Les Étapes d'un volontaire (Duplessis)/III/XIII

Alexandre CADOT (3p. 47).

XIII

Ce ne fut qu’au moment où le jeune homme tourna la clé dans la serrure pour ouvrir, que je songeai à m’opposer à sa sortie de ma chambre ; car jusqu’alors son sang-froid m’avait dominé au point de m’ôter la réflexion.

— Qu’allez-vous faire, malheureux ! lui dis-je en me précipitant vers lui et en le saisissant par le bras ; vous perdre sans ressource et sans fruit pour personne !

— Laissez-moi, mon ami, me répondit-il en essayant de se dégager doucement de mon éteinte, Vos exhortations et vos remontrances ne peuvent rien sur ma résolution. Ma destinée est écrite au ciel : il faut qu’elle s’accomplisse.

— Prenez garde, mon ami, m’écriai-je en le retenant toujours, voilà que vous tombez dans le blasphème, Quoi ! pouvez-vous croire qu’un crime, — et c’est à ce que vous méditez, — soit écrit au ciel ! Que vous soyez la proie du bourreau, que des tigres ivres de carnage versent votre sang au nom de la fraternité et de la liberté, ce sera certes là un grand malheur, sans doute, mais au moins vous tomberez dans votre honneur et dans votre innocence…

— Mon cher monsieur, me répondit lentement et toujours avec son même sang-froid le comte de L***, je vous répète que les considérations humaines n’ont plus prise sur moi… Je poursuis un but que je dois, que je veux atteindre avant de mourir ! J’écarterai donc violemment et sans pitié tout obstacle qui se dresserait entre ma volonté et ce but.

— C’est une menace, comte ?

— Non, mon ami, ce n’est pas là une menace que je vous fais, c’est un avertissement que je vous donne. Je vous estime et je vous aime ; mais, si vous vous obstiniez à vous opposer à mon départ, je me trouverais dans la dure nécessité de vous brûler la cervelle.

Je sentis, à cette réponse que je méritais si peu, le sang me monter au visage, et, me retirant devant la porte :

— Vous comprenez, monsieur, lui dis-je, que dans votre position de proscrit et de mis hors la loi toute rencontre entre vous et moi est impossible. Victorieux ou vaincu vous seriez fatalement victime. En faveur de votre faiblesse, je dois vous pardonner votre injure : vous êtes libre, sortez.

— Bon et excellent ami, s’écria le jeune homme d’une voix émue ! Je vous supplie de vouloir bien m’excuser ! Désirez-vous que je vous demande pardon à deux genoux de mes menaces et de ma violence : je le ferai ! Je vous répète que je n’appartiens plus à la terre ! Tout m’est indifférent, hormis la vengeance. Vous auriez donc tort d’attacher à mes paroles un sens ou une intention qu’elles n’ont pas ! Je devais cette explication à votre loyauté et à votre honneur. À présent et pour la dernière fois, adieu !

— Non ! je ne vous laisserai pas courir ainsi follement à la mort, m’écriai-je avec un attendrissement plein d’enthousiasme ; puisque mes exhortations et mes remontrances ne peuvent rien sur vous, eh bien, je vous accompagnerai, je partagerai vos dangers.

— Vous auriez tort ; me dit tranquillement le jeune homme, dont l’émotion passagère avait déjà disparu, d’abord, parce que vous vous devez à votre famille, ensuite parce que votre concours ne me servirait à rien !… Croyez-moi, ce que vous avez de mieux à faire, c’est d’oublier que le hasard vous a placé sur ma route, et d’oublier jusqu’à mon nom.

— Je vous ai rendu votre liberté, lui répondis-je ; il me semble juste que vous me laissiez, en retour, agir à ma guise. J’ai dit que je vous suivrais, que je ne vous abandonnerais pas : eh bien ! ce que j’ai dit je le ferai !

— Soit, me répondit sur le même ton le jeune homme, je n’insiste plus. Permettez-moi, toutefois, de vous adresser une dernière prière : celle de me suivre de loin et de façon que ceux qui nous rencontreront ne s’aperçoivent pas que nous sommes ensemble.

— Je le veux bien, Sortons.

Le comte de L*** passa le premier ; puis, une fois qu’il fut dans la rue, je descendis à mon tour, et me mis à régler mon pas sur le sien, en conservant toujours une distance égale entre nous deux.

FIN DE LA TROISIÈME SÉRIE