Le venin des vipères françaises/Chapitre 9

Librarie J. B. Baillière et Fils (p. 137-143).

CHAPITRE IX

Traitement des morsures de vipères.


Le traitement qu’il convient d’appliquer à l’homme mordu par une vipère est la conclusion pratique des chapitres précédents.

Les moyens anciens tels que la ligature du membre mordu s’opposant à l’absorption du venin ou la retardant, la succion de la plaie après débridement léger avec une lame aseptique, favorisant l’issue d’une certaine quantité de venin et de sang doivent toujours être employés au début.

Les injections interstitielles profondes de substances destructrices de venin rendent également de grands services. Kaufmann a montré qu’elles exerçaient une action manifeste sur les phénomènes locaux de l’envenimation, Calmette a montré qu’elles atténuaient considérablement les phénomènes généraux. Parmi ces substances il convient de citer en première ligne le chlorure de chaux, en solution à 1 p. 100, l’hypochlorite de chaux en solution à 1 p. 60 ; à leur défaut le chlorure d’or solution à 1 p. 100), l’acide chromique (solution à 1 p. 100), le permanganate de potasse (solution à 1 p. 100) peuvent être également employés.

Les injections doivent être profondes, multiples, disséminées autour du lieu de la morsure, leur rôle consistant dans la destruction du venin au lieu même où il a été inoculé.

Les solutions doivent être fraîchement préparées.

Ces moyens doivent être complétés par l'emploi du sérum antivenimeux, injecté aseptiquement sous la peau du ventre à la dose de 10 centimètres cubes. Cette dose pourrait être doublée sans inconvénient si l’intervention est tardive, ou renouvelée si une première injection n’était pas suivie d’un amendement des phénomènes d’intoxication.

Ces divers procédés ne s’excluent pas les uns les autres. Au contraire, ils se complètent.

Grâce au sérum antivenimeux, la mortalité causée par la morsure des vipères devrait être nulle. Malheureusement le sérum antivenimeux n’agit pas s’il n’est inoculé le plus rapidement possible après la morsure. Nous avons dit que Phisalix avait constaté que l’inoculation du sérum antivenimeux est inefficace chez le cobaye si on la fait plus d’une demi-heure après l’introduction du venin. Nous devons remarquer cependant qu’il s’agit du cobaye, animal relativement plus sensible que l’homme à l’action du venin et que chez l'homme le sérum antivenimeux de Calmette a donné de brillants résultats, employé même plusieurs heures après la morsure de serpents bien plus redoutables que nos vipères françaises.

Nous rapportons cinq cas de morsures de vipère traitées par le sérum antivenimeux (obs. XVI, XVII, XVIII, XIX, XX) mais nous devons avouer que ces observations sont peu concluantes. En effet, trois de ces observations concernent des morsures de Pelias, espèce peu dangereuse (obs. XVIII, XIX, XX). Deux seulement concernent l’Aspic (obs. XVI et XVII) et sur ces deux dernières l’observation XVII seule présente quelque intérêt.

L’observation XVI, en effet, est pour nous sans valeur parce que l’injection de sérum a été beaucoup trop tardive (3e  jour) faite à ce moment où l amélioration était déjà survenue, chez un enfant de 13 ans et en outre parce que la quantité de sérum employée fut pour cette même raison très minime (1 cc.). Elle nous apprend cependant que l’injection de sérum antivenimeux, à l’instar de celle d’autres sérums antitoxiques peut donner naissance à une éruption morbilliforme.

Observation XVIII. — Adulte, 26 ans, mordu par une vipère péliade. Injection de 10 centimètres cubes moins de 30 minutes après l’accident, alors que les vomissements existaient déjà avec tendance à la défaillance. Cessation des phénomènes généraux d’intoxication. Malgré une seconde injection de 10 centimètres cubes pratiquée le lendemain, les accidents locaux ont évolué comme à l’ordinaire, l'œdème ne se résorbant que lentement les jours suivants.

Observation XIX. — Jeune fille, 19 ans, injection tardive, 28 heures après l’accident. Amélioration le lendemain.

Observation XX. — Enfant, 12 ans. Injection de 10 cc. de sérum antivenimeux 3 heures ¼ après l’accident. Le lendemain état satisfaisant mais œdème et tuméfaction du membre mordu. Nouvelle injection de sérum (20 cc.) 3e  jour, arythmie du pouls. Au 7e  jour œdème de la jambe de l’abdomen et du tronc, ecchymoses. Congestion pulmonaire.

Observation XVII. — Injection de sérum antivenimeux (10 cc.) 3 heures ¾ après la morsure, après que le malade a eu des vomissements et une selle involontaire. ].e pouls reste néanmoins petit et faible et le malade présente de l’hypothermie et des efforts de vomissements dans l’après-diner. Le pouls remonte le soir à 90. Nuit agitée.

2e  jour. — Pouls 93, plein et bien frappé. Anorexie, peu d’urines. Vers 7 heures du soir, agitation, refroidissement général, pouls assez faible. Nouvelle dose de 10 cc. de sérum antivenimeux. Anurie.

3e  jour. — Amélioration mais anorexie, 20 centigrammes pour 1,000 d’albumine dans l’urine, 450 grammes d’urine dans les 24 heures.

Les phénomènes d’œdème local et de congestion cutanée et viscérale n’ont pas été modifiés par le traitement. Les accidents toxiques généraux semblent avoir été un peu amoindris, à condition toutefois que l’on mette la dyspnée survenue dans la nuit du second jour sur le compte de l’œdème qui, à ce moment, a envahi le cou.

De tout ce qui précède il est difficile de tirer des conclusions au point de vue des résultats obtenus par l’emploi du sérum antivenimeux dans le traitement des morsures de vipère. Il faudrait pour cela posséder de nombreuses observations relatives à des cas où le sérum aurait été employé dans de bonnes conditions, c’est-à-dire peu de temps après la morsure. Les cas les plus graves seraient les meilleurs à ce point de vue, par exemple ceux qui concerneraient des enfants de moins de 12 ans mordus par des vipères aspics ; le pronostic, peu favorable de ces cas ferait ressortir d’autant mieux la valeur du traitement. Il ressort toutefois des quelques observations que nous rapportons, que le sérum antivenimeux reste sans action sur les phénomènes locaux de l'envenimation vipérique. Il n’empêche pas la production de l’œdème, il n’influence pas sa marche. L’observation XVII montre qu’il n’a pas agi sur les phénomènes congestifs et hémorragiques se passant du côté de la peau et des viscères.

Ces imperfections, signalées par Calmette, pourraient cependant être corrigées dans une certaine mesure puisqu’il écrit (1895) (ind. bibl. 1) : « Les sérums antivenimeux que l’on obtient en vaccinant des chevaux ou d’autres animaux avec le venin de cobra possèdent une action nettement antitoxique à l’égard de tous les venins neurotoxiques.

Or tous les venins des Colubridés venimeux et ceux de quelques Vipéridés (Cérastes, vipères péliade et aspics) renferment une neurotoxine plus ou moins active ; la plus toxique est celle du venin de cobra.

Mais à côté de cette neurotoxine (quelques venins de Colubridés {Hoplocephalus et Pseudechis d’Australie, Ancistrodon de l’Amérique du Nord) et tous les venins de Vipéridés renferment une substance (hémorragine de Flexner) qui produit des désordres locaux souvent très intenses caractérisés par un œdème sanguinolent et une digestion rapide des tissus. Cette substance introduite directement dans la circulation coagule le sang et le redissout ensuite. Un chauffage de quelques minutes à 75° suffit à la détruire tandis que la neurotoxine ne disparait qu’à partir de 90° souvent même seulement au-delà de 98° (Cobra).

Le sérum antineurotoxique de cobra reste sans action sur cette hémorragie. Mais on peut facilement obtenir des sérums antivenimeux polyvalents en vaccinant les animaux à la fois contre un venin fortement neurotoxique, tel que celui de Cobra, et contre un venin riche en hémorragine, comme celui de Daboïa ou de Lachesis. On peut de même préparer des sérums exclusivement antihémorragiques en utilisant seulement le venin de Daboïa dont la neurotoxicité est presque nulle. »

D’ailleurs ne dût-il agir que contre les phénomènes neurotoxiques, le sérum antivenimeux n’en resterait pas moins une arme thérapeutique précieuse contre les morsures de vipères et tout médecin exerçant dans une région où existent ces animaux, pourrait avoir l’occasion de se louer d’être en possession de quelques flacons de ce sérum.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Calmette (A). – Les sérums antivenimeux polyvalents. Mesure de leur activité. (C.R. Acad. des Sciences, Paris, 1904, 2 mai).