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(et ses correspondants)
Remarque de Leibniz sur la Controverse de Newton[1]
Texte établi par C.I. Gerhardt (GM5p. 414-416).


I.
Remarque sur la controverse entre M. de Leibniz et M. Newton.

La Relation mise sur ce sujet dans les Nouvelles literaires qu’on publie à la Haye depuis peu, est pleine d’erreurs de faits palpables, qui viennent d’une très mauvaise information. Cette controverse n’a jamais été agitée autresfois entre ces deux Messieurs, jamais M. Newton n’avoit donné à connoitre qu’il pretendoit ravir à M. de Leibniz la glorie d’avoir inventé de son chef le calcul des différences. Et M. de Leibniz n’a jamais sçeu que par ceux qui ont vû le Commercium Epistolicum publié depuis à Londres (car étant à Vienne maintenant, il ne l'a pas encor vû luy même), que M. Newton prenoit part à la chicane que des personnes malinformées ou envieuses avoienl suscitée depuis peu. M. de Leibniz n’a jamais communiqué ses Raisons à la Société Royale d’Angleterre, ne croyant pas en avoir besoin dans une affaire evidente, il avoit seulement écrit qu’il ne doutait point que la Société et M. Newton luy même ne desapprouvassent ce procédé. Ainsi la Société n’a point pû examiner les Raisons de part et d’autre pour prononcer la-dessus.

Voicy maintenant un rapport véritable. Il y a eu un commerce de lettres entre Messieurs de Leibniz, Oldenbourg, Newton, Collins et autres il y a quarante ans, et un peu avant et après. Quelque chose en a été publiée par feu M. Wallis dans le troisième Tome de ses Oeuvres Mathématiques. On y voit que M. Newton faisoit un Mystère d’une certaine chose qu’il disoit avoir découverte et qu’il a voulu faire passer par apres pour le calcul des Différences, au lieu que M. de Leibniz luy communiqua franchement le fondement de ce calcul, comme ces mêmes lettres publiées par M. Wallis le témoignent, quoyqu’il se soit trouvé que M. Newton ne l'ait pas bien compris surtout par rapport aux différences des différences. Or depuis on a trouvé encore d’autres lettres échangées par M. Collins et ses amis, et on les a publiées maintenant à Londres avec des Additions, dans lesquelles on a prétendu sur des conjectures frivoles et fausses suppositions que le Calcul des différences etoit dû à M. Newton, et que M. de Leibniz l’avoit appris de luy, quoyque le contraire se voye clairement et en termes exprès dans leur lettres publiées par M. Wallis. L’auteur de ces additions a voulu juger temerairement des choses dont il etoit mal instruit, et il a fort mal rencontré quand il a voulu deviner comment M. de Leibniz étoit parvenu à son invention. 11 s’est trouvé de plus, que M. Newton luy même a ignoré encore le véritable Calcul des différences, lorsqu’il a publié son livre intitulé Principia Philotophiae Naturalis Mathematica, non seulement en n’en faisant rien paraître, quoyqu’il y eût des grandes occasions de le faire valoir, mais encore en faisant des fautes capitales, qui ne pouvoient etre compatibles avec la connoissance de ce calcul, ce qu’un illustre Mathématicien fort impartial a remarqué le premier. M. de Leibniz avoit déjà publié son calcul quelques années auparavant en 1684, et M. Newton n’a jamais rien communiqué d’approchant à qui que ce soit, autant que l’on sache, ny en public ny en particulier, que longtemps apres la publication de ses Principes Mathématiques de la Nature, c’est à dire lorsque M. Wallis publia ses Oeuvres Mathématiques en trois volumes, quand l’invention de M. de Leibniz etoit déjà celebre et practiquée publiquement, sur tout par Messieurs Bernoulli freres, avec un succès et applaudissement qui paroist avoir donné envie à M. Newton (mais un peu trop tard) d’y prendre part. L’on voit d’abord en considérant ce qu’il a publié par M. Wallis que l’invention de M. de Leibniz y paroist sous d’autres noms et d’autres caractères, mais bien moins convenables. Cependant M. Newton et alors et longtemps apres n’a jamais osé troubler M. de Leibniz dans la possession de l’honneur de sa decouverte. Et lors que Messieurs Hugens et Wallis, juges impartiaux et bien instruits, vivoient encore, il a vû qu’il n’y trouverait point son compte, et il a attendu un temps, où il ne reste plus personne de ceux qui ont été les témoins des progrès de cette science et même y ont contribué beaucoup, et il a maintenant recours à des novices mal informés de ce qui s’est passé, et qui n’en jugent que par leur préventions ou passions. Un certain nouveau venu a voulu se mettre en réputation en attaquant M. de Leibniz et en luy envoyant une espece de defy par écrit, mais comme cet adversaire ne paroissoit pas d’humeur à se vouloir laisser instruire, M. de Leibniz ne voulut point s'engager en dispute avec luy. Et il a bien fait, car autrement il auroit fourni pretexte à ce chicaneur de dire que le proces avoit été instruit par des raisons de part et d’autre, et qu’on avoit pû prononcer sentence la-dessus, au lieu que maintenant les prétendus juges (qui ne sont nullement la Société Royale) n’ont vû que les raisons d’un parti. La-dessus on a publié ce Commercium Epistolicum de M. Collins, croyant d’y avoir trouvé la pie au nid, quoyqu’il n’y aye rien qui serve à décider cette question du véritable inventeur du Calcul des différences. Et M. Newton a eu la foiblesse de participer à cette mauvaise demarche : Si tacuisset, particeps inventionis mansisset. M. de Leibniz ayant eu la facilité de le croire sur sa parole qu’il pouvoit avoir eu quelque chose d’approchant de son chef, mais le contraire se découvre maintenant à plein, les personnes instruites et neutres se sont moquées d’une pretension si tardive et si mal fondée. Et on a publié la-dessus le jugement impartial d’un illustre Mathématicien, fondé sur le long silence et qui plus est, sur les erreurs de M. Newton, qui font voir qu’il a encore ignoré depuis peu ce qu’il prétend avoir eu avant M. de Leibniz, c’est à dire il y a 40 ans.

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