Les Îles de la Madeleine et les Madelinots/14

Imprimerie Générale de Rimouski (p. 148-158).

QUELQUES DÉSASTRES MARITIMES

De tout temps, les Îles de la Madeleine ont été le théâtre ou le témoin de furieuses tempêtes, de violents coups de vent, de terribles ouragans qui ont causé de lamentables désastres, ruiné plus d’une famille et semé la désolation et le deuil dans toute la population. La tradition les conserve tous, et les vieillards les racontent aux enfants de leurs enfants, avides d’histoires et de légendes.

Voici les plus inoubliables et les plus sensationnels.

Écoutons notre vieil ami, Monsieur Placide Vigneau : C’était en 1856, ma seconde année de navigation ; nous partîmes dix-huit goélettes des Îles de la Madeleine pour la « pêche dans le Nord ». Ayant complété notre équipement à Blanc Sablon, nous filâmes un peu plus à l’est dans le détroit de Belle-Isle, cherchant un abri pour nos goélettes à proximité des bancs morutiers. Le 27 ou le 28 juin, à la tombée du jour, nous arrivâmes à une petite anse du côté est de l’île Greenly où nous mouillâmes l’ancre au milieu d’une quinzaine d’autres goélettes américaines et néo-écossaises qui y étaient déjà rendues. Il y avait aussi un brick yankee.

Nous apprîmes de ces gens que la morue abondait. Le lendemain, à la pointe du jour, nous jetâmes nos barges à la mer et houp au large. À cette époque nous n’avions pas encore le doris, embarcation beaucoup plus légère et plus maniable que la barge, mais plus frêle et moins confortable.

Nous commencions déjà à nous encourager, quand le 2 juillet vers les deux heures de l’après-midi le temps se couvrit presque subitement, suivi d’une saute de vent d’est qui fraîchit avec une rapidité étonnante. « Ça menace mal, nous dit mon oncle Alcide, le temps est chargé ; on pourrait bien avoir un coup de vent… C’est pas des fiances de rester au large… » et se levant sur la tille, il huche au vieux Polite, mouillé banc à banc avec nous : « T’en viens-tu ? — Attendons les autres, ça ne force pas encore. — Ouais ! ça sert à rien de se mettre dans le péril pour quelques morues de plus… »

La morue mordait bien et il en coûtait de lever l’ancre, malgré la bourrasque, mais à quatre heures, ne pouvant plus tenir, toutes les barges appareillèrent. Trop tard : nous avions trop laissé forcer. Ça ne paraissait pas pire au large, mais à mesure que nous approchions de terre, la mer était si grosse et le vent si violent que nous eûmes beaucoup de peine à gagner bord : plusieurs furent forcés d’atterrir à l’île. Vers six heures, les goélettes commencèrent à chasser sur leurs ancres ; on mit dehors tout ce qu’on avait de mouillage, pensant bien tenir tête aux éléments déchaînés, mais le vent fraichissait toujours, hurlait dans les mâtures à faire frémir le plus brave de la bande, et les deux ancres avec tous leurs câbles ne pouvaient plus résister à la mer en furie. Ce fut un cri de stupeur quand on s’aperçut que les ancres dérapaient et que chaque lame nous poussait dans les brisants de terre ; nous allions nous émietter, entassés, enchevêtrés les uns par-dessus les autres, comme des fétus de paille. C’en était fait de nous… Il n’y avait plus moyen d’échapper… Un moment, le désespoir nous étreignit, mais une petite éclaircie nous ayant permis de voir le ciel, nous y jetâmes des regards suppliants et invoquâmes du fond du cœur notre bonne Étoile de la Mer, nous confiant entièrement en elle et la priant de nous sauver tous de cet imminent péril…

Toujours le vent soufflait plus fort, et la nuit approchait. Quelle lugubre nuit ! Vers sept heures la goélette Henry, sous les ordres du petit Pierre Vigneau, cassa son câble, chassa sa grosse ancre et s’en alla, telle une épave, couverte par les vagues énormes, se perdre dans les brisants de la côte. Un quart d’heure après une autre fit de même, puis une troisième, puis une quatrième, si bien qu’au soleil couché une quinzaine déjà était à la côte. Ce furent les plus chanceuses, car vers neuf heures, la pluie se mit de la partie, une pluie torrentielle, grosse comme des balles, poussée par un vent qui faisait peur, un vent comme je n’en ai jamais vu depuis, auquel rien ne résiste : un ouragan épouvantable.

Dans l’épaisse nuit noire, à travers la sinistre clameur des vagues, les éclats du tonnerre et le hurlement du vent dans les cordages, on entendait les cris désespérés des matelots, essayant quelque manœuvre pour éviter les abordages. C’est ce que nous craignions le plus. Notre goélette étant neuve, avec de bons mouillages, tint bon et nous permit d’être les témoins attristés de cette scène douloureuse. Plusieurs, pour éviter le naufrage, coupèrent leur mâture, mais le vent avait un tel empire qu’il arracha tout ; et ces coques dégarnies nous frôlèrent, s’en allant à la dérive, battues par la mer démontée. Toutes y allèrent, moins une de la N.-É. qui, ayant accroché les ancres de ses sœurs, s’arrêta à une encablure du rivage. À minuit c’était notre tour : un des derniers. Nous débarquâmes sans trop savoir comment, mais sains et saufs.

C’est là que nous entendîmes des cris, des plaintes et des lamentations. Les matelots s’appelaient, se cherchaient, mais impossible de se trouver tous dans la nuit noire… Tel équipage est perdu, disait-on, la moitié de tel autre manque, celui-ci a perdu trois hommes, celui-là deux, et les déchirantes lamentations, les pleurs et les gémissements de continuer avec les mugissements de la tempête. Vers les deux heures du matin, son œuvre de destruction terminée, le vent commença à modérer, puis diminua graduellement jusqu’au jour.

Ce ne fut qu’au grand jour que les équipages purent se retrouver et se réunir. La stupéfaction fut générale quand on s’aperçut que non seulement il ne manquait personne à l’appel, mais que pas un n’avait une simple égratignure. L’unique victime fut le petit chien de Xavier Cormier, à bord de la Pandora.

La sainte Vierge Marie avait protégé ses fidèles Acadiens.

Les goélettes étrangères qui, les jours suivants, passant près de l’île, venaient donner un pied d’ancre dans l’anse désormais historique et apercevaient un tel désastre, s’imaginaient sans doute que ces hommes travaillaient à enterrer leurs morts ; pas du tout, ils déterraient les débris de leur naufrage et tiraient le meilleur parti possible de tout ce qui en restait d’utilisable. Dix-sept goélettes dont neuf des Îles de la Madeleine avaient été mises en pièces, les autres, renflouées, pouvaient tant bien que mal reprendre la mer. On imagine assez facilement cette marine : dans une anse d’à peine deux cents verges de rivage, au bord d’une mer redevenue calme et douce, quinze goélettes couchées sur le flanc dans leurs souilles profondes ; dix-sept autres éventrées, déchirées ; des mâts, des vergues, des barges, des épaves de toutes sortes, et au milieu des hommes hâves et fatigués s’agitent et parlent…

Après une inspection sommaire et un conseil de guerre nous décidâmes de renflouer les moins avariées, et à l’œuvre sans retard et sans découragement. Entreprise gigantesque avec les moyens primitifs dont nous disposions. Cependant, douze jours plus tard, la brillante escadre madelinote était reconstituée et nous reprenions, avec de nouvelles énergies, notre pêche interrompue… Chaque goélette prit à son bord une couple de rescapés ; les autres allèrent à Blanc-Sablon et à l’Île-au-Bois où tout le monde sauve son été, la morue ayant bien donné cette année-là.

Voici la liste de nos goélettes naufragées : toute la flotte madelinote moins la Constantine du capitaine Julien Boudreau, montée à Québec.

Goélettes renflouées
1 Wide Awake
2 Lady
3 Adelina
4 Mariner (N. B.)
5 Tempérance
6 Sophie
7 Eugénie
8 Eliza
9 Loup-Marin

Goélettes brisées
1 Labrador
2 Pandora
3 Haddock
4 Henry
5 Kent
6 Mariner (L. F.)
7 Marie
8 Nancy
9 Mère-de-Famille.

La Lord’s Day Gale

L’histoire en conserve une autre quasiment semblable, mais aux Îles cette fois.

« C’est la furibonde tempête du 23 août 1873. Elle dura trois jours sans désemparer et surprit quatre-vingt-quatre navires (étrangers) ancrés dans la Baie de Plaisance. Dès les premières rafales, quarante-huit d’entre eux se mirent de suite à chasser sur leurs ancres : dix allèrent s’ensabler sur la rive de la baie et trente-huit firent côte dans le Havre-Aubert où ils trouvèrent vingt-six de leurs camarades revenus au mouillage, pendant que dix seulement résistaient encore sur leurs fonds. Au milieu des péripéties de cet épouvantable ouragan, qui le croirait ? on n’eut à déplorer que la mort de trois personnes. « Quelques-uns des malheureux navires, rapporte le commandant Lavoie, après avoir été ballottés de tous côtés et avoir perdu leurs ancres, allèrent se jeter sur le rocher à fleur d’eau situé au pied de la côte des Demoiselles, La lame brisait à cet endroit à une hauteur de cent pieds. Sans la présence d’esprit et l’héroïque courage de Aimé Nadeau et James Cassidy qui virent venir à terre la Diploma, l’Ellen Woodward et l’Emma Rich, les équipages de ces navires auraient certainement péri. Ces deux héros descendirent le cap à l’aide d’une corde et, aidés du chien de Terre-Neuve de Cassidy, qui saisissait un à un les naufragés dans le ressac, ils purent opérer leur sauvetage et arracher à une mort certaine trente et une précieuses vies humaines. L’année suivante, le 18 juin, une seconde tempête vint fondre sur l’archipel. Ses ravages ne furent pas aussi considérables que la première, et pendant les quatre longs jours qu’elle dura, elle ne put mettre à la côte que deux goélettes, et balayer la plupart des filets et des engins de pêche qui étaient à la mer ». (F. de Saint Maurice, Promenades dans le Golfe, pp. 183-184).

L’année que les bâtiments ont fait côte
sur le Cap-Breton

Le voyage de Halifax fut toujours dangereux à cause des brumes et des récifs qu’on rencontre le long des côtes de la Nouvelle-Écosse. Avant l’établissement d’une ligne de cabotage desservie par un vapeur, tout le transport se faisait par les goélettes des Îles. Chaque automne, une flotte chargée de poisson partait pour Halifax d’où elle rapportait tout l’approvisionnement des insulaires. C’était le grand événement de la saison.

À la fin de novembre 1875, sept ou huit goélettes madelinotes larguèrent Halifax ensemble par un temps splendide. Elles furent encalminées[1] une partie de la journée. Vers le soir, le vent prit au sud-est, un petit vent léger qui fraîchit dans la nuit, mais rien de dangereux. C’était le bon vent : il n’y avait qu’à border les voiles et à filer. Le lendemain soir à neuf heures on traversa le détroit de Canso et, avec du largue, on mit le cap sur les Îles de la Madeleine. La nuit fut belle ; au jour bourrasque qui se calme vers neuf heures ; à onze heures, on avait déjà doublé la pointe de l’est de l’Île du Prince-Édouard. C’était ravissant, jamais traversée n’aurait été aussi rapide : un vrai record. On arriverait de bonne heure aux Îles… Quelle fête à l’arrivée du grand voyage d’Halifax ; déjà les cœurs battaient de joie, mais courte joie, hélas ! car, par un revirement soudain et inattendu, avec une violence inconcevable, le vent tapa en furie au norois, avec une neigé épaisse et un froid très intense.

Ce fut un véritable ouragan, à ne pas voir dix brasses en avant de soi. Il fallut amener toutes les voiles et se laisser aller à mâts-cornes, à Dieu miséricorde. La panique devint générale et le désespoir s’empara des marins : aucune manœuvre n’était possible. On mit à la cape : la roue amarrée au vent, deux pieds de misaine dehors et Dieu nous garde… Ce fut une nuit d’épouvante et d’horreur, comme jamais démon n’en déchaîna du fond de son enfer. On sentait les falaises du Cap-Breton là, tout près, et on avait peur de se sentir d’un moment à l’autre écrasé sous les brisants furieux. À quatre heures du matin, l’Espérance passa près de la Marie-Anne, dans la force du poudrin, filant vent arrière sans un pouce de toile, pensant parer le Cap-Nord, mais François Thériault, capitaine de la Marie-Anne, cria à travers l’ouragan : « Vous faites une mauvaise manœuvre, vous allez vous perdre sur le Cap-Breton ». Il ne se trompait pas ; une demi-heure après elle allait s’éventrer sur les rochers de la côte. Trois matelots se sauvèrent en sautant du beaupré. La Stella-Maris, l’Arctique, la Présidente, eurent le même sort avec leurs équipages et leurs passagers Les trois autres : la Marie-Anne, la Painchaud et la Flash parèrent le Cap-Breton à six heures du matin dans les brisants de terre. Elles furent décapées en dehors de Scatari et ne prirent Louisbourg qu’après quatre jours de transes affreuses, d’inquiétudes mortelles et de fatigues indicibles. La Marie-Anne avait perdu un homme, Grégoire Chevarie, emporté par une vague.

Les rescapés donnèrent l’alarme. L’épouvantable nouvelle fut envoyée au gouvernement qui fit charger le Harlo pour voler au secours de la population des Îles. Aucune communication télégraphique n’existait à cette époque, entre les Îles et le continent, et c’est ce vapeur qui, ayant vu les restes de la flotte acadienne au détroit de Canso, le 7 décembre, annonça le désastre aux insulaires deux jours plus tard.

Entre temps, les rescapés allèrent s’enquérir des quatre disparus. C’est là que l’on vit des scènes d’horreur et de désolation : tous les matelots échappés aux flots avaient essayé d’escalader les falaises et les caps. Quelques-uns affaiblis et transis purent à peine s’arracher à la mer. Alex. Turbide, le fils du capitaine de la Présidente fut trouvé gelé dans le cap, les doigts arrachés et les pieds usés à force de se traîner sur les galets et dans les anfractuosités des rochers. Eugène, son père, Samuel Cormier, André Desjardins, Alfred Bourgeois, Antoine Lafrance furent ramassés raidis dans la mort sur les cailloux du rivage. La Stella-Maris, les deux mâts cassés, était chavirée la quille en l’air, au flanc d’un rocher, comme si un titan l’eut portée là, après l’avoir démâtée. Ses panneaux étaient fermés et toute sa cargaison intacte. (Cette cargaison fut pillée sans scrupule par les gens de l’endroit). Sept hommes de son bord étaient couchés sans vie sur la grève.

Seule l’Arctique fut renflouée et son équipage sauvé.

Les trois survivants de ce mémorable événement, ayant repris leurs forces et retrouvé leur sang froid, mirent à la voile pour une seconde fois, vers le quinze de décembre. Ils arrivèrent aisément aux Îles six jours plus tard au milieu d’une population en deuil. Impossible de décrire les scènes poignantes qui se déroulèrent alors sur les quais du Havre-aux-Maisons ! Mon père me les a maintes fois narrées, cependant je me sens complètement impuissant à en rendre ici les accents pathétiques. Le tableau m’a beaucoup fait songer à celui de l’embarquement des Acadiens, sur les rives du Bassin des Mines, en 1775…

La défunte Flash

Le voyage de Québec était plus long que celui d’Halifax, mais moins redouté des Madelinots, à coup sûr, à cause des relations plus amicales et plus faciles entre gens de même foi, même race et même langue. On ne l’entreprenait que durant les beaux mois de l’été. On montait chargé de produits de la mer pour en rapporter des provisions, des vêtements et autres articles de nécessité locale. Des relations commerciales s’étaient ainsi établies avec plusieurs Québécois : Vital, Têtu, F. Buteau, H. LeMesurier et autres ; des liens de famille et d’amitié créés par l’intermédiaire de quelques Canadiens fixés aux Îles. Arrivé au port après une rude navigation, quel bonheur de se régaler dans d’hospitaliers et sympathiques foyers canadiens ! On passait quelques bonnes soirées un peu semblables à celles du pays lointain, puis on se remettait en mer, le cœur gai, emportant le plus excellent souvenir de ces bons cousins de la vieille cité.

La Flash venait de partir pour la capitale, — en 1881, six ans après s’être sauvée du premier désastre — elle fut assaillie par une forte bourrasque et forcée de relâcher pour se mettre à l’abri dans le Havre-Aubert, en même temps qu’un autre bâtiment du port de Baie Saint-Paul, également en route pour Québec. À la façon des gens de mer, on fit tout de suite connaissance, on fraternisa presque, se promettant de faire voile ensemble. Ne redoutant rien de ces marins de même langue et de même foi, les Madelinots s’ouvrirent tout naïvement à leurs compagnons de voyage, parlèrent de leur cargaison, des achats à faire, etc…

Le temps ayant calmi pendant la nuit, on décida d’appareiller, mais Laurent Cormier, qui s’était dit malade en rentrant, ne voulut plus se rembarquer. Il prétexta un mal secret et déclina les offres les plus pressantes du capitaine Isaac Arseneau. Il a toujours assuré plus tard qu’il ne souffrait d’aucune maladie, mais qu’une voix intérieure et mystérieuse, un sinistre pressentiment, le pressait vivement d’éviter ce voyage. On le remplaça et les deux bateaux se mirent en mer de beau matin. La brise était légère, puis elle calmit tout à fait sur le haut du jour… Les gens de l’Étang-du-Nord virent sous le soleil couchant, les deux goélettes côte à côté, les voiles faséyantes, comme deux amis qui s’arrêtent à l’entrée de la nuit pour se donner la main et le baiser du soir… Le lendemain matin, le vent soufflait du nord ; le tableau de la veille était effacé.

Les jours passèrent ; des semaines, des mois s’enfuirent, et… toujours pas de nouvelles de la Flash. Québec ne l’avait pas enregistrée, aucun port de mer ne l’avait vue, personne ne l’avait rencontrée. Le mystère devenait de plus en plus impénétrable. Les marins les plus expérimentés y perdaient leur grec et leur latin à se creuser la tête, quand Laurent à Damase se fit apporter un escalier qu’un rôdeur de côte avait trouvé sur la dune du nord, quelque temps auparavant. C’était l’escalier de la chambre de la Flash. Il l’identifia sans difficulté, l’ayant fabriqué de ses propres mains. Plus de doute, alors, un ouragan, une trombe avait englouti les deux compagnons à la fois… Mais, pourtant, il avait fait beau après le départ de la Flash : le lendemain, beau vent de nord qui a duré plusieurs jours, vent idéal pour une montée rapide. Puis vent de norois, vent d’ouest, mais point de fortes brises. Enfin !… Plus on étudiait l’énigme, plus on se perdait…

Quinze années durant, les vieux loups-de-mer s’informaient aux marins à leur retour de Québec : « Vous n’avez pas entendu parler de la Flash ? » — Et toujours la même réponse : rien, rien. Enfin, un jour, un coin du voile fut levé. On rapporta toute une histoire à l’endroit de la Flash, drame horrible que les honnêtes Madelinots n’avaient jamais même soupçonné : le cuisinier du « Canayen » déclara sur son lit de mort qu’ayant été forcé de participer à un crime affreux il ne voulait point emporter dans la tombe un secret qui l’avait sans cesse torturé. La Flash, le premier soir du départ, avait été attaquée sournoisement ; une lutte sanglante avait eu lieu, l’équipage acadien massacré, le vaisseau pillé puis coulé. Un seul avait échappé au couteau, en plongeant dans les flots… Le capitaine s’était battu comme un lion jusqu’au dernier souffle : on avait eu mille peines à le tuer…

C’est depuis cette révélation que les Madelinots disent la défunte Flash.


  1. Encalmées chez les Madelinots.