Le venin des vipères françaises/Observations

Librarie J. B. Baillière et Fils (p. 149-206).

OBSERVATIONS


1o Accidents d’échidnisme aigu. — Intoxication plus ou moins grave mais non mortelle.

OBSERVATION I

(Dans l’ouvrage de Moyse Charas : Nouvelles expériences sur la vipère, seconde édition. — Paris, 1694, p. 69-80.)

Ce gentilhomme, âgé de vingt-cinq ans, s’étoit rencontré, par hasard, le jour précédent chez moy, lorsqu’on venait de m’apporter cinq ou six douzaines de vipères : d’abord il voulut les voir, et souhaitant de ma part de satisfaire à sa curiosité, je tiray du baril, une de ces vipères ; il ne se contenta pas de la voir, mais il la prit en sa main, et la tint environ un gros quart d’heure, la laissant tournoyer et s’entortiller à l’entour de sa main et de son bras, sans que la vipère fit aucun semblant de le mordre ; il luy lia ensuite le coù, et l’ayant pendue par là, il l’écorcha, et la vuida de ses entrailles pour les examiner. Je suis assûré qu’il n’aurait pas évité d’être mordu dès lors, si la vipère eut été irritée, mais n’ayant pas été mal traitée et se plaisant à respirer un autre air que celuy du vaisseau, où elle avoit été longtemps enfermée, elle se laissa attacher, et ne put après faire le mal qu’elle aurait fait, si elle n’eût été liée.

Ce fut toute autre chose le lendemain ; car ce curieux s’étant trouvé chez moy à l’heure de l’Assemblée, ayant vu sur la table une vipère, qu’on avait tenu longtemps avec des pincettes, et qui étoit fort irritée, la voulut prendre avec la main quoy qu’on l’eût exhorté de n’en rien faire, et qu’on luy eût représenté qu’il avoit déjà eu trop de hardiesse le jour précédent ; il ne l’eût pas plutôt prise qu’elle tourna la teste afin de le mordre et elle atteignit d’une de ses grandes dents crochües, la partie latérale interne du pouce droit, un peu au-dessous de la situation de l’ongle. La piqûre ne paroissoit que comme celle d’une épingle, elle ne nous semhloit même guère profonde, et nous ne vîmes à la superficie qu’un fort petit trou, avec tant soit peu de rouge ; de sorte qu’elle n’étoit connoissable que par sa couleur. Il n’y eut au-dessus, ni aux environs de ce petit trou, aucune trace de ce suc jaune contenu dans les vessies qui environnent les grosses dents, et que l’on a coûtume de voir épanché sur la playe, lorsque la vipère mord profondément ; la piqûre néanmoins luy causa d’ahord de la douleur, mais le doigt n’en fût pas enflé pour lors, et l’enflûre ne parût que quelques heures après, comme je le diray dans la suite.

On trouve bon de scarifier la partie, et de faire de fortes ligatures au-dessus de la morsure tant pour arrêter les effets du venin que pour en décharger cette partie blessée ; mais le malade y résista, ne croyant pas d’abord que son mal fût de conséquence et ne pouvant qu’à regret se résoudre à souffrir quelque scarification ; il n’endura qu’avec peine qu’on tint fort près et au-dessus de la morsure, une spatule de fer fort chaude et réchauffée plusieurs fois ; ce qui fut fait, afin de tenir les pores ouverts, et de rappeler et faire exhaler par là quelque partie du venin de la morsure : nous fîmes prendre cependant au blessé deux dragmes de thériaque dans un demy verre de vin.

Dans moins de demy quart d’heure après la morsure, le blessé sentit quelque débilité, et demanda une chaise ; il devint en même teins fort pâle, et son pouls se trouva fort petit, fort fréquent, et fort faible, et même interrompu : Ces accidents furent suivis de mouvements convulsifs et de roidissements de tout son corps, et surtout du coû, et des muscles de la tète : il se plaignoit aussi en même tems d’une très grande douleur vers le nombril : les froideurs parurent aux extrémitez, et même sur tout le visage, qui se trouvait couvert de petites sueurs froides : ses lèvres étoiont tuméfiées, surtout celle du dessous. En même temps se trouvant pressé de ses douleurs autour du nombril, et sentant que son ventre se voulait ouvrir, il se leva ; mais ayant rendu quelques excrémens, il tomba en foiblesse et rejetta en même tems par la bouche, non seulement la thériaque qu’il avoit prise, mais tout ce qu’il avoit mangé à dîner, qui n’étoit pas encore digéré ; nous courûmes à son secours, et le trouvâmes si abattu, qu’il luy fut impossible de remonter à la chambre, d’où il étoit descendu.

Comme son pouls étoit toujours petit, profond, fréquent et inégal et que ses défaillances étoient continuelles, aussi bien que ses sueurs froides, on trouva à propos de lui donner une dragme de poudre de vipère dans de l’eau thiériacale et de chardon bénit, et de luy appliquer un grand épithéme de thériaque sur le cœur etsur l’estomach, mais il rejetta d’abord ce qu’il venoit de prendre : Quelqu’un voulut aussi luy donner de l’orviétan mêlé avec de la nouvelle poudre de vipère, il les vomit tout de même, et pria qu’on le mit sur un lit, et qu’on luy donnât d’autres secours. Pendant tout cola, il ne manquoit ni de connoissanco, ni de bon raisonnement, nonobstant la foiblesse de son corps, et il avoit eu grande répugnance à l’orviétan, pour ce qu’il n’y ajouloit point de foy, et il ne consentit à le prendre que par déférence à quelques-uns de ceux qui étoient présens, qui luy en avoient fait instance.

Ce vomissement ne donnant pas le tems aux remèdes de porter, ni de communiquer leur vertu aux parties nobles ; je crus fort à propos de recourir au sel volatile de vipères, parce qu’étant tout volatile et tout propre à être promptement porté à toutes les parties, même les plus éloignées, le malade en pourroit plûtôt et plus à propos ressentir les ellets, que tous les autres remèdes plus grossiers, lesquels ayans été rejettez, dès qu’ils étoient entrez dans son corps, n’avoient pas eu le tems d’être réduits en acte par l’estomach, ni de communiquer leur vertu aux parties qui en avoient besoin.

Je fis donc dissoudre une dragme de ce sel volatile de vipères dans de l’eau thériacale, et de l’eau de chardon bénit, et je luy donnay environ le quart de ce mélange ; il le garda quelques moments, puis il en vomit une partie, mêlées avec plusieurs flegmes fort visqueuses ; je luy fis prendre encore une pareille quantité du même mélange qu’il garda encore quelque peu de tems, et après il revomit ce qui en pouvoit être resté dans son estomach, et parmy cela toujours plusieurs flegmes. On continua à lui redonner de ce mélange de tems en tems, à mesure qu’il l’avoit roeomy, et même on luy donna plusieurs lavements, pour appaiser les douleurs violentes et obstinées qu’il sentoit à l’entour du nombril.

Ses lèvres étoient toujours fort tuméfiées, son pouls fort mauvais et les sueurs froides, de même que les foiblesses continuèrent assez longtemps : mais ayant persévéré dans l’usage du sel volatile de vipères, son vomissement cessa, et il garda la huitième prise qui luy avait été donnée environ quatre heures après la morsure ; les symptômes diminuèrent dès lors, la froideur commença peu à peu il se retirer, et fit place à la chaleur naturelle, qui parut toute entière environ cinq heures après la morsure ; son pouls revint, et fut égal et robuste, mais un peu émû.

Ce fut sur les dix heures du soir que les accidents les plus fâcheux disparurent : le malade fut heureux dans son malheur, d’être secouru promptement et à propos. Je ne le quittay point que ses accidents mortels ne fussent cessez. Alors on le fit porter à son logis, où je l’accompagnay, et fis mettre au lit, et par l’avis de ces Messieurs, qui le visitèrent fréquemment pendant que son mal dura, je fis un mélange d’une dragme de confection de hyacinthe, d’autant de celle d’alkermès, d’une once de syrop de limons et de quatre onces d’eau de chardon bénit, on lui foisoit sentir des citrons, et on lui en donnoit de tems en te s de petites roüelles sucrées. Il prenoit de bons boüillons, et bûvoit de la ptisanne faite avec la racine de scorsonère et la raclure de corne de cerf, dans laquelle on mêloit du syrop de limons, il bûvoit aussi quelquefois un peu de vin, et on dissolvoit de la confection d’alkermès tantôt dans ses bouillons, et tantôt dans sa ptisanne.

C’est une chose assez remarquable, que pendant tous les grands accidents qu’il eût, son doigt n’étoit pas changé, et qu’il n’y paroissoit aucune enflûre, mais elle commença lorsque ces accidents cessèrent. Et cependant les douleurs autour du nombril continuaient, quoy qu’elles fussent tant soit peu diminuées ; ce qui obligea les médecins à luy ordonner souvent des lavemens ; son lim ventre étoit un peu tendu, mais non pas enflé ; sa langue étoit blanchâtre sans être seiche, ses yeux étoient abattus et ternis, son visage pâle, et ses lèvres toujours tuméfiées.

L’enflure du doigt s’étendit la nuit par toute la main ; on l’oignit plusieurs fois d’huile de scorpions composée de Mathiole, mêlée avec de l’eau de la reine de Hongrie ; mais nonobstant cette onction, l’enflure passa jusqu’au bras dès le lendemain avec douleur et rougeur, et s’augmentoit à vüe d’œil. On trouva bon de lui appliquer des fomentations faites avec les racines d’angélique, d’impératoire, de carline et d’aristoloche, et les sommités de scordium, de centaurée, d’absinthe, de millepertuis et de calamente, bouillies dans du vin blanc, et de continuer toujours les onctions de l’huile de scorpions de Mathiole parmi ces fomentations.

Quoique cela fut fait bien soigneusement, on n’en reconnut pas pourtant un grand effet : le malade étoit dégoûté, et même il vomit une fois le boüillon qu’il avoit pris ; mais ce vomissement ne continua pas ; Il usoit toujours des mêmes remodes internes et externes, et des mêmes aliments, mais bien qu’il sentît ses parties en fort bon état, et qu’il ne sentit aucune chaleur, ni aucune douleur en tout le reste de son corps ; neanmoins celle du nombril étoit obstinée, et l’enflûre, la douleur, et la rougeur de la main et du bras augmentoient toujours, et dès le troisième jour elles avoient gagné l’épaule du même côté, et descendoient sous l’aisselle, sur toute la mammelle, et sur toutes les parties voisines, et même sur toute la région du foye, nonobstant l’usage continuel des fomentations, et des onctions d’huile de scorpions.

Toutes ces considérations, jointes à la saison fort chaude où nous Otions, faisoient appréhender que la gangrène ne se mit à ces parties ; on crût que les remèdes extérieurs, qu’on avoit jugé les plus utiles, n’avoient pas un bon succez, il falloit avoir recours aux internes ; c’est ce qui porta les médecins à luy faire donner le soir du troisième jour, une dragme de Contrayerva en poudre dissoute dans des eaux cordiales, avec autant de confection d’alkermès ; mais on ne reconnut aucune diminution ni de la rougeur, ni de l’enflûre, ni de la douleur ; au contraire, nous remarquions que l’enflûre sembloit vouloir gagner le côté gauche. Après avoir bien examiné toutes choses, on donna unanimement les mains aux instances que je faisois de revenir à l’usage du premier remède interne qui avoit porté le plus grand coup, et qui avoit manifestement opéré ; je veux dire du sel volatile de vipères. C’étoit le matin du quatrième jour après sa morsure. On luy donna donc une demidragme de ce sel volatile de vipère dissoute dans quatre onces d’eau de chardon bénit, et on le fit bien couvrir pour luy provoquer la sueur ; le remède opéra conformément à notre espérance et à nos désirs, car non seulement le malade sua très copieusement, mais il reçut un amandement très considérable en tous les maux qui luy restoient. Sa douleur umbilicale n’étoit presque plus sensible, l’enflure de ses lèvres et celle qui étoit survenüe à la région du foye, à la mammelle, et sous l’aisselle disparurent, et celle de l’épaule, du bras et de la main fut beaucoup diminuée ; de même que la douleur et la rougeur. On jugea de là, qu’assurément on viendrait a bout de tout le reste ; et pour y parvenir, on donna au malade le lendemain matin une pareille dose de ce sol volatile de vipères, qui le fit suer de nouveau fort abondamment : la douleur du nombril cessa tout à fait, l’enflûre de l’épaule s’on alla entièrement, colle de tout le bras et de toute la main fut encore beaucoup diminuée ; de même que la rougeur et la douleur ; et pour ne pas laisser l’affaire imparfaite, encore que le malade se trouvât en un fort grand amandement, on luy redonna encore le jour suivant une pareille dose du même sel, et même on la réitéra encore le jour d’après pour la dernière fois ; en sorte que ce remède dissipa toute l’enflure, toute la rougeur, toute la douleur du bras, de la main, et du doigt même, où on se contenta d’appliquer un petit emplâtre pour cicatriser les incisions qu’on y avoit faites et qui furent consolidées trois ou quatre jours après, ce qui n’empêcha pas le malade de sortir et de vaquer à ses affaires ; de même que s’il n’eut jamais été mordu de la vipère.

OBSERVATION II

Duméril, in Erpétologie générale, t. VII, part. II, p. 1399-1854, rapportée par Soubeiran dans son livre De la vipère, de son venin et de sa morsure. — Paris, Masson, ed., 1855.

Le jeudi 11 septembre 1851, j’étais en promenade avec ma famille, dans la forêt de Sénart, près Paris ; je m’y livrais, comme de coutume aux recherches d’histoire naturelle. J’aperçus, au milieu d’une large allée peu garnie d’herbes courtes, un serpent qui la traversait rapidement. Il était environ 2 heures de l’après-midi. Trompé d’après un coup d’œil trop prompt, qui m’avait cependant permis d’apercevoir les plaques qui garnissaient au-dessus le devant de la tête de ce reptile, et même la raie brune sinueuse qui régnait le long du dos, je ne doutais pas que je voyais une couleuvre vipérine, c’est-à-dire un tropidonote qu’on rencontre assez fréquemment dans nos environs. Comme je ne devais pas en craindre de morsure, je me précipitai imprudemment sur ce serpent, que je saisis au milieu du corps avec la main droite pour l’enlever de terre ; mais ne l’ayant pas empoigné assez près de la tête et voulant m’aider de l’autre main, j’y fus mordu sur le pouce, au-dessus de l’articulation des deux dernières phalanges.

Ces piqûres furent si promptes que je les sentis à peine, car les crochets, fins et acérés comme des pointes d’aiguille, ne restèrent pas l’espace d’une seconde dans les petites ouvertures de la peau, très mince en cet endroit. L’une de ces piqûres ne fut même pas indiquée par le moindre atome de sang coloré. Saisissant à l’instant même la tête du serpent en arrière, je la repoussai en avant afin de décrocher les dents venimeuses, et j’essayai, mais inutilement, de briser la colonne vertébrale en étendant le tronc avec force sur la longueur et en sens opposé, le derrière de la tête étant retenu de la main gauche. Ne pouvant parvenir à rompre ainsi l’échine, je me servis de la main droite pour aller prendre dans mon gousset une paire de ciseaux qui s’ouvrent à ressort. Je m’empressai d’en introduire la pointe dans le gosier du serpent dont la bouche restait béante parce que les mâchoires étaient aussi repoussées par derrière. Je pus alors séparer les vertèbres en dedans et couper la moelle épinière en ménageant la peau du cou. Je jetai l’animal sur la terre, bien certain qu’il ne pourrait s’enfuir. Je m’occupai alors de sucer les piqûres de mes deux pouces ; mais les orifices étaient trop exigus pour qu’il on sortit le moindre liquide. J’aurais mieux fait de les inciser préalablement. Comme j’avais sur moi un cylindre d’azotate d’argent fondu, recouvert de cire à cacheter, je découvris un point de la surface de ce caustique, dit pierre infernale, pour l’appliquer successivement sur les trois indices de piqûres, et environ une minute après sur le quatrième du pouce droit que j’avais négligé d’abord ; mais y ayant remarqué un petit suintement sanguinolent, je crus devoir employer la pointe d’une lancette pour ouvrir plus largement la peau afin que l’action cautérisante du sel d’argent pût s’y exercer plus profondément. C’était, au reste, ce que j’aurais dû faire pour les trois autres piqûres, qui ne me faisaient éprouver aucune douleur ni sensation appréciable.

Le serpent recueilli pour être conservé, je continuai ma promenade pendant environ une heure et demie. Je m’apercevais à peine de ces petites blessures pendant la première demi-heure. Cependant je remarquai que le dessus du pouce gauche, le premier piqué, se gonflait insensiblement, mais sans douleur aucune.

L’enflure s’étendit peu à peu du pouce sur le milieu de la main, mais le seul effet éprouvé était celui d’un engourdissement, J’essayai, mais en vain, par des frictions, des mouvements de flexion et d’extension, en maniant une canne et en malaxant la surface, de faire dissiper ce gonflement qui allait toujours en augmentant, et qui commençait à se manifester, quoique moins sensiblement, sur le pouce droit qui avait été soigné le second.

Je continuai de marcher, n’éprouvant aucun malaise, et il était environ quatre heures et demie lorsque j’arrivai au village de Brunoy, assez près de l’embarcadère. Me sentant légèrement fatigué, et précédent ma famille qui m’accompagnait, je voulus l’attendre un instant en m’asseyant sur une borne élevée qui bordait la rue ; mais à peine y étais-je placé que sans en avoir la conscience, sans avoir éprouvé la moindre sensation pénible, il paraît que je tombai en syncope, car je glissai, et j’étais couché sur le terrain lorsque mon fils, qui arrivait près de moi, m’aida aussitôt à me relever. Très ferme d’ordinaire sur mes jambes, j’étais étonné moi-même d’être tombé et de ne sentir aucun malaise.

Je me remis on marche ; mais au bout d’une centaine de pas, n’étant pas pressé par l’heure du départ, et apercevant sur le bord de la route une pile de planches assez élevé pour m’y asseoir commodément, je m’y plaçai ayant les jambes légèrement suspendues. Mon fils remarqua alors, sans que j’en aie conservé le souvenir, qu’il se fit dans l’une de mes jambes de petits mouvements involontaires et répétés qu’il attribua à une influence nerveuse.

Quelques moments après je continuai ma course. Arrivé à l’embarcadère, j’avais à ce que l’on m’a dit, le visage pâle et très altérée ; j’étais, en effet, dans un état de malaise. Je m’étendis sur sur un canapé, éprouvant quelques légers gonflements d’estomac. Je ne tardai pas alors à entrer dans un bon wagon et me plaçai près de l’une des portes. Là, pendant les trois quarts d’heure que dura le trajet jusqu’à Paris, j’eus deux ou trois soulèvements d’estomac qui me forcèrent à cracher, et comme j’étais à jeun depuis près de 7 heures, je n’eus point de vomissement ; il n’y eut qu’un seul rapport amer ou bilieux.

Arrivé au débarcadère, j’allais à pied, mais avec difficulté, à plus de deux cents pas, trouver une voiture qui me ramena à mon domicile. Comme le malaise persistait, je m’étendis sur un canapé pendant qu’on préparait mon lit. Au moment où je me levais pour m’y rendre, je fus pris d’un vomissement de bile pure, peu abondant, de trois ou quatre gorgées. Rendu près de mon lit, je me sentis très faible et près de perdre connaissance, surtout au moment où je m’y étendis. En quittant mes vêtements je m’aperçus que mon bras gauche était très gonflé, depuis le poignet jusque vers le milieu de l’avant-bras. Cependant je n’éprouvais qu’un engourdissement sans douleur réelle, et que la gêne qui résultait de la distension des tissus.

Je fis faire sur toutes ces parties des onctions et des applications de linges imbibés d’alcoolat de mélisse sur 60 grammes desquels on avait ajouté 1 gramme d’ammoniaque liquide, ce qui fut répété deux ou trois fois dans la soirée. Le pouce droit, le dessus de la main et le poignet de ce côté étaient aussi gonflés, mais à peine en avais-je la conscience. Je pris un bouillon et un peu de vin d’Espagne, n’éprouvant d’autre malaise que celui de la tension de tout le tissu cellulaire de l’avant-bras qui était énormément distendu en avant, jusqu’au pli du bras et presque point du côté du coude.

Je dormis parfaitement pendant la nuit, et le sommeil me surprit une heure et demie environ après mon entrée au lit. À mon réveil, le volume du bras était le même, mais d’une teinte rouge, violacée par places, le sang s’étant extravasé par le tiraillement exercé sur les veines dont les capillaires étaient déchirés. Cependant la peau était comme engourdie, si ce n’est quand j’y exerçais une légère pression dont je ressentais l’action.

Dès le matin je bus une tasse de café au lait avec plaisir, et il s’ensuivit une légère et utile transpiration. Plus tard un potage gras et un peu de vin furent très bien digérés. Je me trouvais on assez bon état de santé pour me lever ; toutes mes fonctions s’exerçant librement. Le bras et la main restaient encore gonflés. Les taches noirâtres avaient pris une teinte violette ; elles se manifestaient principalement dans les parties les plus déclives et surtout vers le bord radial de l’avant-bras et sur le même côté de l’une et l’autre main.

Le samedi, c’est-à-dire, le surlendemain, je repris mes occupations- actives quotidiennes au dehors, et à l’établissement dont je suis le médecin. Je me trouvai tellement bien que je pus commencer mon cours au Muséum, qui était annoncé pour le lundi 14 septembre, c’est-à dire quatre jours après l’accident.


Il résulte de ce fait, que j’ai cru devoir consigner ici avec détails parce qu’ils feront bien connaître la série des accidents produits par les piqûres de ce serpent :

1o Que la petite quantité d’humeur vénéneuse qui m’avait été inoculée par les morsures du Peliade Berus a déterminé chez moi, vieillard actif et vigoureux âgé de près de soixante-dix-huit ans, des accidents assez graves, et surtout une sorte d’insensibilité momentanée, pour donner à penser qu’une personne plus faible, plus jeune, et surtout un enfant, aurait pu {{corr|succcomber|succomber} à ces accidents ;

2o

3o Que j’ai eu le tort de n’avoir pas élargi de suite avec la pointe de ma lancette les petites piqûres, avant de les soumettre à la succion, surtout de n’avoir point exercé de suite une compression circulaire au-dessus de mes pouces.

OBSERVATION III

Piqûre de vipère chez une femme enceinte.
(Dr Lihoreau à Aigrefeuille, rapporté par Viaud-Grand-Marais. — In Gazette des hôpitaux. Paris 1868, n" 65, p. 258.)

Au mois de juin 1859, la femme N…, de Hautes-Landes, à Aigrefeuille, âgé de 27 à 28 ans, fut piquée au pied gauche par un aspic pendant qu’elle aidait à faire le foin. On exprima aussitôt sur sa blessure le jus de plusieurs feuilles de molène et l’on donna à boire à la malade une grande quantité de vin chaud et sucré. Deux hommes vigoureux la saisissant par les bras, la firent courir jusqu’à ce qu’elle tombât de fatigue et de vin. Elle fut ensuite mise au lit sous plusieurs couvertures. Un sommeil de 15 à 20 heures s’empara d’elle, tandis qu’une sueur profuse perlant à la surface de sa peau traversait couette et matelas. À son réveil la blessée n’avait qu’un souvenir confus de ce qui s’était passé et ne conservait qu’un peu d’engourdissement et d’œdème de la jambe malade. L’enfant vint au monde à son terme et en parfait état de viabilité.

OBSERVATION IV

Morsure de vipère suivie de guérison.
(Dr Delasiauve. — In Gazette des hôpitaux. Paris, 1872, 12 sept, p. 874.)

C’était vers le 15 août 1830. J’étais allé, avant de prendre le collier de misère, passer quelques semaines dans la famille d’un de mes condisciples et amis, tout près d’être et étant aujourd’hui encore médecin à Rugles (Eure), M. le docteur Forcinal.

Sachant que nous étions là, à Bois Arnault, on vint nous requérir précipitamment vers les six heures du soir, pour un voisin, cultivateur d’environ 55 ans, rapporté des champs dans un imminent danger. En ramassant de l’avoine, il fut mordu par une vipère, au dos de la main, au moment où il glissait celle-ci sous une javelle. L’animal, enroulé dans le creux d’un pas de cheval, avait redressé la tête au contact. Il fut tué sur place ; chacun le vit et son identité ne fut douteuse pour personne.

Plus de quatre heures s’étaient écoulées. La situation du blessé, à notre arrivée, était des plus graves. Prostration absolue, teinte de la peau livide, haleine fétide, pouls à 28. La langue triplée de volume, sortait de la bouche qu’elle obstruait. Le gonflement local était énorme. On n’apercevait pas la piqûre ; pour la rendre sensible, nous appliquâmes une large ventouse dont l’aspiration fit sourdre, en effet, des gouttelettes de sang significatives.

Renseignés de la sorte, nous fîmes sur le point piqué deux incisions en croix, longues et profondes ; puis avec l’extrémité d’une broche rougie à blanc, nous cautérisâmes la plaie aussi avant que possible.

Le tout fut suivi d’un pansement avec la teinture d’arnica et l’ammoniaque. Pour boisson, une tisane sudorifique et un julep d’esprit de Mindererus.

La première nuit fut un peu agitée ; il y eut du délire. Toutefois, le lendemain matin, le pouls marquait quelques battements de plus et la connaissance était entière. Le malade répondait par signes. Malgré les gargarismes légèrement détersifs, la langue conservait son volume.

Dans la seconde nuit, le désordre des idées se reproduisit moindre ; même insomnie ; pouls à 40 ; langue sensiblement rétractée. A partir du troisième jour, l’amélioration fit des progrès ; le quatrième jour tout danger avait disparu.

Après une semaine, le malade reprenait ses occupations et ses habitudes

Ce qui m’a paru surtout caractéristique, c’est à la fois et l’extrême ralentissement de la circulation et l’énorme développement de la langue.

OBSERVATION V

Morsure de vipère. — Injection d’ammoniaque dans les veines. — Guérison.
(Dr Boille de Buzançais (Indre). — In Journal de médecine et chirurgie. Paris 1873, XLV, p. 452.)

Le 16 juillet 1874, un homme de 40 ans, vigoureux se rend chez moi, conduit par un de ses camarades. Il liait des gerbes de blé quand il se sentit mordu.

Aussitôt on l’amène à Buzançais, j’ouvre la plaie siégeant à l’index, j’aspire le sang et je cautérise avec un fer rouge.

La tuméfaction ne s’étend pas au-delà du poignet et la peau n’a pas changé de couleur. Cet homme est pâle et trempé de sueur.

Les vomissements se montrent et deviennent incoercibles, la langue se tuméfie, d’où un embarras très marqué de la parole.

Puis toutes les cinq minutes il urine sans qu’il puisse se retenir.

Je le fais conduire immédiatement à l’hôpital où à peine arrivé, il est pris de syncope et d’une violente douleur hypogastrique.

Tous ces symptômes s’étaient déroulés coup sur coup et il ne s’était pas écoulé deux heures depuis l’accident.

Alors je me souvins de M. Oré, et comme lui, j’injectai dans la veine médiane céphalique une solution ammoniacale au 1/10. J’en injectai une première de 68 centigrammes, et dix minutes après une seconde de 18 centigrammes encore.

l’affirme que les accidents cessèrent instantanément ; seule la tuméfaction gagna en douze heures tout le bras, mais le surlendemain elle ne dépassait pas la région deltoïdienne.

Trois jours après cet homme quittait l’hôpital en parfaite santé. Suis-je blâmable d’avoir agi de la sorte ?

Ayant été témoin de deux morts par morsure de serpent, persuadé que les cautérisations sont souvent insuffisantes, j’osai imiter un savant confrère. Il va sans dire que je ne conclus pas de ce fait que l’injection ammoniacale dans les veines est l’antidote de l’empoisonnement vipérin, ni qu’elle soit dépourvue de danger. Ici cependant il n’en est absolument rien résulté de fâcheux.

OBSERVATION VI

Morsure de vipère. — Guérison.
(Dr Gross, de Nancy. — In Revue médicale de l’Est, 1874, p. 319.)

Le mercredi de la semaine de Pâques 1873, à la carrière de Frouard, le nommé Guyon Alexis, âgé de 27 ans, serrurier à Nancy, a été mordu par une vipère, au bord externe du doigt indicateur de la main gauche. Il était 10 heures du matin à peu près. Aucun symptôme général au moment de l’accident.

Le malade ne fait rien pour cette piqûre, il monte en chemin de fer et arrive à l’hôpital Saint-Charles de Nancy, à 3 heures de l’après-dîner.

Là l’interne de garde constatant une petite piqûre à un centimètre en arrière de l’articulation métacarpo-phalangienne de l’index, sur le côté externe du doigt, fait une petite incision sur la morsure (dont la cicatrice est restée parfaitement visible) et pratique l’aspiration au moyen d’une pompe aspirante. L’avant-bras et le bras présentaient un œdème général assez consistant. Chargé du service à ce moment, je me contentai de prescrire l’application de compresses d’eau blanche sur le membre. L’œdème disparaît rapidement et trois jours après son entrée, le malade sort de l’hôpital, parfaitement guéri.

OBSERVATION VII

Morsure de vipère. — Guérison.
(Dr Gross, de Nancy, observation recueillie par M. Moreau, interne du service. — In Revue médicale de l’Est, 1874, p 319-320.)

Le nommé Steiger, Auguste, né à Strasbourg, âgé de 35 ans, employé du chemin de fer de l’Est, entre le 16 août à l’hôpital Saint-Léon, salle Saint-Léon, lit n“ 7. Grand, blond d’une bonne santé hahituello, a fait les campagnes de Crimée, d’Italie, du Mexique et la dernière guerre. N’a jamais eu de maladie.

Le malade sc présente à l’hôpital Saint-Léon pour un œdème considérable de tout le membre supérieur droit.

Toute la main, l’avant-hras, le bras, l’aisselle, l’épaule et la partie latérale et externe du thorax, jusqu’au niveau de l’angle intérieur de l’oinoplate, sont le siège d’un fort gonflement. La peau est chaude, fortement tendue ; les ganglions lymphatiques de l’aisselle droite sont indurés et douloureu à la pression.

À la partie postérieure de l’épaule, vers l’angle inférieur de l’omoplate, rougeur érysipélateuse disparaissant sous le doigt.

En examinant attentivement le membre du malade, on voit sur la face dorsale du doigt médius, au milieu de la première phalange une petite plaie ayant un centimètre d’étendue, et tout autour, une coloration brune de la peau.

Voici ce que nous apprend Steiger :

Le 14 août, c’est-à-dire deux jours avant son admission, étant allé se promener du côté de Frouard, il aperçoit, dans un taillis une vipère qu’il frappe de son parapluie. Le reptile se retourne et le mord au doigt médius de la main droite, sur le milieu de la face dorsale de la première phalange. La main enfle de suite après l’accident ; mais le malade est encore obligé de faire une course de vingt minutes avant de trouver une habitation où l’on puisse lui donner quelques soins. Enfin, il entre dans une ferme où se trouve par hasard un médecin qui, au dire du malade, pratique d’abord une incision cruciale à l’endroit de la morsure, y verse de l’ammoniaque, et, par surcroît de précaution, de la teinture d’iode ; ce qui nous explique la coloration brune de l’épiderme aux environs de la plaie. Puis on applique autour du poignet un lien constricteur. Tel est le traitement local. Comme médication générale, on administre au malade un médicament qui le fait vomir pendant trois heures consécutives. Toute cette thérapeutique affaiblit Steiger que l’on ramène chez lui en voiture.

Le 14 août, jour de l’accident, à 11 heures du soir, le malade se sent de la fièvre et appelle le docteur Marchal. Celui-ci fait d’abord enlever le lien que l’on avait serré autour du poignet, constate de l’œdème à la main et l’avant-bras, mais aucun symptôme général spécial, et pour calmer les craintes du malade, il prescrit une potion sudorifique (acétate d’ammoniaque 15 grammes).

Le lendemain, 15 août, M. Marchal et M. Gross, appelé en consultation, constatent que l’œdème de la main s’était étendu à l’avant-bras et au bras. Le malade avait de la fièvre. Prescriptions : Cataplasmes sur la main pour ramollir et enlever les eschares produites par les caustiques appliqués et qui formaient une croûte fermant hermétiquement la plaie. — Compresses d’eau blanche sur tout le bras et l’avant-bras droits. — Diète. — Limonade.

Sur l’avis de M. Gross, le malade entre à l’hôpital Saint-Léon, le 16 août, pour y être traité jusqu’à guérison. On continue le même traitement, cataplasmes et compresses d’eau blanche, limonade et comme Steiger allait déjà mieux, un peu de nourriture. Pendant 24 heures encore, on pouvait craindre la formation d’un abcès ganglionnaire de l’aisselle, vu la rougeur qui persistait dans cette région, mais l’état s’améliora progressivement jusqu’au 29 août, et le malade sortit en voie complète de convalescence. À cette date, il n’existait plus qu’un léger œdème de la main.

OBSERVATION VIII

Observation d’un cas de morsure de vipère ayant causé des accidents très graves rapidement améliorés par la cautérisation au fer rouge.
(M. Thiébaut, d’Aouze, in Revue médicale de l’Est, 1876, p. 245-247. — Rapportée par Kaufmann, dans son livre : Les Vipères de France, page 47.)

Vers la fin du mois d’août 1848, le nommé Mélet, âgé d’environ 40 ans, fort, robuste, curé à Vandeléville (Meurthe), traversant son jardin, fut mordu par une vipère au-dessus de la malléole externe du côté droit. Il était 10 heures du matin. Immédiatement, il appliqua sur la plaie une forte dose d’ammoniaque liquide, se croyant ainsi à l’abri de toute suite fâcheuse de sa blessure. Mais, contrairement à ses espérances, le blessé éprouva de vives douleurs, qui allèrent en augmentant dans le cours de la journée ; il survint en même temps un gonflement qui envahit progressivement la jambe, la cuisse et même le bas-ventre, puis la diarrhée très forte et du délire.

Appelé dans la soirée, j’arrivai près de lui à 7 heures du soir. Je trouvai le malade sans connaissance ; ventre ballonné, pouls très vite, très petit, filiforme ; selles diarrhéiques fréquentes. Le membre blessé est énormément tuméfié. L’application de mon index sur ce membre, dons le but de reconnaître la tension des tissus, fit pousser au patient un cri de douleur si violent, que les assistants reculèrent de frayeur.

Je pratiquai aussitôt une incision de 8 à 10 centimètres sur le lieu de la morsure, assez profonde pour ouvrir la veine saphène externe, de laquelle s’écoula une certaine quantité de sang, et je fis sur toute la jambe, principalement au mollet, une dizaine d’incisions profondes, desquelles il ne sortit et même difficilement, qu’un liquide légèrement citrin et tellement condensé qu’il restait sur le bord de la plaie sans couler. Je fis étendre dans la plaie pratiquée sur le lieu de la morsure, les mors réunis d’une pince à feu chauffés au rouge blanc, et un couteau de table également rougi à blanc fut introduit dans chacune des plaies plus petites pratiquées sur le reste de la jambe.

Chose remarquable, environ vingt à trente minutes après cette opération, mon malade reprit bonne connaissance, reconnut tous les assistants, et même son médecin, qu’il fut bien étonné de voir auprès de lui. J’ai pu dans ce moment lui serrer la cuisse à pleines mains, sans provoquer la moindre douleur. Le reste du traitement consista on boissons diaphorétiques pendant quelques jours, et le pansement des plaies bien entendu. Bientôt mon malade fut parfaitement rétabli.

OBSERVATION IX

Observation de morsure de vipère suivie d’accidents généraux graves. — Amélioration rapide après la cautérisation au fer rouge.
(Dr Crussard, de Neufchâteau, Revue médicale de l’Est, 1876, p. 247. — Rapportée par Kaufmann, dans son ouvrage : Les Vipères de France, p. 48.)

Au mois d’avril 1864, on m’amena une femme qui venait d’être mordue par une vipère en travaillant dans sa vigne. Cette femme a 28 ans, elle est robuste, sanguine, et n’a jamais été malade. Au moment où je la vois, il y a deux heures et demie que l’accident est arrivé. Un peu au-dessus de la malléole externe droite, je constate une petite blessure, par laquelle il s’est écoulé un peu de sang. Il n’y a pas de changement de coloration de la peau ; gonflement très léger ne s’étendant pas jusqu’à la naissance du mollet ; mais, en revanche, le membre est traversé par des élancements d’une grande violence, qui arrachent des plaintes continuelles à la malade, qui est pourtant une femme courageuse. La face est pâle, couverte ainsi que les mains un peu cyanosées d’une sueur froide. Vomissements répétés et plusieurs selles involontaires très fétides. Pouls petit, filiforme, fréquent, menaces continuelles de syncopes, qui ne sont empêchées que par un flacon d’ammoniaque tenu sous le nez de la malade. On lui a versé de l’ammoniaque sur la plaie, ce qui n’a pas empêché tous les accidents de la morsure de vipère de se produire.

Après avoir incisé la plaie crucialement, je fis rougir à blanc un cautère, que j’éteignis à deux reprises dans la plaie. Presque aussitôt les douleurs lancinantes cessèrent comme par enchantement. Je fis donner à la malade des infusions de menthe additionnées d’esprit de Mindererus. Les vomissements et les selles cessèrent ; quelques heures après, la malade était hors de danger, et au bout de deux jours elle ne souffrait plus que de la brûlure, qui demanda un mois pour guérir complètement.

OBSERVATION X

Cas de morsure grave de vipère. — Guérison.
(Dr Fredet, Union médicale, Paris, 1878. — Rapportée par Kaufmann, dans son ouvrage : Les Vipères de France, p. 42.)

L’année dernière encore dans ce même canton de St-Amand, à 18 kilomètres de Clermont, un paysan fut mordu à l’index de la main droite en voulant saisir une vipère cachée sous une touffe d’herbe. Voici d’ailleurs son observation :

Vendange, de Saint-Saturnin, âgé de trente ans, voulut saisir par la queue une vipère cachée sous une touffe de sainfoin, l’année dernière au mois de juillet. Le reptile, irrité, le mordit à l’index de la main droite, première phalange. On s’empresse autour du blessé, on frotte les piqûres avec de la terre (la terre enlève tout venin dans notre pays). Un châtelain du voisinage accourut sur ces entrefaites, muni de son flacon d’ammoniaque.

On frotte le doigt et on invite le patient à boire quelques gouttes de cette liqueur dans un verre d’eau. Néanmoins, le blessé est pris de syncope, et l’on décide à le transporter chez lui.

Chemin faisant, M. le Dr Morin, de Saint-Amand-Tallende, de qui nous tenons cette observation, rencontre ce malheureux, étendu sans mouvement sur un tombereau que l’on menait à bras.

« Vendange était glacé, dit le Dr Morin, le pouls était imperceptible, le visage bleuâtre, j’eus peine à saisir le mouvement respiratoire. Je résolus cependant d’agir comme si la vipère ne venait que de mordre. N’ayant pas ma trousse sur moi, je fis avec un canif une incision cruciale sur la face palmaire de la phalange blessée. Vendange n’y fut pas sensible. Avec des tringles de rideau d’une auberge voisine que je fis rougir au feu, je cautérisai le fond de la plaie. En même temps, j’appliquai des ligatures, l’une à la base de la phalange, la deuxième au poignet, la troisième à l’avant-bras, la quatrième au coude, la cinquième et dernière au bras.

La cautérisation réveilla le patient de sa torpeur. On le conduisit alors à son domicile, et le mit au lit. Le malade est alors pris de vomissements de matières alimentaires au milieu desquelles on aperçoit deux lombrics et une infinité de petits points noirs, signes précurseurs d’une violente hématémèse qui se déclare un quart d’heure après.

Hématémèse et mélœna se manifestèrent jusqu’au lendemain. Pendant quinze jours le malade fut dans une faiblesse extrême et put à peine reprendre son travail deux mois après l’accident. Depuis cette époque, Vendange se plaint qu’à certains moments le membre blessé se colore de teintes ecchymotiques qui disparaissent aussi facilement qu’elles se montrent.

OBSERVATION XI

Cas grave de morsure de vipère.
(Dr Fredet, in Union médicale, Paris, 1878. — Rapportée par Kaufmann dans son livre : Les Vipères de France, p. 43.)

Baguess, ouvrier ferblantier à Clermont, se reposait après son repas dans la cour d’une maison habitée et située dans une commune de l’arrondissement de Thien, il y a cinq mois environ, lorsqu’il sentit tout à coup un corps froid se glisser sous le pantalon qui recouvrait la jambe droite. Il y porta la main et se sentit, piqué immédiatement au milieu de l’articulation fémoro-tibiale ; il se redressa effrayé, ouvrit son pantalon et aperçut sous sa chemise, une vipère assez volumineuse qui venait de le mordre et qui cherchait à se glisser entre la poitrine et la chemise. Il la saisit alors, à quelques centimètres en arrière du cou ; l’animal, se sentant pris, se retourna et l’atteignit à l’index de la main droite de ses deux crochets au niveau de la première phalange. Baguess laissa, tomber l’animal qu’il écrasa du pied.

Quelques instants après l’accident, le blessé agrandit la blessure du doigt et fit sortir quelques gouttes de sang et se disposait à rentrer à la maison, lorsqu’il se sentit défaillir. « Je fus obligé, me dit-il, de me coucher à terre et je restai ainsi ayant perdu connaissance pendant une heure au moins. Cependant je recouvrai mes sens, mais malgré mon plus vif désir de rentrer à la maison d’habitation dont la porte ouverte était à quelques pas de moi, je ne pus me redresser ni ramper jusque-là. J’étais comme paralysé. »

On vint enfin à son secours, on le transporta sur un lit, on lui fit boire quelques gouttes d’ammoniaque dans de l’eau. C’est alors qu’il fut pris de vomissements séreux et de selles involontaires avec tendance syncopale, refroidissement des extrémités. Cet état persista toute la nuit, et l’on s’attendait à sa mort prochaine, lorsque le lendemain, vers 10 heures, il fut visité par mon confrère le Dr Plicque, de Lezoux, qui jugea son état des plus graves et qui m’affirmait il y a quelques semaines qu’il ne s’attendait guère à le voir revenir d’aussi loin.

C’est à ce moment qu’on lui administra des boissons alcooliques et chaudes, qu’on lui réchauffa les extrémités, et le deuxième jour, on le transporta à Clermont où je le visitai chaque jour. Je vis Baguoss quatre jours après son accident. En quelques mots, voici ce que je constatai :

État local. — Gonflement œdémateux de tout le membre inférieur droit jusqu’à la région dorsale inférieure, aspect ecchymotique couleur lie de vin ou noirâtre.

Les piqûres, au nombre de deux, assez écartées au-dessus de l’articulation du genou, présentent un gonflement inflammatoire très appréciable.

Le membre supérieur droit offre le même aspect que je viens de signaler pour le membre inférieur. Les ganglions ne sont pas engorgés soit à l’aine, soit à l’aisselle, on ne sent pas de cordon induré sur le trajet des vaisseaux lymphatiques et cependant la teinte ecchymotique est plus accusée à la partie interne des membres qu’à la partie externe.

État générai. — Le malade est très affaissé, son teint est subictérique. À diverses reprises, je l’engage à se lever de son lit. Le blessé, à peine assis sur un fauteuil, est pris de syncope, et je suis obligé de le faire replacer dans son lit. Le pouls est petit, régulier, très dépressible. Les battements du cœur sont faibles, mais réguguliers, le malade ne peut digérer que du lait ou des boissons, tous les aliments solides sont rendus quelques instants après leur ingestion dans l’estomac.

Les urines sont normales, très mousseuses, mais ne présentent aucune trace de sucre ni d’albumine.

Le sang examiné est diffluent, présentant un caillot noir s’écrasant facilement sous le doigt. Le sérum est plus abondant et plus coloré ; quant aux globules, ils ne m’ont semblé altérés ni dans leur forme ni dans leur nombre. Les leucocytes n’y sont pas plus nombreux que dans le sang normal.

Éffets consécutifs. — Les symptômes d’adynamie que je viens de signaler disparaissent lentement. Au quinzième jour, le blessé éprouvait encore quelque peine à rester longtemps assis. L’ecchymose du membre supérieur et inférieur droit ainsi que l’œdème diminuent peu à peu, mais comme Baguess était impropre au travail, il partit quinze jours après son accident pour son pays natal où il resta un mois. Comme à Clermont, il ne put s’habituer à manger de la viande rôtie ou non, qu’il rendait à chaque fois. Le lait seul était bien supporté. Enfin trois mois et demi après sa blessure, Baguess était encore dans un état de faiblesse considérable ; il ne pouvait pas encore travailler et souffrait de douleurs gastralgiques assez violentes.

OBSERVATION XII

Morsure de vipère. — Accidents graves. — Emploi du jaborandi. — Guérison.
(Dr Josso. — In Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie. — Paris, 1882 ; 2 s. XIX, p. 835.)

Le samedi 13 mai 1882, je fus consulté dans la matinée par une fermière d’Orvault, gros bourg situé aux portes de Nantes, dont une servante de ferme avait été piquée par un aspic rouge et dont l’état était des plus alarmants. Je demandai quelques détails et voici ce qui me fut raconté.

La blessée, fille de 23 ans, d’une santé fort délicate, fut placée à la campagne, chez cette fermière, par la commission des enfants assistés, afin qu’elle pût se fortifier au milieu des rudes travaux des champs. Le mercredi 10 mai 1882, elle était occupée à sorcier les blés, lorsqu’elle fut piquée par un aspic rouge qu’elle avait pris à pleine main, croyant avoir affaire à un serpent inoffensif.

La vipère la mordit avec fureur dans le repli Interdigital, entre le médius et l’index gaucho, et la douleur fut assez vive pour obliger cette fille à examiner avec attention la partie blessée ; elle ne vit que trois petites gouttelettes de sang sourdre à l’endroit des piqûres.

Assez effrayée, elle reprit le chemin de la ferme, et raconta à sa maîtresse ce qui venait de lui arriver. Celle-ci se hâta d’appliquer une ligature sur le poignet, et de faire tremper dans l’eau salée la main blessée. La malade se plaint d’un vif engourdissement qui remonte jusqu’à l’épaule ; l’avant-bras commence à enfler. Deux heures après, en prenant son repas, la malade pâlit, pousse un cri aigu et perd connaissance. On s’empresse de la coucher et on envoie chercher le médecin, vieil officier de santé de beaucoup d’expérience.

Celui-ci, domicilié à quelques lieues plus loin, ne peut venir que le lendemain, et constate tous les signes d’une envenimation aiguë. L’œdème a considérablement augmenté ; il a envahi le cou, la poitrine, le tronc jusqu’aux lombes ; quelques taches violacées se montrent, en particulier à la partie postéro-interne du bras, dont la température a considérablement baissé (la fermière prétend qu’il était froid comme un cadavre) ; des vomissements sont survenus, d’abord alimentaires, puis glaireux et striés de sang ; selles diarrhéiques fétides ; toux opiniâtre sans expectoration ; prostration extrême entrecoupée de délire intense (la malade se voit entourée de serpents qui l’assiègent).

Le lendemain 12, quelques convulsions apparaissent, spécialement aux muscles du visage ; la faiblesse est extrême, le moindre mouvement détermine des lipothymies. Malgré l’usage de l’acide phénique, intus et extra, les choses ne se sont point améliorées et tel était l’état de la malade lorsque je fus consulté.

Me souvenant d’un article du Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, consacré au jaborandi, et donnant cette plante comme journellement employée au Brésil dans l’envenimation ophidienne, je donnai à la fermière une ordonnance pour 4 grammes de jaborandi à faire infuser dans un verre d’eau lui recommandant, après lui avoir bien décrit l’action du médicament, de faire prendre un peu de cognac à la malade si elle se sentait trop faible une fois la sudation terminée.

Le jaborandi tut pris vers deux heures de l’après-midi du 13 ; la salivation fut abondante et dura plus d’une heure et demie. La sudation, des plus copieuses, dura plus de deux heures, et une moiteur notable persista pendant toute la nuit et une partie de la matinée du lendemain ; la toux et le délire ont cessé les premiers ; la prostration beaucoup moindre permet à la malade de causer avec les personnes qui l’entourent, on la change de lit sans que l’évanouissement survienne ; à peine dans le lit où on vient de la coucher, elle s’endort d’un sommeil paisible, qui dure quatre heures ; au réveil, elle crie la faim et demande à se lever ; on lui représente que la nuit est venue et qu’il vaut mieux dormir. Elle passe une excellente nuit et veut sortir du lit dès le matin ; mais la fermière l’oblige, par précaution, à rester au lit toute la journée du dimanche 14. Le lundi enfin, la malade se lève, prétendant qu’elle est guérie ; de fait elle reprend ses occupations, malgré de vives douleurs dans le bras blessé ; l’oedème ne disparaît que très lentement, et existait encore trois semaines après l’accident.

OBSERVATION XIII

Observation de morsure, de vipère.
(Dr Louis Roché, de Toucy. — Bulletin de la Société médicale de l’Yonne. — Auxerre, 1887 ; tome XXVII, p. 49-55.)

Le 24 juillet 1886, à onze heures du matin, on amena à mon cabinet le nommé B…, de Maurepas, commune de Merry, qui venait, dit-on, d’être mordu par une vipère à l’index de la main droite. Cet homme, âgé de 30 ans, d’une force et d’une vigueur peu communes, était en train de remuer un tas de pierres, lorsqu’il se sentit mordu au doigt. Sans prendre même la peine de regarder quel était l’animal qui avait produit la piqûre, il se serra le doigt avec son mouchoir, retourna au village dont il n’était éloigné que d’une centaine de mètres ; là, un voisin, garde forestier, lui serra tant qu’il put le doigt avec une ficelle. Puis on le mit en voiture et on me le conduisit. Après l’accident, d’autres personnes fouillèrent dans le tas de pierres et y trouvèrent une vipère commune, de taille moyenne, de couleur assez foncée, qui fut tuée immédiatement.

À l’arrivée de B… dans mon cabinet, une heure et demie environ après la morsure, l’extrémité du doigt est pâle, exsangue, elle est tellement serrée par la ligature qu’elle est complètement insensible. On remarque près du milieu de la pulpe de la première phalange deux petites piqûres distantes de 7 à 8 millimètres qui ont déjà été cautérisées avec de l’ammoniaque. L’état général n’est pas mauvais, cependant le malade est agité, anxieux, il éprouve un certain malaise, son pouls offre 92 pulsations, et il a quelques nausées.

J’agrandis la plaie et je la cautérise avec un mélange d’acide phénique et d’alcool à parties égales. Je prescris une infusion de fleurs de sureau additionnée de rhum qu’on donnera aussi chaude que la malade pourra la supporter.

J’ordonne de faire prendre toutes les demi-heures une cuillerée de la potion suivante : eau distillée, 100 ; eau de menthe, 20 ; teinture de cannelle, 6 ; acétate d’ammoniaque, 10.

Puis je conseille ou malade de se rendre chez un parent habitant Toucy, pour qu’il soit plus à ma portée et que je puisse le visiter plus souvent.

Deux heures après on vient me chercher. Le malade a été couché dans un lit bien chaud ainsi que je l’avais recommandé, il a suivi les prescriptions exactement, mais il n’a pas transpiré. L’anxiété est vive, la face vultueuse, il a vomi plusieurs fois, le pouls petit et accéléré (112 pulsations), le corps froid, la voix basse et faible. Bien que la ligature ait été tellement serrée, que l’extrémité du doigt placé au-dessous soit complètement insensible, néanmoins l’avant-bras commence à se tuméfier. J’enlève cette ligature après l’avoir remplacée par une outre placée au dessus du coude. Je fais prendre du punch chaud, du café, et recouvrir le membre de compresses imbibées d’eau ammoniacale.

8 heures du soir. — L’état s’est légèrement amélioré, l’œdème n’a pas augmenté, les vomissements ont cessé. Bien qu’il y ait une anxiété précordiale très vive, que la face soit toujours violacée, la peau s’est réchauffée, le pouls est moins faible et moins accéléré.

Le malade ressent des fourmillements non seulement dans l’avant-bras au-dessous de la ligature, mais encore au-dessus.

Je prescris la continuation de la potion stimulante en éloignant les cuillerées. Comme boisson, infusion de menthe additionnée de rhum. Mêmes lotions sur les membres.

26 juillet. — État relativement satisfaisant. Le malade a dormi 2 heures, il a eu deux vomissements bilieux. Absence presque complète d’urine (quelques cuillerées à peine rendues en plusieurs fois avec une grande difficulté). La figure est plus calme, moins violette ; il a transpiré assez abondamment. Le pouls a retrouvé une certaine force (88 puls.).

Le besoin de prendre un peu de nourriture se fait sentir. Quelques douleurs dans le membre droit supérieur depuis l’épaule jusqu’à la main alternant avec des fourmillements très pénibles. Une garde-robe bilieuse a lieu pendant ma visite.

Je conseille un peu de bouillon froid, et un verre à Bordeaux de vin vieux, continuation de l’infusion de menthe et de la potion stimulante ; et, comme le malade désire vivement rentrer chez lui, j’autorise son transport à Maurepas dans l’après-midi.

27 juillet. — B… n’a pas été trop fatigué de son voyage, néanmoins il a passé une mauvaise nuit, n’a pas formé l’œil, il éprouve une vive douleur épigastrique, a les traits crispés, il a eu des sueurs froides, fort peu d’urines. Il se plaint beaucoup du bras. En examinant le membre, je vois que cet œdème a dépassé de beaucoup ma seconde ligature et qu’il a envahi non seulement l’avant-bras, mais tout le bras jusqu’à l’épaule.

Doux ou trois petites phlyctènes se montrent sur la face antérieure du membre.

Je place une ligature dans l’aisselle, se nouant au-dessus de l’épaule et j’enlève celle du coude.

J’ordonne des frictions stimulantes avec le baume de Fioraventi et je fais prendre d’heure en heure une cuillerée de la potion suivante :

Julep gommeux, 120 ; sirop de menthe, 30 ; acide phénique, 0,50.

28 juillet. — La soirée et la nuit ont été très mauvaises. Syncopes, sueurs froides, vives douleurs épigastriques, garde-robe bilieuses. Engourdissement dans tout le membre et extension de l’œdème qui gagne le tronc. En mon absence, on mande mon confrère le docteur Duguyot, qui voit B… pendant la nuit et prescrit une potion stimulante ainsi que des frictions.

À mon arrivée auprès du malade, vers 9 heures du matin, je trouve une anxiété vive, une dyspnée très prononcée. Tout le membre supérieur droit et une partie du thorax du même côté sont très tuméfiés et violacés, assez nombreuses phlyctènes sur le bras et l’avant-bras, quelques-unes sur le tronc. Pouls petit (120 puls.). Urines plus abondantes et un peu rouges sans sédiments.

Je fais avec un bistouri quatre larges incisions intéressant toute l’épaisseur de la peau du membre, deux à l’avant-bras, deux au bras, j’en fais également deux sur les côtés du tronc ; j’enlève la ligature qui me semble désormais inutile et je fais envelopper le membre ainsi que le tronc de compresses d’eau de sureau bien chaudes qu’on renouvellera fréquemment. En même temps je fais continuer la potion phéniquée, et je donne au malade du thé au kirsch.

29. — Amélioration assez grande de l’état général, plus de syncopes, de nausées, ni de malaises persistants aussi grands, mais douleur épigastrique. Le malade a dormi, l’œdème n’a fait que de faibles progrès du côté du tronc. Une sérosité abondante s’écoule par les incisions. L’urine toujours un peu rouge est en quantité plus notable.

J’entoure tout le membre et l’épaule d’une bande roulée et j’applique sur le tronc un large bandage de corps.

Bouillon, jus de viande, vin, kirsch et potion phéniquée.

30. — La compression n’a pu être supportée, et le malade a enlevé quelques heures après leur application la bande roulée et le bandage de corps.

Toutefois l’amélioration générale et locale est évidente. Le membre est bien moins violacé, l’œdème diminue. Aucune nouvelle phlyctène n’apparaît ; les anciennes s’affaissent, la tuméfaction du tronc a diminué également. Mon attention se porte sur le liquide qui s’échappe en abondance des incisions que j’ai pratiquées. Ce liquide est d’un jaune safrané tachant les pièces de pansement, qui ne peuvent être nettoyées ni par la lessive ni par l’eau de javel. J’examine les autres parties du corps, les conjonctives, la région hépatique, je ne trouve en aucun point de l’ictère, le foie n’est pas tuméfié. Les urines maintenant abondantes sont claires, limpides, et d’un jaune paille. Les phénomènes généraux s’amendent également dans de grandes proportions.

Depuis ce jour le malade marche rapidement vers la guérison. Le 1" août, l’état général est excellent, la tuméfaction du tronc a complètement cessé, celle du membre est presque nulle. Une des incisions du thorax est en voie de cicatrisation et ne laisse plus suinter de liquide, les autres donnent toujours en abondance cette sérosité safranée dont j’ai déjà parlé et pourtant aucune trace d’ictère n’apparaît.

Je cesse les potions phéniquées, les stimulants et j’alimente le malade

Le 2, j’applique une bande roulée qui est cette fois bien supportée. L’écoulement jaune continue toujours et ne cesse que le 8, époque où les plaies sont en pleine voie de cicatrisation.

Le malade fut longtemps encore avant de pouvoir se servir de son membre et, plus d’un mois après, il ressentait encore des douleurs tantôt dans le bras, tantôt dans l’avant-bras, et était loin d’avoir recouvré la force qu’il possédait auparavant.

OBSERVATION XIV

Piqûre de vipère aspis.
(P. Dumont, bibliothécaire de l’Université de Nancy. In Revue médicale de l’Est, 1901.)

Pendant les vacances de 1901, à Liverdun, le 21 août, à 11 heures du matin, j’ai été piqué par une vipère aspis de 0.59 m, que j’avais capturée une demi-heure auparavant et rapportée vivante dans un petit filet à mailles assez serrées pour croire à l’impossibilité de la sortie de la tête. La piqûre eut lieu quand, voulant saisir la vipère par le cou, à travers le filet, pour la montrer de près, j’approchais ma main gauche de ce filet, sans m’être aperçu que la tête était sortie par une maille. Un seul crochet me piqua la deuxième phalange de l’index, au milieu de sa longueur et à la partie supéroexterne. La douleur fut très peu vive, au point que je dus constater par la présence d’une goutte de sang, que j’avais réellement été piqué.

Ayant à Liverdun du sérum antivenimeux de Calmette, et une seringue à injection, qui m’auraient permis, en cas de symptôme tant soit peu alarmant, de me traiter par ce moyen, je résolus de faire l’expérience qui s’offrait à moi et me contentai d’opérer immédiatement une succion énergique (sans débrider la petite plaie).

J’estime à quatre ou cinq gouttelettes la quantité de sang que je retirai ainsi par la piqûre ; ce fut l’affaire d’environ une minute, pendant laquelle je comprimai le doigt à l’aide de la main droite, afin de donner issue à la plus grande quantité de matière possible. Quand il ne sortit plus de sang, on apercevait à peine un petit point rouge-brun qui indiquait le lieu de la piqûre. Une demi-heure après, je ressentais dans le doigt un engourdissement plus gênant que douloureux, qui se propagea bientôt aux trois autres doigts et non au pouce. Une heure après, la piqûre avait pris un aspect un pou livide et n’était le siège d’aucune douleur à la pression et à une légère percussion. Vers deux heures de l’après-midi, les doigts enflèrent modérément, pas plus le doigt piqué que les autres, le siège de la piqûre présentait une petite papule allongée, d’un demi-centimètre dans le sens du doigt, et avait pris une coloration rouge vif ; l’œdème se propagea dans l’après-midi à la région métacarpienne supérieure, puis au poignet, avec une douleur très supportable, analogue à celle qu’aurait produite un coup de bâton un pou fort sur le dos de la main. Le soir, mêmes symptômes, s’étendant jusqu’au coude et impossibilité, en raison de l’enflure, de fermer complètement la main ; toujours absence de douleur au point piqué. Le lendemain matin, l’enflure avait gagné le tiers inférieur du bras qu’elle ne devait, du reste, pas dépasser. J’avais affaire à Nancy, et fis le voyage sans aucune gêne, la pression et la percussion de la main et du bras causant seulement une légère douleur. Le lendemain, l’enflure du bras avait presque disparu, celle de la surface dorsale de la main persistant seule ; le lieu de la piqûre toujours un peu rouge était le siège d’un léger prurit, ainsi du reste que l’avant-bras et le bras. Le 24, l’enflure diminue toujours, au point que après une immersion de la main pendant quelques minutes, dans la rivière, je peux fermer le poing, presque complètement. Le 25 au matin, il ne subsiste plus qu’un peu d’œdème de la région métacarpienne avec démangeaison de celle-ci et du doigt piqué, et un peu d’empâtement du poignet. Le 26, la main est presque entièrement revenue à son état naturel ; il n’existe plus qu’un léger empâtement du poignet et une assez vive démangeaison du doigt piqué ; ce prurit s’accentua dans la nuit et le lendemain, le 28 au matin, je dus pour le calmer mettre sur le doigt un cataplasme de mie de pain que je renouvelai le soir, oû il était devenu presque insupportable. Il se continua du reste pendant toute la nuit pour ne plus se manifester le 29 qu’à la phalange piquée qui présentait un léger œdème à son articulation supérieure ; le 30 toute manifestation avait cessé.

Je noterai comme phénomène général une somnolence assez forte dont je fus pris le jour de l’accident, vers 3 heures après-midi au bord de l’eau où je pêchais à la ligne Un verre de café en eut facilement raison.

J’ai constaté comme circonstance intéressante, que la vipère était en pleine digestion d’un gros mulot.

OBSERVATION XV (inédite.)

(Due à l’obligeance du Dr Bouchon, de Toul.)

Madame Biquelet, âgée de 29 ans, a été le vendredi 21 juillet vers 10 heures du matin, mordue à la face externe de la première phalange de l’index droit à un centimètre au-dessus du premier pli du doigt.

Une incision horizontale ayant la morsure pour centre avait été faite par un parent au moyen d’un rasoir.

La piqûre ressemblait à une piqûre d’épingle par laquelle se serait produit un écoulement plus abondant que d’ordinaire ; la sensation éprouvée par la blessée avait aussi été la même que celle ressentie lorsqu’on est piqué par une forte aiguille.

Immédiatement après l’accident le doigt avait été fortement lié à sa racine et la plaie vigoureusement sucée.

La blessée entre à l’hôpital de Toul à 11 heures ; c’est-à-dire une heure après l’accident ; dès ce moment elle est prise de vomissements bilieux qui dureront jusque vers deux heures de l’après-midi, soit trois heures environ.

Pas de maux de tête, pas de syncope, pas de fourmillement dans le membre lésé.

Dès le soir de ce jour vendredi, la main est enflée ; l’avant-bras ne présente rien d’anormal, mais au niveau du ganglion épi trochléen rougeur et douleur, et à partir de ce ganglion jusqu’à l’aisselle traînée lymphatique.

Samedi matin 22. — Gonflement œdémateux dur de la main, de l’avant-bras, du bras et de l’épaule, phlyctène sur l’index autour de la plaie, sur le médius et dans le pli du coude ; rougeur et douleur très vive dans le creux axillaire. Pas d’appétit, constipation, à part ces deux faits, état général satisfaisant. Température 36°2 matin et soir.

Dimanche matin 23. — L’œdème a gagné la partie droite de la poitrine ; le sein est dur ; la partie droite du dos est aussi œdématiée. Pas d’appétit, une selle normale. Température 36°2, le matin et le soir.

Lundi 24. — L’œdème a gagné le ventre et les reins, toujours la partie droite seulement, l’appétit revient un peu, une selle normale. Température 36°2 matin et soir.

Mardi 25. — État stationnaire de l’œdème qui, peut-être, est un peu moins dur. Augmentation de l’appétit, une selle normale. Température 36°2 le matin, 36°6 le soir.

Mercredi 26. — Diminution de l’œdème ; tension moins forte des téguments ; diminution de la douleur à la pression, mouvements du bras un peu plus faciles ; jusqu’à ce jour les mouvements étaient impossibles, l’œdème formant comme une gaine rigide et dure autour de tout le membre, température 36°6 le matin, 37° le soir.

Jeudi 27. — Le gonflement continue à diminuer surtout ou niveau du sein et de l’épaule ; au niveau de la main œdème un peu moins dur, encore dur ou bras, au coude et à l’avant-bras. Les phlyctènes signalées au début persistent, ainsi que le gonflement autour de la piqûre.

Légère gingivite due probablement au traitement. Six selles dans la nuit et dans la matinée, dont la cause probable est l’alimentation, la malade ayant voulu, la veille, manger des crudités. Température 36° le matin, 38° le soir.

Vendredi 28. — Diminution du gonflement. Température 36°9 le matin, 37° le soir.

Samedi 29. — Le gonflement du membre continue à diminuer, les phlyctènes ont séché, l’épaule et la poitrine sont revenus à leur état normal ; au niveau de la main et de l’avant-bras, œdème très mou ; à la partie interne du bras, persistance de la rougeur et de l’œdème dur.

La malade, qui se lève depuis deux jours, sort de l’hôpital.

Traitement. — Friction d’onguent gris sur la main et l’avant-bras ; enveloppement de tout le membre avec des compresses imbibées d’une solution de permanganate de potasse à 1‰. Infusion de café le premier jour.

Aucun changement dans le traitement local jusqu’au jeudi 27 où les frictions à l’onguent gris furent abandonnées et où les compresses de permanganate furent remplacées par des compresses d’eau bouillie.

Jeudi 3 août. — La malade qui a passé quelques jours chez elle, vient à la visite de l’hôpital.

L’état général est très bon ; l’avant-bras est complètement désenflé ; le bras aussi sauf à la partie interne où il y a encore un peu de dureté. Encore un peu d’œdème sur la face dorsale de la main ; les phlyctènes ont disparu, le doigt est revenu à son état normal ; la coupure est cicatrisée.

2o Accidents d’échidnisme aigu. — Emploi de la sérothérapie.

A. — Morsures de « Vipera aspis »

OBSERVATION XVI

Piqûre de vipère. — Sérum artificiel et sérum de Calmette.
(Dr Subercaze, de la Ferté-Alais. — Journal de médecine et de chirurgie pratiques. Paris, 1900, t. 71, p. 603 et 604).

Le 12 juin dernier, le jeune Victor B…, de Marchois, 13 ans, à 9 heures ½ du matin, était occupé à couper de l’herbe avec une faucille, lorsqu’il fut piqué à la main droite par une vipère rouge brun, d’environ 80 centimètres de longueur et du diamètre d’une pièce de cinq francs. Violente sensation de morsure ; la mère et l’enfant sucent la plaie ; au bout d’une ou deux minutes, engourdissement total de la main, puis du bras, l’extension des doigts impossible ; pâleur du visage, menace de syncope, soif vive. Rentré en hâte chez lui, avec l’aide de sa mère, l’enfant perd connaissance pendant dix minutes ; la mère pratique une ligature excessivement serrée au tiers moyen du bras et m’amène son fils en voiture ; nausées et petite syncope durant le trajet.

Je vois le malade à 10 heures 45 : œdème considérable de toute la main et de l’avant-bras droits, jusqu’à trois travers de doigt au-dessus de la ligature qui disparait dans un profond sillon. Sur l’éminence thénar, deux petits points noirs, écartés d’un centimètre, dans lesquels, avec une aiguille fine je recherche en vain les crochets. Cautérisation profonde au thermo-cautère et injection autour des points bruns de 3 centimètres cubes de permanganate de potasse au dixième. J’enlève la ligature, recouvre la plaie et l’avant-bras de compresses imbibées de permanganate au millième et B… retourne chez lui où je le revois à quatre heures de l’après-midi.

La journée a été tragique : douleurs intolérables dans tout le bras à demi fléchi et triplé de volume ; l’extension en est impossible ; l’œdème blanc verdâtre a gagné l’épaule ; la plus légère pression y est excessivement douloureuse et l’enfant pousse des plaintes perpétuelles ; dyspnée, le pouls irrégulier bat à 63 ; pas d’urines depuis ce matin onze heures. Pas de souffle au cœur, rien au poumon. Je fais dans la paume de la main 5 nouvelles injections de un centimètre cube de permanganate et fais donner du café très fort ; acétate d’ammoniaque 10 grammes. Puis je téléphone à l’institut Pasteur, pour avoir du sérum de Calmette ; mais il faut s’adressera l’institut de Lille, ce que je fais par dépêche.

Durant la nuit, le délire est continu : sueurs froides profuses ; quelques urines rouges. À huit heures du matin, 60 pulsations, pas d’albumine, la dyspnée est moins forte. L’œdème grossit, envahit tout le bras et a gagné la région pectorale jusqu’au-dessus du sein droit, la région axillaire s’empâte aussi. Sur la paume et sur le poignet, trois phlyctènes brunâtres de 2 centimètres de large ; cris au moindre attouchement ; anorexie ; hypothermie très sensible de tout le membre droit. Nouvelles injections de 5 centimètres de permanganate au dixième.

À trois heures, le sérum n’arrivant pas, j’injecte dans la fosse iliaque droite, un demi-litre de sérum artificiel et en fais prendre un demi-litre en lavement. L’enfant a un frisson violent à six heures ; il délire pendant quelques minutes, puis il est pris d’un accès de rire convulsif qui dure une demi-heure ; il s’endort à huit heures après avoir uriné et été abondamment à la selle ; la dyspnée paraît se calmer.

Le 14 à 7 heures, B… a bonne mine ; il respire normalement. Bien qu’il n’ait pas beaucoup dormi, il a passé une nuit calme, mais a été tourmenté par une soif vive. Les douleurs ne sont plus continues, le bas ventre dans le même état, sans nouvelles phlyctènes ; pouls à 80 égal et régulier. Malgré l’amélioration qui semble manifeste, j’injecte dans le bras gauche un centimètre cube du sérum de Calmette que je viens de recevoir. Le soir, le flanc droit est douloureux ; sensation de brûlures, sans aucune irritation cutanée au point piqué. Même état avec engourdissement égal.

Le 15, la pression seule fait apparaître la douleur ; les mouvements sont encore pénibles, mais l’engourdissement a disparu ; le bras reste en demi-flexion, la main en griffe ; la coloration brune de l’œdème pâlit. Aucun appétit ; pouls à 80, urines et selles normales ; pas d’albumine.

Le 16, l’œdéme rétrocède à partir de l’épaule : plus de godet à la pression sur la région pectorale ; l’œdème est jaune ; le coude peut être mobilisé, douleurs moins pénibles. Le malade demande à manger, s’intéresse à ce qui l’entoure. Autour de la piqûre de sérum de Calmette, éruption de nombreuses petites vésicules rouges, morbilliformes, indolores, s’étendant en ceinture sur une longueur de 20 centimètres.

Le 17, excellent état général ; les phlyctènes brunes de la main et du poignet s’affaissent ; l’œdème continue à diminuer rendant faciles les mouvements du coude et du poignet, mais les doigts restent à moitié fléchis.

Le 20, la main seule est enflée, paume et dos ; l’enfant va très bien, a recouvré tout son appétit et sa gaîté. Pouls à 94 ; les vésicules du flanc gauche ont disparu ; pas d’albumine.

Le 24, tout œdème a disparu ; les mouvements sont devenus normaux, mais la main paraît lourde au petit malade qui pense cependant à se mettre au travail. Il vient me voir le 29 tout à fait rétabli.

OBSERVATION XVII (inédite)

Morsure de « Vipera aspis ». — Sérum de Calmette.
(Due à l’obligeance de M. le professeur Février).

Le 8 mai 1905, le soldat Bidard était de planton au champ de tir de la forêt de Haye, pour interdire aux personnes l’accès des points rendus dangereux par les exercices de tir. Étant un peu fatigué, il voulut s’asseoir sur un tas de feuilles mortes, au bord de la route et porta la main droite à terre pour s’appuyer. À ce moment il se sentit piqué sur la face dorsale de la main droite entre le pouce et l’index, par une vipère. (Il s’agit d’une Vipera aspis, femelle, qui ne renfermait pas de petits. Elle mesurait 67 centimètres de longueur et était à jeun). Il était environ 9 heures. La tête de la vipère resta fixée à la main, car elle n’avait pu dégager ses crochets. Il arracha le reptile de la plaie et lui écrasa la tête avec son soulier. Il suça ensuite la plaie, mais 10 minutes seulement après avoir été mordu.

Bidard ne parla d’abord à personne de son accident. Mais voyant sa main gonfler rapidement, il appela le sergent de garde pour être relevé de son poste. Au champ de tir, l’infirmier de service fit avec son canif un léger débridement de la plaie. Il n’y avait, en effet, qu’un seul crochet qui avait pénétré et il appliqua de la teinture d’iode. En même temps il plaçait un lien constricteur à la partie inférieure de l’avant-bras.

Le blessé fut alors dirigé sur l’infirmerie du 26e d’infanterie où il arriva vers 10 heures 45. En cours de route il avait eu des vomissements et une selle involontaire. À l’infirmerie, on lui fit aussitôt une injection sous-cutanée de permanganate de potasse aux environs de la morsure et on prescrivit du thé alcoolisé.

8 mai. — Vers midi ¾, il arrive à l’hôpital de Nancy, où le médecin de son régiment qui l’avait accompagné, M. le docteur Masson, fait séance tenante une première injection sous cutanée de 10 centimètres cubes de sérum antivenimeux. En même temps le lien constricteur est enlevé.

Trois quarts d’heure après nous voyons le blessé. C’est un homme vigoureusement constitué. Il est couché sur le dos, le membre supérieur droit étendu le long du corps. La face est pâle, légèrement couverte de sueur et exprime l’anxiété ; il se plaint de vertiges, de maux de tête et accuse une sensation de froid. Le pouls est petit, filant.

Sur la face dorsale de la main, dans l’espace compris entre le premier et le deuxième métacarpien, on trouve une petite plaie longue de 6 à 7 millimètres au centre de laquelle était la piqûre faite par le crochet. La main est considérablement tuméfiée, d’une couleur livide, avec quelques petites phlyctènes. Le gonflement remonte jusqu’au tiers supérieur de l’avant-bras, dépassant la trace très visible du lien constricteur appliqué au champ de tir. Les parties tuméfiées sont le siège d’un engourdissement.

À 2 heures ½ nous pratiquons une deuxième injection de dix centimètres cubes de sérum antivenimeux. Le blessé est couvert de draps chauds et des bouillottes sont placées dans son lit.

Dans l’après-midi, efforts de vomissements, maux de tête violents. Le pouls est toujours très faible, presque imperceptible. Bidard est toujours froid.

Injection de caféine et d’huile camphrée. Température 37°5.

Vers 5 heures, le malade se réchauffe et se sent mieux. Le pouls se relève ; il est à 90. La soirée est relativement bonne, mais la nuit est un peu agitée.

9 mai. — Le malade a meilleur aspect, il est un peu rassuré. Le gonflement a progressé ; il atteint maintenant les deux tiers inférieurs du bras. La peau est d’un rouge livide, tendue, un peu luisante. Tout le membre est le siège d’un engourdissement douloureux et les mouvements qu’on lui imprime sont assez pénibles pour arracher des plaintes au malade. La température 37°, le pouls 93, il est plein et bien frappé.

Bidard n’a point d’appétit. Il boit avec plaisir du thé alcoolisé, mais dans la journée il se sent la bouche pâteuse et demande de la limonade tartrique. Il urine peu et difficilement. La température 37°2. Le gonflement occupe maintenant le moignon de l’épaule et déborde un peu sur le thorax. Vers 7 heures du soir, il commence à s’agiter et à se plaindre d’un refroidissement général, en même temps que de douleurs vives dans le côté droit du tronc. Puis vers 8 heures ½ se manifeste de l’oppression qui devient bientôt assez intense pour que le médecin de garde, M. le docteur Notin soit appelé.

Il constate qu’un œdème assez intense a envahi le bras droit, le cou et la moitié droite du thorax. Le pouls est assez faible. Une nouvelle dose de 10 centimètres cubes de sérum antivenimeux lui est injectée. Le malade n’urine pas, n’a pas de selle. On le réchauffe on fait une injection d’huile camphrée. À 9 heures, la dyspnée est assez intense pour qu’un moment on agite la question de la trachéotomie. Cependant l’agitation et la dyspnée s’atténuent un peu et vers 11 heures ½ la crise est à-peu-près terminée. Mais le blessé reste sous une profonde impression de terreur ; à 4 heures ½, il fait de nouveau appeler le médecin de garde, disant ne plus respirer. Ce dernier constate dans son rapport qu’il a trouvé cet homme un peu affolé, mais que son état n’avait pas changé depuis minuit.

10 mai. — Bidard se sent mieux. Il est moins oppressé, mais il se remue très difficilement car il ne peut déplacer son bras sans souffrir. Température 36° le pouls est bon. L’œdème est toujours très marqué.

Les urines recueillies dans les 24 heures : 450 grammes. L’analyse montre 0,2 g d’albumine pour 1000, de nombreux globules


Extension de l'œdème au cinquième jour.


sanguins et quelques rares cellules vésicales. Dans la journée, pas d’appétit. Injection de caféine, champagne. Les urines sont toujours peu abondantes. Température 37°2.

Pas de selle. Vers le soir un peu d’agitation due sans doute, à l’inquiétude.

11 mai. — Contre son attente, le malade n’a pas passé une trop mauvaise nuit. Température 36°8. L’œdème tend à s’affaisser un peu. Mais le gonflement s’étend sur le côté gauche du thorax et vers la partie inférieure du tronc, notamment sur les parties latérales. La teinte rouge livide dont nous avons parlé, révèle son extension. La respiration est libre. L’appétit revient. Le bras est toujours douloureux à la palpation.


Extension de l’œdème au cinquième jour.


Vers 6 heures du soir, il a avec beaucoup d’efforts une selle peu abondante, liquide et noirâtre. Vers 11 heures, nouvelle selle noirâtre toujours peu abondante. Température 37°1. La nuit, il se sent beaucoup mieux et s’endort.

12 mai. — Nuit très bonne. Température 36°8. L’appétit revient et Bidard mange avec plaisir. Dans la journée légère épistaxis. L’œdème et la teinte livide descendent maintenant sur les lianes jusqu’à la crête iliaque. Voici du reste la localisation exacte du gonflement et des plaques ecchymotiques.

C’est surtout le membre supérieur droit qui est le siège de la tuméfaction. Il est presque doublé de volume. Le gonflement s’étend au tronc et déborde un peu à gauche sur le moignon de l’épaule et le tiers supérieur de la face interne du bras.

Un œdème considérable envahit la partie antérieure de la poitrine du côté droit, bien marqué jusqu’à la ligne médiane. Il remonte en haut jusqu’à la racine du cou empiétant un peu sur la région sous-hyoïdienne. En arrière, il s’étend jusqu’à la ligne des apophyses épineuses, gagnant en haut la partie inférieure de la région de la nuque et limité en bas par une ligne horizontale passant par l’angle inférieur de l’omoplate.

Le doigt y creuse des empreintes de deux centimètres de profondeur.

Au-delà de la ligne médiane, l’œdème va s’atténuant considérablement, mais son extension est accusée par un peu d’empâtement de la peau et surtout par les suffusions ecchymotiques qui l’accompagnent. Cette teinte livide est cependant moins marquée que sur les parties très œdématiées. Toute la partie antérieure de la poitrine jusqu’à une ligne passant par la base du thorax, est couverte de suffusions. Elles se prolongent sur le flanc gauche, jusqu’à la crête iliaque par une bande large de 3 centimètres. À droite cette bande beaucoup plus large se prolonge sur le tiers de la face postérieure du tronc empiétant en bas sur la région fessière et rejoignant en haut les maculatures de la région scapulaire.

Le soir, la température monte à 37°8. Bidard est agité. Il se plaint de maux de reins qui l’empêchent de dormir. En même temps il est pris d’épistaxis au milieu de la nuit.

13 mai. — Bidard souffre toujours de son lumbago. La palpation ne révèle rien du côté des reins ni du rachis. La pression est douloureuse sur toute la surface des régions lombaires et fessières. Température, le matin 37°1. Le malade se plaint de tousser et de cracher un peu. C’est, dit-il, la fin d’un rhume dont il souffrait au moment de son accident. Quelques gros râles muqueux dans les deux poumons, quelques crachats muco-purulents ; potion avec du sirop de tolu, de l’eau, de laurier cerise et X gouttes de teinture d’opium. Le gonflement reste stationnaire.

Température du soir 37°.

14 mai. — Même état. Température du matin 36°4. Le soir, température 37°5. L’œdème tend à disparaître.

15 mai. — Le malade se plaint d’un point de côté à droite avec un pou d’oppression. Il a toussé davantage. Les crachats sont constitués par un mélange de mucosités et de sang noir. L’auscultation révèle des râles fins sur un point très limité de la partie moyenne du poumon droit. La percussion ne donne pas de diminution de sonorité bien appréciable si ce n’est peut-être une très légère atténuation en regard du foyer des râles. Application de ventouses en arrière. Potion calmante. Température du soir 38°4.

16 mai. — La nuit a été un peu agitée. L’oppression persiste mois moindre. L’auscultation donne toujours les mêmes signes. Expectoration de quelques crachats sanguinolents noirâtres. Température 37°5. L’après-midi, le malade se sent mieux. Température 37°6. L’expectoration diminue. L’analyse des urines montre encore des traces d’albumine.

17 mai. — Température 36°7. Le malade se sent très bien. Il n’a plus d’oppression, ni de toux. L’auscultation ne révèle plus que quelques râles assez fins qui ne se montrent que par bouffées. L’appétit revient et le malade demande à manger. 2 degrés. Température soir 37°4.

18 mai. — Température du matin 37°. Plus d’oppression, plus de toux. Rien au poumon à l’auscultation. Sommeil normal. Appétit excellent. Le bras est toujours tuméfié. Les mouvements sont encore gênés et douloureux.

22 mai. — Le gonflement et la tension des téguments se sont beaucoup atténués. La teinte livide s’efface peu à peu. Le bras a beaucoup diminué de volume, mais ces points sont le siège de prurit.

27 mai. — Le bras a repris son aspect normal. C’est à peine si on observe une légère nuance plus foncée au niveau des points qui étaient le siège du gonflement et de la teinte livide. La peau desquame finement. Prurit marqué.

8 juin. — Bidard tout à fait rétabli part en convalescence. Il a maigri et son teint est encore pâle.

B. — Morsures de « Pelias berus ».

OBSERVATION XVIII

Morsure de vipère. — Cas de (guérison par le sérum de Calmette.
Dr Marchand, des Montils (Loir-et-Cher.) (Journal de médecine de Bordeaux, 1897, no 36, p. 433.)

Le vendredi 23 juillet, vers onze heures du matin, Jules Rellier, âgé de vingt-six ans, fauchait dans un endroit humide, lorsqu’il fut mordu au talon par une vipère de forte taille (vipera berus). La morsure profonde, était située à la partie externe du pied, à un centimètre en arrière de la malléole, à trois centimètres au-dessus du rebord plantaire ; elle est constituée par deux entailles de la peau, distantes d’un centimètre. Immédiatement après l’accident, le malade quitta son travail, se serra fortement la jambe au tiers inférieur avec son mouchoir, lit saigner la plaie et se rendit chez moi en toute hâte, effectuant ainsi, à cloche-pied, une marche d’un kilomètre environ.

Quand je le vis, vingt minutes à peine s’étaient écoulées depuis l’accident, le faciès était altéré, le pouls rapide. Le malade avait vomi deux fois ; il se plaignait de maux de tête, de défaillance générale et « avait peur, disait-il, de se trouver mal ». Le pied et la jambe étaient douloureux à la pression, une légère tuméfaction se montrait dans la région peri-malléolaire, autour des morsures qui saignaient un peu.

Séance tenante, après un copieux lavage de la plaie avec une solution de permanganate, je fais à la région antéro externe de la partie moyenne de la cuisse une injection de sérum de Calmette de 10 centimètres cubes ; ensuite, j’enveloppe la jambe d’un pansement antiseptique humide jusqu’à la hauteur du genou.

Le malade reprend haleine et courage. Après un quart d’heure de repos, il se rend chez lui, à pied (il demeure à cent mètres de chez moi).

Le soir, je revois mon malade. Il est au lit avec une température de 37°2, un pouls de 60 pulsations ; aucun malaise, pas de mal de tête ; il n’a plus vomi ; il a pris un peu de bouillon, un peu de tilleul alcoolisé. Il se plaint de la jambe, qui est enflée jusqu’au genou ; la douleur est plus grande au mollet qu’à la malléole. Enveloppement humide.

La nuit est bonne, le malade dort plusieurs heures, mais la jambe le fait toujours souffrir.

Le 24 juillet, au matin, je le trouve gai, sans fièvre, ayant faim. Autour de la morsure, l’œdème est devenu considérable comme épaisseur et remonte avec la même intensité, jusqu’au cou-de-pied ; le mollet et la cuisse sont enflés mais bien moins. Je pratique une seconde injection de 10 centimètres cubes de sérum antivenimeux dans le tissu cellulaire de la paroi abdominale.

La journée est bonne ; à aucun moment, du reste, le malade n’a eu de fièvre ; les points où j’ai fait les injections sont à peine sensibles à la pression.

Le soir, je trouve mon malade en bon état général ; la jambe est toujours enflée ; il se plaint surtout du mollet. Pensant à un état de contracture possible, produit par la marche rapide à cloche-pied effectuée après l’accident, je lui fais donner un bain.

Le surlendemain, 25 juillet, le malade ne présente plus comme symptôme qu’un œdème assez considérable de la région péri-malléolaire et du tiers inférieur de la jambe.

Cet œdème se résorbe lentement, mais graduellement les jours suivants.

OBSERVATION XIX

Vipère péliade.
(Dr Clamouse}, à St-Épain (Indre-et-Loire). In Notice sur le sérum antivenimeux et sur le traitement des morsures de serpents. Lille, 1901, Danel édit. p. 36.)

Mademoiselle Léonie C…, domestique de ferme, 19 ans, mordue le 1er juin 1900 par une vipère rouge à la face dorsale de l’annulaire gauche.

Symptômes d’intoxication assez graves. En l’absence du sérum, injection de liqueur de Labarraque à 1/12. Le sérum réclamé à Tours est injecté 38 heures après l’accident, le 2 juin à 11 heures du soir.

Le 3 juin au matin, amélioration très sensible.

Le 7 juin, état général excellent. Guérison.

OBSERVATION XX

Vipère péliade.
(Dr E. Morau, à Neung-sur-Bouvron (Loir-et-Cher), ibid., p. 37.)

A. B… âgé de 12 ans, habitant Villeny, canton de Neung-sur-Beuvron (Loir-et-Cher) est mordu, le 23 juin 1900, à la malléole externe du membre inférieur gauche. Les parents se contentent de mettre une ligature au-dessus de la plaie, et m’amènent l’enfant à 9 heures du matin. Absent de chez moi, je ne vois l’enfant qu’à midi un quart, en rentrant.

Tuméfaction de tout le pied. Ecchymose de la peau jusqu’à moitié de la jambe. État général excellent. Je fais antiseptiquement une injection de 10 centimètres cubes de sérum antivenimeux au flanc droit. Potion à l'acétate d’ammoniaque et sirop d’éther. Enveloppement humide de la plaie et de la partie tuméfiée.

Je revois, chez lui, l’enfant le lendemain. Œdème et tuméfaction généralisés du membre mordu. Cœur excellent. Pas de vomissements, pas de fièvre. Je refais une injection de 20 centimètres cubes de sérum et fais continuer les enveloppements humides phéniqués de tout le membre. État très bon.

Le 25 juin, à ma visite, pas de fièvre. Arythmie du pouls. Fais continuer la médication. Je suis quatre jours sans revoir le malade, quand je suis appelé par dépêche. Je trouve l’enfant avec fièvre 39°. Tuméfaction complète de la jambe gauche, de l’abdomen et du tronc avec taches ecchymotiques. Ordonne quinine. Arythmie du pouls et du cœur, ordonne digitale et potion tonique de Jaccoud.

La fièvre provenait d’une congestion pulmonaire, à droite et en bas. Je fais mettre ventouses en alternant avec cataplasmes sinapisés.

Je revois l’enfant deux jours après. La congestion existait toujours. Fièvre 39°, mais la tuméfaction générale tendait à diminuer.

Le 4 juillet, je revois l’enfant. Plus qu’un léger œdème. État général très satisfaisant. Plus de fièvre. L’enfant s’achemine à grands pas vers la guérison. La jambe va bien et la plaie est presque guérie.

En résumé : Morsure très grave et surtout injection de sérum faite très tardivement, quatre heures après l’accident et complications imprévues du côté du poumon qui ont retardé d’autant la guérison.

3o Accidents d’échidnisme aigu. Cas mortels.

OBSERVATION XXI

Piqûre de vipère. — Mort au troisième jour.
(M. Viaud-Grand Marais, Gazette des hôpitaux, Paris, 1868, no 62, p. 246.)

Le 28 juin 1865, vers 7 heures du matin, la veuve Bretagne, âgée de 61 ans, du village de la Renouerie, commune de Saint-Mars-de-Coutais, gardait ses vaches le long d’une haie ; elle était pieds nus dans ses sabots et marchait en filant sa quenouille. Tout à coup elle ressentit une vive douleur au bas de la jambe gauche, et recula effrayée, une vipère rouge sur laquelle elle avait monté s’enfuyait dans le buisson voisin. La femme Bretagne regagna avec peine son domicile, situé à près d’un kilomètre de là. De retour chez elle, elle lava à l’eau salée l’endroit mordu et enleva ainsi une petite quantité de sang répandue au voisinage des piqûres. La tuméfaction d’abord limitée autour du point atteint par les crochets s’étendit avec rapidité ; à neuf heures on appliqua au-dessus du genou un mouchoir plié en cravate. Cette constriction assez lâche n’empêcha pas l'œdème de gagner la cuisse. Le mal progressant toujours, on envoya chercher M. Patry, médecin à Port-Saint-Père, et ancien interne des hôpitaux de Nantes, auquel nous devons cette observation.

Notre confrère n’arriva près de la malade qu’à midi, c’est à dire cinq heures après l’accident, et voici les symptômes qu’il constata.

La veuve Bretagne offrait beaucoup d’agitation et d’anxiété. Elle avait de la difficulté à respirer, des lipothymies et des nausées suivies de vomissements bilieux. Elle était entièrement refroidie et couverte d’une sueur glacée ; ses yeux hagards donnaient à sa physionomie une étrange expression de terreur ; son pouls était fréquent et petit. La malade répétait sans cesse qu’elle allait mourir.

L’examen de la jambe fit reconnaître, à trois centimètres environ au-dessus de la malléole interne, deux piqûres profondes, distantes de quelques millimètres et entourées d’un cercle inflammatoire. Une douleur aiguë s’étendait de ce point à tout le membre et était exagérée par la pression ; la tuméfaction gagnait la hanche ; il y avait gêne très prononcée des mouvements ; la peau de la jambe offrait une teinte jaune verdâtre, plus marquée à la cuisse, où la lividité prenait l’aspect de marbrures.

À sa première visite, M. Patry administra 20 gouttes d’alcali dans une infusion de tilleul, conseilla une potion à l’acétate d’ammoniaque, des infusions aromatiques alcoolisées et de vin chaud. Il fit une incision cruciale sur la blessure, et par la succion directe pratiquée à plusieurs reprises, retira une certaine quantité de sang. Il la lava ensuite avec de l’ammoniaque et prescrivit des frictions aromatiques chaudes et fréquemment renouvelées sur tout le corps. Une compresse imbibée d’eau ammoniacale fut maintenue sur la malléole.

29 juin. — Mêmes symptômes généraux que la veille mais exagérés. L’anxiété est extrême et le refroidissement complet. La veuve Bretagne, dans un état d’anéantissement profond, a un pouls misérable ; l’œdème s’est généralisé ; le membre gauche devenu énorme est couvert de phlyctènes.

M. Patry fait envelopper la partie malade dans des feuilles de lierre chauffées au four et continuer les boissons excitantes autant que le permet l’état de l’estomac.

30 juin. — L’œdème a pris une telle extension que la blessée ne peut plus soulever ses paupières. Elle répond à peine aux questions qu’on lui adresse, tant est grande sa torpeur ; son intelligence, du reste est affaiblie. Son pouls est filiforme et intermittent ; les syncopes se rapprochent ; il y a une prostration générale des forces. La malade refuse de prendre le moindre liquide et accuse une violente douleur dans le côté gauche du thorax. Ce triste état va en s’exagérant et se termine à quatre heures du soir par la mort après deux heures de pénible agonie.

OBSERVATION XXII

Piqûre de vipère. — Enfant de six ans. — Mort le même jour.
(Dr Bourdin, de Sainte-Pazanne, rapportée par Viaud-Grand-Marais, Gazette des hôpitaux, Paris 1868, No62, p. 246.)

Au mois de juin 1827, le jeune Vilain, âgé de 6 ans, du village de la Grouyère-en-Sainte-Pazanne, fut mordu à onze heures du matin par une vipère. Dans l’après-midi, l’enfant offrait un œdème général. Le père avait envoyé à Chinière prendre conseil d’un homme redouté par ses sortilèges, portant le nom de guerre d’IHenri du grand Houx. Le sorcier se rendit dans un champ, fit des invocations et consulta son oracle, bœuf noir désigné par les paysans sous le nom de Grand Diable. Le bœuf levait la patte droite ou la gauche, suivant que sa réponse était affirmative ou négative. Henri du grand Houx promit la guérison du blessé qui, pendant toutes ses manœuvres n’avait reçu aucun soin. Au retour du messager l’enfant était dans un coma profond. Il succomba le jour même malgré le cataplasme de lait caillé prescrit par le conjureur.

OBSERVATION XXIII

Cas de mort par la morsure d’une vipère.
(Dr Fredet (Clermont-Ferrand), Gazette des hôpitaux, Paris 1872, XLV, 12 septembre. Rapportée par Kaufmann, in Les Vipères de France, p. 39.)

Le 25 avril 1872, le nommé R… (Antoine), âgé de 47 ans, cultivateur valeur à St-Amand-Tallende (Puy-de-Dôme), travaillait dans une vigne située sur le coteau de la Serre, près de St-Amand. Après son repas de midi, suivant l’habitude des gens de la campagne, il voulut prendre quelque repos ; il dormait depuis un quart d’heure environ, lorsqu’il sentit un corps froid s’agiter sur sa poitrine. Il y porta instinctivement la main, mais ce mouvement était à peine fait qu’il ressentit une vive douleur au-dessus du sein gauche ; il se réveilla en sursaut, et quelle n’est pas sa frayeur en voyant sous sa chemise entrouverte, une vipère énorme, par laquelle il venait d’être mordu et qu’il rejette avec effroi loin de lui. Son premier soin fut celui de la vengeance ; il se mit à poursuivre le reptile qui fuit devant lui et qu’il ne peut atteindre.

Aidé alors d’un de ses compagnons, qu’il réveille, B… essaye de se cautériser avec deux allumettes enflammées ; il se frictionne ensuite vigoureusement avec de la terre sèche à laquelle les gens de nos campagnes attribuent une vertu curative. Mais sentant ses forces défaillir il se rend à St-Amand, soutenu par son camarade. Là il va trouver un des médecins de cette localité. Quand il arriva chez notre confrère, le blessé était pâle, couvert d’une sueur froide ; il existait de la soif et des vomissements ; il n’y avait pas encore de gonflement (trois quarts d’heure après l’accident). On fit alors une incision pour agrandir les piqûres, et la femme du blessé pratiqua des succions énergiques. On prescrivit des frictions avec de la flanelle chaude, une potion à l’ammoniaque. Cette dernière préparation fut même appliquée sur la plaie.

Néanmoins les forces allaient s’affaiblissant, et cinq heures après l’accident, le malade sentait ses extrémités se refroidir, les vomissements continuaient, et symptômes plus graves, une hémorragie assez abondante se déclarait par l’intestin et la vessie. Le vin chaud, le vin de quinquina furent inutilement employés pour relever les forces du blessé, qui, douze heures après avoir été mordu succombait présentant tous les symptômes d’une violente intoxication. On observait sur ce malheureux un engorgement œdémateux généralisé, et, par places des taches brunes, noirâtres, dues à l’épanchement du sang dans les mailles du tissu cellulaire. L’autopsie n’a pas été faite.

OBSERVATION XXIV

(Dr Boille, de Buzançais. Journal de médecine et chirurgie pratique, Paris, 1874, XLV, p. 450.)

Le 1er juillet 1871, une jeune fille, de 11 ans mit la main sur un nid ; un serpent s’y était blotti et la pique. Pendant huit jours on la laisse aux soins d’un sorcier, malgré les amulettes, le mal progresse ; on m’appelle. Je trouve cette jeune fille, qui était forte, presque mourante. La main mordue, l’avant-bras, le bras et toute la partie antérieure de la poitrine, étaient tuméfiés, couverts de taches violettes et de phlyctènes : les unes à sérosité roussâtre, les autres à sérosité sanguinolente. Quoique faisant les plus grands efforts pour respirer, elle n’y parvenait pas et s’asphyxiait. Le soir de ce même jour, elle était morte.

OBSERVATION XXV

(Dr Boille, de Buzançais (Indre). — Ibid.).

Le 6 avril 1874, un garçon de 7 ans s’amusait à cueillir des fleurs, lorsque soudain il fut piqué sur le dos de la main droite. Une heure après, un médecin appliquait des ventouses, cautérisait avec de l’ammoniaque et liait le bras au-dessus du coude.

La tuméfaction augmente, j’arrive à mon tour et je cautérise avec une pointe de feu, les deux piqûres distantes de un centimètre l’une de l’autre. Le bras était déjà tuméfié et luisant, de la fièvre existait, mais pas de vomissements.

La nuit qui suivit ne fut qu’un délire continu. Á mon arrivée, le lendemain matin, je trouvai l’intelligence rétablie et la respiration facile ; la fièvre persistait et la tuméfaction avait gagné la région deltoïdienne. De nombreuses taches d’un rouge vineux coloraient tout le membre malade, enfin il y avait une hyperesthésie telle de la peau, que même le passage du doigt sur l’épiderme était douloureux.

Ces symptômes cependant perdirent peu à peu de leur acuité et du 8 au 12 avril, l’état de cet enfant alla s’améliorant.

Les toniques sous toutes les formes furent donnés et l’appétit était revenu. Mais la tuméfaction avait persisté, gagné même du terrain car le côté gauche de la poitrine était envahi et, 1’hyperesthésie était toujours considérable.

Toute inquiétude avait presque disparu, quand dans la soirée du 12 avril on vint me chercher. Je trouve cet enfant dans une profonde somnolence, ayant une gêne considérable pour respirer et ne sortant de sa torpeur que lorsque du doigt, on effleurait la peau de n’importe quelle région du corps.

L’auscultation permettait à peine d’entendre le murmure respiratoire, quoique les côtés se soulevassent avec une extrême énergie. Les ecchymoses étaient très nombreuses et formaient de larges plaques qui couvraient la poitrine en avant et en arrière.

Cet enfant mourut la nuit même.

J’eus la pensée de pratiquer la transfusion du sang, je me reproche de ne l’avoir pas tentée. Cet enfant quoique bien constitué était lymphatique, mais son moral n’avait été nullement ébranlé par l’accident.

OBSERVATION XXVI

Morsure de vipère, mort. — Traitement à suivre.
(Dr de Boismarmin (de Chitray). (Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 1875, XLVI, p. 350-354.)

Le 30 juin, vers huit heures du matin, le sieur Jules P…, âgé de douze ans, d’une constitution moyenne, regarde, de prés, un trou dans une pierre ; il est mordu au front par une vipère, à deux centimètres au-dessus du sourcil gauche.

Une heure après on me l’amène en voiture ; il a eu deux ou trois vomissements bilieux durant le trajet. La figure est pâle ; le père a incisé la piqûre avec un couteau ; sa plaie, de deux centimètres est au centre d’une bosse de quatre centimètres de diamètre environ, pareille à celle que produirait une forte contusion sur le front. La plaie ne saigne plus ou à peine.

Je pratique une deuxième incision, de manière à former une incision cruciale. Je mets une ventouse, et je retire à grand-peine près d’une cuillerée de sang. Je lave avec de l’ammoniaque liquide à plusieurs reprises au moyen d’une compresse largement imbibée. L’enfant, qui est déjà dans l’état de prostration le plus complet a deux selles coup sur coup. Je termine par la cautérisation au fer rouge. Application d’une compresse avec un mélange d’huile et d’ammoniaque sur le front ; potion avec 15 gouttes d’ammoniaque, à prendre alternativement avec du thé chaud et de l’eau-de-vie.

À midi, amélioration. L’enfant glacé jusqu’à ce moment, s’est réchauffé ; le pouls misérable à 9 heures, est remonté et modérément fréquent. La parole est meilleure ; la prostration est bien moindre ; le gonflement de la face gagne beaucoup. À 7 heures du soir, pouls redevenu misérable. La soif est intense, l’agitation est grande : il change de place sur son lit à chaque instant.

1er juillet. 7 heures du matin. — Nuit très agitée : a dormi à peine 1 heure en plusieurs fois, est baigné de sueur à ces moments, mais la sueur s’arrête quand il se réveille.

A uriné deux ou trois fois. Le gonflement descend encore et sur le haut de la poitrine, en avant et en arrière.

Langue humide et à peine chargée ; pouls misérable et fréquent ; bras et mains froids. Le reste du corps n’est pas chaud, malgré les couvertures et les tuiles chaudes,

Hyperesthésie remarquable de la peau du cou et de la face. A pris environ cent grammes d’eau-de-vie et très peu de la potion ammoniacale.

Prescription. Vin chaud et sucré, infusion de café, thé et eau-de-vie.

2 heures après-midi. — Agitation extrême, délire ; sentiment d’oppression au creux épigastrique ; gonflement s’étendant sur presque toute la poitrine en avant et en arrière ; l’œdème est très considérable au cou. Là et sur la poitrine la peau est violette ; les membres inférieurs sont presque froids. Avec des frictions et des sinapismes, il éprouve une amélioration variable vers 4 heures du soir ; il peut boire un verre de lait en deux fois. Je pratique quelques mouchetures sur le cou ; il sort de la sérosité rougeâtre, urines sanguinolentes.

2 juillet, 8 heures du matin. — Le délire et l’agitation ont repris hier à 9 heures et durent encore, mais moindres depuis 2 heures du matin. Le pouls est imperceptible ; on ne sent qu’une ou deux pulsations de temps en temps. Ne veut plus boire que de l’eau fraîche pure ou avec un peu de vin. Cependant il a bu deux petites cuillerées de lait ce matin. Rend quelques gaz par la bouche ; il avait déjà des éructations hier, mais moins. A eu deux selles diarrhéiques pendant la nuit. Urines rares, mais non sanguinolentes. L’œdème du cou, de la face et des paupières a un peu diminué ; il se fonce en couleur. L’hyperesthésie de la peau œdématiée est très grande.

Ne boit plus que par gorgées.

Prescription : Infusion de quinquina.

4 heures. — Pouls moins mauvais. Se trouve un peu mieux ; deux ou trois selles liquides ; à peine quelques gouttes d’urine. Il s’échappe de la sérosité rougeâtre à travers les paupières fermées. Les mouchetures suintent aussi, mais faiblement. Pas d’oppression. Se relève assez facilement dans son lit.

Prescription : Quelques gouttes de perchlorure de fer dans de l’eau par cuillerée, ou l’infusion de quinquina si on ne peut faire prendre le perchlorure.

Nuit mauvaise, agitation et délire ; doux ou trois selles. A uriné sous lui. Plusieurs vomissements bilieux.

3 juillet, 7 heures du matin. — Grande prostration. Se plaint du ventre et de l’hypocondre droit, se sont entièrement mal. Absence complète de pouls. La figure et le cou sont notablement désenflés.

Mort à 7 heures et demie du matin.

OBSERVATION XXVII

Observation d’un cas de morsure de vipère traitée par les injections d’ammoniaque et terminée par la mort.
(M. Alba, d’Attignéville. — Revue médicale de l’Est, 1876, p. 187-189, citée par Kaufmann, dans Les Vipères de France, p. 49.)

Henry Louis, d’Autigny-la-Tour, garçon de 9 ans, tempérament lymphatico-sanguin, est piqué le 8 août 1874, vers 3 heures de l’après-midi, entre l’index et le médius droits à la naissance des doigts par une vipère de la grosseur de l’index d’un adulte. Arrivé près de lui, vers 7 heures du soir, je trouve la main et le poignet bleu-noirâtre, énormément tuméfiés, tant par suite de la blessure que par l’effet d’une ligature qu’on y avait appliquée, et qui était très fortement serrée. Avant mon arrivée et environ une heure après l’accident, on avait cautérisé la place à l’ammoniaque et donné à l’intérieur quelques gouttes du même liquide. Il y a eu plusieurs vomissements ; le malade est anxieux et couvert d’une sueur froide et visqueuse, température normale, pouls 85. Débridement de la plaie, cautérisation à l’ammoniaque, suivis d’un écoulement abondant d’un liquide séro-sanguinolent. Au bout de trois quarts d’heure, les douleurs causées par l’étranglement sont si vives que je suis obligé d’enlever la ligature. Boissons chaudes et stimulantes, rhum, vin chaud à la cannelle, café.

Le 9, à 9 heures du matin, je revois le malade. La nuit a été agitée : deux vomissements ; gonflement et coloration bleuâtre de tout le membre supérieur, se prolongeant sur le thorax en avant et en arrière, occupant exactement le côté droit, limités en bas par une ligne partant du sein et aboutissant à deux travers de doigt au-dessous de l’angle du scapulum. Ce gonflement est très douloureux. Écoulement séreux, jaunâtre, très abondant par l’incision pratiquée hier. Température normale ; respiration 24 pouls 135. Soif vive. Injection hypodermique, au-dessus du soin droit, d’une seringue pleine d’une dilution ammoniacale au 1/8, ma seringue contenant 12 gouttes. Douleurs immédiates assez vives, pourtant supportables.

Mouchetures sur tout l’avant-bras. Même traitement interne que la veille.

Visite du 10, à 9 heures du matin. Journée d’hier et nuit mauvaises ; anxiété, vomissements, agitation, parfois du délire. De 8 heures du soir à 4 heures du matin, l’enfant a été comme glacé, malgré les frictions avec des linges chauds et les boissons stimulantes chaudes ; les mouchetures donnent un suintement abondant ; à l’endroit de la piqûre pratiquée pour l’injection existe une escarre de la grandeur d’une pièce de 1 franc. Le gonflement fait maintenant tout le tour du thorax. Sueurs visqueuses, pouls petit, serré, filiforme, souvent imperceptible, vers 160. Respiration à 30. Le malade, considéré comme perdu, meurt vers six heures du soir.

OBSERVATION XXVIII

Cas de morsure de vipère. — Mort.
(Dr Fredet. — Union médicale. Paris, 1878, 3 s. XXV, rapportée par Kaufmann dans son livre : Les Vipères de France, p. 41.)

Il y a deux ans, je donnai des soins à un homme de soixante ans environ qui succomba au cinquième jour, après avoir été piqué au pouce par une vipère. Cet homme travaillait dans une vigne, et en y arrivant le matin, il voulut déposer une bouteille de vin qu’il apportait pour se désaltérer dans la journée, dans une sorte de cave ou de trou que les vignerons ménagent toujours dans les vignes pour mettre leur boisson au frais. En y enfonçant son bras, il se sentit piqué au pouce, mais n’y prit point garde. Il continua son travail, et ce ne fut que vers le milieu du jour, que, voyant son bras gonfler, il rentra chez lui pour se mettre au lit.

Ses fils à qui il raconta ce qui venait de lui arriver voulurent s’assurer du fait, bouleversèrent avec la pioche la petite cave où leur père supposait que s’était caché le reptile ; ils trouvèrent en effet une vipère qu’ils tuèrent et qui vraisemblablement était celle qui avait mordu leur père.

Je vis ce malheureux le lendemain de la piqûre ; le bras était énorme, parsemé de taches noirâtres. Les forces étaient déprimées, les extrémités froides. Je fis quelques débridements sur le membre malade et employai tout ce qu’on a l’habitude de recommander en pareil cas. Rien n’y fit ; le blessé succomba au cinquième jour, dans un coma profond.

OBSERVATION XXIX

Cas de morsure de vipère. — Mort.
(Dr Fredet. — Union médicale, Paris, 1878, 3. s. XXV, rapportée par Kaufmann, in Les Vipères de France, p. 41.)

En 1873, au mois de juillet, dans la commune d’Eygurande, le jeune Désiré Poisson, âgé de 9 ans, était endormi sous un chêne, lorsque tout à coup il se met à pousser des cris de douleurs et à s’écrier ; « Je sens quelque chose de froid sur mon ventre et je souffre beaucoup On accourut, on le déshabilla et l’on trouva sous sa chemise une énorme vipère aspic par laquelle il venait d’être mordu ; trois heures après l’accident l’enfant succombait.

OBSERVATION XXX

Cas de morsure de vipère. — Mort.
(Dr Fredet. — Union méd., Paris, 1878, 3. s. XXV, rapportée par Kaufmann, in Les Vipères de France, p. 42.)

Dans la même année, dans le canton de Lezoux, Jeannette Brousse, âgée de 11 ans, glanait dans un champ de blé. Elle était pieds-nus. En marchant elle mit le pied sur une vipère étendue dons un sillon. Ce reptile se redressant, la mordit au niveau de la malléole externe de la jambe gauche, en deux points différents. L’enfant fut aussitôt transportée chez ses parents et malgré les soins éclairés d’un médecin appelé en toute hâte, succombait deux heures après avoir été mordue.

OBSERVATION XXXI

(Urueta. — Thèse de Paris, 1884, p. 40.)

M. G…, peintre de chasses, travaillait dans la forêt de Fontainebleau avec son fils, âgé de 10 ans, lorsque celui-ci se plaignit d’avoir été blessé à la cheville. Le père n’avait pas soupçonné que l’enfant eût été mordu par une vipère. Cependant au bout de dix minutes, l’enfant pâlit, se sentit mal et s’affaissa.

On enleva la chaussure et alors on put constater la marque des crochets de la vipère.

Rentré à la maison peu de temps après, il était déjà cependant trop tard pour donner des soins avec chance de succès, et, en effet, l’enfant mourut le surlendemain par asphyxie.

4o Accidents chroniques de Échidnisme

OBSERVATION XXXII

(M. Thinus, rapportée par M. Souheiran dans son livre : De la vipère, de son venin et de sa morsure, Paris, 1855, p. 88-83.)

Au mois d’avril 1849, M. de L…, homme de 35 ans, d’une taille et d’une force pou ordinaire, sortant de déjeuner au château des Pressoirs, en face Thornery, aperçut une vipère qui, a son approche, se glissa sous un grès. Il eut l’imprudence, pour déplacer ce grés, de placer sa main droite dessous, et se sentit à l’instant piqué à l’index. Il tua la vipère, et sans s’occuper autrement de sa blessure que de la frotter un peu et de l’essuyer à plusieurs reprises avec son mouchoir, il se fit transporter de l’autre côté de la Seine et prit à pied le chemin de Fontainebleau.

Mais une heure à peine s’était écoulée depuis la piqûre, qu’il éprouva des frissons, des étourdissements, des nausées qui augmentèrent à tel point qu’il fut obligé de s’asseoir et perdit connaissance.

Il fut trouvé en cet état par des gens de Thomery, qui venaient à Fontainebleau avec une charrette, sur laquelle ils le mirent et l’apportèrent jusqu’à un hôtel de la ville.

On lui donna aussitôt quelques soins qui lui firent reprendre connaissance ; mais les vomissements et les selles continuèrent toute la journée.

Le médecin qui lut appelé lui avait d’abord une saignée, puis lui fit administrer des potions éthérées et ammoniacales, puis ensuite quelques prises de thériaque. Tous les accidents cessèrent dans les 24 heures, mais il lui resta pendant plusieurs jours une fièvre assez violente et beaucoup de malaise. La main et le bras restèrent pendant plus de trois semaines enflés et douloureux, et à la dernière phalange du doigt, à l’endroit de la piqûre, il se détacha, environ un mois après, une escarre de notable dimension.

Un fait très remarquable et que j’ai vu se produire plusieurs fois dans d’autres cas, c’est que tout le côte droit (côté piqué), sur les membres comme sur le corps, était marqué de taches jaunes, noirâtres et rouges ; ces taches subsistèrent quelque temps encore après la guérison.

M. de L… nous a tout récemment affirmé (1855) que, depuis cet accident, il éprouve chaque année dans les premiers jours d’avril, époque à laquelle il a été piqué, des douleurs assez vives dans le bras droit et une lassitude générale, accompagnée de malaise : cet état dure une trentaine de jours.

OBSERVATION XXXIII

Effets incroyables d’une morsure de vipère.
(Barbier. — Gazette médicale de Lyon, 16 septembre 1867, no 92.)

Le 24 juin 1857, la femme Vivier, de Pradines, 50 ans, laveuse, se rendait à trois heures du soir à la rivière. Sur son banc à laver elle aperçoit une vipère enroulée comme une aune de boudin et faisant la sieste au soleil. Elle s’approche doucement, et d’un coup de son batillon, elle écrase le reptile qui rend son âme, se déroule et s’en va à vau l’eau ; puis, la conscience tranquille, elle se met à l’ouvrage.

Le deuxième jour rien ; le troisième jour, étant à la messe, la femme Vivier est prise d’une lipothymie suivie de frissons, nausées, etc., la main enfle. Le quatrième jour, elle fait à pied 16 kil. pour venir me consulter à mon cabinet. L’avant-bras droit est œdématié jusqu’au coude, le dos de la main l’est plus encore, en même temps qu’il est bleui et couvert de phlyctènes. Je m’assure que la main n’offre aucune écorchure. J’aperçois seulement une érosion sur la face interne et inférieure de l’avant-bras, une usure de l'épiderme par l’action de laver ; c’est par là sans doute qu’a du s’effectuer l’absorption du venin.

Je pansai et Dieu guérit la malade en un mois.

L’année suivante et les trois autres années suivantes, en tout quatre ans, à la même époque (autour delà Saint-Jean), retour dos mêmes accidents, même traitement ; même résultat au bout d’un mois.

Depuis le mois de juillet 1860, je n’ai plus revu la malade, soit qu’elle ait changé de médecin, soit qu’elle se soit soustraite à toute espèce de traitement.

Il y a quelques jours, enfin, j’ai eu l’idée de demander de ses nouvelles à une femme de Pradines, sa voisine. « Elle est morte m’a répondu celle-ci, il y a peu de temps, après avoir éprouvé les mêmes accidents toutes les années, sans exception, à la même époque », c’est-à-dire au dixième retour si singulièrement périodique de son mal.

OBSERVATION XXXIV

(M. Thomas, naturaliste à Nantes. — Rapportée par M. Viaud-Grand-Marais. (Gazette des hôpitaux, Paris, 1868, no 62, p. 245.)

Vers le milieu du mois de septembre 1836, un homme de Vertou labourait un champ près des Sorinières et suivait nu-pied sa charrue. Le soc heurta un aspic rouge de forte taille, qui se rua sur le malheureux cultivateur et lui enfonça profondément ses deux crocs au-devant du cou-de-pied gauche. Le blessé vigoureux et dans la force de l’âge ne put continuer son travail. Il plaça au-dessus de son genou une ligature qui n’empêcha pas la tuméfaction d’envahir en moins d’une demi-heure le membre entier. Transporté chez un propriétaire voisin, il fut traité intus et extra avec de l’alcali, et de là, conduit à son propre domicile. Six semaines après, il boitait encore ; les ecchymoses n’avaient point complètement disparu, et les piqûres, transformées en ulcères, laissaient suinter un liquide sanieux, les troubles digestifs et même les nausées revenaient de temps en temps. Le blessé avait considérablement vieilli, il manquait de force pour les travaux dos champs, et mourut dix-huit mois après, sans avoir pu se remettre de cet état valétudinaire.

OBSERVATION XXXV

Observation d’un cas de morsure de vipère ayant entraîné la mort 60 jours après l’accident.
(M. Perut de Chatenois. — Revue médicale de l’Est, 1876, v. p. 248.)

X., âgé d’environ 36 ans, scieur de long, accompagné de quelques camarades de chantier, allait les bras pendants, d’un point à un autre de la coupe forestière, où ils travaillaient, lorsqu’il fut mordu au médius de la main droite par une vipère. Il poussa un cri et s’affaissa instantanément sur lui-même. Ses compagnons profitèrent de son évanouissement pour le secourir à leur manière : ils commencèrent par faire une vigoureuse ligature au moyen d’une ficelle, au-dessus de la plaie digitale ; puis, non contents de cette précaution, ils enlevèrent, dans les mêmes conditions, un anneau de chair intéressant la peau et les tissus sous-jacents jusqu’à l’os, croyant ainsi avoir intercepté toute voie de communication au venin.

Malgré ces moyens plus énergiques que raisonnés, les accidents allèrent leur train ; les phénomènes habituels se produisirent, sans néanmoins présenter une grande intensité locale ; je veux parler surtout de la tuméfaction et de la douleur vers la région atteinte. Toujours est-il que 25 ou 30 jours après, le malade, indemne de tout accident local, restait avec un état de stupeur, d’anéantissement, qui le rendait impropre, non seulement à tout travail, mais même à toute relation sociale.

Il se présente alors à l’hôpital, où il fut reçu avec empressement. Hébété, hagard, sans énergie, prêt à pleurer à tout propos ou à s’effrayer de tout ou de rien, c’était un type frappant de cet état pathologique qui résulte de l’action des poisons stupéfiants. Ce malade fut l’objet de la sollicitude du chef de service, qui lutta par tous les moyens possibles contre cette situation. Mais, ni les stimulants, ni les toniques, ni les excitants spéciaux du système nerveux, ni l’hygiène morale, ne purent relever ce malheureux. Il succomba ou plutôt s’éteignit après un mois de séjour à l’hôpital, 60 jours, environ après son accident, sans avoir présenté, depuis son entrée, aucun symptôme local, mais simplement par défaut ou faiblesse d’innervation, par affaissement, par augmentation progressive de l’état d’anéantissement qui s’était manifesté dès le début, et s’est prolongé sans interruption jusqu’à la mort.

OBSERVATION XXXVI

(Docteur Urueta. — Thèse de Paris, 1884, p. 40.)

Un paysan des environs de Charny (Yonne) fut piqué à la main, entre le pouce et l’index, par une vipère. Cet homme ne succomba pas, mais conserva une paralysie du bras et du côté correspondant à la morsure.