Les Éblouissements/L’enfance

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 374-375).

L’ENFANCE


J’étais contente alors, même dans la douleur ;
Mon regard ébloui s’ouvrait comme une fleur.
La nuit, je pressentais l’aurore aux lèvres d’ambre.
Je m’éveillais : j’aimais le papier de la chambre ;
Je cherchais à savoir s’il faisait beau dehors ;
Le soleil aux rideaux collait son masque d’or;
J’écoutais le chant calme et pesant que module
La forte, l’obstinée et paisible pendule.
Je me disais : « Il est sept heures du matin ;
Ce sera tout un jour à courir dans le thym,
Près du merisier rose et près de la cigale,
Tout un jour à goûter la feuille et le pétale,
A poursuivre la joie autour des rosiers ronds,
A danser dans l’azur avec les moucherons,
A s’alanguir soudain dans les bleus paysages,
En sentant que l’on a le plus doux des visages… »
Je savais ce que sont la paix et le plaisir.
Les cieux semblaient moins longs que l’immense avenir;

Je n’avais de terreur soudaine, de tristesse,
Qu’au moment frissonnant et frais où le jour baisse,
Et je ne croyais pas qu’il y eût d’autre ennui
Que le souci sacré que nous cause la nuit,
Comme aux oiseaux, comme auxbuissons, comme aux corolles
Je n’avais pas besoin des êtres, des paroles,
Je m’entendais avec tout l’univers si bien
Que mon bras étendu me semblait le lien
Qui rattache à l’espace une petite fille.
Je me disais « Je suis ce qui luit, ce qui brille. »
J’avais choisi pour sœur d’ardeur, de vanité,
La rose, qui se croit le milieu de l’été.
Je vivais sans savoir, sans chercher, sans comprendre.
Quelquefois un parfum trop fort, trop lourd, trop tendre
M’arrêtait et semblait crier : « N’avance pas ! »
Odeur pleine d’amour qui brûlait sous mes pas,
S’élançant du gazon, des dormantes corbeilles,
Comme un nuage ardent de flexibles abeilles.
Je tremblais inquiète au milieu du chemin,
Et la bonté du soir me prenait par la main,
Et me rentrait chez moi par la plus douce allée,
Sans que la Volupté m’eût été révélée…
— Candeur d’un cœur d’enfant, regard clair et glacé,
Je vous adore, hélas avec un front baissé.
Pourquoi vous êtes-vous pour toujours endormie,
Ma douce enfance ? ô mon enfance ! ô mon amie !