P.-G. Delisle (p. 144-148).


DEUX DATES




1760


Le héros immortel d’une grande épopée,
Montcalm, était tombé devant les ennemis ;
Et, les regards fixés sur sa vaillante épée,
Il avait dit : je meurs, vaincu mais insoumis !

Dans les plis glorieux du drapeau de la France
Il avait endormi sa suprême douleur.
Notre patrie, hélas ! n’avait plus d’espérance ;
Tout était bien perdu, tout excepté l’honneur !


Les chevaliers français, qui, l’âme endolorie,
Semblaient humiliés de survivre aux combats,
Repartaient en pleurant pour la mère-patrie,
Plutôt que de subir un joug qu’ils n’aimaient pas.

Jour de deuil où l’on vit, sous les couleurs anglaises,
S’éloigner le dernier des gouverneurs français,
Où, mornes spectateurs, au sommet des falaises,
Nos pères soupiraient : reviendront-ils jamais ?

Oh ! qu’ils devaient souffrir dans leurs âmes si fières,
Quand leurs yeux désolés contemplaient l’avenir !
Quelques milliers épars, vivant dans des chaumières,
Délaissés, sans secours, qu’allaient-ils devenir ?

Ces généreux enfants d’une race superbe
Seraient-ils absorbés par le peuple vainqueur ?
— On le disait. Mais Dieu qui prend soin du brin d’herbe
Laissait luire sur eux un rayon de son cœur !

1867


L’Amérique a vieilli d’un siècle, et la conquête
Qui devait de ma race entr’ouvrir le tombeau,
Selon les pronostics d’une haine inquiète,
Paraît être plutôt devenue un berceau !

Un nouveau peuple est né sur les bords du grand fleuve,
Il a beaucoup souffert, il a langui longtemps ;
Mais enfin il grandit, et pour vaincre l’épreuve
Il a dans sa vertu la sève du printemps.

Afin, que ses enfants ne fûssent pas esclaves,
Que de vaillants combats il a dû soutenir !
Malgré tout il progresse et brise ses entraves ;
Il vient de faire encore un pas vers l’avenir.


Tout Québec est en fête, et les flèches altières
Laissent flotter au vent leurs pavillons joyeux,
La voix du canon gronde, et les salves guerrières
Semblent nous annoncer un jour plus glorieux.

Que se passe-t-il donc, et quelle est cette fête ?
Quelle ère a donc brillé dans notre firmament ?
Quel est ce chevalier dont la foule s’apprête
À saluer l’entrée au seuil du Parlement ?

Ah ! c’est que, confiante en sa force admirable,
La nation affirme aujourd’hui ses succès ;
C’est qu’elle voit s’ouvrir en ce jour mémorable
Dans les murs de Québec un parlement français !

Et l’homme qu’on acclame, il est de notre race !
Des enfants du pays le premier gouverneur ;
Il est monté d’en bas à la première place,
Et sans avoir trahi, ni la foi, ni l’honneur !

Après plus de cent ans, il reprend l’héritage
Qu’avait abandonné le marquis de Vaudreuil ;
Mais il peut à son peuple assurer en partage
Plus de bonheur paisible et moins de jours de deuil.


Ô fille de la France ! Ô ma douce patrie,
De ton enfant sois fière ; en son cœur généreux
Il garde ton amour avec idolâtrie,
Et dans ses veines coule un sang des anciens preux !



À Lady Belleau


envoi


Celui qui de Vaudreuil a repris l’oriftamme,
Et qui naguère encor le portait noblement,
Vous l’avez reconnu, c’est votre époux, madame,
Et vous l’avez toujours secondé dignement.
Vos deux noms resteront unis dans notre histoire :
Des conseils de l’État il fut longtemps la gloire,
Comme de nos salons vous fûtes l’ornement.



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