Les Écrivains/Propos galants sur les femmes
PROPOS GALANTS SUR LES FEMMES.
Qu’on ne croie pas, par ce qui va suivre, que je sois l’ennemi des femmes. Je suis tellement leur ami, au contraire, que je déteste toutes ces revendications grossières qui les déféminisent et je ne puis voir, sans une grande tristesse, combien il y en a qui, poussées par un stupide orgueil, veulent déserter cette mission humaine, supérieure et magnifique, d’être les procréatrices de la vie.
Les femmes qui ont accaparé les postes, les télégraphes et les téléphones, pour le plus grand dam de ces importants services, vont entrer aussi dans le comité de la Société des gens de lettres. Elles vont y entrer glorieusement, dans la personne de Mme Daniel Lesueur, qui est une femme charmante et un bon écrivain, à moins que ce ne soit dans la personne de Mme Henry Gréville, ou dans celles de Mme Camille Pert et de Mme Jane de la Vaudère, qui sont aussi — cela va sans dire — de charmantes femmes et de bons écrivains. La lutte sera chaude, paraît-il, car chacune de ces dames se présente au cirque électoral avec un nombre respectable de partisans. Mais peu importe de savoir qui sera l’élue ; l’important en cette affaire est de savoir qu’il y aura une élue.
Il n’y a que la première femme qui coûte. Une fois le principe établi, toutes les dames qui écrivent ne tarderont pas à entrer dans ce comité, et les hommes, enfin vaincus, n’auront plus qu’à se retirer à la maison, où désormais ils surveilleront, ménagères, le pot-au-feu et donneront, nourrices sèches, le biberon aux enfants. Résultat d’ailleurs admirable car l’enfant, arraché à l’éducation exclusive de la femme, à tous les préjugés sentimentaux, à toutes les superstitions catholiques de la femme, pourra, peut-être, devenir un homme… Oui, mais est-ce qu’il y aura encore des enfants ? Tel est le problème. Et où les femmes, occupées à tant de choses et siégeant dans tant de comités, prendront-elles le temps d’en faire ? Et si elles apportent à ce comité la même nervosité, les mêmes caprices, le même esprit de taquinerie dont elles illustrent les ménages qu’elles dominent et les diverses fonctions publiques où elles sont admises, on peut prévoir que les séances seront gaies… ah ! vraiment gaies !… Elles traiteront les questions de littérature comme elles traitent à leur maison leurs maris ou leurs amants, comme elles traitent l’infortuné abonné du téléphone et le passant qui vient, aux guichets des postes, demander un renseignement ou simplement un timbre. Et ce sera délicieux !
Où s’arrêtera la rage émancipatrice de la femme ? On ne saurait le dire. Mais il faut s’attendre aux plus étonnants événements… L’autre jour, j’ai rencontré une femme qui revendique plus encore. Elle exige absolument qu’on lui donne le sexe de l’homme. Elle fonde des groupes, des associations, toute sorte de comités pour propager et obtenir même par la force — cette revendication essentielle et contre nature.
— Et je ne cesserai l’agitation, m’a-t-elle dit avec une violente énergie, que le jour où les femmes pourront, enfin, porter non seulement les culottes viriles, mais ce qu’il y a dedans.
Vous connaissez sans doute cette exquise histoire d’une dame qui ne se montrait jamais en public qu’avec des habits d’homme… Un soir qu’elle se trouvait, ainsi vêtue, dans un salon et que, mains dans ses poches, cigarette aux lèvres, elle pérorait scandaleusement, un monsieur l’aborda et, lui tapant en camarade sur l’épaule, il lui dit :
— Dites donc, mon cher… si maintenant, nous allions pisser ?
Ah ! vous verrez qu’elles iront bientôt !…
Je viens de lire « Lilith », de Rémy de Gourmont, et j’engage fort les membres du comité de la Société des gens de lettres à relire ce savoureux poème en prose, déjà ancien, mais toujours si moderne ! Outre qu’ils goûteront un rare régal de beau style, d’ironie forte et de plaisant blasphème — car il n’y a encore que les catholiques pour blasphémer leur Dieu, sans doute parce qu’ils le connaissent mieux que nous — ils verront par quel étrange procédé Jéhovah, un jour de remords, se décida à créer la femme.
Au dire de Rémy de Gourmont, ce brave Jéhovah venait de créer l’homme. Il n’était pas trop content de son œuvre. L’ayant pétri dans de l’argile, il trouvait que l’homme sentait la boue. Pourtant, il l’avait lâché, tel quel, dans le Paradis Terrestre, sous la garde de l’ange Raziel, lequel était chargé de son éducation… L’ange Raziel montrait à l’homme ses organes et lui expliquait brièvement, mais clairement à quoi ils servent.
— Ceci pour marcher… disait l’ange… ceci, pour prendre… ceci, pour entendre… ceci, pour voir… ceci, pour manger… ceci… oh ! ceci, par exemple ! je ne sais pas !
— Comment ?… tu ne sais pas ?… répliquait l’homme, désappointé. De tous mes organes, c’est celui qui me tourmente le plus… Je voudrais bien pourtant savoir à quoi il rime et quel usage j’en puis faire !… Voyons… voyons… tu dois le savoir !…
— Non, en vérité, je ne sais pas ! répondait l’ange, sincère et troublé. Mais ne t’impatiente pas comme ça… Je m’informerai !…
Resté seul, l’homme s’ennuie. Il se couche sur l’herbe, se tourne, se retourne, s’étire les bras, les jambes, bâille, pousse des soupirs, ne sait que faire… Il s’ennuie prodigieusement. Mais Jéhovah, à qui les choses sont fidèlement rapportées, a pitié de lui. Il bougonne, en sa bonté bourrue :
— Ah ! l’homme !… quelle bête à chagrin ! Et pourquoi ai-je eu l’idée bizarre et ridicule de le mettre au monde ?… Je n’en ai vraiment que du désagrément… Lui aussi, du reste !… Il s’ennuie… oui, oui, c’est évident !… C’était prévu, parbleu !… Je le savais !… Il ne peut pas ne pas s’ennuyer d’être toujours si seul !… Et puis, je l’ai doué d’un organe impérieux et tracassier sans lui donner les moyens — au moins honnêtes — de le satisfaire !… Achevons-le donc !… Et créons la femme !… Mais quels embêtements vais-je encore m’attirer ?… Enfin !… n’ai-je pas mis de côté un peu d’argile ?
Il retrouve, au pied d’un figuier, les déchets de la glaise qui servit à modeler l’homme, et, se remettant au travail, il façonne, avec hâte et précision, une nouvelle forme… Bientôt, le ventre radieux apparaît ; les hanches fermes et douces se dégagent, s’élargissent harmonieusement ; les mamelles puissantes projettent, comme une gloire, leur double rayonnement globulaire… Avec une complaisance évidente et malicieuse, Jéhovah accumule la glaise sur les parties somptueuses de la forme nouvelle, si bien qu’au moment de modeler la tête, la glaise manque.
— Va te promener !… s’écrie Jéhovah ; je n’ai plus de glaise… C’est fort ennuyeux… Je ne puis pourtant pas laisser cette forme sans tête… Si petite que je la lui donne, il faut bien que je lui en donne une ! Comment faire ?… Ah ! me voilà joli garçon !…
Alors, après avoir esquissé à travers l’espace primordial un geste qui semble dire : « Ma foi, tant pis ! », il puise à pleines mains dans le ventre, où un trou se creuse, et, avec cette poignée d’argile, il donne à la femme un cerveau !
La genèse symbolique de la femme, interprétée par Rémy de Gourmont, concorde exactement avec les conclusions de la science anthropologique. La femme n’est pas un cerveau : elle est un sexe et c’est bien plus beau. Elle n’a qu’un rôle dans l’univers, mais grandiose : faire l’amour, c’est-à-dire perpétuer l’espèce. Selon les lois infrangibles de la nature, dont nous sentons mieux l’implacable et douloureuse harmonie que nous ne la raisonnons, la femme est inapte à tout ce qui n’est ni l’amour ni la maternité. Quelques femmes — exceptions très rares — ont pu donner, soit dans l’art, soit dans la littérature, l’illusion d’une force créatrice. Mais ce sont ou des êtres anormaux, en état de révolte contre la nature, ou de simples reflets du mâle dont elles ont gardé, par le sexe, l’empreinte. Et j’aime mieux ce qu’on appelle les prostituées, car elles sont, celles-là, dans l’harmonie de l’univers.
Le jour où les femmes auront conquis ce qu’elles demandent, le jour où elles seront tout, sauf des femmes, c’en sera fait de l’équilibre de la vie humaine. Et Lilith reparaîtra, avec son ventre à jamais stérile, dans un monde vaincu…