Les Éblouissements/La naissance du printemps

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 88-89).

LA NAISSANCE DU PRINTEMPS.


Un oiseau chante, l’air humide
Tressaille d’un fécond bonheur,
Un secret puissant et languide
Traine sa vapeur, sa moiteur.

Ah ! sur toute la douce Europe
Voici que s’éveille et s’étend
– Parfum d’ambre et d’héliotrope, –
Le romanesque du printemps !

Dans le dur branchage circule
La sève tendre aux tons d’azur ;
L’eau semble en fleur ; la renoncule
Scintille comme un ruisseau pur.

Les oiseaux jettent l’étincelle
De leur acide, frêle voix,
Partout monte, gonfle, ruisselle
Le parfum ingénu des bois.


La terre noire se déchire
Et la primevère apparaît ;
Ainsi dans mon âme s’étire
Une fine et neuve forêt.

Printemps qui luttes et qui rêves,
Dieu favori de l’Univers
Tu prends mon cœur et le soulèves
Jusqu’au faite des arbres verts !

Tu portes mon cœur sur les branches,
Tu le joins aux gluants bourgeons,
Tu le mets sous les ailes blanches
Des bruyants, des flottants pigeons.

Tu m’emplis d’une extase sainte
Plus fraîche et vive que l’amour,
Et je suis la jeune jacinthe
Éblouie au lever du jour !