Éditions Édouard Garand (21p. 10-11).


Scène III

JEAN (seul), puis PAULINE
JEAN

Je vais prier pour vous ! Soulager les misères
D’autrui, cela nous fait oublier nos tourments.

(rangeant ses papiers)

Allons, rien ne me sert de songer plus longtemps
À mes ennuis !… Oublions les ce soir !

mmmmm(entendant frapper, avec lassitude)
À mes ennuis !… Oublions les ce soir ! Pauline !
(il sort dans le tambour et revient précédé de Pauline)
PAULINE

Rose est là ?

JEAN (s’asseyant)

Rose est là ? Assois toi !… Elle est à la cuisine.
Elle prépare un lit pour un pauvre vieillard.

PAULINE

Ah !… le vieux vagabond ?… Est-ce que, par hasard,
Vous recevez chez vous de tels pensionnaires ?
Vous voilà devenus vraiment trop débonnaires.
Avez-vous gagné le gros lot ?… Si vous pouvez
Faire la charité, sans doute vous devez
Pouvoir vous acquitter aussi de votre dette ?
J’arrive au bon moment pour faire la recette !

JEAN

Pauline ! Tu n’as pas besoin de nous railler.
Je suis pauvre, c’est vrai ; je ne peux te payer.
Et demain, je serai bien plus pauvre sans doute,
Car alors, nous serons peut-être sur la route.
Mais tant que nous aurons un toit, nous ne verrons
Jamais un malheureux mourir sur nos perrons
Parce que nous aurons sur lui fermé la porte !

PAULINE

Mais on n’héberge pas les gens de cette sorte !
Avant de se laisser duper, gruger, voler,
Par tous ces va-nu-pieds, il faut d’abord régler
Ce que l’on doit !… Quand on a payé tout son monde,
On peut bien inviter les pauvres à la ronde !
Mais pas lorsque l’on est soi-même miséreux !

JEAN

Les pauvres gens, parfois, doivent s’aider entre eux,
Car les riches, souvent, négligent de le faire !

PAULINE

Mais croyez-vous vraiment que ce soit notre affaire
De semer à tous vents, en générosités, mm(Rose entre)
L’argent que nous avons ?… Toutes vos charités,
Vous les regretterez quand viendra la famine !
Quand vous serez vous-mêmes vagabonds !