Les Éblouissements/Matinée

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 288-289).

MATINÉE


Le clair matin est une masse
De coteaux, d’azur, de vapeur,
Los oiseaux tombent de l’espace
Comme des moments de bonheur.

Oh ! le désir d’être soi-même
Un frais, .aérien objet
Qui goûte la douceur suprême
De voir l’aube à son premier jet !

Être la colline gravée
Sur la turquoise du ciel pur,
Etre la roséeenlevée
Par de brusques souffles d’azur !

Ô fraîche joie, ô nette joie,
Être le doux chant éperdu
De l’oiseau dont le bec s’éploie
Comme un pépin noir et fendu.


Etre un peu de la mince trame
D’argent, de lin, de soie en feu
Qui flotte, rayonne, se pâme
Aux mille centres du jour bleu !

Etre un petit carré qui luise
Au pavage infini du ciel,
Etre un mouvement de la brise,
Un rayon du soleil en miel.

Ô mort ! vraiment, pourrez-vous faire
Ayant dissous mon corps content,
Que je sois ce que je préfère
Un éclat d’azur dans le temps…