Les Éblouissements/La beauté du printemps

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 111-113).

LA BEAUTÉ DU PRINTEMPS


Ainsi, quand j’aurai dit combien je vous adore,
Combien je vous désire et combien je t’attends,
Ivresse de l’année, ineffable Printemps,
Tu seras plus limpide et plus luisant encore
Que mon rêve volant, éclatant et chantant !

Les délicats sureaux et la pervenche blanche
Me surprendront ainsi que des yeux inconnus,
Les lilas me seront plus vivants et plus nus,
Le rosier plus empli du parfum qu’il épanche,
Et le gazon plus droit, plus lisse et plus ténu ;

La juvénile odeur, aiguë, acide, frêle
Des feuillages naissants, tout en vert taffetas,
Sera plus évidente à mon vif odorat,
Que n’est aux dents le goût de la fraise nouvelle,
Que n’est le poids charmant des bouquets dans les bras.


Devant un si fécond et si profond spectacle,
Je resterai les doigts disjoints, le cœur épars,
Sentant que le bonheur me vient de toute part,
Que chaque grain de terre a fait le doux miracle
D’être un peu de pistil, de corolle et de nard.

– Ainsi, même en t’aimant autant que je vous aime
Même en ayant, depuis son enfance, voulu
D’un chant délicieux, secret, puissant, goulu,
Consacrer ta douceur et ta grâce suprême,
On ne peut exprimer combien tu nous as plu !

On ne peut pas avoir.d’assez vive mémoire,
Ô mon cher mois de mai, que vous ne nous disiez
« Je suis encor plus beau ! Voyez mes cerisiers,
Voyez mes verts îlots qui flottent sur la Loire,
Entendez les oiseaux de mon brûlant gosier ! »

Et je le vois, un clair, un frais, un chaud vertige
Fait plier le branchage et ses bourgeons naïfs ;
Une vapeur d’extase émane des massifs,
On sent irradier de la plus humble tige
Quelque parfum hardi, insistant, incisif…

Puisque mes mots chargés de pollens et d’arômes,
Puisque mes chants toujours troublés jusques aux pleurs
Ô mon Printemps divin, n’auront pas le bonheur
De pouvoir égaler la saveur de tes baumes,
Je m’arrête et soupire au milieu de tes fleurs.


Je te dédie alors ma cinquième année,
Le temps où mes chapeaux ombrageaient mes genoux,
Où mon front était haut comme les lilas doux,
Où mes jeux s’endormaient sur ton herbe fanée,
Où mon cœur infini battait à petits coups.

Le temps où pressentant ce que serait ma vie,
J’honorais ma tristesse et ma frêle beauté,
Et, les deux bras croisés sur ma robe d’été,
J’écoutais, effrayée, amoureuse et ravie,
Le bruit que fait l’immense et vague Volupté…