Les Éblouissements/Jour d’été

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 44-45).

JOUR D’ÉTÉ


Le matin lumineux semble une chaude neige,
Et luit comme un dessin qu’une vitre protège.
Nulle ombre ne ternit ce calme long, égal ;
L’azur a l’éclat net et dur d’un minéral ;
La verdure est d’un vert trop doux, plus doux encore…
Chaque arbre est enroulé d’une liquide aurore ;
Un geai semble emporté vers la claire hauteur
Par la force et l’élan d’un battement de cœur.
Les fleurs, sur la pelouse où des agneaux vont paître,
Ont le robuste éclat d’une fête champêtre :
L’ombrage se déverse et fait de noirs étangs
Où l’insecte et l’oiseau se reposent, contents.
Douce diversité des feuilles et des lignes
Sous les ormes luisants où s’enroulent les vignes
On croit voir s’élancer, au son du tympanon,
Les nymphes et les beaux garçons d’Anacréon !…
– Ô tendre flamboiement, l’immense gratitude
Pour tant de paix, de joie heureuse, d’altitude,

S’agite dans mon cœur comme un flot triomphant,
Comme des rameaux clairs portés par des enfants !
Les coteaux, dans le ciel léger, s’évanouissent
À force de chaleur, de vapeur, de délices.
Une exaltation soulève l’Univers,
Les cieux, tranchants et vifs, pénètrent les bois verts
Le mol pétunia, l’œillet, les chèvrefeuilles
Donnent leur goût divin aux brises qu’ils recueillent.
Luxurieuse ardeur du languissant été !
Les monts d’argent sont des soupirs de volupté,
Tout mon cœur vaporeux d’entre mes bras s’envole,
Je ris, je tends les mains, je baise l’herbe molle,
Et là-has, dans l’azur, un train s’est enfoncé
Avec son cri de joie et ses sanglots pressés,
Tandis que, détaché d’une invisible fronde,
Un doux oiseau jaillit jusqu’au sommet du monde !…