaiſſeaux d’or à luy donner pour fondre vne ſtatue ſemblable à celle du Roy Amaſis. P. Il eſt vray que ie n’ay pas l’or à commandement, mais i’ay bien quelquesfois la raiſon qui m’empeſche de dire ce qu’il faut taire. F. Si dict on communément que les femmes abondent en parolles, & manquent de raiſon. P. Qui dict ce propos ſinon des hommes lourds & groſſiers ? leſquels n’oſans frequenter les femmes gentilles & bien appriſes, de crainte qu’elles les eſtiment tels qu’ils ſont, cherchent bien ſouuent celles qui plus leur reſſemblent, & par l’importunité de leurs folles queſtions les contraignent de reſpondre moins bien qu’elles n’ont couſtume de faire en leurs propos communs : puis apres ils faignent d’auoir opinion que toutes parlent de meſme, & qu’elles ne ſçauroient ſi peu dire qu’il n’y en ait trop : mais ie n’ay guères veu de femme qui par ſes leures ſoit perie, où il ſ’eſt trouué vne infinité d’hommes, qui pour auoir trop cauſé, ont cauſé leur ruine. Si la Lyonne d’Athenes n’euſt apris à ſe taire aymant mieux trencher ſa langue que declairer ceux qui vouloient eſtaindre la tyrannie, elle n’eut pas merité ſtatue de Bronze, dont elle fut honoree apres ſa mort. F. Vous parlez de l’antiquité, peut eſtre qu’il ne ſ’en trouue point maintenant de ſi parfaicte, cõme celle que vous venez de nommer. P. Dieu vueille qu’il ne ſ’en trouue iamais qui rende vne ſi miſerable preuue de ſon vertueux ſilence, mais croy aſſeurément que celles qui parlent bien ſe ſcauent bien taire auſſi, & que l’on en peut voir au monde d’autant excellentes qu’il y en eut iamais. F. Dictes moy ſ’il vous plaiſt qui elles ſont, & en quel nombre. P. Le nombre en eſt ſi grand que ie ne le ſçauroy nombrer, toutesfois ie connois vne qui ſeule a plus de grace que toutes les autres enſemble, & parlant de celle là c’eſt parler de toutes celles qui méritent quelque louange. F. Qui eſt ſon nom ? P. Ie le veux voiler de l’honneur du ſilence, craignant en le diſant de le prophaner, te ſuffiſe d’entendre par moy qu’elle ſe rend admirable par la vertu de ſes mœurs, la gentilleſſe de ſon eſprit la grandeur de ſon ſçauoir, & la douceur de ſes propos. F. Parlez vous ſouuent à elle ? P. Quelques fois à ſon huis. F. Entrez vous point en ſa maiſon ? P. Non pas pour y demeurer, car ie luy ſerois ennuyeuſe, & ie ne veux pas la moleſter, quand biẽ il ſeroit en mon pouuoir : mais comme il aduint à mon fils lors qu’il voulut bleſſer les Muſes que les voyant ſi ententines à diuers empeſchemens il perdit tout courage de les offencer : ainfi moy regardant de loing les honneſtes exercices de cette vertueuſe Dame, ie perds toute volonté de luy porter nuiſance, pource que ie reconnoy en elle grande partie des excellentes conditions de mon ancien hoſte Ariſtide : il eſt vray que ie ſuis preſque autant haye d’elle que ie fus aymée de luy, & toutesfois je ne laiſſe point de l’honorer. F. Puis que vous auez ſi peu d’accez vers elle, à grand peine y ſerois-je receuë. P. Ha vrayment ie ne te conſeille pas d’y aller, elle ſçait cõmander à toy & à toutes autres paſſiõs : F. Ô que ie hay la rencontre de telles perſonnes craignãt d’y trouuer le repas d’Epimenide. P. Elle dict communément que vertu ſans fortune eſt trop debile, & fortune ſans vertu trop volage, pource elle les inuoque toutes deux enſemble, afin d’eſtre preferuee de toy & de moy. F. Bien, laiſſons la doncques en paix, & regardez quel logis il vous plaiſt de prendre pour aller diſner. P. He Dieu où veux tu que i’aille ? ie ſuis tant foible que ie ne puis me ſouſtenir. F. De moy ie ſuis fort diſpoſe & marche bien allégrement, allons nous en chez Porus, peut eſtre qu’en faueur de voſtre commun fils, il nous fera quelque bien. P. Mamye il ne faict point ſemblant de me connoiſtre, ny de m’auoir iamais veuë. F. Peut eſtre ne luy ſouuiẽt il pas d’auoir eu voſtre accointance, mais dictes luy maintenant, la memoire luy en pourra bien reuenir, au moins ſ’il n’eſtoit yure. P. Il n’eſtoit pas yure non, quelque choſe que l’on die, le Nectar qui eſt vn diuin bruuage n’a point couſtume d’enyurer, comme le vin fumeux qui trouble les ſens, & la raiſon : mais comme il aduint que ceux qui furent ſurpris diſant mal du Roy Pyrrhus, controuuerent pour toutes excuſes qu’ils eſtoiẽt yures, & qu’ils en euſſent bien dict d’auantage ſi le vin ne leur eut failly ainſi Porus ayant honte dont ſa lafciueté l’auoit conduit vers moy pauure coquine : diſt qu’il auoit trop beu, voulant par cette faute donner excuſe à vne beaucoup plus grande ! F. Et bien, puis qu’il n’eſtoit pas yure, il vous reconnoiſtra donc. P. Ouy, mais il me fera chaſſer à coups de baſton, ſçais tu pas bien que les riches ſont quaſi touſiours ſuperbes ? F. Où voulez vo’ donc aller ? P. Ie veux m’aſſeoir à quelque porte comme i’ay accouſtumé. F. Maudit ſoit il qui vous y accompaignera. P. Tu y viendras ſouuẽt maugré toy encor’que ie t’en deſire bien loing, car ie m’aſſeure que c’eſt toy qui me rends ſi odieuſe. F. Mais c’eſt par vous que ie ſuis miſerable, ſi vous ne vous trouuiez jamais où je ſuis, on me ſatisferoit de meinte ſorte de viandes : P. Ha mal-heureuſe ! ne ſçais tu pas bien que les riches auaricieux te font beaucoup pire traictement que les autres ? F. Et où dois-je donc aller pauure que ie ſuis ? P. Va t’en à la Cour & te ſieds à la table des ſeigneurs. F. O, o, ils ſont trop diligens à leurs repas ; ils auroient touſiours diſné auant que ie fuſſe arriuee. P. Va doncques chez les Treſoriers. F. Ie ne le veux point, car encor que bien ſouuent ils facent grand’chere, ils ſont quelques fois ſi attentifs au jeu, que pour luy ils fraudent leur appetit de ce qui luy eſt deu. P. Va ſi tu veux voir les Iuges, & te mets dedans leurs cheres. F. Voſtre conſeil n’eſt pas raiſonnable, il faut qu’vn Iuge ait bonne ouye, & l’on dict qu’vn homme affamé n’a point d’oreilles. P. Te vaudroit il point mieux aller chez les Conſeillers ? F. Ils me conſeilleroient auſſi toſt de me retirer, vſant de leurs offices. P. Va te rãger auecque les Aduocats pour apprendre leurs harangues. F. Ils ne diroient rien de bon en ma preſence, les cornemuſes ne rendent aucun ſon quand elles ſont vuides, & les Aduocats ne peuuent biẽ plaider quand ils ſont affamez. P. Va t’en donc auecque les marchans. F. Nõ feray pas pour y ſejourner, car en peu de temps ie les rendroye ſi foibles qu’ils ne pourroient aller en marchandiſe, ny vſer de leurs trafics accouſtumez. P. Et que t’en ſoucie tu ? F. Si fay vrayement pource que tout auſſi toſt vous viendriez en campaigne, & les empeſcheriez de me faire du bien, ores qu’ils en auroient deſir. P. Penſes tu que ie te ſois tant ennemie ? F. Ce n’est pas que vous ayez volonté de me nuire mais vous leur feriez perdre le moyẽ de m’ayder. P. Ha, a, que tu fais de mines pour vne chétiue beliſtreſſe, & va va te cacher dedãs la boëte de Pandore. F. Mais vous vieille poüilleuſe, allez vous en cacher au fond du Tartare, auſſi bien ne faictes vous que dommage au mõde, encores moy ie ſuis quelques fois ſouhaitee des malades, & de ceux qui ſont degoutez : ha que ie ſuis fachee de m’eſtre quelques fois accompaignee de vous, qui eſtes la haine & l’horreur de tous les hõmes ! P. Il faut que la Pauureté ſoit touſiours humbles pource ie reſpondray modeſtement & ſans courroux, que ſi tu ne me ſuiuois iamais, ie ne ſerois pas tant haye comme ie ſuis, toutesfois puis que le ſort m’a enchenee auecque toy, il faut que i’endure patiemment les incommoditez qui me viendront à ton occaſiõ : mais ie te prie de me fuir le plus que tu pourras, ie te fuiray auſſi de toute ma puiſſance, encore aurons nous trop de temps pour eſtre enſemble dy moy, où vas tu d’icy ? F. Ie m’en vay chez les païſans de Poëtou, il ſemble qu’ils viuẽt de faim comme les autres en meurẽt, depuis que la guerre m’y mena ie n’en ay gueres bougé. P. Ce ſont mes logis ordinaires, il faut que i’y retourne auant que ce ſoit peu de temps. F. N’y venez pas ſi toſt doncques, attendez que i’aye aidé à manger leurs prouiſions, afin que n’ayant plus rien que mettre ſous la dent, ils perdent le deſir de boire, car ils ont eu cette annee fort peu de vins. P. Va que Dieu te vueille cõduire, ie n’areſteray gueres apres toy. F. Ne vous haſtez, point tất ſ’il vous plaiſt on ſe paſſera bien de vous.


Dialogue d’Amour, de Beauté & de Phyſis.


Mais qu’eſt-ce que je voy, quelle luiſante ſplẽdeur ſe fait voye au trauers de mõ bandeau ; ha vraiement c’eſt la beauté ſi ie la puis tenir vne fois, ie ne la laiſſeray pas ſortir aiſément de mon pouuoir. B. He que ie ſuis mal-heureuſe de m’eſtre venue ranger icy aupres du plus grãd ennemy que i’ay en ce monde ? Si maintenant ie ne ſuis aydée par la faueur de ſon bandeau qui me rende inuiſible à luy, ie ſuis en dãger d’eſtre priſe : O Dieu je penſe qu’il me voit, il vole apres moy, où fault il que ie fuye ? A. Où allez vous ſi toſt beauté, ie veux parler à vous ſ’il vous plaiſt, attendez moy vn peu. B. Si vous ne voulez que parler, ie ſuis preſte de vous entendre : Mais ie crain beaucoup plus voz mains que voſtre bouche. A. Puis que vous n’auez point crainte de ma bouche, prenez au moins d’elle cette aſſurance que je vous dõne, de ne vous faire point dommage. B. Par quelle puiſſance iurez vous de ne m’offencer point ? dittes affin que ie ſache en qui je me dois fier. A. Ie vous iure par mon arc. B. Et de quoy eſt faict voſtre arc ſinõ de l’Ebene de mes ſourcils, ſi vous ne craignez d’offẽſer car le tout de moy, à peine vous ſoucirez vous d’en pariurer vne partie. A. Ie vous iure donc par mes traicts. B. Voire mais où prenez vous des traicts ſi ce n’eſt en mon viſage ? A. Et bien ie iure par mon flambeau. B. Voſtre flambeau ne prend ſon ardeur, ny ſa clarté que du feu de mes yeux. A. Puis donc que ma puiſſance vient toute de vous, comment me craignez vous tant ? B. Et ne ſcauez vous pas biẽ Amour que de moy-meſme on prend les armes par leſquelles ie ſuis bleſſee ? Les lacqs dans leſquels ie me treuue ſouuent priſe ſont de mes propres cheueux deguiſez de telle forte par la poeſie des amans que les voyant ainſi bien ordonnez ie les veux prendre & me ſens priſe d’eux qui trahiſſent leur innocente maiſtreſſe, la rendant captiue entre voz mains. A. Pleignez vous donc ſeulemẽt de vous meſme, qui donnez à autruy le moyen de vous nuire, & non pas de moy. B. Ie n’aurois point occaſion de me plaindre ny de moy ny des autres, ſi ce n’eſtoit vous qui prenez en mon viſage ce dequoy vous frappez les hommes, leſquels demeurans atteins regardent d’où vient le coup, & me voyant enuironnee de traicts & d’attraits pareils à ceux qui les ont offencez, penſent que moy ſeule aye faict leur playe, & ſe veulent venger de moy ſeulement, pour ce faire prenant les traicts que vous leur auez tirez, ils me les reiettent les vns empennez de papier eſcrit, les autres de tres de courtoiſes parolles, les autres qui ont la pointe doree plus perſſante que le fer ny l’acier & toutes ces malicieuſes cautelles leurs ſont enſeignees par vous. A. Ie vous ſuplie beauté ne me donnez point le blaſme du mal qui vous auient, quant à moy ie ne penſe qu’à faire voir & admirer voz perfections : mais que n’allez vous demeurer dans ces grands Palais, vous y ſeriez plus aſſuree. B. Ha vrayemẽt ce n’eſt pas là que ie puis eſtre ſeuremẽt, Amour, il n’y a pas long temps que ie m’en allé voir la richeſſe, mais vous empliſtes incontinent toute la maiſon de Courtiſans, qui vouloient deſrober mon hoſteſſe & moy. A. Quel mal vous ſcauroient faire ceux qui vous prendroiẽt, vous eſtes Deeſſe immortelle. B. Penſez vous point que la priſon ſoit vn grand mal, bien ſouuent ie m’y trouue par la rudeſſe de ceux qui m’ont le plus humblement courtiſee, & biẽ que ie ſois immortelle en moy ; ſi eſt ce que ie ſemble perir aux ſujects où je me ſuis miſe eſtant cõtrainte de m’eſuanouyr d’eux par la violence du temps, ou par le mauuais traitement de ceux qui me tiennent. A. Voulez vous que ie vous meine chez ma mere Penie ? beaucoup de gens ne vous iront pas chercher la denans. B. Nenny, ie vous remercie, ie ne ſcaurois pas demeurer longtemps auec elle. A. Venez donc que ie vous coduiſe en quelque autre lieu. B. Ie n’ay que faire de voſtre conduite, ne laiſſez pas de vous en aller, penſez vous que ie vueille eſtre guidee par vn aueugle ? A. I’ay bien monſtré que ie ne l’eſtoie pas en vous voyant, aſſeurez-vous qu’Amour voit touſiours fort clair en preſence de la beauté, mais ceux qui ayment les perſonnes laides & par leurs folies les eſtiment belles, ſont veritablement aueugles, & me font tenir pour tel encores qu’il ſoit tres faux, comme vous auez peu connoiſtre. B. Pourquoy dõc portez vous ce bandeau ſinon pour cacher l’imperfection de voz yeux ? A. C’eſt vne de mes ruſes, afin que me voyant en tel equipage, les hommes ne ſe deffient iamais que le leur puiſſe faire la guerre. B. Comment, vous eſtes donc vn traiſtre ? ha ie m’en vay bien loing de vous A. Non ferez pas ſ’il vous plaiſt, & que vous ſert il de fuyr, vous ne ſçauriez deuancer mes ailes. B. Allez allez, ne me fuiuez point, retirez vous : mais ie pẽſe que ie vay à temps pour vous chaſſer d’aupres de moy la fille aiſnée du Createur tout puiſſant. Ouy vrayement, c’eſt Phyſis meſme, Dieu vous gard ma mere, ie vous ſuplie qu’il vous plaiſe me deliurer de ceſt importun, quelque part que ie ſois touſiours il me cherche, & iamais ne me laiffe. A. Ma bonne mere Phyſis, ſi iamais ie fey choſe qui vous pleuſt, mõtrez le vous prie de m’en ſçauoir gré, commandez à celle cy qu’elle demeure touſiours auec moy, afin que les graces me rendent plus agreable aux mortels. B. Ne permettez point cela ma mere. P. Eſcoutez mes enfãs, l’vn de vous n’a pas grand pouuoir ſans l’autre : Toy beauté tu ne ſerois iảmais bien veüe ny deſiree ſans amour, toy amour tu ne ſerois jamais priſé ny reueré ſans la beauté, Pource donc mes enfans ; que voz puiſſances ſont tant vnies, vniſſez voz volontez ; & demeurez paiſiblement tous deux enſemble. A. I’en fuis content ma mere. B. Et moy ie veux biẽ touſiours eſtre où ſera l’Amour mais ie ne veux pas qu’il ſoit touſiours auec moy. P. Comment cela ma fille ? B. Ie veux dire que jamais l’Amour ne ſe trouuera ſinõ aux endrois où il y aura de la beauté mais la beauté ſera biẽ quelquesfois aux lieux où il n’y aura poĩt d’Amour. P. Et l’Amour ne doit il viſiter q̃ les beaux ? B. Ouy biẽ ſ’il veut ma mere, ie ne m’en foucie pas, ſeulemẽt ie vous ſuplie de m’aſſigner lieu où ie puiſſe demeurer ſans luy P. Va t’en où Diane eſt adoree, & te cache ſouz le voile des ſainctes ſœurs, Amour ne te cherchera pas là. B. O ma mere, il n’ẽ bouge quaſi, ie ne ſçaurois eſtre moins aſſeuree en lieu du mõde, car la beauté moins veuë eſt plus ardẽmẽt deſiree. Mais ie m’en iray chez Pallas au-moins ſ’il vous eſt agreable, ainſi ie me ſauueray de la tyranie d’Amour par les liures, par les ouurages, & par les yeux de la Meduſe. P. Or va donc ie le veux bien. A. Et moy n’oſerois-je y aller ma mere ? P. Si tu y vas tu demeurras priſonnier, encore que tu empriſonnes les autres. A. Bien donc i’attendray qu’elle en ſorte. B. Et moy, ma mere, auec voſtre congé ie m’en iray rendre en mon temple de franchiſe.


Dialogue de Sincero, & de Charité.


EXcuſez moy ſ’il vous plaiſt (Madame) ſi ie pren la hardieſſe de vous demander part en voz bonnes graces, ce n’eſt pas que ie les penſe meriter, mais pource que ſuiuant leur nom & le voſtre, elles ſe doiuent gratuitement donner, i’ay opinion que vous m’en ſerez plus liberale, qu’à vn autre qui vous ſeroit moins prodigue de ſon affection. C. Comment Syncero, eſtes vous prodigue de la voſtre, vrayement puisque vous eſtes si mauvais meſnager ie ne veux point loger mes graces chez vous, pource qu’apres auoir dependu voſtre bien induëment, vous pourriez perdre le mien auſſi par voſtre negligence. S. Ne craignez point cela, Madame, vous ne me verrez iamais peu ſoigneux de ce qui vous appartiendra, quand il vous plairoit de me donner partie des graces que ie demande, vous en auriez pourtant l’entiere diſpoſition, car vous me poſſedez, & tout ce que je poſſede. Or pource que ie n’ay rien qui ne ſoit voſtre, & que ma ſinguliere richeſſe eſt de me perdre en moy, pour me recouvrer en vous, ayant laiſſé ma liberté dans voz beaux yeux ſoleils de mon ame, prodiguant envers vous mon cueur & mes affections, ie fay comme ceux qui pour un temps perdent la terre pour gaigner les Cieux : auſſi voz excellentes vertus & diuines beautez, m’ayant conduit au paradis de voz perfections me guident encore au Ciel dont elles tiennent leur origine. C. Vous m’eſtonnez plus de courtoiſies que de raiſons, depuis que vous avez commencé à me loüer ie n’ay ſçeu quelle contenance je deuoy tenir, ny lequel eſtoit le plus ſeur pour moy de me taire, ou de parler : si je parle, refuſant les loüanges que vous m’attribuez, il ſemblera que je vueille vous donner occaſion de conteſter d’auantage : ſi ie me tays vous penſerez que mon ſilence auouë tout ce qu’il vous plaiſt dire en ma faueur. S. Il vous ſera bien aiſé, Madame, de vous oſter de cette peine, & moy d’vne beaucoup plus grande, vous n’auez ſinon à reſpondre, & m’accorder tout ce que ie vous dy, & que ie demande. C. Pourueu que tous voz propos ſoient raiſonnables, & voſtre demande honneſte i’en ſuis contente. S. Madame, je perſevère touſiours en mes premiers propos, & ma requeſte premiere, demãdant à voz graces, puis qu’il leur plaiſt bien quelquesfois de me conduire au Ciel qu’elles ne deſdaignent non plus de me guider en terre. C. Puis que vous ne pouuez encore vous guider en terre ſans ayde d’autruy, comment vous mettez vous à vouloir rechercher le Ciel ? S. Vous en eſtes cause (Madame) car i’y ſuis conduit par vous, & vous par moy. C. Si n’ay-je point ſouuenance d’y avoir jamais eſté, mais poſſible m’en ferez vous reuenir la memoire me disant ce que i’aperceu de plus eſmerueillable en ce voyage. S. Vous n’aperceuſtes rien de ſi parfaict que vous : Auſſi pource que vous eſtiez du tout empeſchee à la contemplation de voz beautez & graces, elles vous engarderent de voir ce qui eſtoit preſente à voz yeux : quand eſt du iour je ne vous en diray point vn ſeul, puis qu’il n’en paſſe aucun que vous & moy n’y ſoyons attirez. C. Il me ſemble que vous ourdiſſez vne longue fable. S. Mais pluſtoſt ie declaire vne pure vérité. C. Contez moy ſ’il vous plaiſt ce nouveau miracle. S. Tout miracle ſe peut croire de vous (Madame.) Or ie m’en vay donc commencer à vous conter des merueilles de vous-meſme : On dict que de toutes les choſes qui ſont icy, les formes en ſont au Ciel : il y a vne Idee du bon, il y en a vne du beau, il y a vne deſtinee qui apres la prouidence de Dieu ha le ſecond pouvoir, cette cy ayant ordonné l’heure de voſtre naiſſance, quand les Planettes plus benignes ſe regardoiẽt d’un aſpect amiable, elle appella les Parques, & leur commanda de mettre ſur leur meſtier la plus belle vie qu’elles pourroient choiſir. Les trois ſœurs obeiſſantes à ce commandement, la nature par le vouloir de ſon pere y meit la derniere main, & vous formant sur le pourtraict de la plus belle idee, elle vous rendit ſi accomplie qu’elle meſme ſ’en eſmerueilloit. Mais elle fut beaucoup plus eſtonnee quelque temps après pource que l’idee de voſtre beauté, regardant de toutes parts, & n’y voyant rien qui luy fuſt ſi agreable que vous, deſirant d’eſtre touſiours en voſtre compaignie ſe lia eſtroitement en voz bras, de ſorte qu’il ne fut jamais poſſible de l’en retirer. Incontinent les Dieux ſ’aſſemblerent au conſeil pour deliberer ce qu’ils deuoient faire, les uns eſtoient d’opinion qu’il vous failloit retenir, mais la deſtinee ſi oppoſa, & Cloton auoit deſja commencé à filer : les autres diſoient qu’on vous pouuoit bien laiſſer venir en terre, puis vous en retirer ſoudain. Mais nature ne voulut permettre la prompte ruine d’vn ſi bel ouurage : car elle meſme vous amena au monde, afin d’eſtre admiree par voz excellences. Depuis les Dieux, voyant leur demeure priuee de ſon plus riche ornement plaignirent infiniment leur perte, eſſayant de la reparer par vn autre moyen, ils ouyrent dire que le fils de Venus eſtoit le plus excellent peintre qui ſe peuſt trouver, & que pour tout pinceau, il ſ’aydoit de ſon traict ſeulement, ils envoyerent querir ce petit Dieu, & luy racontant leur peine, le ſupplierent d’y vouloir remedier, venant chercher en la terre un pourtraict de ce qui leur auoit tant pleu au Ciel : auſſi toſt l’Amour ſe prepara pour obeir à ſes ayeux, mais ne trouuant à ſon gré table qui fuſt digne de tenir voſtre belle figure, il ſ’arreſta lõgtemps à regarder la ſincérité de mes pẽſees, & luy ſemblant que ie fuſſe aſſez propre pour executer en moy ſon intention, il engraua voſtre beauté ſi vivement en mon cueur que voz rigueurs, ny le temps, ny la mort l’en ſçauroient effacer : ainſi l’Amour ayant logé voſtre pourtraict dedans mon ame l’eleue au Ciel, afin que les Dieux vous regardant en elle, ne ſoient plus enuieux ſur la condition des mortels : & voila, Madame, comment par la faueur de voſtre beauté ie voiſine les Cieux. C. Ie croy plustoſt que par la faveur de voz propos vous portez mon nom au Ciel (Syncero) & que vous l’en raportez quand bõ vous semble. Or pource que vous deſirez d’eſtre eſtimé amoureux & poëte, vous pouuez feindre ſans en eſtre repris, & moy qui ne pratique ny auec la Poëſie, ny auec l’Amour, ie puis ſeurement vous ouyr ſans adiouter beaucoup de foy à voz parolles. S. Madame, puis que vous n’auez ny amour envers moy, ny foy en mes paroles, je n’ay pas occasion d’eſperer beaucoup en vous : toutesfois moins i’ay d’eſperãce, plus ie deſire qu’il vous auiene comme à voſtre Idee, & que deuenuë extremement amoureuſe de voſtre pourtraict, il vous plaiſe pour l’amour de luy de m’aymer auſſi. C. Si mon pourtraict vous apportoit tant de bien comme ie vous ay ouy dire, vous ne me feriez iamais autre requeſte, mais vous demeureriez tres-content receuant un ſi grand honneur à mon occaſiõ. S. Madame, plus ie doy, plus ie veux deuoir, afin que mes obligations ſurpaſſant tous moyẽs que i’ay d’y pouuoir ſatisfaire, me facent prendre & arreſter voſtre priſonnier. C. Et bien dõc, comme à mon priſonnier, ie vous commãde de vous taire pour recommencer à parler vne autre fois. S. Puis qu’il vous plaiſt, Madame, je m’en vays honorer le ſilence par luy meſme.


sonets de sincero a charite.



MAdame, voz beautez ſi parfaictement belles
Sont nees dans le Ciel, mais pource que les Dieux
Vous alloient regardant d’vn œil trop curieux
Brulant dans la clarté de voz flames iumelles.
Iupiter preuoyant les diverſes querelles,
Qui pourroient aduenir aux Citoyens des Cieux,
Vous feit venir icy, doux paradis des yeux
Qui peuuent contempler voz graces immortelles.
Et maintenant les Dieux irritez contre nous
Espris du feu d’amour, & d’vn ardant courroux,
Meſme de Iupiter, deffient le tonnerre.
Et nous vont menaçant de mill’ & mille morts,
Mais il faut bravement ſouſtenir leurs efforts
Pour garder le treſor du Ciel & de la terre.


Las ie ſuis mort en moy, mais c’eſt pour vivre en vous,
Charite : mon honneur, ma vie & ma lumiere
Voſtre rare beauté des beautez la premiere
Tient mon eſprit rauy d’vn rauiſſement doux.
De voz cheueux dorez les agreables nœuds
Et de voz yeux diuins la rigueur humble-fiere,
Serrent tant doucement mon ame priſonniere
Que moymeſme ie ſuis de moimeſme ialoux.
Mon corps eſt euvieux de l’honneur de mon ame
Qui brule dedans vous d’vne tant ſaincte flame,
Que d’vn homme mortel ie deuiens vn grand Dieu.
O bien-heureuſe mort, cauſe de double vie !
Heureux amour qui fais que mon ame rauie,
Heureuſement ſe meurt pour viure en ſi beau lieu.

Honneur de mes penſers, honneur de mes propos,
Honneur de mes eſcrits, Charite ma chere ame,
Charite mon ſoleil, ma ſinguliere Dame,
Royne de mon plaiſir, douceur de mon repos.
Charite qui tenez mon cueur comme vn depos,
Mon cueur enuironné d’une ſi douce flame,
Et qu’un amoureux traict ſi doucement entame,
Que plus il eſt bleſſé plus ie me ſen diſpos.
Charite que ie ſers, que i’honore, & que i’ayme,
Charite que je tiens plus chere que moymeſme,
Helas ie ſens pour vous tant de penſers diuers.
Helas i’ay ſi grand pœur, chaſte & belle Charite,
Que vous me connoiſant de trop peu de merite
Deſdaignez mes penſers, mes propos, & mes vers.


Bouche dont la douceur m’enchante doucement
Par la douce faueur d’vn honneſte ſoubs-rire :
Bouche qui ſouſpirant vn amoureux martyre,
Apaiſez la douleur de mon cruel tourment.
Bouche de tous mes maux le ſeul allegement,
Bouche qui reſpirez vn gratieux Zephire :
Qui les plus eloquens ſurpaſſez à bien dire
A l’heure qu’il vous plaiſt de parler doctement.
Bouche plaine de lys, de perles, & de roſes,
Bouche qui retenez toutes graces encloſes,
Bouche qui recelez tant de petits Amours.
Par voz perfections, o bouche ſans pareille,
Ie me perds de douceur, de crainte & de merueille
Dans voz ris, voz ſouſpirs, & voz ſages diſcours.

Penſer qui m’es plus doux, que les fleurs à l’Abeille,
Et le ſoleil aux fleurs, penſer en qui ie voy
L’angelicque beauté qui me deſrobe à moy,
Raui par les ſoupirs d’vne bouche vermeille.
Penſer de mes eſprits l’agreable merueille,
Penſer de mes penſers le ſeigneur & le Roy :
Penſer heureux, penſer qui commande ma foy.
Serue de la douceur d’une voix nompareille.
Penſer mon cher mignon, ma faueur, mon plaiſir
Penſser que ma Charite a bien daigné choiſir
Pour renger vn portraict de ſa beauté exquiſe.
En luy repreſentant ſon exquiſe beauté.
Fay luy paroiſtre auſſi ma ferme loyauté,
Afin que me prenant elle demeure priſe.


O que i’ayme voz yeux doux tirans de ma vie,
Et que i’ayme voz mains qui m’ont pris & lié.
Que i’ayme voſtre poil blond creſpe & delié
Qui tient dedans ſes laqs ma liberté rauie.
Vous tenez tellement ma raiſon aſſeruie
Par un regard meſlé de honte & de pitié,
Voz mains ſerrent ſi fort le nœud de l’amitié
Et voſtre poil doré ſi doucement me lie :
Que pluſtoſt que ſortir de ma captiuité,
Que pluſtoſt que manquer à ma fidelité,
Que pluſtoſt que faillir à ſi digne maiſtreſſe,
Ie veux mourir cent fois en ma douce priſon
Laiſſant ma liberté, ma vie & ma raiſon
Dans voz yeux, dans vos mains & voſtre blõde treſſe.

Prin-temps aporte fleurs, dont la riche peinture
Imite la couleur de la robe d’Iris,
Prin-temps ſuiuy du jeu, de la dance & du ris
Qui follatre touſiours dans ta gaye verdure :
Prin-temps fils du ſoleil cher mignon de nature,
Delices des humains qui doucement nourris,
Tant & tant d’animaux, qui fuſſent tous peris,
Sans tes herbes & fleurs qu’ils ont pour nourriture.
Prin-temps honneur des prez, des champs, & des iardins
Quand tu baiſe les doigts delicats & roſins
De ma belle Charite en pillant les fleurettes.
Œilladant la ſplendeur de ſes diuins regards,
Tu deuiens vn eſté pauvre, tu brule & ards
Admirant le parfaict de ſes beautez parfaictes.


Vrayement ie reprendrois voſtre œil de trahiſon,
Mais ce n’eſt pas bien faict que d’accuſer ſon maiſtre,
C’eſt faict encore pis de receler vn traiſtre
Et le tenir enclos en ſi douce priſon.
Charite voz beaux yeux, ſeigneurs de ma raiſon
Cachent amour dans eux, le tirant y veut eſtre
Afin d’eſtre plus ſeur, plus fort, & plus adextre,
Receuant la faueur de ſi belle maiſon.
Apres qu’il m’a tiré mainte & maintes ſagettes,
Apres qu’il m’a lancé maintes flames ſecrettes
Ie meurs & repren vie au braſier allumé :
Ainſi l’vnique oiſeau qui brule dans ſa flame
Reprend corps de ſon corps, & ame de ſon ame.
Renaiſſant par le feu qui l’auoit conſommé.

Ma nef au gré des vens dedans l’onde pouſſee
Erroit de toutes parts, quand voſtre heureuſe main,
Piteuſe de mon mal, me retira ſoudain,
En me ſauuant des flotz de la mer courroucee.
Follement aueuglé d’vne erreur inſenſee,
Monſtrant que la raiſon m’eſtoit donnee en vain,
Ie me laiſſois guider d’vn erreur incertain
Lorsque voſtre bel œil arreſta ma penſee.
Maintenant ie mourrois en mon cruel tourment,
Mais de voz doux propos le doux enchantement
De cet aſpre douleur promptement me delie.
Ainſi le ſainct honneur de voz perfections,
Conduiſant ſagement toutes mes actions,
Commande ſur mes ſens, mes penſers, & ma vie.


Belle pluſtoſt les eaux enflameront la terre
Et le feu glacera les fruicts herbes & fleurs,
Les aveugles pluſtoſst iugeront des couleurs,
Et pluſtoſt ſans verdeur on verra le l’hyerre.
La paix ſera pluſtoſt moins bonne que la guerre,
Venus ira ſans grace, & l’Amour ſans douceurs,
Les Princes ſeront ſerfs, & les ſerfs Empereurs
Qui frapperont les Dieux avec le tonnerre.
Pluſtoſt ſeront les Cieux à la terre pareils,
Pluſtoſt aparoiſtront mill’& mille ſoleils,
Dans le centre profont de cette lourde maſſe,
Pluſtoſt ſeront touſiours les hommes ſans couroux,
Tous les penſers pluſtoſt ſe liront en la face,
Que ie puiſſe jamais aymer autre que vous.

Ce qui me rend pour vous le cueur tant allumé,
Charite mon doux feu, c’eſt qu’vne meſme flame,
Embraſe voſtre cueur, voſtre eſprit, & voſtre ame,
Et que ie ſuis de vous vniquement aymé.
Ie me ſens tres-heureux de me voir eſtimé
Par voz doctes eſcris, & connoy bien, Madame,
Que vous pouuez ordir vne excellente trame
Qui rendra par voz vers mon renom animé.
Alceſte racheta de ſon mary la vie
Voulant mourir pour luy, mais vous auez enuie
De racheter la mienne auec plus heureux ſort.
Pource que ſans mourir, chaſte, ſçavante, & belle,
Vous filez pour nous deux vne vie immortelle,
Qui vaincra les efforts du temps & de la mort.


Ie confeſſe vrayement que l’Amour ſçait biẽ peindre
Et non pas Sincero, car ie vous ſens trop mieux
Grauee dans mon cueur qu’en mill’ & mille lieux,
Où i’ay tant eſſayé de pouuoir vous depeindre.
Helas ie ne ſcay rien que me douloir & plaindre,
Charite mon ſoucy, les flambeaux de voz yeux
Ont verſé dans les miens tant d’eſclairs radieux
Que ie brule touſiours ſans me pouuoir eſteindre.
Il y a fort long que ces flambeaux ardans
M’euſſent tout conſommé tant dehors que dedans :
Mais une froide pœur qui veut que ie languiſſe
Me rend glacé, craignant que voz perfections
Deſdaigneuſes de voir tant de ſeditions,
S’enuolent dans les Cieux auecques la iuſtice.


CHANSON.


Ie ſens une froide crainte,
Qui me glace tout le cueur,
Ie crain que mon amour ſaincte
Eſprouve quelque mal-heur :
Iamais d’vn diuin preſage
L’homme ſage,
Ne doit eſtre deſdaigneux,
Ny peu ſoigneux.
Charite ma douce vie,
Las i’ay ſonge de vous voir
En vn marbre conuertie,
Sans parler & ſans mouvoir :
Et que voſtre face belle

Eſtoit telle,
Qu’elle n’avoit de ſentiment
Aucunement.

Ie penſois eſtre ſemblable
Au grand Dieu pere du iour,
Quand il plaignoit miſerable
Son infortuné amour.
Allors qu’vne eſcorce verte
Tint couuerte
La cauſe de ſon prier
En vn Laurier.

Ainſi ma chere maiſtreſſe
Soupirant aupres de vous
Ie vous pleins, ie vous careſſe
Et vous veux taſter le poux :
Mais vous eſtes froide & bleſme
Et moymeſme
Deſireux de vous toucher
Deuien Rocher.

Ayant perdu ma ſemblance
Ie ne regrette ſinon
De n’auoir plus de puiſſance
De chanter voſtre beau nom :
Pource qu’vne froide pierre
Cloſt & ſerre,

Ma voix, ma langue, & le ſon
De ma chanſon.
Comme la triste Niobe
Voyant tuer ſes enfans,
Sent le cueur qu’on luy derobe
Ainſi (maiſtreſſe) ie ſens
Et ma parolle, & ma vie
Deffaillie,
Ne me reſtant que la foy
Que ie vous doy.


AUTRE CHANSON.



CHere maiſtreſſe
A vous ſeule i’adreſſe,
Les plus doux ſons
De mes humbles chanſons :
Mon cueur malade,
Bleſſé par voſstre œillade,
Eſt adoucy
Par les chanſons auſſi :
Une chanſon amoureuſe
D’vne peine langoureuſe
Allege le ſoucy.
L’Amour eſt maiſtre :
Qui rend vn homme adextre,
Pour inuenter
Et proprement chanter
L’art Poëtique,

Et la douce Muſique
D’vn pauvre Amant
Appaiſent le tourment.
Et bien ſouvẽt de ſa peine,
Rẽd ſa Dame plus certaine
Qu’en pleurãt triſtement.

Les ſaincts Prophetes
Et les diuins Poetes
Chantoient leurs vers
En mille chants diuers :
Ainſi ie chante
La beauté qui m’enchante,
Et la douceur
Qui captiue mon cueur,
La vertu d’vne Charite
Que i’ay dedans l’ame eſcrite,
Sa grace & ſa valeur.


Fin des vers de Sincero à Charite : S’enſuivent ceux de Charite à Sincero.



Ie veux que Sincero ſoit gentil & accord,
Né d’honneſtes parens, ie veux que la Nobleſſe
Qui vient de la vertu orne ſa gentilleſſe,
Et qu’il ſoit temperant, iuſte, prudent, & fort.
Ie veux que Sincero m’ayme iuſqu’à la mort,
Me retenant du tout pour vnique maiſtreſſe,
Ie veux que la beauté auecques la richeſſe
Pour le fauoriser ſe trouuent d’vn accord,

Ie veux en Sincero vne douce eloquence,
Vn regard doux & fin, vne graue prudence,
Vn eſprit admirable, & vn diuin ſçauoir.
Vn pas qui ſoit gaillard, mais toutesfois modeſte,
Vn parler gracieux, vn agreable geſte,
Voila qu’en le voyant, ie deſire de voir.

Sincero mon deſir, & mon cœur & ma vie,
Excuſez moy de grace, & ne vous offencez,
Si pourſuiuant le cours de mes vers commencez,
I’accompaigne l’amour avec la ialouſie.
Sincero mon deſir ie n’eu iamais envie
D’aymer autre que vous : mais auſſi ne penſez
D’aymer autre que moy, & ne vous avancez
De chercher autre nœud que celuy qui nous lie.
Ne vous arreſtez point au propos enuieux
Qui veulent reformer la grace de voz yeux,
Leur fineſſe & douceur, ne ſont dignes de blaſme.
Leur fineſſe demonſtre vne ſincerité :
Leur douceur repreſente vne ſincerité :
Car les yeux, Sincero ſont feneſtres de l’ame.

Dittes moy Sincero, que c’eſt qu’il vous en ſemble,
Dittes ſi c’eſt mon œil qui vous a retenu
Ou mon cueur, ou ma bouche, ou ſ’il m’eſt advenu
Pource que i’ay uni leurs trois forces enſemble.
Mon œil dit que mon cueur eſtoit tout en vn trẽble,
Ma bouche ſans diſcours, & qu’il a ſouſtenu
Luy ſeul tous les effors de ce Dieu inconnu,

Qui d’vne ſaincte amour ſainctement nous aſſemble,
Mon cueur iure qu’il ſ’eſt pour le voſtre changé
Et que luy ſeul vous tient à noſtre amour rangé,
Ma bouche maintenant veut affermer pour elle.
Que ſi ce n’euſt eſté ſon gracieux accueil
Ny la force du cueur, ny la force de l’œil.
N’euſſent peu arreſter cette flamme nouvelle.

Puis que le ferme nœud d’une amitié tant ſaincte,
Vous doit vnir à moy, faictes voſtre devoir
D’egaller voz vertus à voſtre grand ſçavoir
Et que ce ne ſoit point une aparence feinte.
Si vous eſtes meſchant, las ie ſeray contrainte,
De vous abandonner : car ie craindroy d’auoir
Vn amy vitieux, & ie ne veux point voir
Mon honneſte amitié compaigne de la crainte.
La vertu ſeulement rend l’homme bien-heureux,
Soyez donc ſ’il vous plaiſt de vertu deſireux
Suivant de l’ypſilon la moins commune adreſſe.
Faictes que la raiſon commande à voz deſirs,
En eſperant de moy les honneſtes plaiſirs
Que l’on doit eſperer d’vne chaſte maiſtreſſe.

Amy ie ne ſçaurois rompre ce doux lien,
Ce doux lien d’amour, dont vous me tenez priſe,
Auſſi ne veux-ie point faire telle entrepriſe
Puis que tous mes efforts, n’y ſeruiroient de rien.
Ie vous ayme & honore, & voy aſſez combien
La troupe des neuf ſœurs ſur tout vous fauoriſe,

Mais ſi deſſus voz mœurs on faict quelque repriſe
Le blaſme n’en fera non plus voſtre que mien,
Pour vous retirer donc de l’ecole du vice,
Ie voudroy reſſembler une ſage Melice
Et vous pouuoir conduire en plus heureux sentier.
Pour les fautes d’vn ſerf on ſ’en prend à ſon maiſtre,
Et ſi vous eſtes mien, ou deſirez de l’eſtre,
Soyez donc, Sincero, en mœurs pur & entier.

Si ie veux m’acquiter on ne me doit reprendre
De ce dont eſt repris le prodigue donneur,
Qui depend follement & richeſſe & honneur
Sans eſperer le bien qu’il en pourroit attendre.
Recevant un amour, un amour ie veux rendre
A vous mon Sincero, & confeſſe mon heur
D’avoir ſçeu rencontrer vn ſi rare ſonneur
Pour noſtre affection dignement faire entendre.
Or ie doy vous aymer pour trois occaſions,
Pource que vous m’aymez, pour voz perfections,
Pource que ie vous ſuis liee de promeſſe :
Et vous payant ainſi ie ne vous donne rien,
Que pourrois-ie donner, vous eſtes tout mon bien,
Vous eſtes mon honneur, mon plaiſir, ma richeſſe.

Mais d’où vient, Sincero, qu’eſtant ſi loing d’ici,
Vous ne m’eſcrivez point, la douce ſouuenance
De noſtre chaſte amour, eſt elle en oubliance ?
N’avez vous plus de moy penſement ny ſouci ?
Vrayement ſi i’appercoy que vous ſoyez ainſi,

Volage & indiſcret, vous n’aurez la puiſſance
De me vaincre en oubly, car par voſtre inconſtance
Ie veux eſtre inconſtante, & le ſeray auſſi.
Doncques ſi vous m’aymez, penſez que ie vous ayme
Autant comme mon cœur, autant comme moy meſme :
Mais ſi vous ne m’aymez ie ne vous ayme point,
Si vous me haiſſez, ie hay plus que la rage,
Ie hay plus que l’enfer, voſtre mauuais courage,
Ainſi l’amour me bleçe, & la hayne me point.

Vous voyant expoſer aux dangers de la guerre,
Helas i’ay ſi grand pœur que voſtre amoureux nœud,
Soit trenché par le fer, que voſtre amoureux feu
Soit eſteint par le feu de ce double tonnerre !
I’importune les Dieux, du Ciel & de la terre,
De l’air & des enfers, ie fay maint piteux vœu,
Eſpérant vous ayder & delier vn peu
Les liens de la pœur qui tient mon cœur en ſerre.
Et ſ’il m’aduient bien toſt par la faueur des Dieux
De nous reuoir icy, doux plaiſir de mes yeux,
À l’heure vous pourrez me donner deliurance,
À l’heure vous pourrez m’affranchir de la pœur,
Qui va tyrannisant voſtre cœur, & mon cœur,
Puis que le voſtre en moy fait touſiours demeurance.

Si ie connois en vous quelque imperfection,
Si ie connois en vous quelque penſer volage,
Si ie connois en vous un ſuperbe courage,
Qui meſpriſe le cours de voſtre paſſion :

Si ie connois en vous une presſomption,
Grande peſte des cueurs que l’on met en ſeruage,
Si ie vous voy changer de mœurs & de langage,
Vous me voirrez bien toſt manquer d’affection.
Si vous m’eſtes conſtant, ie vous ſeray conſtante,
Si vous voulez changer, & bien i’en ſuis contente,
Cherchez vne autre amie & moy vn autre amy :
Cherchez vne maiſtreſſe honneſte, aymable, & belle,
Et moy vn ſeruiteur ſage, accort, & fidelle :
Car ie ne veux iamais que l’on m’ayme à demy.

Sincero mon doux feu, ſi i’ay peu attirer
De voz perfections, vne amitié non feinte,
Et ſi i’ay doucement eſcouté voſtre pleinte,
Craignant que voſtre mal peut croiſtre ou empirer.
Dittes moy ſ’il vous plaiſt, qui vous peut retirer
De mon affection inuiolable & ſaincte ?
Auez vous point ſenti quelque nouuelle atteinte,
Qui pour vn autre amour vous face ſouſpirer ?
Et que peut-ce eſtre donc qui de moy vous eſloigne ?
Mais ne ſeroit-ce point que le Roy de Pouloigne,
Vous eut faict oublier voſtre amoureuse foy ?
Ha mon Dieu que ie crain que cet excellent Prince,
Pour honorer de vous ſa nouuelle Province,
Vous derobe à la France, à l’amour, & à moy.

S’il eſt vray, Sincero, que la perſeuerance
Demeure dedans vous, ſi vous avez touſiours,
Dans la bouche mon nom, dans l’eſprit mes amours,

Dans les yeux mon pourtraict, au cueur mon aliance,
Faictes le moi connoiſtre avec plus d’aſſeurance
Sans me laiſſer conter les heures & les iours,
Et compoſer en moy mille faſcheux diſcours
Penſant & repenſant à voſtre longue abſence.
Le terme eſt ia paſſé que vous auez promis
De retourner icy viſiter voz amis,
Qui vous peut empeſcher de faire ce voyage
Sinon faute d’amour ? doncques ſ’il eſt ainſi,
Ie quitte voſtre bouche, & voſtre eſprit auſſi,
Voz yeux & voſtre cueur inconſtant & volage.

Iamais mon Sincero, ie ne prendray plaiſir
De vous aſſuiectir à des loix rigoureuſes.
Ha ! vrayement ie hay trop ces ames langoureuſes
Qui ſans cauſe d’eſpoir renforcent leur deſir.
Ie vous ſçauray bon gré ſ’il vous plaiſt de choiſir
Le temps le plus commode aux œuures ſerieuſes :
Mais ne me racontez voz plaintes amoureuſes
Sinon quand vous ſerez aux heures de loiſir.
La plus grand part du temps demeurez à l’eſtude,
Puis quand vous ſerez las de voſtre ſolitude,
De raiſonner en vous, & de penser en moy :
Allez voir le Palais, & la paume, & l’eſcrime,
Et les Dames d’honneur, de vertu, & d’eſtime,
Gardant touſiours l’amour, l’eſperance, & la foy.

Ouvrez moy Sincero, de voz penſers la porte,
Ie deſire de voir ſi l’amour de ſon traict,

Vous engraue auſſi bien dans le cueur mon pourtraict
Comme voſtre beau vers à mes yeux le raporte.
Ie ne veux pas pourtant, que hors de vous il ſorte,
Ny que par la faveur d’un gracieux attrait,
Voſtre cueur ſoit iamais d’avec le mien diſtrait,
Pour bruler d’vne flamme, ou plus douce, ou plus forte.
Ouurez dõc ſ’il vous plaiſt : ha mon Dieu ie me voy,
Ha mon Dieu que de bien, que d’honneur ie reçoy
Apres que vous m’auez par mille vers chantee,
Ie me voy dans voz yeux, & dedans voz eſcrits,
Et dedans voſtre cueur, & dedans voz eſprits,
Par la Muſe, & l’amour ſi bien repreſentee.


Chanson de Charite à Sincero.



Quand ie ſuis de vous abſente,
Sincero mon beau ſoleil,
Ie n’ay rien qui me contente,
La nuict ie pers le ſommeil :
Le jour ie fuy la lumiere
Et mes triſtes yeux enclos,
Priſonniers de la paupiere
Ne ſont iamais en repos.

Ie n’aime de la prairie
Le bel email precieux,
Ny la campaigne fleurie
Ne ſçauroit plaire à mes yeux :
Ie suis tant melencholique

Que les plus gracieux ſons,
Et la plus douce Muſique
M’ennuyent de leurs chanſons.

Ie ne veux ouyr perſonne,
Pour diſcourir ou parler,
Ie n’entens rien qui reſonne
Que ma plainte dedans l’air :
Mes compaignes qui ſ’ennuient.
De mon amoureux eſmoy,
Toutes depites ſ’enfuient
Et ſe retirent de moy.

Ie ſuis du tout negligente,
Des liures & du reſueil,
Ma main n’eſt plus diligente
Qu’à repreſenter mon dueil,
Pource qu’ell’ha de couſtume
Suiuant mon commandement,
De tenir papier & plume
Pour deſcrire mon tourment.

Iamais on ne me voit rire,
Iamais on ne m’oit chanter,
Inceſſamment je ſouſpire,
Et ne fay que lamenter :
Ie n’ay bien, plaiſir, ny joye,
Sincero mon cher ſouci,
Iuſqu’à ce que je vous voye
Ie feray touſiours ainſi.

Responce au dernier sonnet de Charite.



Regardez vous en moy, Charite ma Deeſſe,
Regardez voſtre front, heureux ſiege d’amour,
Regardez voz beaux yeux, ma lumiere, & mon jour,
Qui commandent mon cueur d’une œillade maiſtreſſe.
Regardez l’or friſé de voſtre blonde treſſe,
Regardez voz sourcils courbez d’vn demi-tour,
Regardez mille traicts recelez à l’entour
Pour ſervir le tyrant de ma ieune allegreſſe.
Mais ſurtout regardez voſtre gracieux ris,
Qui par ſa grand’douceur ouvre le Paradis,
Où veullent demeurer les bien-heureuſes ames :
Ha n’y regardez plus, Madame, car i’ay pœur
Que vous reconnoiſſant ſi parfaicte en mon cueur,
Vous meſme ne brulez dans voz propres flammes.


La Rose à Charite.



Ie ne voy fleur qui tant m’agree
Comme faict la Roſe pourpree,
La Roſe fille d’Apollon
Honneur des vers d’Anacreon,
Qui de la Roſe cramoiſie
A decoré ſa Poëſie,
Pource que la fraiche couleur
L’a garanty de la douleur
De ſentir la fureur Bacchique

Avec la fureur Poëtique.
Mais pour ſemblable occasion
Ie ne luy porte affection,
Car ne beuuant que de l’eau claire
Pour cela ie n’en ay que faire :
I’aime ſon beau pié verdiſſant,
I’aime ſa fueille Cinabrine,
Teinte du ſang de la Cyprine
Qui colora dans ce beau mois
Le blanc yvoire de ſes doigts,
Tirant la Roſe printanière
De ſa demeure couſtumiere,
Et la prenant d’authorité,
Penſant que ſa divinité
Deut excuſer ſi grande offence :
Le Roſier eſtoit en deffence
Gardant ſon treſor precieux :
Venus d’vn bras audacieux
S’efforçoit touſiours de le prendre.
Mais pour vouloir trop entreprendre
Elle ſouffrit punition
De ſa grande preſomption,
Gaſtant ſa peau doüillette & blanche
Voulant piller la Roſe franche.
Vrayement Roſe mon cher ſouci,
Ie t’ayme d’avoir peu ainſi
Te deffendre d’une Deeſſe,
Roſe mon cueur, ta gentilleſſe

Me faict craindre de ne pouuoir,
Enuers toy faire mon deuoir.
Mais excuſe moy ma mignonne
Si ce que ie puis ie te donne
Je ſçay, Roſe, que mes faueurs
Sont vers toy de peu de valeurs,
Et pourtant il faut que ie t’aime
Autant que mes yeux & moymeſme,
Et ie te veux dire pourquoy,
Pourquoy ie t’aime autant que moy.
I’aime ta cyme iauniſſante
I’aime ta ſepe veérdiſſante,
Pource que celle que ie ſers
Ha le poil d’or, & les yeux vers :
I’aime tes fueilles incarnates,
Comme les ioües delicates,
De ma maiſtreſſe, & tes Zephirs
Qu’elle r’aſſemble en ſes ſouſpirs.
Voila belle & gentille Roſe
Pourquoy i’aime ſur toute choſe,
Ta fueille, ta cyme, & ton pié :
Pleuſt à Dieu que mon amitié
Te peut eſtre autant honorable,
Que ta beauté m’eſt agreable.
Ie ne craindroy point que Saphon
Me reprinſt dedans ſa chanſon,
Pour ne t’auoir, Roſe fleurie,
Priſe ſur le mont Pierie.
Vrayment Roſe ie chanterois

Toutes les beautez, & dirois
Combien ton odeur eſt ſubtile,
Combien ta liqueur eſt utile,
Comment tu fus chez Agaton,
Seruie au banquet de Platon,
Et comment ta fleur vermeillette
Couronnoit l’enfance doüillette
De leur amour, comment auſſi,
Comment roſe mon cher ſouci,
Tu feis vn chapeau à Plutarque,
Et vn beau bouquet à Petrarque :
Roſe, tes boutons odoreux,
Sont les graces des amoureux,
Roſe, tes belles fleurs nouuelles,
Sont les faveurs des Damoiſelles :
Roſe, tes ſoüeſves odeurs
Sont les profits des parfumeurs,
Ta fleur, ta fueille & ta racine
Seruent touſiours de Medecine :
Roſe ton luſtre gracieux
Eſclaire la clarté des yeux,
Roſe mon cueur, roſe ma vie,
Roſe si tu as quelque enuie
De medeciner mon ennuy,
Ma Roſe va t’en aujourd’huy
Salüer ma belle Charite
Et luy dis que ie t’ay eſcrite
En la faueur de ſon Prin-temps.
Eſcoute Roſe, ne pretens

De loger au ſein de la belle,
I’en ſuis ialoux vien ie t’apelle,
Eſcoute Roſe n’y vais pas :
O comme elle ſ’en va beau pas
Voir cette face nompareille
Des Dieux l’agreable merueille.
Roſe tu pourras bien ſentir,
Que vaut vn tardif repentir,
Si tu ſouffre l’ardente flame
Qui ſort des beaux yeux de Madame.


Pour vne Maſcarade d’Amazones.



APRES auoir acquis tant d’hõneur, & de gloire,
Apres auoir gaigné vne double victoire,
Apres auoir lié ces ſuperbes guerriers :
Apres auoir monſtré tant de braues vaillances,
Par les traits de noz yeux, & l’effort de noz lances,
Nous rapportons en main les Myrthes & Lauriers.

L’amour audacieux deſirant que ſes flames
Alentiſſent du tout la vertu de noz ames,
Elançoit dens noz cœurs mille flambeaux ardans :
Mais noſtre chaſteté qui gardoit cette place
Changeoit incontinent les ardans feux en glace,
Empeſchant que l’amour ne logeaſt au dedans.

Voyant la chaſteté qui forte le repouſſe
Amour tout deſdaigneux ſe depite & courrouce,

Et dechaſſé du cueur il ſ’adreſſe à noz yeux :
Mais le pauuret (helas) y a laiſſé en gage,
Et ſon & ſes traicts, comme pour teſmoignage
Que noz yeux ont eſté ſur luy victorieux.

Demeurant deſpouillé de ſes plus fortes armes
Il ſ’en va chercher Mars au milieu des alarmes,
Le priant humblement de luy donner ſecours :
Mars eſmeu de pitié amena de ſa terre
Grand nombre de ſoldats pour nous faire la guerre,
Et n’y gaigna non plus que le Dieu des amours.

Vn cueur qui n’ouure point aux voluptez la porte,
Vn penſer genereux, vne puiſſance forte,
Nous preferue touſiours de l’Amour & de Mars :
Auſſi en toutes parts la femme ne reſonne
Que du pouuoir hautain, de la Roine Amazone
Qui faict marcher les Dieux deſſous ſes eſtendars.

Son nom eſt Otrera fille de Marteſie
Qui tient pour la ſeruir cette trouppe choiſie,
Voulant par ſa proueſſe eterniſer ſon nom
Elle retient du tout le ſouuerain Empire
De la grande Cité nommee Themyſcire
Enceinte par les bras du fameux Thermodon,

Chanson des Amazones


Novs faiſons la guerre
Aux rois de la terre
Brauant les plus glorieux
par noſtre prudence
et noſtre vaillance
Nous commãdons en maints lieux
Domptant les efforts
Des plus hardis & forts
D’vn bras victorieux.

Nous chaſſons les vices
Par les exercices
Que la vertu nous aprend
Fuyant comme la peſte
Le brandon modeſte
Qui autour du cueur ſe prend :
Car la pureté
De noſtre chaſteté
Pour iamais le defend.

Nous tenons les hommes,
Des lieux où nous ſommes
Tous empeſchez à filer :
Leur laſche courage
D’vn plus bel ouvrage


N’eſt digne de ſe meſler :
Si quelcun de vous
S’en fache contre nous,
Qu’il vienne quereller.


À ma quenoille.


Qvenoille mon ſouci, je vous promets & jure,
De vous aimer touſiours, & iamais ne changer
Voſtre honneur domeſtic pour vn bien eſtranger,
Qui erre inconſtamment & fort peu de temps dure.
Vous ayant au coſté ie ſuis beaucoup plus ſeuré
Que ſi encre & papier ſe venoient aranger
Tout à l’entour de moy, car pour me reuanger
Vous pouuez bien pluſtoſt repouſſer vne iniure.
Mais quenoille m’amie il ne faut pas pourtant
Que pour vous eſtimer, & pour vous aimer tant
Ie delaiſſe du tout ceſt’ honneſte couſtume
D’eſcrire quelque fois, en eſcrivant ainſi
I’eſcri de voz valeurs, quenoille mon ſouci,
Ayant dedans la main, le fuzeau, & la plume.


À mes escrits.


Ie ne penſay iamais que vous euſſiez de force
Pour forcer les efforts de l’oubly, ny du temps,
Auſſi je vous eſcry comme par paſſe-temps,

Fuyant d’oiſiueté la vitieuſe amorce :
Et pource mes eſcrits, nul de vous ne ſ’efforce
De vouloir me laiſſer, car ie le vous deffens.
Où voudriez-vous aller ? he mes petits enfans,
Vous eſtes abillez d’vne ſi foible eſcorce.
Ie croy que vous penſez me faire quelque honneur
Pour m’emporter auſſi envieux du bon-heur
Que deux freres ont eu portant leur mere au temple :
Lors qu’ell’en demanda digne loyer aux Dieux,
Vn ſommeil eternel leur vint ſiler les yeux,
Et cela (mes enfans) vous doit servir d’exemple.


Chanson de la Musique.


SI la graue Muſique
Peut chaſſer loing du cueur
Toute flame impudique
Contraire de l’honneur.

Si Platon l’a choiſie
Pour ayder à ſon tour,
Comme la Poeſie
Aux graces de l’amour.

Si l’Ariſtote meſme
Connoiſſant ſes valeurs,
A commandé qu’õ l’aime
Pour adoucir les mœurs.


Si l’ame eſt harmonie
Qui par diuins accords
Diuinement ſe lie
Pour animer noz corps

Si l’eternelle dance
Qui faict mouuoir les Cieux
Imite la cadance
D’vn ſon harmonieux.

Si l’eau, l’air & la terre
Sont liez au dedans
Par vne douce guerre
De diſcords accordans.

Si l’honneur de Memoire
Rechante ſes beaux vers
Tenant le Lut d’yuoire
Près des liures ouuers.

Musique deſirable,
Qui oſera blaſmer
Ta vertu admirable
Que chaſcun doit aymer ?

La Roine de Mycene
Prenant plaiſir en toy
Fut ſeure gardienne
De l’honneur de ſon Roy.


Mais oubliant la grace
De tes accords tant doux
Elle oublia ſa race,
Sa foy, & ſon eſpoux.

Dauid par la louange
Qu’il chantoit deuãt Dieu
Chaſſa le mauuais Ange
Qui tourmẽtoit l’Hebrieu.

O douceur nompareille,
Que l’on doit deſirer
L’agreable merueille
Qui te faict admirer


Au Roy


Apres auoir receu (ô lumiere des Princes)
Les honneurs meritez aux eſtranges Prouinces.
Ieune vous retournez dans le pays aymé :
Vous changez maintenant d’vn agreable eſchange,
Pour le ſceptre Gaulois, vne couronne eſtrange,
Et vn peuple ſans ame, à vn peuple animé.

A voſtre heureux retour, tout le monde ſ’apreſte
Epoint d’vne allegreſſe à vous faire grand feſte :
Mais quelques uns auſſi vous offrent de leur bien
Esperant d’en auoir plus grande recompenſe

Cent & cent mille fois que ne vaut leur depenſe,
Et vous donnant de meſme, ils ne vous donnent rien.

Ceux qui vous font preſent par une tromperie,
D’argent, de perles, d’or, de riches pierreries,
Au lieu de les donner, vous les vendent bien cher
Et ſi vous ne payez leur belle marchandiſe
D’vn autre plus grand don, l’auare conuoitiſe
Ne leur permettra plus de vous venir chercher.

Sire, ſi mon preſent vous peut eſtre agreable,
A moy qui le vous donne il ſera honorable,
A voſtre peuple meſme il pourra profiter
Car voſtre Royauté eſt le ſouuerain temple
Où voz ſubiects prendront vn ſingulier exemple,
De vouloir pour iamais voz vertus imiter.

Pour chaſtier l’Anglois & le ſubiect rebelle :
Vn de noz Roys prit bien l’aduis d’vne Pucelle,
Donques ie vous ſupply de vouloir eſcouter
Ce que voſtre vertu diuinement inſpire
Dans mes foibles eſprits, afin de le vous dire,
Et vous pourrez ainſi voz haineux ſurmonter.

Monſtrãt que vous avez une ame tres-Chreſtienne,
Honorez touſiours Dieu à la mode ancienne,
Touſiours obeiſſez à ſes diuines loix :
Preſentez vous à luy franc & pur de tout vice,

Offrez luy voz penſers pour humble ſacrifice,
Car Dieu dedans ſa main tient le pouuoir des Rois.

Donnez a voz parens les charges les plus belles,
Et celles d’importance aux ſeruiteurs fidelles
De voſtre majeſté, à voſtre entendement
Le ſoing de votre vie, à voſtre vigilance
L’eſpoir de voz ſuiects, & l’honneur de la France,
Donnez le à voſtre ſage & prudent iugement.

L’ornement d’vn grãd Roy, ſon hõneur, ſa nobleſſe,
Vient d’aymer la vertu, trop plus que la richeſſe
Aymer un bon conſeil, trop plus qu’vn grand preſent,
Plus qu’vn plaiſir volage, aymer la Temperance,
Auoir deuant les yeux, les yeux de la Prudence
Qui voit le temps paſſé, le futur, & preſent.

La rigueur de la Loy, & la douceur du liure,
Induiſent quelque fois les priuez à bien viure,
Auec le chaſtiment de leurs proches parens :
Le ſoing de leurs amys, qui les veulent aprendre,
L’iniure des hayneux, qui les vienent reprendre,
Montrant de toutes pars leurs defaux apparans.

Mais vous (Prince excellẽt) vous auez en vo’meſme
Des diſcours de raiſon, le pouuoir ſupreme,
Que vous donnez aux loix : puis vous auez auſſi
Le vertueux amour de voſtre ſage mere,

L’humble fidelité que vous doit voſtre frere,
Et de voz bons ſuiets le gracieux ſouci.

Voſtre grandeur ſçait bien que le plus vray office
D’vn Roy ſage & parfaict c’eſt d’aimer la iuſtice,
Deliurer fes ſuiets de leur calamité,
Fauoriſer les bons, faire aux meſchans la guerre,
Maintenir ſon pouuoir, accroiſtre ſa terre :
Voila qui tient vn Roy en ſon autorité.

Si vous ne deſdaignez les eſcris d’vne fille,
I’espère bien qu’vn tour de mode plus gentille,
D’une plus forte voix i’entonneray les ſons
De voz rares valeurs, de voz graces diuines,
Si bien qu’à l’auenir des Nimphes Poëteuines
En diront ſur le Clain mill & mille chanſons.

ΠΡΟΤΡΕΠΤΙΚΟΝ

AD CHRISTIANISSIMVM

henricvm iii, francorvm
& Polonię Regem, expreſſum ex
verſibus Gallicis eruditiſſimę
puellæ ac Poëtrię Catha-

rinę des Roches.

Ioſephus Scaliger Iulij Cæſaris F. verti.


Τοῖς ἀξίοισι δεξιωθεὶς τῶν γερῶν,
πρὸς τῶν ὀθνείων πρός τε τηλουρῶν λεῶν
λαμπρῶς, μόλις δὴ, φέγγος ἡρώων, μόλις
φίλην ἀνέρχη πρὸς πάτραν ἀπόστροφος.
καλαῖς δ’ ἀμοιβαῖς ἀνταμείβεις, ὧ πρόμε,
κελτῶν τὸ κῦρος, ἀντὶ τοῦ κύρους ξένου,
καὶ τῶν ἀνάνδρων ἄντι, τοῦς ευήνορας.
πᾶς δὴ φρυάζων πρὸς τὸν εὐτυχέστατον
νόστον γάνυσι, καίσε προσσαίνει χαρᾷ.
σοὶ τῶν ἑαυτοῦ πολλ’ ἀφειδήσας πολὺς
δίδωσι, πλείω δ’ ἀντιλάζεσθαι σέθεν
ἕδοξεν ἁντίποινα τῶν δωρημάτων.
διδοὺς δὲ μηδὲν μηδενὸς πλέον διδοῖ.
ὥστ’ εὐπροσώπῳ μηχανῇ χαρισμάτων
χρυσοῦ, λίθων τε τὴν βαρύσταθμον χλιδήν
δωρούμενοι σοι δῆθεν, αὐτοὶ μὲν λόγω
δίδουσιν, ἔργω δ’ αὔτ’ ἀπεμπόλωσι σοι.
εἰ μήγ’ αὐτῶν τοὐμπόρευμα τίμιον
ὑπερμέτροις λύτροισιν ὠνῆσαι φθάνοις.
οἵδ’ ἐνδίδοντες ἑδονῇ φιλαργύρῳ
πάλιν πρὸς ὑμᾶς οὐκ ἐπιστρέψουσι δή.

Σκηπτοῦχε σοὶ δὲ τἀμὰ δεχθήτω μέλη.

ἐμοὶ τοτ’ ἔσται τοῦτο πάνδοξον κλέος,
λεῷ δὲ δεξίωμα σῶ κοινωφελές.
ἡ σή γὰρ ἀρέτὴ. ναός ἐθ’ ὑψηρεφής,
ἐν ὧ σέβεσθαι παντὶ τῶ πλήθει πάρα
τὸ σὸν κάλὸν μίμημα καὶ τύπον τρόπων.
ἤκουσα δ’ ὥς τις τῶν ἀφ’ αἵματoς σέρεν
σκηπτούχος ἥρως, τόντ’ ἄρη βριταννικὸν,
καὶ τὰς ἀφορμᾶς τοῦ δυσηνίου λεῶ
φράσας κολοῦσαι, παῖσι παρθένου τινὸς
βουλαῖς φρενώθη. καὶ σὺ ταύτας, ἄντομαι,
ἄκου’ ἐφετμὰς, ἅς ἐνέπνευσεν μενὸς.
Τῷ θηλυκῷ μοῦ τ’ ἀνδρικὸν σέθεν μένος.
ἔσῃ δὲ τῶν σῶν δυσμενῶν ὑπερ τεπος.

Ἔστω μὲν ἑν σοὶ χριστιάνιζον καλῶς
ψυχῆς χαρακτήρ ὥστε τὸν Θεὸν σέβου
παλαιφάτοισι τῶν Ἀποστόλων νόμοις,
καὶ τοῦ δ’ ἀειγράπτοισι τοῖς θεσμοῖς ἕπου
καὶ τῶ δεφαίνε σ’ ἀσπιλὸν κακήρατον.
τούτῳ ταπεινὰς ἀντὶ θύματος φρένας
πρόσισχε. καὶ γὰρ ὁ Θεὸς οἰακοστροφεῖ
ἐν τῇ γ’ ἑαυτοῦ χειρὶ βασιλέων κράτη.
τῶν πραγμάτῶν τ’ ἔντιμα τοῖς πρὸς ἅιματος
δίδου, τὰ δύσβαστακτα τῆς ἀρχῆς βάρη
δούλοισι πιστοῖς. τ’ ἀσφαλὲς τοῦ σοῦ βίου
σαυτῷ μόνῳ δή. τῷ φιλαγρύπνω τε σοῦ
τὰς εἰς σὲ προςδοκῶντος ἐλπίδας λεῶ.
κράτους ὁμοίως κελτικοῦ τὰ καίρια
ταῖς σαῖς μερίμναις ἀσφαλῶς ἐπίτρεπε
ὁ κόσμος ἡ υγένεια [sic] τ’ ἀλκίμου πρόμου
τὸ τ’ ἀξίωμα καλὸν ἐξετάζεται
ἐν τοῦ δικα[ί]ῳ πλείον’ ἢ πλούτῳ νέμειν,
βουλήν τ’ ἀρίστην πρόσθε τῶν δώρων ἔχειν
καὶ τὴς βραχείας ἡδονῆς τὸ σοφρονεῖν,
τὸ τῆς Προνοίας τ’ ὄμμα προύμμάτων ἔχειν.
ἥ τις τά τ’ ὀπίσω, τά τε προτοῦ τὰ νηὺ θ’ ὁρᾷ
νόμος δὲ καὶ τὸ δυσπαραίτη τὸν νόμον,
καὶ τῶν παλαιῶν κύριαι δόξαι Σοφῶν
ἕκαστον ἐντρέπουσι κασμίως βιοῦν.
τὰ συγγενῶν τε χρηστὰ σωφρονίσματα.

χ’ ἡ νουθετούντων φροντὶς ἐντρεχὴς φίλων.
ὁ δυσμενῶν τε κατάγελως, τα σφάλματα
τῶν χειροδέικτως ἐμφανιζόντων πολίς.
σοὶ δ’ ὦ κράτιστε, χ’ ὡ γογισμὸς, ἥτ’ ἄκρα,
νόμοις πατρῴοις ἥν νέμεις, ἐξουσία,
καὶ τῆς τεκούσης αἱ φιλόστοργοι φρένες,
ἥτ’ αὐταδέλφου πιστόφρων ὁμιλία,
καὶ τῶν λεῶν ἡ φροντὶς εὐπειθὴς πάρα.
πρὸς τοῦ τελέιου βασιλέως καὶ νητρεκοῦς.
ἐστιν, φιλήσται τὴν δίκην, σάφ’ οἶσθ’ ὅτι.
ῥῦσαι τε πλῆθη τῆς ἐπειγούσης δύης.
ἀγαθοὺς μὴν αὔξειν, καὶ κολούσασθαι κακοῦς,
κράτος πρατρῷον, τήν τε γῆν ἐπαυξάνειν,
τούτ’ αὖ μόναρχην, δῆλον, ὡς τηρεῖ μέγαν.

Ὧ κάρτερ’ εἴσοι μοῦσα παρθενικὴ μέλει,
ἐλπὶς τὸ λοιπόν ἐστιν, ὡς διάξομαι
κλέουσα ταῖς μολπαῖσιν ἐντονοτέραις
τὸ τ’ ἐναρετὸν σοῦ, τήντ’ ἀοίδιμον χάριν.
ὅστ’ εἰς τὸ μέλλον αἱ κόραι Πικτάβιδες
πρὸς Κλάνιος ὄχθαις μύρι’ ἄσονται μέλη.

Latinè ſic per Scæuolam Samarthanum


DIgnis lætus honoribus,
Quos à gentibus exteris
Tuliſti, optime principum,
Reuiſis patrios lares
Ipſo in flore iuuentæ.
Nunc & imperium exterum
Gallico imperio iuuat
Mutare, & populos nimis
Vecordes populis, quibus
Nil cordatius vſquam eſt.
Feſtis vndique plauſibus
Ciues te excipiunt tui :
Sunt qui munera porrigant,
At certè hoc animo, datis
Vt maiora rependas.
Qui ſie dat, nihil ille dat :
Dumqué aurem tibi callidè,
Dum gemmas rutilas ferunt
Iſti, vendere veriùs
Quàm donare videntur.
Mercem munere nilluas
Habendi ſitis impotens
Hos à te procul exiget :
At tibi ipſa quod offero
Gratum ſit modò munus,
Glorioſum erit & mihi,
Noſtríſque vtile ciuibus :
Maieſtas etenim tua

Inſtar eminet ardui
Claro in lumine templi.
A quo mirificum petes
Exemplum tua gens, tuæ
Ad virtutis imaginem,
Cuius rebus in omnibus
Dehinc veſtigia ſeruet.
Vt rebellia frangeret
Angeli militis agmina,
Magni Rex quoqué nominis
Olim non renuit ſequi ab-
Iectæ fenſa puellæ.
Nunc ergo & mihi virgini
Quod virtus tua ſufficit
Lubens accipe, perfidos
Hinc hoſtes tibi vincere
Sic fortaſſe licebit.
Preclara vt documenta des
Chriſtiane anime, Deum
Antiquis cole ritibus :
Huius morigerum ſacris
Da te legibus vitrò.
Huic te criminis exhibe
Purum, huic labe carens pio,
Mens pro thure ſit hoſtia
Quippe & in Domini manu
Regum eſt ipſa poteſtas.
Tu iunctos tibi ſanguine
Rebus præfice maximis :

At negotia ſi qua ſint
Momentoſa, fidelibus
Illa trade miniſtris.
Vitæ crede tuæ tuo
Tutelam ingenio, tuæ
Spem rerum vigilantiæ,
Tuo iudicio tuj
Decus nobile regni.
Regem hæc præcipuè decent,
Virtutes cumulis opum,
Donis conſilia optima,
Modeſtámque libidini
Anteponere mentem :
Tum Prudentia quos habet
Recto lumine limpidos
Obſeruare oculos, quibus
Quod fuit, quod erit, quod eſt
Viſu cernitur vno.
Ad recti ſtudium ferè
Priuatos homines agunt
Legum terrificæ minæ,
Aut honeſta docentium
Blandimenta ſophorum.
Huc & aſpera patrue
Lingue verbera conferunt
Amici monitis iuuant
Et qui crimina detegunt
Probris turpibus hoſtes
At, ô gloria principum

Tu diuinitus infite
Mentis munere preditus,
Tu legum imperiis potens
Tibi ſufficis vnus.
Nec prudens tamen interim
Care matris amor tibi,
Fratris debita nec fides,
Grati nec populi deeſt
Accurata voluntas.
Te non preterit optimi
Eſſe munera principis
Cultu iuſtitiam ſuo
Proſequi, & miſerum a malis
Vindicare popellum.
Indulgere bonis, malos
Armis plectere, patrios
Longe extendere limites :
Hæc ſunt, nobilium quibus
Stat potentia Regum.
Tu mollis niſi virginis
Faſtidis tenues modos :
Illa, ſpero, dies erit,
Cùm tuas grauioribus
Laudes cantibus æquem
Tunc & vndique, leniter
Se trahentis ad herbida
Clani litora, candidæ
Pictonum tibi concinent
Mille carmina Nymphæ.

A la Royne.


Voz exquiſes beautez ſont dignes d’vn Empire,
Madame, & noſtre Roy qui les voulut choiſir
Eſt egal à vn Dieu d’auoir eu tel deſir :
Car voſtre rarité l’amour meſmes attire.

On le voit delicat en voſtre belle face,
Admirant tout rauy voſtre double ſoleil,
Et le brillant eſclat de voſtre teint vermeil,
Qui la freſcheur des lys & des roſes efface.

Puis grauement aſſis deſſus le blang yuoire
De voſtre front poly, il prend de voz cheueux,
Dont il fait pour le Roy, mille nœuds amoureux,
Et le gaignant par vous, il augmente ſa gloire

C’eſt honneur à vn Dieu d’auoir pour compaignie
Ce Roy tant excellent, c’eſt honneur à ce Roy,
D’auoir vn ſi grand Dieu compaignon de ſa foy,
Et voſtre Majeſté pour eſpouſe & amie.

Dieu face voz iours longs en fortune proſpere,
(O Royne ſeul Phenix de parfaite beauté)
Et bien-heurant l’eſtat de voſtre Royauté,
Puiſſiez vous d’vn beau fils bien toſt eſtre la mére.

A elle meſme luy preſentant ſ’hymne de l’Eau.


Madame, le Dœmõ coduiſant voz regards,
Eſt vn Dœmon du feu, qui par les viues flames
Allume inceſſamment les plus gentilles ames
Brulantes aux rayons de voz flambeaux eſpars.

Le Dœmon qui preſide à voſtre doux parler,
Ouurant le beau Coral de vos leures vermeilles
Et qui rempliſt les cueurs de crainte & de merueilles,
D’amour, de reuerence, eſt vn Dœmon de l’air.

Le gracieux Dœmon de vos diuins attraicts
Eſt vn Dœmon de l’eau, auquel la Cytheree
Cheminant mollement par la plaine aſuree,
Faict porter de ſon fils, l’arc, la trouſſe & les traicts,

Le Dœmon qui vous guide à ce graue marcher,
C’eſt celuy qui conduit la vierge chaſſereſſe :
Il frequente la terre, & reconnoiſt l’adreſſe
Des lieux qu’il faut fuyr, & ceux qu’il faut chercher.

Le Dœmon qui conduit les ſainctes actions.
De voſtre chaſte, belle & honorable vie
Eſt vn Dœmon du Ciel : le Ciel auoit enuie
De ſe faire admirer par vos perfections.


Ainſi donc voz Dœmons commãdent en tous lieux.
Madame, & ils pourront donner grace à mõ Hymne,
Puis que de Vaudemont l’excellence diuine
Illuſtre le feu, l’air, l’eau, la terre & les Cieux.


Hymne de l’Eau à la Roine.


Sovrce qui ruiſſelant voſtre onde criſtaline
Tirez d’vn double Roc votre antique origine,
De grace excuſez moy ſi j’oſe vous chanter :
Ie crain fort en chantant de vous mal-contenter
Et d’accroiſtre ma honte au lieu de voſtre gloire :
Ie crain fort d’offencer les filles de Mémoire
Qui ne ſe plaisent pas, ains tiennent à meſpris,
Mais tout ainſi qu’on voit que la liqueur vineuſe
De ce Dieu deux fois né d’une force fumeuſe
Derobe les eſprits, les ſens, & la raiſon
A celuy qui beuvant luy ouvre ſa maiſon,
Si bien que ne ſentant que le Dieu qui le touche
Il a ſa force au cueur, & ſon nom dans la bouche.
Ayant ainſi gouſté les mielleuſes douceurs,
Nymphes, non pas de vous, mais celles de voz ſœurs,
Ie ne ſuis plus à moy, & forcée d’eſcrire,
Pleine de leurs vertus, leurs vertus ie reſpire :
Ie me laiſſe couler ſans guide au fil de l’eau
Sans avoir pour m’ayder ny rame ny bateau.
Doncques ie vous ſuplie, o belle onde ſacrée,

S’il m’auient de noyer, au moins qu’il vous agree,
Ie ne crain point la mort, & ne requiers ſinon
Que me perdant en vous, vous ne perdiez mon nom.
Ceignez-moy de voz bras, & voſtre onde argentine
Face bruire parfois le nom de Catherine,
Qui humble vous ſalue honorant voz honneurs
Dignes d’eſtre chantez des plus dignes ſonneurs.
Belles & ſainctes eaux voz sources perennelles
Soutenoient du ſeigneur les vertus eternelles,
Car ſon eſprit ſur vous ſe promenoit alors
Que ſon alme pouuoir compoſa ce grand corps,
Et l’ayant ordonné par nombre, & par meſure
Il luy feit de voz bras une large ceinture
Monſtrant autour de vous cent mille raritez
Qui tiennent leur grand pris de voz humiditez
Le Chriſtal, le Coral, la Perle d’excellence,
Et les poiſſons ſacrez à l’honneur du ſilence :
Mais cela n’eſt pas tout, car nous autres humains
Priſmes forme en l’humeur de voz humides mains
Quand de voz ſainctes eaux les vagues écumeuſes
Arroſoient de l’Edem les plaines limoneuſes.
Et c’eſt ores pourquoy (belles) à voſtre honneur,
L’homme retient encor’ſon nom de voſtre humeur
Depuis ce ſexe ingrat, cette maudite race
Meſconnoissant son Dieu pecha deuant ſa face,
Et le ſeigneur voyant ſon infidelité
Le voulut chaſtier de la temerité.
Ie veux, ce vous dit-il, o ſervantes fideles
Punir de ces meſchans les offenses mortelles.

Ie les veux tous noyer, Nymphes, ie veux par vous
Faire ſentir l’aigreur de mon iuſte courroux :
Ie veux que par vous ſoit la terre enuironnee,
Et voir de ces ingrats la derniere iournee
Qui triſtes ne pouuant fuyr l’horreur de l’eau
Seront enſevelis ſouz un meſme tombeau.
Vn d’entr’eux ſeulement trouuera pour refuge
Vne arche pour ſauuer ſes enfans du Deluge.
Il eſt bon devant moy, auſſi ie ne veux pas,
Que meſme ſon renom meure par ſon treſpas :
Ie luy feray trouver une liqueur notable,
Qui rendra pour jamais ſa memoire agreable.
Belles, dans peu de iours voſtre onde varira,
Pleine de nouueaux fruicts la terre produira
Cette follaſtre humeur qui par Noë trouuee,
Sera de luy bien toſt à ſon dam eſprouuee,
Pour n’avoir point puiſé dans voz ſacrez ruiſſeaux
Car vous ſeules pouvez, ſainctes & belles eaux
Meſlant avecques le vin voz liqueurs ſauoureuſes,
Moderer quelque peu ſes forces outrageuſes.
Voila, Nymphes, comment par le vouloir diuin
Vous puniſſez l’orgueil, & corrigez le vin.
Tout ainſi que l’on voit la femme gracieuſe
Guerir de ſon mary la penſee ennuyeuſe,
Avec un doux ſoubsris, avec un doux propos,
L’appaiſer doucement, & le mettre à repos :
Ainſi le vin par vous appaiſant ſon audace,
Vous perdez ſa fureur, & conſervez ſa grace
Mais qui eſt plus que vous prompte à noſtre beſoing ?

Mais qui a plus que vous de nous ayder le ſoing ?
Et qui rend ſinon vous noſtre terre fertille ?
Comme ſans vous auſſi nous la voyons ſterile.
L’Égypte ne produit de ſi riches moiſſons
Que par vous, ſainctes eaux, qui en maintes ſaiſons,
Luy debordez le Nil. La deſerte Lybie
Eſt par faute de vous de tous hommes haye.
L’homme ne pourroit pas viure commodément
S’il n’auoit touſiours l’eau à ſon commandement
Noz yeux ne verroient point ſi l’humeur nourriciere
N’entretenoit touſiours leur plaiſante lumiere.
Rien ne pourroient ſervir la terre, ny le feu,
Et meſmement ceſt air nous ſerviroit de peu
Si nous n’auions par vous le fruict, la fleur, la plante,
Pour nous oſter la faim, quand la faim nous tourmẽte,
Vous dechaſſez la ſoif, vous netoyez les corps :
Belle, vous nous lauez, & dedans & dehors,
Nous vous tenons des mains de la mere nature,
Sans vous donner logis, loyer, ny nourriture :
Ce n’eſt comme le feu qui ſ’en va promptement,
Si l’on n’aide ſans fin à ſon nourriſſement,
Nymphes en vous diſant variables, legeres,
Vrayement on vous faict tort, vous eſtes meſnageres,
Courant de toutes parts pour ayder à chaſcun,
Et puis vous raportez le tribut en commun,
Au ſein de voſtre mer, mais bien de noſtre mere,
Puis qu’on dit que de tous l’Ocean eſt le pere.
Quelques vns ſe plaignans que vous les trahiſſez
Que vous rompez leurs nefs, que vous les meurdriſſez

Ne reconnoiſſent pas que la ialouſe envie
Des vends & non de vous leur derobe la vie :
Car les vents amoureux de voz rares beautez,
En veullent receuoir toutes les priuautez,
Parfois vous careſſant, o Nymphes marinieres,
Ils baiſent doucement la fleur de voz riuieres :
Mais ſi quelque vaiſſeau les garde d’aprocher,
Furieux ils le font briſer contre un rocher.
O Dieu combien de fois la gaillarde jeuneſſe
Ioüant en voſtre sein a ſenty la rudeſſe
De ces enfans de l’air qui brulant de courroux
L’eſtaignoient en voz bras par un deſpit ialoux !
He ! mais que feriez vous, les fureurs amoureuſes
Des vents audacieux ne vous font moins piteuſes,
Ne pouuant garentir les hommes de la mort.
Tout ce qui eſt à eux vous le mettez à bord :
Vous pouuez, ſainctes eaux, les guerir de la rage,
Et du fondre tonnant vous empeſchez l’orage.
Lüy ouurant le chemin pour le faire couler
Auec moins de fureur par le vuide de l’air,
Tant de proprietez ſe trouuent aux fontaines
Qui ſoulagent les maux dont noz vies ſont pleines.
Ceſt’eau qui de Triuulſe honoroit le iardin
Rendoit en la beuuant gracieux & benin :
Et ceſt autre qui eſt des eaux la principale
Se ioint ſi proprement à l’humeur radicale,
Qu’elle raieuniſt l’homme en la vieille ſaiſon
Comme le ſiecle vieux veit raieunir Æſon,
Auſſi vous nourriſſez les flambeaux de noz vies

Qui ſans vous, ſaines eaux, nous ſeroient toſt rauies.
O belles, voz vertus decorent les pays :
Mais pour Dieu dittes moy de ce lac de Says,
Lequel rendoit de nuict (ſur vous repreſentee)
Toutes les paſſions d’vne ame tourmentee.
Nymphes dictes le moy ces merueilleux ſecrets :
Pour m’eſtre reuelez n’en ſeront moins ſacrez,
Ie ne les diray point, o miracle du monde !
L’eſprit de noz eſprits nage dedans voſtre onde
Qui nous reiette en l’œil par voz perfections
Le ſimulachre aymé de noz affections.
Neptune veut montrer au Trident admirable
Que vous eſtes liquide & feconde & beuuable,
Auſſi tout va puiſer dedans voſtre element.
Et les celeſtes feux en prenent aliment
Ceux qui vont adorer Jupiter en Dodone
Treuuent du feu chez luy que voſtre onde leur donne,
Car elle a le pouvoir d’allumer vn flambeau
Et d’eſteindre le feu qui n’eſt pris de ſon eau.
Vous auez vn ruiſſeau tout plein de prophetie
À la cime du mont Colophon de Lydie
Qui faicts par ſa vertu predire l’aduenir.
Vous en avez auſſi perdant le ſouvenir,
O bien-heureuſes eaux, qui auez la puiſſance
D’effacer de noz maux la triſte ſouuenance,
He qu’à bonne raiſon ce Prince Athenien
Eſtimoit voſtre oubly la ſource de tout bien !
Ie voudroy qu’il vous pleuſt couler en noz riuieres
Pour nous faire oublier noz peines coutumieres.

Venez, Nymphes, venez, voicy le petit Clain,
Qui humblement vous offre, & les bras & le ſein,
Ne le deſdaignez point, venez, ô vive ſource,
Courez prompte vers luy d’vne legere courſe,
Et ſi comme Tagus il n’a le ſable d’or
Aſſeurez vous pourtant qu’il tient un grand treſor,
Tant de gentils eſprits ornement de noſtre aage,
Qui reverent ſes eaux, & luy rendent hommage.
Nymphes vous plaiſt il pas leur preſter voz ſsaueurs
Afin d’en recevoir quelques dignes faueurs ?
Il ne faut pas pourtant que par vous soit traſſee
La memoire du bien, mais la peine paſſee.
Et quoy ? Si vous perdiez le ſouuenir de tous,
Vous feriez perdre auſſi le ſouvenir de vous.
Pource ie vous ſuply les arroſer de ſorte,
Que iamais en leurs mains la grace n’en ſoit morte
Et que voüant vn vers à l’immortalité,
Ils vous rendent ſans fin le loyer merité.
Belles & ſainctes eaux, voſtre ſacré riuage
De ce grand Dieu viuant repreſente l’image.
Il eſt le pere aydant, vous aydez à chaſcun,
Vous eſtes touſiours meſme, & il eſt touſiours vn,
Il meut inceſſamment cette machine ronde,
Vous la mouuez auſſi d’une force ſeconde :
Nous receuons l’eſprit de ſa Diuinité
Nous receuons le corps de voſtre humidité.
Vous auez le pouvoir, o belles ſources vives,
D’amender la fortune avec l’or de voz riues,
De charmer les ennuys, d’appaiſer les douleurs,

D’acquerir des amis, d’oublier les malheurs :
Fortes, vous inſpirez vne ame prophetique,
Vous augmentez auſſi la fureur Poëtique,
He ! que diray-ie plus ? Eaux ſainctes, nous devons
A voz ondes l’honneur du bien que nous auons.
Ie vous rens grace donc, o ſources perennelles,
Qui gardez du seigneur les vertus eternelles,
Et ſans commancement, ſans fin, & ſans millieu,
Repreſentez icy l’image du grand Dieu.


Imitation de la mere de Salomon,
à la Roine mere du Roy


Qvelle choſe mon fils, ma nourriture chere,
Entendras-tu de moy, de moy qui ſuis ta mere,
Ie ne puis te laiſſer qu’vn brief enſeignement,
Qui pour ta Royauté ſervira d’ornement :
Car d’vn Prince excellent l’ame prudente & ſage,
Ayme plus les vertus que ſon riche heritage.
Doncques ſouuienne toy qu’il faut que les grãds Rois,
Commandant à leur peuple obeiſſent aux loix.
Et tiens dedans ta main la balance equitable,
Veu que ton premier jour l’a faict recommendable,
Pource que le ſoleil la regardoit voiſin,
Alors que tu naquis ſouz un heureux deſtin.
Mais tu dois commencer d’obſeruer la Iustice
En toy meſme, & touſiours fermer la porte au vice,

Ne laiſſer point tirer tes deſirs par les yeux,
Et ne donner ton bien pour eſtre vicieux,
Suyvant les faux appas d’une impudique flame
De craincte d’offencer ta legitime femme :
Car ſe ſeroit manquer à Dieu, aux loix, à toy,
Et pariurer l’autel de luy faucer la foy
Qui ſent d’un autre feu l’amoureuſe ſcintille
Eſt en danger d’avoir une eſpouſe ſterile
Et ne voir de longtemps les regards blandiſſans
Ny les ſoubsris mignards de ſes petits enfans.
Ie ne te priray point de te garder de boire,
Le breuuage fumeux qui gaſte la memoire,
Ie ſçay que ta raiſon garde le ſouvenir
De ce qui eſt paſſé iugeant de l’aduenir :
Mais ie te priray bien d’ayder à l’innocence
Des pauures affligez qui n’ont point de deffence.
Ie te ſupplie encor de fuyr prontement
Des propos deprauez le traiſtre enchantement,
Regarde ſi celuy qui pend à ton oreille
Eſt digne d’eſtre ouy en ce qu’il te conſeille ;
Qui ſçait bien gouverner par ordre en ſa maiſon
Il peut bien conſeiller un prince avec raiſon.
Mon fils, tu és des tiens l’eſpoir & le refuge,
Ils n’ont que Dieu au Ciel, toy en terre pour iuge :
Penſe auant que dire, & iuges ſagement
Puis que tout obeit à ton commandement.
Pour nuyre à tes voiſins ne dreſſe point d’armee ;
Et que ſert il de voir noſtre terre ſemee
De tant de corps humains ? qui fait guerre à autruy,

Il ſent premierement la guerre dedans luy,
Tu ne dois pas pourtant ſupporter l’inſolence
Des hommes corrompus qui ſont ſous ta puiſſance
Sans te monſtrer vers eux, ny ſevere, ny doux,
Il les faut chaſtier en ton iuſte courroux :
Vn Roy n’eſt eſtimé pour eſtre plus robuſte,
Ou plus ieune, ou plus beau, mais pour eſtre plus iuſte.
Dieu vueille mon enfant qu’vn Laurier verdiſſant
Entourne pour iamais ton ſceptre fleuriſſant,
Et qu’il ſoit ceint auſſi par les branches d’Oliues,
Afin que pluſieurs ans paiſiblement tu viues.



À G. P.

Vous dictes que ie vends ces vers à leurs hauteſſes,
Non, ie ne les vend point : le preſent eſt entier,
Car ie proteſte Dieu que Princes ny Princeſſes
Ne m’ont iamais donné la valeur d’vn denier.


A ma mere.


IE vous fays vn preſent de la vertu ſupreme,
Depeinte proprement par vn Roy tres-parfaict,
(Ma mere) & vous offrant ceſt excellent pourtraict,
C’eſt vous offrir auſſi le pourtraict de vous meſme.


La femme forte deſcritte par Salomon.


Heureux qui trouvera la femme vertueuſe,
Surpaſſant de valeur la perle precieuſe,

Le cueur de ſon mary d’elle ſ’eſiouyra ;
Plein d’honneurs, plein de biens, content il ioüira
Du fruict de ſon labeur, tous les iours de ſa vie.
Il l’aura pour compaigne & seruante & amie,
Fuyant le doux languir du pareſſeux ſommeil
Ell’ſe leue au matin, premier que le ſoleil
Monſtre ſes beaux rayons, & puis faict un ouurage,
Ou de laine, ou de lin, pour ſeruir ſon meſnage,
Tirant de ſon labeur un vtile plaiſir.
Ses ſeruantes auſſi qu’elle a bien ſçeu choiſir,
Chaſſant l’oiſiueté, ſont toutes amuſees
A cherpir, à peigner, à tourner leurs fuſees,
Faire virer le trueil, comme vn petit moulin,
Le Chaſtelet auſſi pour devider le lin.
Comme l’on voit ſur mer la vagante nauire
Raporter au marchand le profit qu’il deſire,
Le bled, le vin, le bois, afin qu’à ſon beſoing,
Il le trouve chez luy ſans le chercher plus loing :
Ainſi la Dame ſage ordonne ſa famille,
Afin que ſon mary, & ſes fils, & ſa fille,
Ses ſeruans, ſes ſuiects, puiſſent avoir touſiours,
Le pain, le drap, l’argent, pour leur donner ſecours
Contre la faim, le froid, & maintes autres peines,
Qui tourmentent ſouuent les penſées humaines.
Ayant bien diſpoſé l’eſtat de ſa maiſon,
Dependant par meſure, eſpargnant par raiſon :
Elle va voir aux champs la brebis porte-laine,
Et le bœuf nourricier qui traine par la plaine
Le ſoc avant-coureur de l’epspy iauniſſant :

Elle regarde apres ſi le fruict meuriſſant
Dedans le boys tortu, promet que celle annee
On puiſſe rencontrer une bonne vinee.
Et ne deſdaignant point de travailler auſſi
Elle prend d’y planter la peine, & le ſouci.
Vous la verriez parfois r’accourcir ſa veſture
Trouſſee proprement d’vne forte ceinture,
Et reuirer apres ſes manches ſur les bras
Qui paroiſſent charnus, poupins, doüillets, & gras :
Car il ne faut penſer que la delicateſſe,
Se trouue ſeulement auecques la pareſſe.
La femme meſnagere eſt plus belle cent fois,
Que ne ſont ces Echo qui n’ont rien que la voix.
Or cette diligente ayant tel auantage,
Elle eſt plus belle auſſi, d’autant qu’elle eſt plus ſage :
Prenant prouiſion des beaux fruicts de ſes champs,
Elle en meſure auſſi pour les vendre aux marchands.
Sa lampe n’eſteint point, ains touſiours la lumiere
Eſt dedans ſon logis d’eſclairer couſtumiere :
Pource qu’il faut veiller & travailler ſouvent
Pour faire des linceuls, & des draps qu’elle vend.
Sa liberale main ſe monstre fauorable
Aux pauures affligez, dont l’eſtat miſerable,
Eſt digne de pitié, en ne refuſant pas
De prendre la quenoille, ell’n’eſpargne ſes pas,
Pour aller et venir autour de ſes ſeruantes
Et loüant leurs labeurs les rendre diligentes.
Elle donne à chaſcune vn bon accouſtrement,
En les encourageant d’aduancer promptement,

De faire des tapys, couuertes, & courtines.
A elle ſeulement pour accouſtremens dignes
De ſes rares valeurs, le pourpre est ſuffiſant :
Mais elle a vn habit qui luy eſt mieux duiſant
De ſage Temperance, & de ſaincte Iuſtice,
De Fortitude auſſi, qui faict la guerre au vice,
De Prudence guidant toutes ſes actions,
Chaſcun la reconnoiſt pour ſes perfections.
Son mary est priſé en tous lieux de la ville,
Pour eſtre poſſeſſeur de femme ſi gentille :
Ell’ a deſſus ſa langue un coulant fleuue d’or,
Et tient en ſon eſprit un precieux treſor
De graces & vertus ſa parfaicte eloquence,
Monſtre par ſes propos la vraye ſapience :
Ell’ eſt douce, benigne, & conduit ſagement
Le train de ſa maiſon, non pas oyſiuement :
Car elle faict avoir, & le pain, & la peine,
Voulans que le travail un doux repos ameine :
Ses enfans ſont autour qui reuerent ſans fin
Le diſcret iugement de ſon eſprit divin :
Son mary la voyant ſur toutes admirable
Confeſſe qu’en la terre elle n’a de ſemblable :
Pluſieurs Dames pourtant ont faict digne recueil
De graces & beautez qui plaiſent fort à l’œil,
Mais tu les paſſes tant (O Dame d’excellence)
D’autant qu’vn bon propos ſurpaſſe le ſilence,
D’autant qu’un iour luiſant paſſe l’obſcure nuict,
Ta rarité d’autant ſur les autres reluit.
La beauté ſe fleſtriſt, la grace eſt decevable,

Et de tous leurs attraits ce n’eſt rien qu’une fable :
Mais la femme qui ayme, & qui craint le ſeigneur,
Merite receuoir un immortel honneur :
Sus doncques rendez-luy la gloire meritee,
Sa loüange ne ſoit de bornes limitee,
Faictes-luy voiſiner la grand’ voute des Cieux,
Puis qu’elle eſt en ce monde un miracle à voz yeux,
Que ſa perfection un tel loyer demande,
Rendez le prontement, car Dieu vous le commande.


L’Agnodice.


IL n’y a paſſion qui tourmente la vie
Avec plus de fureur que l’impiteuſe enuie :
De tous les autres maux on tire quelque bien,
L’avare encheſné d’or ſe plaiſt en ſon bien,
Le ſuperbe ſe fond d’vne douce allegreſſe,
S’il voit vn grand ſeigneur qui l’honore & careſſe,
Le voleur epiant ſa proye par les champs
Soubsrit à ſon eſpoir attendant les marchands,
Le gourmand prend plaiſir au manger qu’il deuore,
Et ſemble par les yeux le deuorer encore,
Le ieune homme ſurpris de laſcives amours
Compoſe en ſon eſprit mille plaiſans diſcours,
Le menteur ſe plaiſt fort ſ’il ſe peut faire croire,
Le iureur en brauant ſe pompe dans ſa gloire.
Mais ô cruelle envie, on ne reçoit par toy
Sinon le deſplaisir, la douleur & l’eſmoy,

A celuy qui te loge, ingrat’ & fiere hoteſſe
Tu laiſſe pour payement le dueil & la triſteſſe,
A celuy qui te donne à repaiſtre chez luy,
Tu payes pour eſcot le chagrin & l’ennuy :
De noz premiers parens tu eſpris le courage,
Eſpandant le venin de ta feilleuſe rage,
Sur les diuins autels, quand le bras fraternel
Tua le pauure Abel invoquant l’eternel.
Depuis en te coulant aux autres parts du monde
Tu ſemas en la terre une race feconde
D’ires, de cruautez, de geines & de morts
Qui font aux vertueux cent & cent mille torts :
Mais ſur tous autres lieux, c’eſt la Contree Attique
Qui teſmoigne le plus de ta puiſſance inique
Nenny point pour Theſé de ſes parens trahy,
Pour le iuſte Ariſtide iniuſtement hay,
Ny pour que Themiſtocle ait fuy dans la terre
D’un Roy que tant de fois il pourſuiuit en guerre,
Ny pour voir Miltiade à tort empriſonné,
Pour Socrate non plus qui meurt empoiſonné :
Mais pour toy (Phocion) qui n’eus pas ſepulture
Au pays tant aymé où tu pris nourriture.
Une Dame eſtrangere ayant la larme à l’œil
Receut ta chere cendre, & la meit au cercueil,
Honorant tes vertus de loüanges ſupremes
Elle cacha tes oz dedans ſon fouyer meſmes,
Diſant d’un triſte cueur, humble & deuotieux.
Ie vous appelle tous o domeſtiques Dieux,
Puisque de Phocion l’ame ſ’eſt d’eſliee,

Pour aller prendre au ciel ſa place dediée,
Et que ſes citoyens cauſes de ſon treſpas
L’ayant empoiſonné ores ne veulent pas
Qu’il ſoit enſevely dedans ſa terre aymee
Se montrant enuieux deſſus ſa renommee,
Aymons ce qui nous reſte, honorons ſa priſon,
Le feu ſ’en eſt volé, gardons bien le tiſon.
L’enuie regardant cette dame piteuſe
Dans ſoy meſme ſentit une ire ſerpenteuſe,
Roüant ſes deux grans yeux pleins d’horreur & d’effroy,
Ah ! Ie me vengeray, (ce dit elle) de toy,
He ! tu veux donc ayder, (ſotte) tu veux deffendre
Phocion, dont ie hay encor la morte cendre,
Saches qu’en peu de temps ie te feray ſentir
De ton haſtif ſecours vn tardif repentir :
Car en deſpit de toy i’animeray les ames
Des maris, qui ſeront les tyrans de leurs femmes,
Et qui leur deffendant le liure & le ſçauoir,
Leur oſteront auſſi de viure le pouvoir.
Auſſi toſt qu’elle eut dit, elle gliſſe aux moüelles
Des hommes qui voyans leurs femmes doctes-belles
Deſirent effacer de leur entendement
Les lettres, des beautez le plus digne ornement :
Et ne voulant laiſſer choſe qui leur agree
Leur oſtent le plaisir où l’ame ſe recree
Que ce fuſt à l’envie vne grand’ cruauté
De martirer ainſi cette douce beauté :
Les dames auſſi toſt ſe trouverent ſuivies
De fiebvres, de langueurs, & d’autres maladies ?

Mais ſur tout la douleur de leurs enfantemens,
Leur faiſoit ſupporter incroyables tourmens,
Aymant trop mieux mourir que d’eſtre peu honteuſes
Contant aux Medecins leurs peines langoureuſes.
Les femmes (ô pitié !) n’oſoient plus ſe meſler
De ſ’aider l’vne l’autre, on les faiſoit filler :
Leurs marys les voyans en ce cruel martyre,
Ne laiſſoient pas pourtant de gaucer & de rire,
Peut eſtre deſirant deux nopces eſprouuer,
Ils n’avoient plus de ſoing de les vouloir sauver.
En ce temps il y eut vne Dame gentille,
Que le ciel avoit faict belle, ſage, & ſubtile,
Qui piteuſe de voir ces viſages ſi beaux,
Prontement engloutis des auares tombeaux,
Les voulant ſecourir couurit ſa double pomme
Afin d’eſtudier en accouſtrement d’homme :
Pource qu’il eſtoit lors aux femmes interdit
De pratiquer les arts, ou les voir par eſcrit.
Ceſte Dame cachant l’or de ſa blonde treſſe
Apriſt la Medecine, & ſ’en feit grand maiſtreſſe.
Puis ſe reſouuenant de ſon affection,
Voulut effectuer ſa bonne intention,
Et guerir les douleurs de ſes pauures voiſines
Par la vertu des fleurs, des fueilles & racines :
D’vne herbe meſmement qui fut cueillie au lieu
Où Glauque la mengeant d’homme deuint un Dieu.
Ayant tout preparé la gentille Agnodice,
Se preſente humblement pour leur faire ſervice,
Mais les Dames penſant que ce fut un garſon,

Refuſoient ſon ſecours d’une eſtrange façon.
L’on cognoiſſoit aſſez à leurs faces craintiues
Qu’elles craignoient ſes mains comme des mains laſſiues,
Agnodice voyant leur grande chaſteté
Les eſtima beaucoup pour ceſte honneſteté,
Lors deſcouvrant du sein les blanches pommes rondes,
Et de ſon chef doré les belles treſſes blondes,
Monſtre qu’elle eſtoit fille, & que son gentil cueur,
Les vouloit delivrer de leur triſte langueur
Les Dames admirant ceſte honte nayſue,
Et de ſon teint doüillet la blanche couleur vive,
Et de ſon ſein poupin le petit mont iumeau,
Et de ſon chef sacré l’or crepelu tant beau,
Et de ſes yeux divins les flammes rauiſſantes,
Et de ſes doux propos les graces attirantes
Baiſerent mille fois & ſa bouche & ſon ſein,
Receuant le ſecours de ſon heureuſe main.
On voit en peu de temps les femmes & pucelles,
Reprendre leurs teins frais, & deuenir plus belles :
Mais l’enuie preſente à ceſt humain ſecours,
Proteſte de bien toſt en empeſcher le cours :
Elle mangeoit ſon cueur, miſerable viande,
Digne repas de ceux où ſon pouvoir commande,
Et tenoit en la main vn furieux ſerpent
Dont le cruel venin en tous lieux ſe reſpand.
Son autre main portoit vne branche eſpineuſe,
Son corps eſtoit plombé, ſa face deſpiteuſe,
Sa teſte ſans cheveux où faiſoient pluſieurs tours
Des viperes hideux qui la mordoient touſiours,

Trainant autour de ſoy ſes furieuſes rages,
Elle ſen va troubler les chaſtes mariages,
Car le repos d’autruy luy eſt propre malheur.
Aux hommes elle miſt en soupçon la valeur,
De la belle Agnodice & ſes graces gentilles,
Diſant que ſa beauté de leurs femmes & filles
Avoit plus de faveur que ne doiuent penſer
Celles qui ne voudroient leurs honneurs s’offencer.
Eux eprix de fureur ſaiſirent Agnodice,
Pour en faire à l’enuie un piteux ſacrifice.
Helas ! ſans la trouver coulpable d’aucun tort,
Ils l’ont iniuſtement condemnee à la mort :
La pauvrete voyant le mal-heur qui s’appreſte
Deſcouvrit promptement l’or de ſa blonde teſte
Et monſtrant ſon ſein beau, aggreable ſejour
Des Muſes, des vertus, des graces, de l’amour,
Elle baiſſa les yeux pleins d’honneur & de honte
Vne vierge rougeur en la face luy monte,
Diſant que le deſir qui la faict deſguiſer,
N’eſt point pour les tromper, mais pour authoriſer
Les lettres, qu’elle appriſt voulant ſeruir leurs Dames :
Que de la ſoupconner de crimes tant infames,
C’eſt offencer nature & ſes divines loix.
Depuis qu’elle eut parlé oncq une ſeulle voix
Ne ſ’eſleva contre elle, ains toute l’aſſiſtance
Monſtroit d’eſmerveiller ceſte rare excellence,
Ils eſtoient tous ravis ſans parler, ny mouvoir,
Ententifs ſeulement à l’ouyr & la voir,
Comme l’on voit parfois apres vn long orage,

Raſſerener les vents, & calmer le rivage,
Quand les freres iumeaux qui regardoient ſur mer,
Une piteuſe nef en danger d’abiſmer.
L’a ſauuant de peril des flots l’ont retiree
Pour luy faire aborder la rive deſiree :
Les hommes tout ainſi vaincus par la pitié,
Rapaiſent la fureur de leur inimité,
Faiſant à la pucelle une humble reuerence,
Ils luy vont demander pardon de leur offence.
Elle qui reſſentit vn plaisir ſingulier,
Les ſupplia bien fort de faire eſtudier,
Les Dames du pays ſans enuier la gloire
Que l’on a pour ſeruir les filles de Memoire.
L’enuie congnoiſſant ſes efforts abbatus
Par les faicts d’Agnodice, & ſes rares vertus
A pourſuiuy depuis d’vne haine immortelle
Les Dames qui eſtoient vertueuſes comme elle.


Antitheſe du Somme & de
la mort.


RIen n’eſt plus differend que le ſomme & la mort,
Combien qu’ils ſoient iſſus de meſme parentage :
L’vn proffite beaucoup, l’autre faict grand dommage,
De l’vn on veut l’effect, de l’autre on craint l’effort.

Une moite froideur qui deſcend du cerueau,
Nous cauſe le ſommeil, une fiebvre bruſlante

Qui eſtaint les eſpris par ſon ardeur nuiſante
Nous cauſe le treſpas, nous met au tombeau,

Le ſomme va ſemant de roſes & de lys,
Les beaux traits delicats d’vne plaiſante face,
Et l’effroyable mort dans l’horrible creuaſſe,
D’vn ſepulchre odieux les tient enſeuelis,

Le ſommeil reſpirant mille petits zephirs,
Careſſe doucement le dormant en ſa bouche,
Et la mort terniſſant vne vermeille bouche,
Eſtouffe pour iamais ſes gracieux ſouspirs.

Apres un long ſommeil l’homme ſe ſent diſpos,
Pour aller au palais, à la Cour, à la guerre,
La mort renge au ſuere, en la bière, en la terre,
Et meurdriere corrompt les nerfs, la chair, les oz.

Le ſoleil, & ſommeil ont preſque meſmes noms,
Meſmes effects auſſi : l’vn nous donne la vie,
L’autre empeſche que toſt elle ne ſoit rauie,
La couurant, curieux, deſſoubs ſes aillerons.

O gracieux ſommeil, riche preſent des Dieux !
Tu ne pouuois loger en vne part plus digne
Que celle que tu tiens, puis que l’ame diuine
A ſa demeure au chef, & ſa feneſtre aux yeux.

Ne m’abandonne point, o bien heureux ſommeil,
Mais vien toutes les nuicts àbaiſſer la paulpiere,

De ma mere & de moy, fais que la nuit derniere,
Ne puiſſe de longtemps nous fermer le ſoleil.

Ainſi ſoit pour iamais le ſilence ſacré,
Fidel auant-coureur de ta douce preſence,
Ainſi l’ombreuſe nuict reuere ta puiſſance,
Ainſi les beaux pauots floriſſent à ton gré,


Epitaphes.

Medee.


Fuiez, Dames, fuyez l’amoureuſe pointure,
Tirez vn doux ſalut de ma peine tant dure,
Beautez, grandeurs, treſors, herbes, enchantemens.
Ne ſceurent alleger mes ennuieux tourmens :
Ie fus Roine, & forçay les eſtoiles hautaines,
Mais le tyran amour triompha de mes peines,
Et voulant m’affranchir de ſon cruel eſmoy,
Ie tuay pere, frere, eſpoux, enfans, & moy.


Clitemneſtre.


Oreste furieux pour la mort de ſon pere,
Voulant rougir la terre aux deſpens de ſa mere,
Delaiſſa promptement l’accouſtrement Royal,
Qui ornoit la beauté de ſon corps deſloyal,
Quand elle regardant ſa dextre furieuſe,
Auec le fer trenchant, luy diſt en voix piteuſe :

Veux tu frapper mon fils, ou mon ſein, ou mon flanc ?
De l’vn tua pris le laict, & de l’autre le ſang.


Lucrece


Le pauure Colatin voyant ſa triſte femme,
Diſoit, chere Lucrece appaiſe ta douleur,
La coulpe ne tient point à ceſte gentille ame,
Si ton corps eſt pollu tu as vn chaſte cueur.
Refuſfant ſes raisons la courageuſe Dame,
Luy diſt perdant la vie, il faut ſauuer l’honneur,
Tu m’abſous, ie me iuge à la trenchante lame,
Ne pleure point ma mort, mais pleure ton mal-heur.


Niobe.


Ie ſuis Niobe : helas ! plaignez mon aduenture.
Mon ſort eſt miſerable, & digne de pitié
Sept filles, & ſept fils me donna la nature,
I’en perdis en vn iour l’vne & l’autre moitié :
Le marbre eſt maintenant du marbre ſepulture,
Ainſi le veut du Ciel la fiere inimitié :
Ie fus Roine, & ſuis marbre, or deſſoubs ceſte terre,
Paſſant, tu n’y verras que la pierre en la pierre,

UN ACTE DE LA
TRAGICOMEDIE DE TOBIE,
ov sont representees
les Amours & les Noces du Ieune Tobie
& de Sarra Fille de Raguel.

A MA MERE.


MA Mere, ſi je penſois qu’il fuſt neceſſaire de compoſer vn Argument ſur les diuerſes aduentures de l’vn et de l’autre Tobie, ie dirois comment la pieté du bon homme luy fit abandonner la table où il banquetoit auec ſes Amis, pour aller enſeuelir vn mort, & comme ne voulant pas rentrer au Feſtin auec ceſte polutiõ d’auoir touché vn corps priué de ſon ame, il ſe retira en vn lieu ſecret de la maiſon, auquel ſe laiſſant doucemẽt vaincre à la force du ſomme, cet ingrat oyſeau que Pitagore desfend de loger, rẽdit la plus noble partie de ſon viſage manque de l’office coutumier, luy perdant la veüe par la ſaleté de ſon excrement : ie dirois comment Tobie aueugle, auoit l’ame eſcleree d’vne ſplendeur diuine, qui luy faiſoit enuoier infinité de plaĩtes iuſques au Ciel : Et cõme en ce meſmes temps la belle & vertueuſe Sarra eſtoit miſerablement affligee en la maiſon de ſon pere, pour la cruauté déteſtable de l’eſprit malin Aſmodée, qui faiſoit treſpaſſer aupres delle ſes maris dès le ſoir de leurs Noces : De ſorte qu’en ayant eu iuſques au nombre de ſept il n’en reſtoit pas un viuãt : ie dirois comment la triſte dame ſe voiant innocemment coupable de tant de morts, fit voller par le vuide de l’air ſes piteuſes querelles, leſquelles rẽcõtrerent celles de Tobie & toutes enſemble ſen allerent crier merci deuãt le Troſne de Dieu, de qui la bonté immenſe voulant ſecourir ces deux affligez par le moyẽ de la perſonne qui leur ſeroit la plus chere en ce mõde, enuoya l’Ange Raphaël ſouz l’acouſtrement & le nõ d’Azarie, pour cõduire le ieune Tobie en la cité de Rages, ou ſon pere luy cõmandoit d’aller demãder quelque ſomme d’argent qui luy eſtoit du. Ie dirois auſſi comment le Fleuue Tigris fit ſortir ſur la riue vn poiſſon de grandeur & forme eſpouventable, qui effroya Tobie de telle ſorte, qu’il euſt promptement fuy, ſans l’aſſurance que luy dõna le fidelle Azarie, diſant que ce poiſſon eſtoit, l’heureuſe medecine de ſes douleurs : Mais ſi ie voulois continuer le lõg diſcours, ma mere, i’ofencerois le lecteur preſſupoſant qu’il ne luy ſouvient plus de ceſte histoire, veu quelle eſt inſerée dedans la ſainte Bible, ie me ferois tort encore me trompant en l’opinion de moy meſmes, ſi ie penſois ſçavoir ce que les autres ignorent : il ne me ſeroit pas ſeant nomplus de faire vn argument sur toute la Tragicomedie dont ie n’ay diſpoſé en vers qu’vn acte ſeulement : ie pourrois ennuyer auſſi l’Ange & Tobie qui ſ’apreſtent de faire voir la conſtance d’un viel homme & d’vne ieune Dame que vous receurez s’il vous plaiſst ma mere, comme vn veritable miroer pour bien repreſenter la voſtre.

LA TRAGICOMEDIE
DE TOBIE.


Scène première

Tobie. Azarie.


Dites moy, ſ’il vous plaiſt ô mõ frère Azarie,
Quels remedes voici, dites moy ie vous prie
Dequoy peuuent guerir & le foye & le cœur,
Et le fiel du poiſſon qui m’a fait ſi grand peur ?

Azarie

Le cœur eſtant brulé dans une ardente braiſe,
Si le Diable tient homme ou femme en malaiſe,
Il ſ’enfuira bien toſt pour ne pouuoir ſoufrir
Ceſte eſpaiſſe fumee, & ſ’il pouuoit mourir
Il mourroit promptement. Quant à l’autre remede
Tu verras que le fiel eſt vn ſingulier aide

Pour recouvrir la vüe & neſtoier les yeux
Eſlevant leur clarté vers la clarté des cieux.

Tobie.

Mon frere mon amy, ſi vous me voulez croire
Parauant que la nuict tende ſa robe noire
Deſſus noſtre Oriſon, nous en irons loger,
Et du travail receu quelque peu ſoulager.

Azarie.

Allons i’en ſuis content, ie reconnois un homme
Iſſu de tes parens, qui Ragüel ſe nomme
Demeurant icy pres, il eſt riche de bien,
D’argent, terres, troupeaux, mais tout cela n’eſt rien
Au pris du beau threſor de ſa grande famille :
C’est d’vne belle, chaſte, & gracieuſe fille,
Vnique de ſon pere & de ſa mere auſſi :
Elle eſt de chaſcun d’eux l’agreable ſouci
Et ſera d’un mary bientoſt accompaignee,
Car ils n’ont autre eſpoir de future lignee
Qu’en elle ſeulement, il te la faut donner,
Tu la pourras d’icy auec toy emmener
Demande la au pere ? Il te prendra en grace,
Connoiſſant que tu es yſſu de meſme race,
Connoiſſant que tu es honneſte & vertueux,
Il te la donnera & ſ’en tiendra heureux.

Tobie.

Ie le voudrois fort bien, mais i’ay entendu dire
Qu’elle a eu ſept maris que l’on a veu occire
Des la premiere nuict qu’ils eſtoient retirez,
Avec elle en ſa chambre, & ſi ſont martirez
Par la force du Diable : Or moy i’ayme ma vie

Et ne veux point ſi toſt qu’elle me ſoit ravie.
Les hommes ont ſouvent des femmes deux ou trois,
Mais la vie iamais ils ne l’ont qu’vne fois :
Ie suis unique fils & de pere & de mere
Qui ſentiroient Helas la vie plus amere
Que moy meſmes la mort : ie ne veux point mourir.

Azarie.

Encontre ce danger ie te veux ſecourir,
Tobie aſſure toy que ces mal-heureux Diables
Ne ſe prendront iamais à toy ny tes ſemblables :
Ils ſe prendront touſiours à l’homme deſhonté :
Moque Dieu, fauce foy, lequel n’eſt ſurmonté
Sinon du fol deſir de ſa concupicence,
Fol deſir de Caual de qui l’ame ne penſe
Qu’à trouver le moyen de chaſſer Dieu dehors :
Tels hommes ſont ils pas dignes de mille mors ?

Tobie.

Ouy en verité : mais que faudroit-il faire
Pour fuir les éfors de ce traiſtre adverſaire ?
Les Diables ſont meſchans.

Azarie.

Ah ne les crainds jamais,
Dieu te defendra mieux, ami, je te promets,
Eſcoute ſeulement. Quand tu auras ta Femme
Monſtre toy plus aymant de la beauté de l’ame
Que de celle du corps ; demeure chaſtement
Auec elle trois nuicts priant deuotement
Sans iamais luy toucher, & fais bruler le foye
Du poiſſon que Tigris fit ſortir en la voye

Pour aleger tes maux : le Diable ſ’enfuira,
Abhorrant ceſte odeur que lors il ſentira.
Des la ſeconde nuict tu ſeras mis aux roolles
Des Patriarches ſaincts, dont les ſages parolles
Sont pour loix entre nous ; & la troisieſme nuict
Afin que de bon arbre il vienne de bon fruict
Le Seigneur benira ton affection ſainte :
En approchant Sarra ayez de Dieu la crainte,
Deſire que ce ſoit pour auoir des enfans
Qui ſervent au Seigneur des leurs plus ieunes ans,
Et non pour accomplir un vouloir deshonneſte ;
La benediction qui couronna la teſte
Du ſainct pere Abraham ſ’eſtendra ſur les tiens ;
Garde tous mes propos amy & t’en ſouuiens.


Scène deuxiesme

Tobie, Azarie, le chœur des femmes.
Tobie.


JE retiens vos propos comme graves ſentences,
Dieu vous vueille donner les dignes recompences
De voz rares vertus : quand ie me donnerois
A vous pour vous ſeruir, ie ne satiſferois
À ce que ie vous dois.

Azarie.

Tu connoiſtras mon frere
Que ie feray pour toy, trop plus que tu n’eſpere.

Tobie.

Ie reçoy plus de biens que ie n’ay merité.

Azarie.

Nous ſommes arriuez iuſque dans la cité,
Tobie ſalüons ceſte trouppe de femmes :
Dieu vous doint le bonſoir mes gracieuſes dames,
Laquelle d’entre vous maintenant nous dira
Ou ſe tient Raguel ?

Chœur.

On vous y conduira,
(Seigneurs) ſ’il eſt beſoin : mais ſans prendre la peine
D’en empeſcher aucun, ceſte rue vous meine
Tout deuant ſon logis ; vous reconnoiſtrez bien
Que celuy qui le tient a beaucoup de moien :
C’eſt un Pallais hautain duquel la braue audace,
Monſtre de commander tous autres de la place.

Azarie.

Mes dames grand merci, je penſe que ie voy
Raguel la deuant. Tobie approche toy,
Voir ſ’il te connoiſtra.

Raguel.

Ie reconnois cet homme,
Mais je ne ſçay pourtant de quel nom il ſe nomme :
Vraiment tout auſſi toſt que ie l’ay entreueu,
Ie penſois que ce fut Tobie mon Neueu.
Dieu vous gard mes Amis dites moy d’ou vous eſtes ?
Vos aimables regards, & vos graces honneſtes
Font naiſtre dans mon cœur un gracieux deſir,
De vous aimer touſiours & vous faire plaiſir.

Tobie.

Dieu vous tienne en ſa garde & voſtre compaignee,
Monſieur nous ſommes nez de la haute lignee
Des enfans d’Iſraël, auſquels le ſouuerain
Abaiſſant ſa grandeur toucha de main à main
Quand il changea ſon nom : Nous auons pris naiſſance
Des fils de Nephtali, doux fleuue deſloquence :
Noſtre peuple vainquit de braues nations,
Ores nous eſprouvons maintes ſubietions :
Telle varieté gouuerne toute choſe
Fors le cueur de celuy qui en Dieu ſe repoſe,
Pour n’auoir obſerué les ſaincts commandemens
Nous méritons d’auoir les iuſtes chaſtimens.
Le Roy Sennacherib brulant en ſon courage
De haine, de couroux, de fureur, & de rage,
Commanda maſſacrer le pauure peuple Hebrieu :
Mon pere demy mort fuiant ce triſte lieu
Trouua vn ſien amy du pays d’Aſſirie,
Qui luy ſauua ſon fils & ſa femme & ſa vie :
Mais non pas tous ſes biens qui auoient eſté pris.
Depuis ce Roy cruel, de ſes enfans ſurpris
Fut maſſacré par eux, meſmes dedans un temple :
A quoy tous les tirans peuuent bien prendre exemple.
Mon pere en ce temps la ſortit hors de priſon
Et raporta ſes biens en ſa propre maiſon.

Raguel.

Amy, connoiſſez-vous mon bon frere Tobie ?
Si vous le connoiſſez dites moy ie vous prie
Quel eſt ſon portement, ſi le bon-heur le ſuit,
Comme lon voit qu’en luy toute vertu reluit.

Azarie.

Monſieur voilla ſon fils.

Raguel.

Donc tu es de ma race.
Aproche toy, pour Dieu, mon fils que ie t’embraſſe :
Ma femme venez toſt, Sarra venez auſſi.


Scène troisiesme

Anne femme de Raguel, Sarra leur fille, Raguel, Tobie.
Anne.


Qve vous plaiſt-il monſieur ?

Sarra.

Mon pere me voici.

Raguel.

Saluez ce ieune homme & me dites m’amie
Si vous le connoiſſez ? Que Sarra eſt rougie
En ſaprochant de luy ! par les émotions,
On peut iuger ſouuent de nos affections,
Pource qu’ils ſont iſſus de meſme parentage,
Vn inſtinct naturel luy eſpoint le courage :
Ma femme, ceſtui-cy eſt le fils bien aimé
De mon frere Tobie, & le plus eſtimé
Que l’on ait iamais veu en ſi grande jeuneſſe.

Anne.

Ha, Neueu mon amy, ça que ie vous caresse
De mille embraſſemens, & bien que dites vous ?

Mon enfant contez-moy qui vous mainne entre nous,
Et que fait maintenant Tobie voſtre pere
L’honneur de nos parens, & que fait voſtre mere :
Ce n’eſt pas ſans propos que les auez laiſſez,
Et que vos pas ſe ſont deuers nous adreſſez.

Tobie.

Ie doy à mes parens entiere obeiſſance
Et leur obeiray de toute ma puiſſance,
Ie retiens en mon cueur les bons enſeignemens
Que m’a donnez mon pere & ſes commandemens :
C’eſt par ſa volonté que ie fais ce voyage.

Raguel.

Au moins raconte-nous quelle parole ſage
Il diſt te commandant de venir en ce lieu ?

Tobie.

Tous ſes propos eſtoient de la gloire de Dieu.

Raguel.

Ie m’en aſſure bien, dy les ie te ſuplie.

Tobie.

Mon pere eſtant preſſé de griefue maladie,
Me parla tout ainſi : mon fils eſcoute moy,
Recueille mes propos, graue les dedans toy,
Alors que le Seigneur aura repris mon ame,
Enſevely mon corps deſouz la froide lame.
Obeis à ta mere & comme humble ſervant
Honore l’a touſiours tant que ſeras viuant
Aimes la cherement iuſque à ſa derniere heure,
Puis quand noſtre grãd Dieu permetra qu’elle meure,
Ferme luy doucement la paupiere de l’œil,

Et la mets près de moy dans vn meſme cercueil.
Porte le nom de Dieu eſcrit en ta penſee,
Garde ſongneuſement qu’vn’erreur inſenſee
Ne te vienne ſaiſir pour te faire pecher,
Voulant de tes vertus le bonheur empeſcher.
Ne deſtourne tes yeux du pauvre miſerable,
A ſa neceſſité monſtre toy ſecourable.
Si tu as de grands biens, donne abondamment,
Ayans peu, donne peu, mais liberallement :
L’Omoſne paroiſtra devant le divin Troſne
De noſtre ſouverain qui commande l’Omoſne :
Il t’en ſçaura bon gré, il ne ſouffrira pas
Que ton ame chemine en Tenebres là bas.
Mon enfant garde toy d’vn adultaire infame,
Et n’acointe iamais vn’autre que ta femme :
Chaſſe l’orgueil de toy, car la preſumption
Entreſne ses ſubjets tous à perdition.
Qui t’aura fait plaisir, vueilles luy auſſi plaire :
Ne retiens le Loier du pauvre mercenaire :
Ne faſche ton prochain & ne fais envers luy,
Que ce que tu voudrois meſmes ſouffrir d’autruy,
Mange auecques le iuſte & monſtre que tu l’aimes,
Couvre ceux qui sont nuds de tes veſtemens meſmes :
Ne frequente iamais les hommes vicieux,
Suis le conſeil du ſage & honore le vieux.
Benis Dieu en tout temps & touſiours luy demande
Qu’il adreſſe ton cueur, où ſa loy te commande.
Tobie mon amy i’ay preté dix Talens
A Gabel qui demeure entre les medeens

En Rages la cité, i’ay ſa cedule au coffre,
Ie te la veus donner afin que tu luy offre
Pour r’avoir ceſt argent, qui nous faict grand beſoin.
Aſſure toy pourtant, ſi nous avons bon ſoin
De prier le Seigneur, qu’il ne ſera point chiche :
Sa liberalle main te fera bien toſt riche :
Va doncques, mon enfant, de Dieu ſois tu Beniſt ;
Voila tous les propos que mon pere me diſt.
De bonheur i’ay trouvé ce compagnon & frere
Qui m’a conduit icy, par ſon moyen i’eſpere
De recouvrer bien toſt cet argent qui m’est dû.

Raguel.

Ie croy bien qu’auſſi toſt qu’il te ſera rendu,
Tu auras grand deſir de contenter la vüe
Du bon homme ton pere ?

Tobie.

Helas ! ce mot me tüe :
Mon pere ne voit point la lumiere des cieux.

Raguel.

Comment, eſt-il priué de l’uſage des yeux ?

Tobie.

Ah ! mon Dieu ouy du tout.

Raguel.

O dommageable perte !
Si la vuë ne peut luy eſtre recouverte,
En vain donc le soleil eſlance ſes beaux rais
Sur les yeux de mon frere, he que je me deſplais
De ſon triſte malheur vn point me reconforte :
Si ſon corps eſt trop foible, il a une ame forte.

Ma femme vous pleurez & vous ma fille auſſi.
Chaſcun de nous prend part en ce nouveau ſouci.
Allez, retirez-vous, faites couurir la table ?
Traitons noſtre parent d’vne grace honorable,
Tobie mon Amy va donc te repoſer.

Tobie.

Vous pouuez bien de moy pour iamais diſpoſer.


Scène quatriesme

Tobie, Azarie.
Tobie.


Amy ſi vous ſçauiez, en quel point je me treuue
Pour les perfections de ceſte honneſte veufue,
Ie croy que vous auriez pitié de ma douleur :
Sa vertu, ſa beauté, ſa grace, & ſa valleur
Meritent bien vraiment que l’on ſoufre pour elle,
Ie ne m’eſtonne point en la voyant ſi belle
Si tant d’hommes ſe ſont haſardez à mourir
Deſirant de l’auoir.

Azarie.

Voudrois-tu bien courir
Une meſme fortune & qu’ore elle fuſt tienne ?

Tobie.

Non, car ſi ie mourois ell’ne ſeroit plus mienne,
Les morts ne prenent rien aux meubles des viuans :
Mais ie deſire bien de vivre pluſieurs ans
En repos auec elle, & quelle ſoit ma femme,
La moitié de mon cueur, la moitié de mon ame :
Ie luy obeiray, comme vn de mes ayeulx
Obeit à la ſienne, & je ne veux pas mieux

Que faiſoit Abraham : puis elle n’eſt moins ſage
Qu’eſtoit l’autre Sarra de meſme parentage.

Azarie.

Il en faudra parler.

Tobie.

He pour Dieu haſtez vous,
Mon frere ie vous prie !

Azarie.

Or bien repoſons nous.

Tobie.

Mais comment repoſer ? Il n’eſt en ma puiſſance,
Ie pense touſiours voir ſa douce contenance :
Son modeſte regard & ſon gracieux pleur
Sera touſiours graué au milieu de mon cueur :
Ie penſes quelquefois toucher ſa belle face,
Où bien il m’eſt aduis qu’encore elle m’embraſſe,
O que ieſtois heureux ſi cela euſt duré.

Azarie.

Pour te recompenſer du travail enduré
Dieu te la veut donner, c’eſt pour toy qu’elle eſt nee
Et tu auras alors la vertu fortunee.


Scène cinquiesme

Sarra, et la servante.
La servante.


IE hairay pour jamais lorgueil de ces maiſtraiſſes,
Qui ſouz ombre d’auoir la faueur des richeſſes,
Meſpriſent tout le monde, & ne penſent rien voir
Digne de leurs vertus & de leur grand pouvoir.

Sarra.

Sus ſus deſpechez vous de faire voſtre ouvrage,
On vous prend ſeulement pour faire le menage
Et non pour babiller & cauſer à chaſcun.

La servante.

Si vaut-il mieux uſer d’vn entretien commun
Que faire comme vous, qui ne parlez qu’au Diable.

Sarra.

Meſchante qui me tient que ie ne vous accable
De mille coups de poin ?

La servante.

He ! quoy ? Que ferez vous ?
Me voulez vous tuer comme voz ſept Eſpoux ?
Ah malheureuſe femme ! ah cruelle meurdriere !
Voulez vous donc tuer maris & chambriere ?
Iamais ne puiſſiez vous avoir aucuns enfans,
Qui contentent vos yeux en leurs plus ieunes ans,
Et dont le doux blandir de la voix Enfantine
Vous chatouille le cueur au font de la poitrine.

PRIERE DE SARRA.


LAS ſi j’ay offencé voſtre majeſté haute,
O Dieu de mes parens, pardonnez à ma faute :
Vous eſtes coutumier de recevoir touſiours
Les pauures affligez qui vers vous ont recours :
I’eſleue iuſqu’au Ciel mes yeux & ma penſee
Eſperant bien de voir ma priere exauſee :
Ayez doncques eſgard à mon entiere foy,
Deſliez moy Seigneur, Seigneur deſliez moy
Du reproche honteux qui bourelle ma vie,

Ou me l’oſtez du tout. Las ie n’eus onc enuie
D’acointer aucun homme. Vn ſi villain peché
N’a iamais mon Esprit ny mon corps entaché :
Vous le ſçauez, mon Dieu, que je suis chaſte & pure,
Que i’ay l’ame devote & le corps ſans ſouillure.
I’ay bien pris des maris, mais en me mariant
Ie craignois voſtre nom, l’honorant & priant :
Peut-eſtre que pour eux ie n’eſtois aſſez digne,
Ou peut-eſtre qu’auſſi voſtre bonté diuine
Me reſervoit pour autre, & que ceux-là n’eſtoient
Dignes de m’eſpouſer & ne me meritoient.
Seigneur, voſtre conseil n’eſt pas en la puiſſance
D’aucun homme mortel, ny en ſa connoiſſance :
Mais quiconque vous ayme & qui tient pour certain
Que vous eſtes de tous le grand Dieu ſouuerain,
Il penſe que ſa vie eſt par vous eſprouuée
Et la veut corriger, afin qu’ell’ ſoit trouvée
Plus digne de l’honneur, qu’il ſ’atend receuoir
En vous obeiſſant & faiſant ſon deuoir.
S’il eſt troublé d’ennuy, de douleur, & de peine,
Vostre douce bonté en repos le rameine :
Et ſ’il eſt corrompu par vn mauvais effect,
Vous demandant pardon ce pardon luy eſt faict ;
Car vous ne prenez point de plaiſir à nous nuire,
Mais vous faites ſur tous voſtre ſoleil reluire :
Apres que l’on a veu eſclerer & greller,
Vous calmez la tempeſte & r’aſſerenez l’air ;
Apres vn triſte pleur qui aroſe la face
Vous eſſuyez nos yeux, nous recevant à grace.

O grand Dieu d’Iſrael, les Siecles aduenir
Puiſſent voſtre Sainct nom devotement benir !


Scène sixiesme

Raguel, Sarra.
Raguel.


MA fille, qu’auez-vous ? Que vous eſtes penſive !
Quoy, vous pleurez touſiours ?

Sarra.

Las faut-il que ie viue
Endurant tant de morts, Mon pere, ſ’il vous plaiſt
Laiſſez-moy plaindre ſeule.

Raguel.

Et dites-moy que c’eſt,
Quel nouveau deſplaiſir vous eſpoint le courage :
Voulez vous conſommer voſtre fleurissant age
A lamenter ſans fin ?

Sarra.

Mon travail ſoucieux
Quand ie ne dirois mot paroiſtroit en mes yeux ;
On dit que le ſilence eſt vn diſcret meſſage,
Qui ſans rien prononcer ſe peut lire au viſage.

Raguel.

Bien ie vous laiſſe donc deuant noſtre parent,
Ie ne veus pas monstrer mon deuil tant apparent :
Mais la pauure Sarra comme elle eſt devenue !
Ores elle eſt sans epoux, ores elle eſt eſmue :
Ie vais trouver ſa mere & luy diray comment

Elle change couleur cent fois en vn moment.

Sarra seule.

Ha ! mon Dieu, que ie ſens vn’ aspre maladie
Qui par les yeux aymez de ce jeune Tobie
Se coulant dans les miens, m’empoiſonne le cueur.
De ſes gentils propos l’agreable douceur
A desrobé du tout ma liberté premiere,
Et mis en ſon pouvoir mon ame priſonniere.
Mais ie ne veus pourtant luy demander ſecours,
Craignant de voir finir ſa vie & mes amours.
Las i’ay eu ſept maris dont la forte allegreſſe
N’a peu forcer la mort, elle a eſté meſtraiſſe
De leur ieune printemps, & vn eſprit maudit
Les a l’vn apres l’autre eſtoufez dans mon lit.
O douleur, o regret, las que ma triſte vie
Eſt par divers malheurs inceſſamment ſuiuie :
Ie ne puis maintenant ma douleur ſecourir,
Priray-ie mon couſin qu’il ſ’en vienne mourir ?
Dois-ie bruler touſiours ſans deſcouurir ma flame ?
Dois-ie faire mourir celuy qui tient mon ame ?
Faut-il donc tant ſoufrir & ne le dire pas ?
Faut-il mener auſſi mon amy au treſpas ?
Ah mon Dieu, meurs pluſtoſt Sarra, que d’eſtre cauſe
De la mort de celuy ou ta vie eſt encloſe.


Scène septiesme

Raguel, Anne, Azarie, Tobie, Sarra.
Raguel.

Or voilà que i’ay ouy ma femme, & ie ne ſçay
Si c’eſt un nouveau mal dont elle fait eſſay :
Mais n’auez-vous point veu la façon debonnaire
De mon Neveu Tobie, en parlant de ſon pere ?

Anne.

Ouy, i’ay bien aperceu qu’il pleuroit tendrement.

Raguel.

Que l’on doit eſperer vn humain traitement
De ce jeune garçon ! or pleuſt à Dieu, m’amie
Que ma fille Sarra eut eſpouſé Tobie,
Qu’il fuſt avecque nous pour noſtre aide & ſecours,
Qu’il deust fermer nos yeuz à la fin de nos jours.

Anne.

Mon Dieu que dites-vous ! Ce ſeroit grand dommage
Que ceſt honneſte fils mouruſt en ſi ieune age :
Vous ſçavez bien (Monſieur) comment les ſept maris
De la pauure Sarra ſont tous morts & peris.

Raguel.

Peut-eſtre cetuy-ci, qui eſt noſtre plus proche,
Vient pour nous deliurer de ce villain reproche ;
Peut-eſtre le Seigneur l’a fait venir à nous,
Pour eſtre de Sarra perpetuel eſpous.

Anne.

Et que vous me donnez vne douce eſperance !

Raguel.

Ie voy dans ce ieune homme vn’humble contenance,
Un regard adouci, un geste gracieux :
Ie connois bien auſſi qu’il eſt deuotieux,

Et qui le nom de Dieu parfaitement adore,
Cetuy-là eſt vraiment treſ digne qu’on l’honore.

Anne.

Noſtre fille avec luy seroit en grand repos.

Raguel.

M’amie, le voici, il faut changer propos.

Azarie.

L’excellente beauté de voſtre fille unique,
Sa vertu, sa douceur, & ſa grace pudique
Ont ſi bien enlaſſé le cueur de cetuy-ci,
Que ſi vous ne prenez ſouci de ſon ſouci
Vous le verrez bien toſt à la fin de ſa vie.
Le lignage & ſur tout la pitié vous conuie
De le tenir pour voſtre, il vous veut obeir.

Raguel.

Ie l’ayme comm’un fils & ne le veux trahir,
Ma fille en eſprouvant ſept Nopces miſerables
Me fait avoir grand peur d’en reuoir de ſemblables.

Azarie.

Monsieur, ne craignez point, les maris de Sarra
Sont tous morts l’ayant eüe, & cet autre mourra
Si vous ne luy donnez. Vaut-il pas mieux qu’il meure
Avec elle content, que mourir dès ceſte heure,
Auſſi bien vous eſt-il envoyé du Seigneur ?
Lequel n’a point voulu qu’un autre eust le bonheur
De iouir d’une femme & ſi chaſte & ſi belle :
Car tous ceux qui l’avoient n’eſtoient pas dignes d’elle,
Mais ceſtuy-ci craint Dieu, il eſt predeſtiné
Pour eſpouser Sarra, dès avant qu’il fuſt né.

Raguel.

Ie deſire bien voir un mari à ma fille,
Mais ie craints de le perdre & que la mort le pille.

Azarie.

Ie vous puis aſſurer qu’il viura fort long temps
Avec elle, & ſera pere de beaux enfans.

Tobie.

Si le doux souvenir de la premiere flame,
Qui Iadis vous brula, vous tient encore en l’ame :
Aumoins monſieur penſez ce que je puis ſoufrir,
Et receuez vn fils que ie vous viens ofrir :
Si vous gardez auſſi l’amour de voſtre race
Ayez pitié de moy qui vous demande grace :
I’ayme tant voſtre fille & avec tel deuoir,
Que de viure ſans elle, il n’eſt en mon pouvoir.

Raguel.

Tu l’auras (mon amy) ſi elle en eſt contente.
Qu’en dites-vous ma femme ?

Anne.

Elle eſt obeiſſante,
Elle fera touſiours tout ce qu’il vous plaira.

Raguel.

Allons parler à elle & voir qu’elle en dira.
Ma fille, vous ſçavez combien vous m’eſtes chere,
Vous connoiſſez auſſi l’amour de voſtre mere,
Nous n’auons iamais eu autre plus grand deſir
Que de vous procurer & profit & plaiſir :
Nous vous donnons mari ; vn heureux mariage
Est plus digne de vous que ce piteux veuſuage.

Vous auez tant pleuré la mort de vos maris,
Ores il faut changer vos triſtes pleurs en ris,
Vous aurez un eſpoux de voſtre parentage,
Beau, gracieux, & dous, ieune, gaillard, & ſage :
Le voulez-vous pas bien ?

Sarra.

Ie veus ce qui vous plaiſt,
Mon pere, mais ie crains.

Anne.

Ha ie ſçay bien que c’eſt,
Sarra, ne craignez point, nous leur venons de dire :
Mais pourtãt mon Neueu vous ayme & vous deſire,
Et puis ce ieune fils qui est auecques luy
Promet de le garder & de mal & d’ennuy.

Sarra.

Dieu veuille qu’ainſi ſoit.

Raguel.

Aprochez-vous m’amie,
Ça donnez-moy la main, venez, que ie vous lie
D’vn neu perpetuel.

Tobie.

He ie suis tant lié
Meſmes auparavant que d’eſtre marié :
De ſes crépez cheueux une blonde cordelle
Lie & ſerre mon cueur pour tout iamais à elle ;
Mais nonobſtant cela, ie luy iure la foy
De l’honorer touſiours & l’aimer plus que moy.

Sarra.

Ie vous promets la foy que vos graces demandent,

Comme Dieu, les vertus, & les loix le commandent.

Raguel.

Le grand Dieu eternel vous face proſperer,
Vous donnant tout le mieux que l’on puiſſe eſperer.

Anne.

Ie requiers ſes bontez ; que voz belles ieuneſſes
Demeurent ſeur apuy de nos foibles vieilleſſes.

Chœur.

Il n’eſt rien plus honorable
Qu’vne chaſte affection ;
Il n’eſt rien plus agreable
Qu’vne douce paſſion.

Il n’eſt rien qui plus attire
Que de ſe voir eſtimé ;
O que c’eſt vn doux martire
Que d’aymer & d’eſtre aymé !

Il n’eſt point de plus grand aiſe
Qu’eſtre ſerré d’un beau Neu :
Il n’eſt rien qui tant nous plaiſe
Que de bruler d’vn doux feu.

Il faut avoir bonne vüe
Premier qu’vn tel feu toucher,
Et non pas à l’impourueue
De ſes flames approcher.

Il faut d’vne amour pudique
Aimer les chaſtes beautez,

Non pas d’vn vouloir lvbrique
En chercher les priuautez.

Voyez l’impudique flame
De ſept amans que voicy,
Qui les priue de leur femme,
D’amour & de vie auſſi.

Et puis voyez ce Tobie
Qui d’vn cueur religieux,
Deuotement ſacrifie
Au ſouuerain Dieu des dieux.

En aymant d’vn amour ſage
La fille de Raguel,
Il gaigne ſon mariage
Et rend grace à l’Eternel.

PLAINTE DU VIEIL TOBIE
et de sa femme, sur l’absence de leur fils.
Tobie.


MAintenant que mon fils fait ſi longue demeure,
Anne, ma chere ſœur, je repenſe à toute heure
Ou que Gabel ſoit mort, qui nous deuoit l’argent,
Ou que mon pauvre fils, malade & indigent,

Ne pouvant recouvrer la ſomme qui m’eſt due,
Se plaint de la rigueur que ie luy ay tenüe
De l’enuoyer quaſi malgré luy hors d’icy :
Las mon Dieu que fais-tu, mon fils, mon cher ſouci,
Retourne à moy bientoſt, ſi tu as quelque enuie
De ſoulager vn peu ma languiſſante vie.

Anne.

Mon amy, croyez-moy qu’on ne doit haſarder
Ce que l’on ayme tant, il le faut bien garder :
Vous auez eu grand tort, pour ſi petite ſomme,
De mettre en ce danger la vie d’vn tel homme :
Helas mon cher enfant, lumiere de mes yeux,
Que nous avons eſté de toy mal curieux !
Sont ce de tes bienfaits les dignes recompenſes
Que de t’auoir chaſſé dehors de nos préſenſes ?
Las nous t’avons cauſé tant de mal & d’ennuy !
Et tu es de nous deux le baſton et l’apuy :
Tu es noſtre bon-heur, noſtre plaisir, noſtre aiſe,
Et ſans toy nous n’auons aucun bien qui nous plaiſe
Nous n’auons autre eſpoir de la poſterité
Qu’en toy noſtre ſeul fils, & t’auons irrité !
En toy noſtre ſeul fils, nous auions toutes choſes,
En l’ame de toy ſeul trois ames ſont encloſes,
Et nous t’auons chaſſé ! ah Dieu quel creue cueur !

Tobie.

Las m’amie, pour Dieu donnez-vous paſſience,
Ne vous troublez point tant, vivez en eſperance
Que noſtre fils eſt ſain, et que dans peu de tens
Il reuiendra icy pour nous rendre contens,

Nous en ſçaurons bientoſt quelque bonne nouuelle,
Car l’homme qui le guide eſt accort & fidelle.

LE CONGE QUE PRENNENT
Tobie et Sarra de Raguel et de sa femme.
Raguel.


S’Il te plaiſt, mon amy, i’enuoiray meſſager
Pour conſoler ton pere & pour l’encourager
De ſuporter vn peu l’ennuy de ton abſence :
Car peut-eſtre qu’icy tu es mieux qu’il ne penſe,
Ie luy deſpeſcheray vn homme dès demain,
Pour luy faire ſçavoir que tu es vif & sain.

Tobie.

Vous eſtes pour iamais mon Seigneur & mon maiſtre,
C’eſt vous à qui ie suis & à qui ie veus eſtre :
Mais vous plaiſe monſieur, de me preſter à moy
Pour ſoulager mon pere, ainſi comme ie doy :
Helas ie ſçay combien le pauvre homme deſire
Que ie retourne à luy, ie ſçay bien qu’il ſoupire ;
Estant abſent de moy il m’appelle à ſecours,
Il ne fait que nombrer les heures & les iours
Que ie l’ay delaiſſay auec ma triſte mere,
Accompaigné d’ennuy, de regret & miſere.

Raguel.

Nous ne pouuons donc plus icy te retenir ?

Tobie.

Non, mais i’auray touſiours de vous le ſouvenir.

Raguel.

Le ſainct de noſtre Dieu heureuſement vous maine,
Viuez mes chers enfans ſans douleur & ſans peine,
Soyez vers vos parens en tout bien ordonnez,
Puiſſé-ie voir de vous de beaux enfans bien nez
Sur la fin de mes iours. Adieu vous dis ma fille,
Gouuernez prudemment toute voſtre famille,
Aymez voſtre mari, reuerez ſes parens,
Monſtrez touſiours en vous les ſignes aparens
D’vne femme de bien. Adieu mon fils Tobie.

Sarra.

Adieu doncque mon pere.

Raguel.

Adieu, Sarra m’amie.

Sarra.

Ma mere ie m’en vais, & m’en allant d’icy
I’emporte la douleur, la peine, & le ſouci.
Mil & mille regrets ores me font la guerre.
Helas i’ay ſi grand deuil de laiſſer noſtre terre :
Ie regrette cet air qui m’a ſemblé tant doux,
I’ay regret en mon pere & par ſurtout en vous,
Ie regrette le temps de ma petite enfance,
Que vous monſtriez d’avoir vne ferme aſſurance
De m’eſleuer vn iour, en quelque haut degré,
Comme digne Rameau de ce Tige ſacré.
Cela m’eſt aduenu : car vous m’auez pourueüe
De mari & de bien, mais vous perdant de veüe,
Ie pers tout mon treſor, & vous laiſſe mon cueur
Pour vous porter amour, reuerence, & honneur.
Ie prends congé de vous, he mon Dieu ie me paſme

Dans voſtre ſein aimé.

Anne.

Tu me derobe l’ame.
O ma chere Sarra, comment pourray-ie donc
Sans toy paſſer le temps ſi penible & ſi long ?
Ha ma fille mon cueur, & que pourray-ie faire,
Abſente de tes yeux qui me ſouloient tant plaire ?

Raguel.

Ma femme, laiſſez-la, il luy faut arracher :
Sarra retirez-vous.

Anne.

Quel bien me ſera cher
Si ie ne te voy plus ? ô ma douce lumiere !

La servante.

Mon Dieu, qui veit iamais ſi deſolée mere,
Las ma dame, aidez-vous de vous-meſme au beſoin :
Le Seigneur Dieu prendra de voſtre fille ſoin.

Anne.

O face, cler miroer de la sainte nature,
Qui pourrois illuſtrer une priſon obſcure !
O ſsprit enrichi des ornemens des Cieux !
O ris tant agreable ! ô propos gracieux !
O chaſte, ſage, douce, & Angelique grace !
Qui par tes doux attrais ſi doucement enlace :
Las que mes iours ſans toy ſeront briefs & mauuais !

La servante.

Que ne puis-ie aleger de cet ennuyeux fais
Voſtre eſprit affligé, ma dame ie vous prie,
Penſez que voſtre fille eſtant tres acomplie
A trouué un mari digne de ſes valleurs,

Qui la peut garantir de cent mille malheurs
Coutumiers d’aſſaillir la femme miſerable,
Si quelque homme prudent ne luy eſt ſecourable.
Vous la verrez bien toſt, ſelon voſtre deſir,
Mere de beaux enfans. Car tel est le plaiſir
Du grand Dieu d’Iſraël qui veut que ceſte race
Multiplie en la terre & au ciel prenne place.

Fin de la Tragicomedie de Tobie.


A CHARITE.


CHarite l’an ſe change & vous ne changez pas,
La terre ſ’enuieilliſt & puis ſe renouvelle :
Mais vous eſtes mon cœur d’vne eſſence immortelle,
Qui ne craint les éfors du temps ny du treſpas.
Le ciel ſe mire en vous, & ce iuſte compas
Qui fait mouuoir, ſans fin ſa puiſſance eternelle,
Regle les mouuements de voſtre ame tant belle
Liee à voſtre corps par un gracieux las.
Quand ie voy les attraits de votre bonne grace,
Quand ie voy la douceur de voſtre belle face,
Ie dis à mon eſprit : rendez grace à mes yeux :
Quand i’entends diſcourir voſtre bouche vermeille,
Ie dis à mon eſprit : rendez grace à l’oreille,
Rendez grace à l’amour, à Charite & aux cieux.

Soit la nuict, ſoit le jour, ſoit le veſpre, ou l’Aurore,
Ie ſuis touſiours veillant, & mon cueur amoureux
Raui par vos attraits chaſtement rigoureux,
Poſte vers vos beautez, qu’il reuere & honore

Deuot, humilié : le cueur qui vous adore
Vous demande merci triſtement langoureux.
N’esprouuant qu’vn refus, le pauure malheureux
S’en retourne vers moy, qui le refuſe encore :
Las ou iray-ie done, dit-il en ſoupirant ?
Tu me chaſſe, ell’ me fuit lors ſe deſeſperant,
Priué de la faueur où ſes penſers aſpirent,
Il ſe iette en vn feu, & cherche de guerir
Par ſa mort tant de morts, mais il ne peut mourir :
Car la mort ne vient point à ceux qui la deſirent.

Allons mon pauure cueur bien loin de la Cité
Dedans quelque deſert, fuyons la compaignie
De nos plus chers amis, cherchons la Tirannie
Des Ours, Tygres, Lyons pleins d’inhumanité :
L’Olme, le Cheſne, l’Able en ce lieu eſcarté
Pourront ſeuls teſmoigner ta miſere infinie :
Le bel Aſtre du ciel donnant lumiere & vie,
N’y lance point les rais de fa viue clarté.
Laiſſons le grand Palais & le braue Theatre
A ceux qui n’ont point veu leur eſperance abbatre :
Aux enfans bien heureux, aux peres fortunez.
Vallon, Grote, Foreſt, Rocher, Antre efroyable
S’accorderont du tout à l’eſtat miſerable,
De nous, qui de l’eſpoir ſommes abandonnez.

Tournez vos yeux ſur moy, ie vous ſuply madame,
Regardez par pitié voſtre humble ſeruiteur,
De vos regards aymez l’agreable ſplandeur
Pouſſe hors de mon ſein la fleche qui m’entame.
Apres que de vos yeux la violente flame

A brulé ſans merci mon ame & mon cueur :
Il ſort de vos regars vn fleuue de douceur
Qui guerit promptement & mon cueur & mon ame.
Pour Dieu regardez moy, maiſtreſſe, vos regars
Illuſtrent mes penſers : leurs doux flambeaux eſpars
Conduiſent en repos ma pauure ame eſgarėe.
Qui peut voir ſans plaiſir la grace de vos yeux,
Il peut voir ſans clarté la grand voute des cieux :
Et peut voir ſans vn corps vn’ ombre ſeparee.

Ne me regardez point, ie vous ſupply madame,
Deſtournez de vos yeux la trop viue ſplandeur :
Quand vous me regardez leur violente ardeur
S’écoulant par les miens me brule dedans l’ame,
Ne me regardez point, ah mon Dieu ie me paſme,
Ie ne ſçaurois ſoufrir la grace & la douceur
De vos yenx trahiſſans, qui deſrobent mon cœur
Pour le ſacrifier en l’amoureuſe flame.
Ne me regardez point, maiſtreſſe, vos regars
Me font autant de feus, me font autant de dars :
Qui peut voir ſans mourir telle flame eſlancée,
Celuy voit ſans flechir le ſoleil radieux,
Il voit ſans admirer la grand voute des cieux,
Et peut enclorre Dieu de l’humaine penſee.


CHANSON.


SOuz un Laurier Triomfant
Amour regarde la belle
Puis fermant l’une & l’autre aiſle
Il l’a ſuit comme vn enfant.
Il repoſe dans ſon ſein.

Et ioüe en ſa treſſe blonde
Friſotee comme l’onde
Qui coule du petit clein.
Il regarde par ſes yeux,
Parle & reſpond par ſa bouche,
Par ſes mains les cueurs il touche
N’espargnant hommes ni Dieux.
Quand il ſ’en vient entre nous,
Un ſoub-ris luy ſert d’eſcorte :
Mais qui n’ouuriroit ſa porte
Le voyant ſi humble & doux ?
Ha Dieu quelle trahiſon.
Souz vne fraude tant douce !
Ie craints beaucoup qu’il me pouſſe
Hors de ma propre maiſon.


Adieu iardin plaiſant, doux obiet de ma veüe :
Ie prends humble congé de l’email de vos fleurs,
De vos petis Zephirs, de vos douces odeurs,
De voſtre ombrage frais, de voſtre herbe menüe.
Arbres aymez du ciel, qui voiſinez la nue
Vous auez eſcouté mes chanſons & mes pleurs,
Teſmoins de mes plaiſirs, teſmoins de mes douleurs :
Ie vous rends les mercis de la grace receüe
Hoſteſſe des rochers, belle & gentille Echo,
Qui auez rechanté Charite & Sincero.
Dedans ce beau jardin, ſi quelqu’vn vous incite,
O Nymphe pour vous faire & chanter & parler :
Reſſonnez ſ’il vous plaiſt ces deux noms dedans l’air.
Charite & Sincero, Sincero & Charite.


FIN.