Les Éblouissements/Les délices orientales

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 92-94).

LES DÉLICES ORIENTALES


L’été, par les blanches persiennes,
Se glisse comme un bras doré
Qui nous attire au bord sacré
Des belles terres anciennes !

Ah ! venez écouter le chant
Du rossignol sur l’églantine,
Dans un jardin de paix divine
Près de Kasbin ou de Kashan,

Où, sous l’ineffable lumière,
Le corps éperdu, défaillant,
Offre aux dieux bleus de l’Orient
Le désir comme une prière !

Venez dans les palais d’été
Ombragés du bois noir des arbres,
Où l’eau s’endort, contre les marbres,
Du sommeil de la volupté !


Ô palais calmes comme un vase,
Parois, plafonds coloriés,
Frais salons de parfums rayés,
Où l’âme crie et meurt d’extase…

– Jamais je ne supporterais
Cet accomplissement du rêve :
La nuit persane qui se lève
Sur les jets d’eaux et les cyprès,

Cependant que dans l’ombre aphone,
Les caravanes à pas lents
S’en vont sommeillant, ondulant,
Vers Hamadân, dans la nuit jaune,

Ni les matins dans les vergers
Où la sultane Zobéide
Entr’ouvrait sa bouche limpide
Et fumait sous des orangers…

Que repoussant du pied le monde,
J’aille au jardin d’ambre et de miel
Qui tente le cœur sensuel :
Un cimetière au bord de l’onde !

Ah ! dans ces parterres de fleurs,
Qu’il dorme au milieu des colombes,
Des lis, des fontaines, des tombes,
Mon cœur séduit par les douceurs ;


Qu’il se dissolve, qu’il repose
Près du basilic, des anis,
Avec Hafiz et Féghâni
Dans le néant pétri de roses.

Que le nuage printanier
Lui verse une pluie abondante
Jusqu’à ce que de l’ombre ardente
Jaillisse un suave prunier.

Je souffre et demain sera pire.
Bonheur épuisant, oppressant,
Angoisse de l’âme et du sang…
Tuez-moi, pour que je respire !

Terre, tapis au beau dessin,
Accueillez cette âme enflammée.
– La plaine, pâle et parfumée.
Luit comme un sirop de raisin…