Les Îles de la Madeleine et les Madelinots/17

Imprimerie Générale de Rimouski (p. 180-193).

ÉDUCATION

Les seules écoles qui existèrent avant 1839 furent celles des missionnaires qui préparaient les enfants à la première communion. En 1827, Isaac Coffin écrit à l’évêque de Québec qu’il allouera 50 livres de rente au prêtre, s’il veut faire la classe d’après la méthode lancastrienne[1], mais il ne paraît pas qu’on ait donné suite à cette proposition.

La génération qui avait poussé sur l’Île Miquelon avait fréquenté les écoles que le gouvernement français y entretenait au bénéfice des pêcheurs. Elle savait en général lire et écrire. Les documents publics nous montrent que celles qui suivirent n’eurent pas cet inappréciable avantage. À l’appendice XII de ce volume, je donne, par curiosité, la copie d’un testament fait en 1804. Les témoins et les partis, moins un, ont su signer. Cela décline à mesure que la vieille génération s’éteint. Mais les rudiments d’instruction religieuse se transmettent de père en fils, comme la tradition. Ce sont surtout les mères, ces anges du foyer, qui remplissent avec zèle et compétence la sainte fonction de maîtresses d’écoles, en faisant réciter les prières et le catéchisme à leurs enfants. Maintenant, comme autrefois, elles sont restées de vraies mères chrétiennes. Monseigneur Plessis, en 1811, constatera qu’elles sont d’une modestie exemplaire et d’une grande et noble simplicité ; l’abbé Ferland, qu’elles sont parfaitement instruites des vérités de la religion et qu’elles savent élever leurs enfants dans la crainte de Dieu. Mais, si elles peuvent élever leurs enfants chrétiennement dans « cette estimable simplicité digne du plus bel âge du christianisme, dans cette innocence de mœurs, dans cette union, cette harmonie et cette probité à toute épreuve » que Monseigneur Plessis admirait parmi eux, elles le doivent à la bienfaisante influence du prêtre, en qui elles ont toujours trouvé un soutien ferme, un conseiller sage et un ami fidèle.

Dès son arrivée, en 1839, l’abbé Bélanger fait bâtir une maison d’école et préparer des matériaux pour deux autres ; il trouve deux institutrices pour les enfants du Havre-Aubert et se préoccupe de ceux du Havre-aux-Maisons qui eurent pour premier instituteur Jean Fontana, et pour première école la maison de Isaac Arseneault. Leur première maison d’école ne fut bâtie qu’en 1845 ou 47 ; c’est madame Morin, sœur du curé Bélanger, qui en prit la direction. Voilà le commencement de la petite école. C’est bien insuffisant, car il y a des groupes de disséminés sur toutes les Îles : au Havre-aux-Maisons, au Cap-aux-Meules, à la Côte de l’Étang-du-Nord, au Bassin, au Havre-Aubert, à l’Île d’Entrée. Il aurait donc fallu déjà sept ou huit institutrices. Le travail de relèvement intellectuel est excessivement lent ; il est difficile à l’extrême, car il n’est pas possible de trouver une institutrice parmi les jeunes filles des Îles. Il faut les chercher ailleurs ; et ce n’est guère souriant pour une jeune fille de la « grand’terre » d’aller s’enfermer aux Îles de la Madeleine pour faire la classe à des gens qui n’en ont jamais eu. C’est bien pour cela, sans doute que les prédécesseurs de l’abbé Bélanger n’avaient pas réussi à organiser quelques rudiments d’écoles élémentaires. Avec le temps et la patience, les événements se modifient, les choses s’améliorent, les difficultés s’aplanissent. Ceux qui ont travaillé dans l’ombre, sans succès, sont ordinairement ignorés, et le bénéfice de leur lent et pénible travail passe souvent au compte de celui qui n’a qu’à sauver la récolte. L’abbé Bélanger eut plus de facilité, car il trouva un terrain longuement et intelligemment préparé par ses prédécesseurs ! Aussi continua-t-il la grande œuvre commencée de l’instruction et de l’éducation, avec une énergie indomptable et un enthousiasme apostolique : les Madelinots soupçonnaient enfin l’absolue nécessité et les merveilleux bienfaits de l’enseignement.

Pendant dix ans, il s’acharnera, avec une inlassable persévérance à organiser les Îles en municipalité scolaire, à bâtir des maisons d’écoles et à recruter, coûte que coûte, des institutrices dévouées et diplômées. Madelinots, inclinons-nous, et chapeau bas, devant la mémoire vénérée de cet infatigable et intelligent apôtre de nos grands pères et devant celle de ces admirables institutrices qui ont commencé la tâche sublime que leurs dignes émules d’aujourd’hui continuent avec le même zèle et le même dévouement sans bornes. Mais, le recrutement des institutrices devenant impossible, on engagea des instituteurs : hommes sans diplômes, pour la plupart, mais ayant eu l’immense avantage d’étudier quelques années dans un collège à Charlottetown où ailleurs. Un de ces maîtres d’écoles, Paul Duclos, est resté en faveur et vénération dans le souvenir des Madelinots. En 1849, quand l’abbé Bélanger quitta l’archipel, il y avait une municipalité scolaire, huit écoles sous contrôle, fréquentées par 202 élèves.

Le premier inspecteur d’écoles, monsieur J.-B.-F. Painchaud, fut nommé en 1850. Ses rapports attestent qu’il était soucieux du progrès intellectuel des insulaires. Il travailla énergiquement, de concert avec les curés, à parfaire l’organisation commencée, à recruter des titulaires pour toutes les écoles et à encourager les parents d’y envoyer leurs enfants. Trois ans après, il y a trois instituteurs dans les quatre écoles en activité (les autres étant fermées faute de maîtres), deux écoles dissidentes organisées avec l’aide du ministre Bayle et 160 enfants qui lisent couramment.

Les Madelinots souffrent de voir la moitié de leurs écoles fermées. Monsieur Alexandre Cormier, à la fois maire et secrétaire des écoles, écrit, le 10 juillet 1854, à l’abbé Charles-F. Careau, V. G. à Québec, pour lui demander de vouloir bien lui aider à trouver des instituteurs. Il suggère qu’on s’adresse aux Frères de la Doctrine Chrétienne qui déclinent l’invitation. « Les maîtres laïcs, trop peu rémunérés par des salaires de famine, préfèrent un emploi dans le commerce ou sur les chemins de fer. » (Careau à Cormier) Il fallut patienter et attendre. Ce n’était pas cependant la bonne volonté qui manquait : on offrait des traitements plus élevés qu’ailleurs ; l’amiral Coffin promettait de payer le déficit ; le gouvernement donnait de 85 à 90 livres d’octrois annuels.

Dans son rapport de 1858, monsieur Painchaud signale la générosité des commissaires qui ont bâti trois nouvelles maisons d’écoles et offrent 60 livres pour le salaire des maîtres ; l’intérêt que les parents et les commissaires montrent en visitant les écoles avec lui ; l’intelligence des enfants qui courent de progrès en progrès. Mais malheureusement, toutes les écoles n’étaient pas encore ouvertes : sur 766 enfants d’âge scolaire, 205 seulement avaient l’avantage d’y assister.

En 1861, on forme deux municipalités : une pour l’île du Havre et l’autre comprenant le Havre-aux-Maisons et l’Étang-du-Nord. Cette année-là, il y a comme instituteurs messieurs Briand au Havre, Morin, (Français) au Bassin, Dupreuil, (Français) à l’Anse-à-la-Cabane, Borne, au Cap-aux-Meules et Catellier, au Havre-aux-Maisons. Ce dernier est le seul diplômé : il a fait faire de bons progrès à ses élèves ; les autres ne sont que passables au témoignage de l’inspecteur d’écoles. Le mal dont on se plaignait alors, existe encore aujourd’hui et durera longtemps : la fascination de la mer et les besoins des parents qui font perdre quelques mois chaque année aux petits garçons, condamnés à pêcher dès huit ou neuf ans. Impossible de comprendre cette mentalité quand on ne connaît pas la mer et la situation particulière des Madelinots ; mais irrésistible est le charme que la grande ensorceleuse exerce sur les enfants quand arrive le mois de mai, que toute l’agitation fiévreuse des ports de mer renaît, que les voiles, petites et grandes, glissent, comme des oiseaux joyeux sous le soleil…

Sept instituteurs, dont un seulement n’a pas de diplôme, dirigent les écoles des Îles en 1865. Les progrès s’accentuent. Trois ans plus tard, une institutrice diplômée de l’École normale Laval, mademoiselle Neuville, dirige l’école du Havre. En 1869-70, tout le personnel enseignant est diplômé, une nouvelle municipalité — L’Étang-du-Nord — est organisée, quatre écoles neuves sortent de terre et la gent écolière augmente de 140 élèves. L’inspecteur ne cesse de faire remarquer au surintendant de l’instruction publique, le dévouement des commissaires et les généreux sacrifices des contribuables. Malgré les constructions nouvelles, pas un sou de dettes n’apparaît dans les livres des commissions scolaires. Les instituteurs sont de plus en plus compétents : deux jeunes diplômés de l’École normale Laval, messieurs Lamarre et Brochu qui enseignent à l’Étang-du-Nord font une excellente classe ; messieurs Phil. Thériault et Ed. Morin réussissent moins bien au Havre-aux-Maisons ; Messieurs Ed. Noël et A. Brasset enseignent au Havre.

Mais c’était tout un problème de décider de jeunes Québécois à venir se claquemurer aux Îles. Les Madelinots comprirent qu’il leur fallait une autre organisation. Outre les difficultés de trouver des hommes pour faire la classe, il y avait celles que rencontraient les enfants dans des arrondissements trop étendus ou dans des endroits encore privés des bienfaits d’une école. Avec des institutrices, il serait facile de multiplier les maisons d’écoles. Mais comment se les procurer au dehors ? Ne valait-il pas mieux travailler à les former sur place ?

Ils avaient échoué dans leur demande à une communauté d’hommes, ils s’adressèrent cette fois à des Religieuses de la Congrégation Notre-Dame qui acceptèrent de venir sur ces rivages lointains porter la bonne semence que les filles de la vénérable Marguerite Bourgeoys jetaient, avec tant de perfection pédagogique et de zèle vraiment apostolique, sur la terre canadienne. Fonder une maison aux Îles de la Madeleine, c’était à la fois se dévouer à l’éducation des jeunes Acadiennes et partant au relèvement de la race par la mère, préparer des institutrices et cultiver les vocations religieuses. Quel beau champ d’action pour ces vaillantes du devoir ! Comment résister à l’appel de ces petits, de ces humbles pêcheurs qui leur tendaient les bras dans un geste de prière ardente ?

Dès l’année 1875, sous l’instigation de monsieur l’abbé Onésime Hébert, curé de Sainte-Madeleine-du-Havre-aux-Maisons, on commença à préparer le bois pour la construction du couvent. Les religieuses arrivèrent en 1877 et se retirèrent au presbytère, en attendant la fin des travaux. Les classes ouvrirent cet automne-là dans le couvent neuf. Je voudrais pouvoir écrire ici en lettres d’or le nom des trois premières religieuses que Monseigneur McIntyre, évêque de Charlottetown, daigna accompagner jusqu’à leur champ d’action : ce sont Sœur Sainte-Anne, première supérieure locale, Sœur Sainte-Céline et Sœur Saint-Théophane. Quelle date mémorable et inoubliable dans l’histoire de nos Îles ! Le cinquantenaire qui tombe en 1927 sera, je l’espère, l’occasion de belles fêtes et de profondes leçons. Cette année-là, mademoiselle Zoé Delaney, qui enseigna si longtemps aux petits Madelinots débutait au Havre-aux-Maisons. Monsieur l’abbé Boudreault, curé du Havre-Aubert, voyant le succès presque facile de son confrère, parla de la fondation d’un couvent chez lui. Mais, après un examen attentif de la question, il pensa, avec raison, qu’un couvent central suffirait largement pour tout l’archipel et aurait beaucoup plus de chances de se développer et de progresser. Il serait la maison d’éducation supérieure des jeunes Acadiennes, une sorte d’école normale où se formerait l’élite des mères des générations futures. Et son projet mourut dans l’œuf.

La création du couvent mit fin à la léthargie intellectuelle des Madelinots. Cette année-là, 470 enfants fréquentèrent les écoles toutes en pleine activité. Elles le seront désormais, car la crise du personnel enseignant est enfin résolue. Cependant, il manque encore quelque chose : le moyen de donner des diplômes officiels. Cela nécessite la création d’un bureau d’examinateurs local, car Percé est trop loin. De nombreuses demandes sont adressées au Conseil de l’Instruction publique qui les exauce en 1881.

Cette année, Monsieur Daniel Pâquet, qui avait enseigné pendant onze ans dans les Îles, fut nommé inspecteur d’école en remplacement de monsieur Painchaud. Dans son premier rapport, il signale trois écoles par paroisse, à part du couvent qui donnait l’instruction à cinquante jeunes filles.

Les premières jeunes filles diplômées au couvent Notre-Dame-des-Flots furent M.-Tyrsa Richard, Johanna Turbide et M.-Virginie Verdier. Ce sont les enfants du Havre-Aubert qui bénéficient le plus longtemps de l’enseignement masculin : tant que les institutrices n’ont pas été en nombre pour enseigner sur toutes les Îles. Ainsi, en 1882, trois jeunes maîtres, sortis de l’École Normale Laval : messieurs Bouchard, Côté, Gignac, dirigent avec énergie leur formation intellectuelle. Et même quand le nombre d’institutrices devient suffisant, on continue d’engager des maîtres pour les garçons ; système excellent ! Aujourd’hui encore, on constate les précieux avantages de l’enseignement et de la formation morale et virile donnés à la gent écolière masculine par messieurs Albin Thériault et Louis-Philippe Marquis.

Mais il manquait toujours, on le sentait bien, une école modèle de garçons, pour aller de pair avec le couvent. On ne voulait pas que les jeunes filles seules s’instruisent, et bien peu de gens avaient les ressources voulues pour envoyer leurs garçons dans des institutions étrangères. Monsieur l’abbé J.-S. Turbide, curé de Sainte-Madeleine-du-Havre-aux-Maisons, féconda cette idée, l’agita dans le peuple, fit appel aux bonnes volontés et lança le projet de construire une grande école pour les garçons de 14 ans et plus. Une souscription volontaire en argent et en journées de travail en assura le succès. Chacun se mit généreusement à l’œuvre : monsieur le curé pour obtenir de l’aide extérieure, et il en provoqua beaucoup ; les paroissiens pour charroyer les matériaux, creuser les fondations, aider à élever la construction et à la parachever, à la corvée. On fit ainsi, et à relativement peu de frais, une belle maison, simple mais spacieuse, où on combina une magnifique classe avec une encore plus magnifique salle publique, capable de contenir 400 personnes. Avantageusement située, elle est un monument et un ornement pour la paroisse qui en est fière, à juste titre. On pourrait bien l’appeler le monument Turbide ; pour le présent, c’est l’école Saint-Joseph. Elle ouvrit ses portes, en 1906, à 35 jeunes gens, sous la direction de monsieur Phelan. L’année suivante, monsieur J.-B. Turbide en prit la direction pour cinq années. Il fut remplacé par monsieur Hélié Pâquet. Impossible de dire tout le bien que fit cette école, non seulement aux jeunes du Havre-aux-Maisons mais à ceux de toutes les Îles, car il en venait de partout, même de chez les Anglais. Raconter l’histoire de l’école Saint-Joseph, c’est entreprendre la biographie du prêtre inlassablement dévoué qu’est monsieur l’abbé Turbide, car il s’est identifié avec elle, pendant plus de dix ans. Je n’ose m’y hasarder ; je dirai simplement que personne autre n’aurait pu mieux réussir, ou même aussi bien et, que pour une fois, il aura fait mentir le proverbe que nul n’est prophète dans son pays.

Quel enthousiasme prodigieux pendant que M. Jean-Baptiste Turbide occupait, avec science et distinction, la chaire de l’école supérieure ! Les hommes et les jeunes gens voulaient à tout prix assister aux leçons du docte magister, au point que la classe, étant trop petite, on dut ouvrir alors un cours du soir, fréquenté par des gens mariés. L’instruction des garçons a fait un grand pas avec cette école ; nous verrons avec satisfaction qu’elle ne s’arrêta pas là.

De jour en jour l’organisation scolaire se perfectionnait et courait de progrès en progrès. Monsieur le curé Turbide pensa qu’il était temps d’inviter les autorités à venir sur place constater le splendide travail intellectuel réalisé et contribuer à le rendre meilleur encore. Il fut donc l’initiateur du premier congrès pédagogique tenu aux Îles de la Madeleine. Voici ce qu’en dit l’Enseignement Primaire du mois de septembre 1911.

« Du 18 au 21 juillet dernier, les institutrices des lointaines Îles de la Madeleine se sont réunies en congrès, sous la présidence de l’honorable P.-B. de la Bruère, surintendant de l’instruction publique.

« C’est à la demande du Révérend Monsieur Turbide, le dévoué curé de Havre-aux-Maisons, que ce congrès pédagogique a été accordé au personnel enseignant des Îles, qui vit isolé du reste de la province.

« La réception de Monsieur le curé, du député, M. Thériault, de l’inspecteur Pâquet, des institutrices de la paroisse entière fut des plus cordiales. Monsieur le Surintendant et ses compagnons de voyage, constatèrent avec bonheur que la brave population des Îles de la Madeleine comprend toute l’importance d’une bonne instruction primaire. Aussi, quels sacrifices ne s’impose-t-elle pas pour construire et meubler de jolies écoles, qui feraient honneur aux riches paroisses de la « grande terre » comme les insulaires appellent la province de Québec.

« Le Surintendant était accompagné des conférenciers dont les noms suivent : Monsieur l’abbé Duchêne, principal de l’école normale de Chicoutimi ; MM. John Ahern, professeur et membre du Comité catholique, Adjutor Rivard, professeur à l’Université Laval et secrétaire de la Société du Parler français, H. Nansot inspecteur d’écoles, C.-J. Magnan, inspecteur général des écoles. Monsieur Gosselin, protonotaire de Chicoutimi, en voyage de vacance, s’étaient joint aux conférenciers

« La séance d’ouverture eut lieu dans l’église et les conférences furent données dans la sacristie.

« Les religieuses de la Congrégation Notre-Dame, au nombre de cinq, ont suivi les séances du congrès. Toutes les institutrices des Îles, une trentaine, furent assidues à venir entendre les conférenciers ; et plusieurs autres personnes, des pères et mères de famille, s’intéressèrent vivement aux travaux de la convention ».

Les conférenciers étaient arrivés par le bateau de mardi et devaient retourner sur celui du vendredi. Le jeudi soir, Monsieur Adjutor Rivard devait donner une conférence sur l’élocution à l’école primaire. À la demande de Monsieur le curé, la population fut invitée à cette dernière soirée qui eut lieu dans l’église ; et du chant, des discours et de la déclamation furent ajoutés au programme. Ce fut une bien agréable et instructive veillée dont je garderai un impérissable souvenir. L’église était remplie comme aux grandes solennités.

Le vieux couvent, devenu trop insuffisant, déjà pas mal détérioré, allait céder sa place à un autre plus spacieux. Une fois de plus, M. le curé-apôtre Turbide se mit à l’œuvre ; il fit appel à la bonne volonté de ses paroissiens et les persuada de construire en pierre. C’était nouveau ; ce serait la première construction en pierre dans l’archipel. La proposition fut acceptée d’emblée — qu’est-ce que le dévoué et entreprenant curé Turbide ne ferait pas accepter ? — et chacun s’engagea à fournir un certain nombre de voyages de pierre. Des équipes se formèrent pour les extraire du cap Alright. Et voilà que lentement, mais sûrement le couvent monte, grandit, se pare et devient l’orgueil de cette pauvre, mais généreuse population qui a compris son vénéré chef et a voulu contribuer, au prix d’immenses sacrifices, à l’érection de ce monument de l’éducation. Voilà une preuve éclatante de ce que peut un curé zélé et désintéressé qui sait faire coopérer ses paroissiens au progrès de sa paroisse. « Montrez de la bonne volonté, leur disait-il, et nous aurons un magnifique couvent. » Et pour les stimuler à l’action, il allait lui même derrière le cap, avec les équipes, et mettait la main à la pierre, au besoin…

Le second couvent Notre-Dame-des-Flots fut inauguré dans l’automne de 1918. Il abrite maintenant 60 jeunes filles qui y reçoivent une éducation soignée et pratique. Plusieurs y ont obtenu avec grande distinction des diplômes académiques. Les religieuses ne tarissent pas d’éloges quand elles parlent des Madelinots qui « se sont toujours distingués par un grand respect pour elles et par leur exquise et généreuse bienveillance en toutes occasions. »

En 1912, l’honorable Joseph-Édouard Caron, ministre de l’agriculture dans le cabinet Gouin, devenait député des Îles de la Madeleine. L’idée d’une grande école, au centre des Îles, commença à flotter dans l’atmosphère. Un comité fut formé de messieurs les abbés J.-H. Blaquière, V. F., J.-S. Turbide et Isaac Thériault, tous curés de l’archipel. Pour assurer le succès de cette entreprise, il fallait renoncer à l’école Saint-Joseph, en fermer les portes, afin de canaliser tous les efforts et toutes les ressources vers la nouvelle institution. La mort dans l’âme, M. le curé Turbide consentit, pour le bien général, à cet héroïque sacrifice. Et l’académie Saint-Pierre fut inaugurée au mois d’octobre 1919, sous la direction de deux dévoués prêtres acadiens : MM. les abbés Gallant et Arsenault, aidés d’un professeur laïc, M. Willy Chiasson. Soixante et quinze jeunes gens, dont une trentaine de pensionnaires, y affluèrent de tous les points de l’archipel. Cette école, en face de l’église de l’Étang-du-Nord, au hameau de la Vernière, occupe un des plus beaux sites de toute la région et offre aux regards émerveillés un point de vue d’une grandiose magnificence. L’horizon qui se déploie au loin, souligné par la fine dentelure des îles ; les féériques levers et couchers de soleil en pleine mer sont de nature à remplir l’âme de poésie et à l’élever vers le Créateur. Cette institution est encore trop jeune pour qu’il soit possible de constater et d’apprécier ses résultats, mais les débuts promettent… L’enthousiasme de toute la population et des jeunes collégiens en fait foi.

Voilà donc une des meilleures organisations que l’on puisse désirer : l’école élémentaire — la petite école de tout le monde — dirigée par des institutrices de l’archipel ; un couvent où les jeunes filles reçoivent une éducation supérieure, une formation spéciale ; une académie, appelée à jouer le même rôle chez les garçons. En vérité, la génération actuelle est bien favorisée. Puisse-t-elle en profiter intelligemment pour que la marche du progrès ne se ralentisse jamais et que les petits moussaillons tiennent à honneur, par leur constante application, à dédommager leurs parents des lourds sacrifices qu’ils s’imposent avec plaisir. Ces deux écoles spéciales cultivent aussi les vocations : vingt-cinq jeunes filles ont déjà fait profession perpétuelle dans la célèbre Congrégation Notre-Dame et une dizaine d’autres ailleurs ;[2] souhaitons que l’académie, qui est une sorte de succursale du collège Saint-Dunstan, puisqu’on y cultive avec soin les éléments latins, fasse une aussi riche moisson dans la fine fleur de notre jeunesse, si bien conservée.

Le bien inappréciable qu’a fait la Congrégation Notre-Dame aux Îles de la Madeleine parle de lui-même avec éloquence. Il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles quand on visite ces lieux pour s’en convaincre. L’institutrice à l’école, la mère de famille au foyer continuent l’action bienfaisante du couvent. Les religieuses sèment en bonne terre ; leurs élèves « sont dociles et intelligentes » ; leur autorité qui suit immédiatement celle du curé leur permet d’exercer une influence profonde et durable. Il y a 49 ans qu’elles pétrissent le cerveau des jeunes Madelinotes ; ce sont quarante-neuf années de vénération et de respect à leur endroit. Que ne fait-on pas avec de telles dispositions ?

Ce chapitre serait incomplet, si je passais sous silence les royales largesses octroyées par le gouvernement de la province de Québec, dont dépendent les Îles, pour
Le Havre-Aubert
cette poignée d’Acadiens. Chaque année, il rétribua largement le professeur de l’école Saint-Joseph qui de fait devenait une école gratuite, l’étudiant n’ayant qu’à payer le chauffage ; il construisit le palais scolaire de l’académie ; il aida à la construction de nouvelles et jolies maisons d’écoles élémentaires, à celle du couvent et de l’école Saint-Joseph ; et, chaque année, par de substantiels octrois, il encourage ces vaillants marins à donner à leurs enfants toute l’instruction que permet leur situation.

M. Louis-Albin Thériault, troisième inspecteur d’écoles, fut nommé en 1912. Dans son dernier rapport (1925), je trouve 23 écoles élémentaires catholiques et cinq protestantes, un couvent et une académie, le tout fréquenté par 1700 élèves. Les propriétés scolaires sont évaluées à une quarantaine de mille piastres, sans dettes, contre une évaluation foncière totale de seulement $782,539.


  1. Ce procédé, très en vogue à cette époque fut propagé en Angleterre par Lancaster qui lui laissa son nom. C’était un mode mutuel.

    Les premiers élèves instruisaient leurs confrères plus jeunes, sous la direction d’un maître. Ces élèves-maîtres étaient plus que des moniteurs, ils dirigeaient chacun leur groupe classé suivant son degré d’avancement. Le grand avantage de ce système, c’était qu’un seul instituteur pouvait diriger une école très nombreuse dans une seule salle. Mais il ne permettait pas à l’enfant d’être façonné par son maître puisqu’il était continuellement enseigné par d’autres enfants, guère plus compétents que lui et donc incapables de corriger, de redresser, d’élever.

    (Manuel d’Hist. de la Pédagogie par un prof. d’École Normale, Imprimerie Duculot, 1919.)

  2. Voir app. XIII