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(et ses correspondants)
Quadrature arithmétique du cercle[1]
Texte établi par C.I. Gerhardt (GM5p. 88-92).

  1. Lettre adressée en 1675 au rédacteur du Journal des savants, Jean-Paul de La Roque. — Source : Leibnizens mathematische Schriften, tome 5, pp. 88-92


I.

           Monsieur

La quadrature Arithmétique du Cercle et de ses segments ou secteurs, que j’ay trouvée et communiquée à plusieurs excellens Geometres il y a déjà quelques années, leur a paru assez extraordinaire, et ils m’ont exhorté d’en faire part au public. Mais comme je n’aime pas d’écrire un volume farci d’un grand nombre de propositions repassées pour donner une seule qui soit nouvelle et considérable, j’ay recours à Vostre Journal qui nous donne le moyen de publier un theoreme sans faire un livre.

Quadrature Arithmétique est, qui exprime la grandeur de la figure proposée par un rang infini de nombres rationaux ou commensurables à une grandeur donnée, ce qui suffit pour l’Arithmetique lorsqu’on ne le sçauroit faire par un nombre rationel fini, car l’arithmetique ne connoist les nombres irrationaux qu’autant qu’elle les peut exprimer par les rationels soit finis soit infinis. Et il n’est pas difficile de donner même un rang infini de nombres rationaux égal à une racine sourde, ce que je croy d’avoir fait le premier, en …[1] la division dans une extraction continuée.

La quadrature Arithmétique du Cercle et de ses parties peut estre comprise dans ce theoreme : Le rayon du Cercle estant l’unité, et la tangente BC de la moitié BD d’un arc donné BDE estant appellée b, la grandeur de l'arc sera : b/1 - b2/3 + b5/5 - b7/7 + b9/9 - b11/11 etc. Or les arcs estant trouvez, il est aisé de trouver les espaces, et le corollaire de ce theoreme est que le Diametre et son quarré estant 1, le Cercle est 1/1 - 1/3 + 1/5 - 1/7 + 1/9 - 1/11 etc. L’usage de cette quadrature est qu’outre la beauté d’un theoreme aussi simple et aussi surprenant que celuy-ci, vous avons un moyen de trouver les angles par les costez et à rebours ; item les espaces ou portions des Cercles, Ellipses, Cones, Spheres, Spheroides et de leur surfaces, le font par une simple addition de nombres rationaux ou grandeurs commensurables au defaut même de tables toutes calculées, et sans polygones, dont le calcul demande une extraction perpétuelle de racines, outre qu’ainsi on approchera bien viste ; car si b par exemple ou BC estoit 1/10 du rayon, b11 seroit 1 / 100000000000 et par conséquent toutes les puissances plus hautes pourront négligées hardiment. Ce qui servirait à continuer les tables, et à les rendre plus exactes sans beaucoup de peine.

Or comme il n’y a rien de si important que de voir les origines des inventions qui valent mieux à mon avis que les inventions mêmes, à cause de leur fécondité et par ce qu’elles contiennent en elles la source d’une infinité d’autres qu’on en pourra tirer par une certaine combinaison (comme j’ay coûtume de l’appeller) ou application à d’autres sujets lors qu’on s’avisera de la faire comme il faut ; j’ay crû estre obligé de faire part au public de l’origine de celle-cy. J’ay donc considéré, que les quadratures que nous avons trouvées jusqu’icy par l’analyse ordinaire, dependent des règles Arithmétiques de trouver les sommes des rangs réglés, ou des progressions de nombres rationaux. Mais les ordonnées du cercle estant irrationelles, j’ay taché de transformer le cercle en une autre figure, du nombre de celles que j’appelle rationelles, c’est à dire dont les ordonnées sont commensurables à leurs abscisses. Pour cet effect j’ay fait le dénombrement de quantité de Metamorphoses, et les ayant essayées par une combinaison très aisée (car je pourrais par ce moyen écrire en une heure de temps une liste de plus de 50 figures planes ou solides, differentes, et neantmoins dependentes de la circulaire) j’ay trouvé bientost le moyen que je m’en vays expliquer. J’ay crû cependant à propos de remarquer cecy en passant pour justifier ce que j’avois dit autresfois de l’utilité des combinaisons pour trouver des choses que l’algebre et si vous voulez, l’analyse même telle que nous l’avons ne sçauroit donner. Or le moyen que les combinaisons m’ont offert sert à trouver un nombre infini de figures commensurables à une figure donnée. Pour cet efiect je me suis servi de ce lemme : Trois paralleles BC, GE, HF (fig. 1), passant par les trois angles d’un triangle BEF et un des costez EF estant prolongé jusqu’à la rencontre d’une des paralleles en C, le rectangle sous l’intervalle BC entre le point de rencontre C et l’angle B, par lequel passe cette parallele, et sous GH, la distance des deux autres paralleles GE, HF, c’est à dire le rectangle PGH (en supposant BGH normale à BC, et CP égale et parallele à BG) sera le double du Triangle BEF. De même, si HQ égale à BM, le rectangle QHN sera égal au double Triangle BFL. Et si ces bases EF, FL etc. sont infiniment petites, et continuées pour remplir[2] tout l’Espace EB((E))LFE à la courbe EFL((E)), et de même si GH, HN etc. sont infiniment petites afin que les rectangles BGH, QHN etc. remplissent tout l’espace PG((G))((P))QP à la courbe PQ((P)), tout cet espace sera le double de l’autre espace. Et puisque FEC, LFM, ((E))((C)) seront les touchantes de la premiere courbe, le theoreme se pourra énoncer généralement ainsi : Si d’une courbe E((E)) on mene à un costé AB d’un angle droit ABC les ordonnées EG, ((E))((G)), à l’autre costé BC les touchantes EC, ((E)((C)), alors la somme des interceptées BC, ((B))((C)) entre le point de l’angle B et le point de la rencontre des touchantes C ou ((C)) appliquées normalement à l’axe AB ou GP, ((G))((P)), c’est à dire la figure PG((G))((P))QP sera le double de l’espace EB((E))E compris entre une portion de la première courbe et les droites qui joignent les extrémités de cette portion au point B.

Ce theoreme est un des plus considérables et des plus universels de la Geometrie. Et j’en ay tiré quelques conséquences qui mentent d’estre touchées en passant. Premièrement par ce theoreme on peut demonstrer Geometriquement et sans induction de nombres (que Mons. Wallis a donnée dans son excellent ouvrage de l’Arithmetique des infinis) toutes les quadratures parfaites que nous avons jusqu’icy. Car nous n’avons que celles des Paraboles, sçavoir de celles dont les équations sont xz av n yz+v, et celles des Hyperboloeides dont les équations sont xz yv n az+v, supposant x et y ordonnée et abscisse, a grandeur constante, x et v exponents des puissances de ces grandeurs, car il est aisé de faire voir par las méthodes que nous avons de maximis et minimis ou des touchantes, que dans toutes les Paraboles et Hyperboles, les interceptées BC ou GP gardent une raison constante à leurs ordonnées GE (comme par exemple dans la parabole ordinaire GP est la moitié de GE) donc la figure B((G))((P))PB ou sa moitié, savoir le segment B((E))EB aura une raison connue à l’espace B((G))((E))EB, c’est à dire au segment même plus une grandeur connue, sçavoir le triangle B((G))((E)), donc ce segment sera connu aussi bien que cet espace.

L’autre Corollaire que je dire du Theoreme general est la dimension absolue d’un certain segment de la Cycloeide, sans supposer la quadrature du cercle, [sçavoir si une droite AV parallele au plan RT, sur lequel roule le cercle générateur RBER, passe par le centre du cercle A, et coupe la cycloeide en V, joignant BV, le segment cycloeidal BVB, dont la base joint le sommet de la cycloeide B et le point d’intersection V, sera égal à la moitié du quarré du rayon du cercle ou au triangle BAEJ.[3]

Le troisième Corollaire est la quadrature Arithmétique du Cercle. Car la courbe E(E)((E)) estant un arc de cercle, la courbe des interceptées, sçavoir BP(E)((P)), se pourra rapporter a l’angle droit RBC par cette équation 2az2 / (a2 + z2) n x, appellant BG ou CP,x et BC ou GP,z, c’est à dire RB sera à BG en raison doublée de AC à BC, comme il est aisé de demonstrer. D’ou il s’ensuit premièrement que celuy qui trouvera une regle de donner par abrégé la somme d'un tel rang, quoyque fini, de nombres rationaux : 2,1/(1+1) ou 2/2, 2,4/(1+4) ou 8/5, 2,9/(1+9) ou 18/10, 2,16/(1+16) ou 32/17 etc. sans estre obligé de les adjouter ensemble l’un apres l’autre, aura achevé la quadrature du cercle, parceque c’est la progression des ordonnées CP de la figure BCPB, dont la quadrature donnerait celle du Cercle. Mais à present ce n’est pas encor la quadrature Arithmétique. Et pour y arriver il faut se servir de la b/elle methode de Nicolaus Mercator, selon laquelle, puisque a estant l’unité et x/2 égal à z2/(1+z2), la même x sera égale à z2 - z4 + z6 - z8 etc. à l’infini, et la somme de toutes les x égale à la somme de toutes les z2 - z4 etc. Or la première de toutes les z estant infiniment petite, et la derniere estant d’une certaine grandeur, comme BC que nous appellerons b, la somme de toutes les z2 sera b2/3, et la somme de toutes z4 sera b5/5 etc. (par la quadrature des paraboles), donc la somme de toutes les x ou l’espace BCPB, ou la différence du rectangle CBG et du double segment du cercle BEB sera b2/3 - b5/5 + b7/7 - b9/9 etc. donc (par une suite assez aisée de la Geometrie ordinaire) l'arc BDE sera b/1 - b3/3 + b5/5 + b7/7 etc. le rayon estant 1 et BC, touchante de la moitié de l’arc, estant appellée b. Ce qu’il falloit demonstrer. J’avoue que cette démonstration ne pourra pas estre entendue de tout le monde, parce qu’elle suppose bien des choses qui ne sont connues qu’à ceux qui sont versez dans les nouvelles decouvertes et qui sçavent manier les characteres ou symboles. Mais il n’y en a que trop pour ceux-cy : et il faudrait un volume pour satisfaire aux autres. On pourroit prouver aussi le rapport qu’il y a entre la figure des interceptées B((G))((P))PB et le cercle, en supposant la quadrature de la Cissoeide trouvée par Mons. Hugens, comme il m’a fait remarquer. Mais la démonstration que je viens de donner m’a servi de principe d’invention et est féconde en theoremes nouveaux. S’il y a lieu d’esperer qu’on pourra jamais arriver à une raison analytique, exprimée en termes finis, du Diametre à la circonférence, je croy que ce sera par cette voye, car quoyque les expressions soyent infinies, nous ne laissons pas quelques fois d’en trouver les sommes : et pour cet effect je donneray pour conclusion l’observation suivante, qui me paroist très curieuse :

1/3 1/8 1/15 1/24 1/35 1/48 1/63 1/80 1/99 1/120 etc. dont somme ∏ 3/4
la progression estant continuée à l’infini
1/3   .    1/15   .    1/35   .     1/63     .   1/99 etc.   . . . . . . . . . . ∏ 2/4
  .   1/8     .   1/24    .    1/48    .    1/80    .    1/120 etc.   . . . . . ∏ 1/4
1/3    .       .      .    1/35   .       .        .   1/99 etc.   . . . . . . . . . . ∏ pendet ex quad.
circl.    
  .   1/8     .      .       .    1/48    .       .       .    1/120 etc.   . . . . . ∏ pendet ex quad.
hyperbol.    
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  1. Ein unleserliches Wort.
  2. Es scheint hier su fehlen : par les Tringles BEF, BFL etc.
  3. Leibniz pflegte die Stellen, die in der Reinschrift seiner Briefe wegbleiben sollten, in Klammern einzuschliessen.