Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/La Rose à Charite

La Rose à Charite.



Ie ne voy fleur qui tant m’agree
Comme faict la Roſe pourpree,
La Roſe fille d’Apollon
Honneur des vers d’Anacreon,
Qui de la Roſe cramoiſie
A decoré ſa Poëſie,
Pource que la fraiche couleur
L’a garanty de la douleur
De ſentir la fureur Bacchique

Avec la fureur Poëtique.
Mais pour ſemblable occasion
Ie ne luy porte affection,
Car ne beuuant que de l’eau claire
Pour cela ie n’en ay que faire :
I’aime ſon beau pié verdiſſant,
I’aime ſa fueille Cinabrine,
Teinte du ſang de la Cyprine
Qui colora dans ce beau mois
Le blanc yvoire de ſes doigts,
Tirant la Roſe printanière
De ſa demeure couſtumiere,
Et la prenant d’authorité,
Penſant que ſa divinité
Deut excuſer ſi grande offence :
Le Roſier eſtoit en deffence
Gardant ſon treſor precieux :
Venus d’vn bras audacieux
S’efforçoit touſiours de le prendre.
Mais pour vouloir trop entreprendre
Elle ſouffrit punition
De ſa grande preſomption,
Gaſtant ſa peau doüillette & blanche
Voulant piller la Roſe franche.
Vrayement Roſe mon cher ſouci,
Ie t’ayme d’avoir peu ainſi
Te deffendre d’une Deeſſe,
Roſe mon cueur, ta gentilleſſe

Me faict craindre de ne pouuoir,
Enuers toy faire mon deuoir.
Mais excuſe moy ma mignonne
Si ce que ie puis ie te donne
Je ſçay, Roſe, que mes faueurs
Sont vers toy de peu de valeurs,
Et pourtant il faut que ie t’aime
Autant que mes yeux & moymeſme,
Et ie te veux dire pourquoy,
Pourquoy ie t’aime autant que moy.
I’aime ta cyme iauniſſante
I’aime ta ſepe veérdiſſante,
Pource que celle que ie ſers
Ha le poil d’or, & les yeux vers :
I’aime tes fueilles incarnates,
Comme les ioües delicates,
De ma maiſtreſſe, & tes Zephirs
Qu’elle r’aſſemble en ſes ſouſpirs.
Voila belle & gentille Roſe
Pourquoy i’aime ſur toute choſe,
Ta fueille, ta cyme, & ton pié :
Pleuſt à Dieu que mon amitié
Te peut eſtre autant honorable,
Que ta beauté m’eſt agreable.
Ie ne craindroy point que Saphon
Me reprinſt dedans ſa chanſon,
Pour ne t’auoir, Roſe fleurie,
Priſe ſur le mont Pierie.
Vrayment Roſe ie chanterois

Toutes les beautez, & dirois
Combien ton odeur eſt ſubtile,
Combien ta liqueur eſt utile,
Comment tu fus chez Agaton,
Seruie au banquet de Platon,
Et comment ta fleur vermeillette
Couronnoit l’enfance doüillette
De leur amour, comment auſſi,
Comment roſe mon cher ſouci,
Tu feis vn chapeau à Plutarque,
Et vn beau bouquet à Petrarque :
Roſe, tes boutons odoreux,
Sont les graces des amoureux,
Roſe, tes belles fleurs nouuelles,
Sont les faveurs des Damoiſelles :
Roſe, tes ſoüeſves odeurs
Sont les profits des parfumeurs,
Ta fleur, ta fueille & ta racine
Seruent touſiours de Medecine :
Roſe ton luſtre gracieux
Eſclaire la clarté des yeux,
Roſe mon cueur, roſe ma vie,
Roſe si tu as quelque enuie
De medeciner mon ennuy,
Ma Roſe va t’en aujourd’huy
Salüer ma belle Charite
Et luy dis que ie t’ay eſcrite
En la faueur de ſon Prin-temps.
Eſcoute Roſe, ne pretens

De loger au ſein de la belle,
I’en ſuis ialoux vien ie t’apelle,
Eſcoute Roſe n’y vais pas :
O comme elle ſ’en va beau pas
Voir cette face nompareille
Des Dieux l’agreable merueille.
Roſe tu pourras bien ſentir,
Que vaut vn tardif repentir,
Si tu ſouffre l’ardente flame
Qui ſort des beaux yeux de Madame.