Les Éblouissements/Apaisement

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 350-352).

APAISEMENT


Beau matin courageux, innocent, prêt à vivre !
Le feuillage mouillé semble fraîchement peint,
L’espace en soupirant dans le vent se délivre,
Et l’air a la bonté des fruits, du lait, du pain.

L’air va, l’air vient, pressé, transportant sur ses ailes
La mouche dont on voit luire et gonfler le dos.
Il dérange en jouant les torpeurs sensuelles
Et de chaque branchage enlève des fardeaux.

Et l’étendue heureuse en souffles bleus s’exhale.
Je ne reconnais plus, en me penchant sur eux,
Les arbres, les maisons que la nuit théâtrale
Hier soir rendait fous, mornes, voluptueux.

Ah ! comme l’univers, sous le ciel jaune et rouge,
Hier soir se plongeait dans le cœur un poignard,
Et ce matin ce n’est qu’azur qui brille et bouge,
Que feuillage qui rit, qu’odeur de foin, de nard.


Ce n’est que des appels pour la joie et la hâte,
Que des sources d’air clair entraînant des oiseaux,
Que du soleil mêlant sa tiède et molle pâte
Aux limpides douceurs des jardins et des eaux.

Et la jeune nature a perdu la mémoire
De ses sanglots brûlants, de sa tragique nuit
Où, plaintive, abattue, ardente, âpre, sans gloire,
Elle semblait mourir de son sublime ennui ;

De la tragique nuit où je souffris comme elle,
Où, pareil à son ciel, mon cœur lacéré d’or
Recherchait la douleur, la joie essentielle,
Et méprisait la paix qui s’allonge et qui dort.

Mais, ô matin divin, je suivrai ton exemple,
J’aurai ton front léger, ton regard découvert,
Ton parfum de Sicile aux murs jaunes d’un temple,
Ta bonté, ta candeur, ta gaîté de fruit vert !

Je resterai paisible, indolente, immobile,
Sans chercher à connaître, à réveiller pour moi
Les désirs de Don Juan dans les soirs de Séville,
Et les baisers de Pan qui flambe dans les bois.

J’écouterai, tandis que le temps doux chemine,
Le bruit d’un clair rateau passer sur le gravier,
L’abeille bourdonner prés d’une balsamine,
Le vol du roitelet sur mon front dévier,


Et la mort peut venir sans qu’on lutte contre elle,
On n’est qu’une humble fleur qui se brise à son tour,
Quand on a dépouillé la splendeur immortelle
Des tristes voluptés et du terrible amour…