Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 208-209).
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BAYONNE


Sur la calme rivière où le soleil repose
Les bateaux ont ce soir des coques d’argent rose,
Et les flots sont pareils à du liquide blé,
Tant le chaud crépuscule à l’azur emmêlé
Partout descend, reluit, se suspend et rayonne…
Par la porte d’Espagne on entre dans Bayonne ;
Ah ! comme on est soudain paisible, heureux, content,
Il semble que le cœur la désire et l’attend !
Ses toits roses, penchés sur son eau bleue et grise
La font aussi luisante, aussi molle que Pise.
Rien ne peut plus tenter son rêve ambitieux,
Elle a son cloître avec des rosiers au milieu,
Des fenêtres où bombe un noir et fin grillage,
L’aspect d’avoir vécu pendant un très long âge,
Et de garder empreints aux tiédeurs de son sol
Les pieds mystérieux et doux de Doña Sol…
– Bayonne au cœur charmant française orientale,
Ton visage, fardé de vapeur d’or, s’étale

Sous un azur au ciel de Tolède pareil.
Tes beaux petits jardins qui sont sous le soleil
Jettent une lueur jaune, rouge, vivante.
Tu n’as pas l’âpre éclat, ni la force énervante,
Ni la plaie amoureuse ouverte dans le cœur,
Ni la sombre fierté, ni la pourpre saveur
De tes sœurs d’Italie et de tes sœurs d’Espagne,
Mais de quelle bonté ta grâce s’accompagne !
Tu regardes briller dans tes soirs clairs et lents
Des combats de taureaux qui ne sont pas sanglants,
Tu portes en riant, sur ton âme païenne,
Les mystiques langueurs de la vieille Guyenne,
Et tends ainsi qu’un arc, dans la splendeur du jour,
Ton pont délicieux qui traverse l’Adour.
Et quand le moment vient de comparer ta grâce
Aux villes d’Orient dont l’éclat te dépasse,
À ces bourgs catalans dont tu ne peux goûter
Que les parfums flottants sur les brises d’été,
Tu trouves dans ton cœur, qu’un si doux azur baise,
Le bienheureux orgueil de la langue française…