Le venin des vipères françaises/Chapitre 8

Librarie J. B. Baillière et Fils (p. 117-136).

CHAPITRE VIII

Mécanisme de l’Immunité.


§ 1. — Le venin de vipère et l’échidnovaccin.

Pour M. Phisalix, la vaccination antiviperique de l’animal, à l’aide du venin atténué par la chaleur, est une vaccination vraie et il distingue en ces termes l’immunité acquise par vaccination de l’immunité acquise par accoutumance. « Dans la vaccination, la séparation des substances toxiques et vaccinantes, est produite artificiellement en dehors de l’organisme ; on détruit les premières pour n’injecter que les secondes ; dans l’accoutumance, au contraire, c’est l’organisme lui-même qui produit cette séparation (ind. bibl. 16) ».

La chaleur n’est pas le seul moyen qui permette d’enlever au venin de vipère ses propriétés toxiques en lui laissant son pouvoir vaccinant. Phisalix a montré que ce même résultat pouvait être obtenu en soumettant le venin de vipère à l’action des courants à haute fréquence, cela en évitant l’échauffement du venin dû au passage du courant (solution de venin dans l'eau salée à 7,5 p. 1000 opposant moins de résistance au passage du courant que la solution glycérinée à 50 p. 100 (ind. bibl. 7). Plus récemment (1904), il a montré que le venin de vipère soumis à l'action des radiations du radium jouit de propriétés semblables et que « les rayons émis par le radium exercent sur le venin de vipère une influence atténuante dont l'intensité est fonction du temps et probablement aussi de l’activité du sel de radium (ind. bibl. 95).

Ces faits toutefois ne suffiraient pas à affirmer l'indépendance d’un principe vaccinant.

Il se peut en effet que la chaleur détruise les substances toxiques en respectant les substances vaccinantes, ou qu'elle les fasse naître aux dépens des matières toxiques ou autres contenues dans le venin. Aussi Phisalix élimine cette dernière hypothèse en faisant remarquer que s'il en était ainsi d'ordinaire, on devrait, par un chauffage convenable, transformer d’une manière constante le venin en vaccin. Or le venin des vipères de Clermont-Ferrand, chauffé à des températures variables, s'atténue et perd sa toxicité, mais ne possède aucune propriété vaccinante et cependant il contient les mêmes substances toxiques (échidnase et échidnotoxine).

De plus on peut séparer les produits vaccinants des produits toxiques par filtration du venin sur la bougie. Tandis que les produits toxiques restent dans la bougie, les pro- duits vaccinants filtrent (Phisalix, ind. bibl. 10).

Il en est de même si on soumet le venin de vipère à l'action de la dialyse.

« J'ai employé comme dialyseur des boyaux en par- chemin dont j'ai vérifié l'intégrité avec le plus grand soin.

Une solution de venin de vipère diluée à 1 p. 5000 est placé dans le dialyseur.

« La quantité de venin correspond à 3 doses mortelles. Dans le vase extérieur, on verse 20 centimètres cubes d'eau distillée. Au bout de 24 heures ce liquide est inoculé à un cobaye. Il ne détermine pas d'autre symptôme qu'une élévation de température de 1°. L'animal éprouvé, au au bout de 4 jours avec une dose de venin qui tue un témoin en 9 heures a parfaitement résisté. Si on remplace le premier liquide du vase extérieur par la même quantité d'eau distillée et qu'au bout de 24 heures on recommence avec cette même eau la même expérience sur un cobaye, on constate que la température s'abaisse sensiblement, qu'il y a un œdème local très accentué et qu'il n’y a pas le moindre indice de vaccination. En effet, ce cobaye, inoculé 3 jours après avec la même dose du même venin, est mort en 9 heures. Que conclure de ces faits sinon que l'échidnovaccin traverse le filtre et la membrane du dialyseur plus rapidement que l'échidnase et l'échidnotoxine {Phisalix, ind, bibl. 16).

Calmette, pour qui la vaccination antivenimeuse est une vaccination par accoutumance, a discuté quelques-uns des faits avancés par Phisalix.

En ce qui concerne l’action de la chaleur sur le venin, il s'exprime ainsi (ind. bibl, 15) :

« […] Je ne pense pas qu'on puisse interpréter l’action de la chaleur dans le même sens que ce savant et qu’on soit en droit de supposer dans les venins l'existence de deux sortes de substance aussi facilement dissociables, les unes toxiques, les autres vaccinantes […]

En résumé, la chaleur modifie tous les venins à des températures variables, en diminuant graduellement leur toxicité.

« Le chauffage ne transforme pas les venins en vaccins : Lorsqu’on inocule aux animaux des venins chauffés à des doses voisines de celles des venins normaux qui donnent la mort, on vaccine dans les mêmes conditions qu’en inoculant aux animaux des doses non mortelles de venin normal. »

Cette assertion de Calmette repose sur les expériences suivantes :

1o  Inoculation à 4 cobayes, a, b, c, d, du poids de 300 à 400 grammes, d’une dose de venin de cobra égale aux 2/3 de la dose minima mortelle, soit 0 milligr. 03 de la solution d’épreuve : tous les cobayes restent en bonne santé ; ils ont une légère ascension de température de 0°5 à 1°, qui dure environ 24 heures.

3 jours après, ils reçoivent la dose de 0 milligr. 05 de venin, mortelle en 12 heures pour les témoins de même poids : ils sont un peu malades, restent près de 24 heures sans manger, puis se rétablissent. La première injection les a vaccinés contre la dose minima mortelle.

2o  Inoculation à une deuxième série de cobaye, a, b, c, d, d’une dose minima mortelle de 0 milligr. 05, mais après chauffage de 30 minutes à 85°. Les cobayes restent en bonne santé. 3 jours après, deux d’entre eux résistent à la dose de 0 milligr. 05 non chauffé et les deux autres qui reçoivent 0 milligr. 2 de venin chauffé succcombent en 2 heures.

Calmette conclut que le venin chauffé est encore toxique et que sa toxicité est seulement diminuée par le chauffage (Calmette, ind. bibl. 15).

Nous devons remarquer que cette expérience faite avec le venin de cobra, n'infirme pas les faits énoncés par Phisalix en ce qui concerne le venin de vipère et plus particulièrement le venin de certaines vipères, puisque la présence de l’échidnovaccin n’est pas un fait général et que Phisalix lui-même nous apprend que l'échidnovaccin n'existe pas dans le venin des vipères de Clermont-Ferrand. D'autre part, Phisalix reconnait que le venin de vipère même chauffé, peut être encore toxique. Il écrit en effet (1897) :

« Une solution à 1 p. 5000 de venin de vipère dans l’eau glycérinée est enfermée dans des tubes étroits presque pleins et chauffée au bain-marie à des températures variables.

« L’atténuation du venin est d'autant plus accentuée que la température est plus élevée ou la durée du chauffage plus longtemps prolongée. C’est à partir de 75° que l’action de la température devient le plus manifeste. L'animal inoculé avec ce venin chauffé présente quelquefois de légers symptômes d’échidnisme, mais survit à l’inoculation. Ces symptômes sont d’autant plus faibles que la durée du chauffage est plus grande ou la température plus élevée ; le plus souvent déjà, ils sont nuls avec un venin maintenu 5 minutes à 80° ou un quart d'heure à 75°. Du venin chauffé à 100° pendant 10 ou 20 minutes ne détermine plus, à doses modérées, aucun accident local ou général. Faut-il en conclure que les substances toxiques sont entièrement détruites à cette température ? Assurément non. En augmentant les doses ou en inoculant de jeunes animaux ou des animaux plus sensibles, on peut encore tuer avec le venin chauffé à 100°. »

Marmier, opérant sur un mélange de venins de cobra, de Bothrops lanceolatus, d'Hoplocephalus d'Australie et de Pseudechis porphyriacus, n'a pas obtenu d'atténuation par les courants à haute fréquence « malgré une dépense d'énergie considérable qui aurait suffi pour faire bouillir le liquide en quelques minutes sans le refroidissement (ind. bibl. 14). Ces résultats n’infirment pas le fait énoncé par M. Phisalix concernant uniquement le venin de vipère.

M. Calmette nie aussi la séparation de l’échidnovaccin des autres substances du venin par la filtration. D'après lui, si l’on prend soin de désalbuminer le venin par la chaleur (chauffage de 20 minutes à 72°, puis filtration sur le papier), on constate que le venin passe intégralement à travers la bougie et que le liquide filtré possède à très peu de chose près la même toxicité que le liquide non filtré.

« Le fait annoncé par M. Phisalix provenait donc de ce qu'il filtrait un liquide albumineux : l'albumine obstruant en grande partie les pores de la porcelaine constituait à la surface de celle-ci une véritable membrane dialysante (Calmette, p. 233, ind. bibl. 15). »

L'expérience par laquelle M. Phisalix à opéré cette même séparation par dialyse, semble répondre à cette objection.

§ 2. — Animaux à immunité naturelle contre le venin.

Déjà Fontana avait constaté que la vipère était réfractaire à l’action de son propre venin et que la couleuvre également était réfractaire à l’action de ce même venin.

Phisalix a contrôlé cette assertion et en inoculant aux vipères et aux couleuvres des doses progressivement croissantes de venin dissous dans l'eau salée, il a constaté que « pour empoisonner un de ces reptiles il fallait inoculer la dose prodigieuse de 100 à 120 milligrammes, dose qui suffirait à tuer plus de 100 cobayes, d'où il résulte qu'à poids égal la vipère est 5 à 600 fois plus résistante que le cobaye […] »

«  […] Et cependant si au lieu d'introduire le venin dans le péritoine, on le fait pénétrer dans la cavité crânienne, le reptile est beaucoup plus sensible, il faut seule- ment 2 à 4 milligrammes pour déterminer la mort (Phisalix, ind. bibl. 23).

Le sang de la vipère lui-même renferme des produits toxiques et ceux-ci sont, pour une partie du moins, des produits de la sécrétion interne des glandes venimeuses. Si on enlève en effet à une vipère ses glandes à venin, on constate au bout d’une cinquantaine de jours un abaissement dans la toxicité du sang, ce retard dans l'effet consécutif à la cause s’expliquant en partie par la lenteur avec laquelle s'éliminent les principes toxiques du venin, en partie par l'effet d’une suppléance qui atténue peu à peu les effets de l’ablation des glandes {Phisalix et Bertrand, ind. bibl. 2).

La même explication peut être donnée pour la toxicité du sang de la couleuvre, car les produits glycérinés des glandes salivaires de ces animaux, glandes labiales supérieures, ont donné lieu à des phénomènes toxiquque alors que les macérations des autres organes sont restées inoffensives (Phisalix et Bertrand, ind. bibl. 1). À côté des substances toxiques du sang, il existe chez la vipère des substances antitoxiques capables de neutraliser le venin.

« Une forte dose de venin de vipère (15 mgr. à 20 mgr.) était dissoute dans 2 cm3 d’eau salée et inoculée dans le péritoine ou sous la peau d’une vipère ou d’une couleuvre. Au bout d’un temps variable de 1 heure à 15 heures on sacrifiait le reptile et l’on recherchait, par la méthode physiologique (inoculation au cobaye), si une partie du venin restait dans les tissus, en particulier dans le sang ou dans le foie.

« Or, dans aucune des quinze expériences ainsi faites, il n’a été constaté d'augmentation sensible de la toxicité du sang ou du foie. Et cependant il suffisait que sur les 15 mmgr. ou 20 mgr. de venin injecté, il en restât seulement 0.5 mgr. dans la circulation pour que le sang extrait d'une vipère pût donner la mort à un cobaye. D'autre part, il est facile de vérifier que cette dose de venin introduite sous la peau en a disparu au bout de 2 heures ; l'absorption dans le péritoine est encore plus rapide.

« D'après ces faits, il est naturel de penser que le venin a été détruit ou neutralisé et qu'il existe dans le sang des substances capables d'opérer cette neutralisation. » (Phisalix, ind. bibl. 26.)

Ces expériences confirment l'opinion émise antérieurement (1895) par Phisalix et Bertrand. Ils avaient constaté en effet que :

1o  L'injection de sérum de vipère chauffé à 58° pendant 15 minutes dans le péritoine de plusieurs cobayes ne produit aucun résultat, probablement parce que la chaleur à détruit les substances toxiques.

2o  Un cobaye de 375 grammes qui a reçu une injection de 3 cmc. de sérum de vipère chauffé à 58° pendant 15 minutes résiste, 24 heures après, à l’injection d’une dose de venin capable de tuer un témoin en six heures, probablement parce que la chaleur qui a détruit les substances toxiques à respecté les principes antitoxiques. (Phisalix et Bertrand, ind. bibl. 6.)

L’immunité de la vipère vis-à-vis de son propre venin, immunité qui d’ailleurs n’est pas absolue, s’explique donc par la présence dans son sang de principes antitoxiques existant à côté de principes toxiques.

Ces derniers ne seraient d’ailleurs pas constitués par du venin en nature.

Calmette écrit (ind. bibl. 4) que le pouvoir toxique du sang des ophidiens venimeux et des anguilles n’est pas dû à la présence du venin en nature dans le sang, parce que le sang chauffé à la température de 68° n’est plus toxique, tandis qu’à cette même température le venin n’est pas modifié (1895).

Phisalix (1897) (ind. bibl. 16) signale la même différence et écrit : « Le sérum de vipère détermine des accidents locaux et généraux très analogues à ceux du venin : œdème hémorragique énorme, abaissement progressif de la température, diminution de la pression sanguine, paralysie du train postérieur qui aboutit au collapsus et à la mort […]

« Cependant les caractères physiques et chimiques des principes actifs de ce sérum sont bien différents de ceux du venin, Pour m’en tenir à la vipère voici ce qui existe : le sérum de vipère chauffé pendant 15 minutes à 58° perd ses propriétés toxiques, tandis que pour le venin il faut élever la température à 80° pour obtenir des effets à peu près semblables. Si l'on additionne le sérum de 5 à G fois son volume d'alcool à 95°, il se fait un précipité complètement dépourvu de toxicité, tandis que le venin traité de la même manière donne un abondant dépôt de matière très toxique possédant toutes les propriétés du venin entier. Il est donc certain que les principes actifs du sang, quoique possédant une action physiologique très voisine de celle du venin, n’y sont pas combinés sous la même forme chimique que dans le venin. Cela n'a rien d'étonnant si l'on réfléchit que le venin est acide et le sang alcalin. »

Phisalix écrit ailleurs (1904) (ind. bibl. 26): « En ce qui concerne la nature du poison contenu dans le sang de vipère, le fait que ce poison est détruit à 58° ne suffit pas pour affirmer que ce n’est pas du venin en nature et voici pourquoi : Si à une solution de venin ou ajoute du sérum de vipère et qu'on porte le mélange à la température de 58° pendant 15 minutes, on en détruit à coup sûr les propriétés toxiques. On peut donc admettre que le poison du sang dont les propriétés sont identiques à celles du venin, est lui aussi du venin en nature. Mais alors pourquoi n'est-il pas complètement neutralisé par la substance antitoxique si celle-ci préexiste réellement dans le sang ? On peut expliquer cette contradiction apparente de deux manières ; ou bien la quantité d'antitoxine est inférieure à celle du venin, ou bien son action est entravée par celle d’une substance antagoniste.

« Cette dernière hypothèse me parait justifiée par les nouveaux faits que je vais exposer. Il y a deux moyens de rendre le sérum antitoxique : le premier, déjà connu, c’est le chauffage ; le second, c’est la filtration. En effet, du sérum filtré sur bougie Chamberland ou Berkefeld perd complètement ses propriétés toxiques. Cela s’explique aisément, si l’on admet qu’à côté de l’antitoxine libre dans le sang il existe un diastase antagoniste. Celle-ci resterait sur le filtre et serait détruite par la chaleur ; tandis que l’antitoxine traverse le filtre et résiste au chauffage. Et, de fait, on peut maintenir à 68°, pendant 15 minutes, du sérum filtré sans en diminuer les propriétés antitoxiques.

« Cette antitoxine venimeuse est, comme le venin, une substance complexe ; elle contient au moins deux principes distincts dont l’un agit sur l’échidnotoxine et l’autre sur l’échidnase. Dans ces conditions, on dissocie les effets produits par chacun d’eux. C’est ainsi que du sérum filtré sur une bougie peu poreuse n’a qu’une faible action sur l’échidnotoxine et, si la dose est insuffisante, il n’empêche pas la mort, mais à l’autopsie on ne constate, au point d’inoculation, aucun des effets caractéristiques de l’échidnase. »

D’autre part, Phisalix à montré qu’il existait entre les glandes labiales supérieures et les glandes venimeuses de la vipère un antagonisme et que la sécrétion des premières vaccine contre le venin des secondes. (Phisalix, ind. bibl. 11.)

En ce qui concerne l’immunité du hérisson, Phisalix et Bertrand nous apprennent ce qui suit : La résistance du hérisson pour le venin de vipère est, à poids égal, 35 à 40 fois plus grande que celle du cobaye (pour tuer un hérisson de 645 grammes en douze heures, il faut lui inoculer sous la peau 20 milligrammes de venin sec). Le sang du hérisson contient, comme le sang de la vipère, une substance capable de neutraliser le venin, mais ce fait ne peut ètre démontré par l’injection au cobaye d’un mélange de venin de vipère et de sang de hérisson, parce que ce dernier est à lui seul toxique pour le cobaye à la dose de 2 à 3 cent. cubes injecté dans l’abdomen, déterminant la mort en 15 à 20 heures.

Phisalix tourne la difficulté en chauffant le sang défibriné ou le sérum à 58° pendant un quart d’heure, ce qui enlève à ces liquides la substance toxique sans leur enlever leurs propriétés immunisantes.

« Un cobaye qui a reçu dans l’abdomen 8 centimètres cubes de sérum ainsi préparé, supporte immédiatement l’inoculation dans la cuisse d’une dose deux fois mortelle de venin de vipère : il conserve toute sa vivacité et c’est à peine si, dans quelques cas, sa température s’abaisse passagèrement d’un degré environ. Ajoutons que cette immunisation est de courte durée et disparaît après quelques jours. » (Phisalix et Bertrand, ind. bibl, 5.)

§ 3. — Substances antitoxiques dans le sang de mammifères sensibles au venin de vipère.

Phisalix et Bertrand ont montré expérimentalement l’existence de substances antivenimeuses dans le sang de quelques mammifères sensibles au venin de la vipère (cheval et cobaye). Ils tirent de ces faits des conclusions très intéressantes au point de vue de l’immunité. « Peut-être, écrivent-ils, en est-il de mème dans tout le groupe des mammifères. Chez les oiseaux le sang ne renferme que des quantités inappréciables de substances antivenimeuses. C’est, du moins, ce qui résulte d’une expérience que nous avons faite sur la poule. On comprend que ces substances dont la quantité varie d’une espèce à l’autre, soient susceptibles d'augmenter chez un animal, sous l'influence de certaines excitations, en particulier celle qui résulte des injections vaccinantes. Dans ce cas l'immunité artificielle consisterait dans l'exagération d’un moyen de défense naturelle de l'organisme. Cette manière interpréter les faits est d'autant plus vraisemblable qu'elle ramène aux mêmes lois les phénomènes de l’immunité naturelle et de l'immunité artificielle. »

§ 4. — Substances capables d’engendrer une réaction vaccinale.

S'il en est ainsi, il se peut que quelques autres substances soient capables de produire cette stimulation, et ainsi peuvent s'expliquer les faits que Phisalix et Bertrand ont observés tels que la vaccination contre le venin de vipère par le sérum d'anguille, par le venin des guêpes, par la cholestérine fusible à 148° et les sels biliaires, par la cholestérine végétale extraite de la carotte et fusible à 136°, par la tyrosine extraite du dahlia et de la Russule noircissante et par les sucs de certains champignons. (Phi salix, ind. bibl. 12, 17, 18, 19, 20, 21.)

Dans tous ces cas, il S’agit, pour Phisalix, de réactions vaccinales et non pas simplement de propriétés antitoxiques.

Toutefois Calmette conteste ces faits (ind. bibl. 22).

« Il importe de remarquer, écrit-il, que, pour vérifier ces expériences, on doit éprouver les animaux avec des doses de venin sûrement mortelles en 2-3 heures, car si on n'injecte que des doses mortelles en 5-6 heures, comme le fait Phisalix, on trouve environ quatre cobayes sur dix de même poids qui survivent après avoir été plus ou moins malades et sans injection préventive de bile....

En expérimentant avec de la cholestérine pure de Merck, fusible à 146°, et dissoute dans l'éther ou dans l'huile de pieds de bœuf, nous avons constaté que cette substance, même à doses élevées (1 cc. de solution éthérée saturée), ne possède pas de pouvoir préventif réel. Elle retarde la mort de 1 à 5 jours lorsqu'on l'injecte 2 à 4 heures avant une dose de venin mortelle en 3 à 4 heures. Mais si on l'injecte 48 heures avant, elle ne produit aucun effet préventif. »

Beaucoup d’autres substances, d'après Calmette, jouiraient des mêmes propriétés, parmi lesquelles le bouillon normal frais à dose de 5 ou 10 cc. injecté 2 heures avant le venin, de même certains sérums normaux ou antitétaniques. Calmette conclut en ces termes : « Il n'est pas possible d'envisager ces faits comme démontrant une spécificité réelle de la bile, de la cholestérine, de certains sérums où du bouillon normal de bœuf à l'égard du venin. Nous pensons qu'il faut les interpréter tout simplement dans le sens d'une stimulation passagère des leucocytes qui ont pour mission de fixer le venin et de le véhiculer vers les éléments nerveux qu'il doit frapper de mort. »

§ 5. — Rôle des leucocytes et du système nerveux dans le mécanisme de l’immunité.

Pour Calmette, « le rôle des leucocytes dans la fixation du venin parait très important, car l'introduction de ce poison dans l'organisme, localement ou par voie intraveineuse, s'accompagne toujours d'une hyperleucocytose manifeste et, d'autre part, si on injecte à un animal neuf une dose de venin diluée dans une petite quantité d'exsudat leucocytaire frais, on observe toujours un retard considérable dans l'envenimation et très souvent la survie, » (Calmette, p.346, ind. bibl. 22.)

En ce qui concerne le rôle du système nerveux, Calmette a constaté que les émulsions de cerveau de lapin et de serpent (Bothrops lanceolatus) sont sans action antitoxique in vitro contre le venin. Elles n’ont aucun pouvoir préventif.

D'autre part, Calmette, en collaboration avec Guérin, à injecté des lapins avec du sérum antivenimeux (2 cc.) puis des substances à action élective sur le système nerveux (curare, 3 milligrammes), alcool éthylique (20 cc. dilution à 50 %), chloral (0 gr. 45 dans les veines), bromure de potassium (0 gr. 3 dans les veines), sulfate de strychnine (0 gr. 0003 dans les veines, puis enfin du venin à une dose mortelle en 15 minutes. Aucun des animaux n’est mort. Les résultats sont identiques si on injecte les substances toxiques d’abord, puis le sérum antivenimeux, puis enfin le venin. Donc « après l'injection de sérum antivenimeux, ce sérum manifeste son action préventive, malgré que l’on se soit efforcé de diminuer la résistance des éléments nerveux par l'injection de divers poisons qui agissent sur ces derniers. » (Calmette, p. 347, ind. bibl. 22.)

§ 6. — Relations entre le sérum antivenimeux et certaines toxines et entre certains sérums antitoxiques et le venin.

Ces relations ont été étudiées par Calmette. Il a vu que tous les sérums antivenimeux, même les plus actifs, se sont montrés inactifs sur la toxine diphtéritique par mélange in vitro de 2, 3 et 5 cc. de sérum avec 0 cc. 25 de toxine, et sur la ricine aux mêmes doses, avec 1 milligramme de poison, inactifs sur la toxine tétanique.

D'autre part, le sérum antidiphtérique de cheval, contenant 160 unités curatives par centimètre cube est inactif par mélange in vitro à l'égard du venin.

Le sérum antitétanique, au contraire, très nettement actif sur le venin, est inactif sur l'abrine et la ricine. Mélangé aux doses de 8 cc. de sérum avec un milligramme de venin de cobra ou de 3 cc. avec 0 mgr 5 de venin, il en empêche les effets toxiques on les retarde notablement.

Le sérum anti-abrique est égaiement antitoxique in vitro à l'égard du venin. Les lapins qui reçoivent un mélange de venin et de sérum antiabrique résistent ou succombent avec un long retard sur les témoins. Ceux qui reçoivent le sérum préventivement et le venin quelques heures après succombent toujours.

Le sérum des animaux vaccinés contre la rage, n'a aucun pouvoir préventif contre la rage elle-même, mais il détruit très bien in vitro le virus rabique après un contact plus ou moins prolongé. Ce sérum a une action des plus remarquables sur le venin des serpents et cette action s'exerce non seulement in vitro mais quelquefois préventi- vement. (Calmette, ind. bibl. 4.)

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Phisalix et Bertrand. – Sur la présence de glandes venimeuses chez les couleuvres, et la toxicité du sang chez ces animaux. (C.R. Académie des sciences, 8 janvier 1894. – C.R. Société biologie. Paris, 1894.)

2. Phisalix et Bertrand. – Sur les effets de l’ablation des glandes à venin chez la vipère (vipera aspis Linn.). (C.R. Académie des sciences. Paris, 26 novembre 1894. – C.R. Société biologie. Paris, 1894.)

3. Chatenay (G.). – Les réactions leucocytaires vis-à-vis de certaines toxines végétales et animales. (Thèse, Paris, 1894, no 238.)

4. Calmette (A.). – Contribution à l’étude des venins, des toxines et des sérums antitoxiques.(Annales Institut Pasteur. Paris, avril 1895.)

5. Phisalix et Bertrand. – Recherches sur l’immunité du hérisson contre le venin de vipère. (C.R. Société biologie. Paris, 27 juillet 1895.)

6. Phisalix et Bertrand. – Sur l’emploi du sang de vipère et de couleuvre comme substance antivenimeuse.(C.R. Société biologie. Paris, 23 nov. 1895 ; p. 751-753. – C.R. Académie des sciences. Paris, 1895 ; t. 136, p. 745-747.) 7. Phisalix (G.). – Atténuation du venin de vipère par les courants à haute fréquence ; nouvelle méthode de vaccination contre ce venin. (C.R. Société biologie. Paris, 29 février 1896.)

8. Phisalix (G.). – État de nos connaissances sur les venins ; production de l’immunité contre les venins inoculés par morsure. (Revue générale des sciences pures et appliquées. Paris, 1896, p. 185-191.)

9. Phisalix et Bertrand. – Sur l’existence à l’état normal de substances antivenimeuses dans le sang de quelques mammifères sensibles au venin de vipère. (C.R. Société de biologie. Paris, 18 avril 1896.)

10. Phisalix. – Action du filtre de porcelaine sur le venin de vipère. Séparation des substances toxiques et des substances vaccinantes. (C.R. Académie des sciences. Paris, 15 juin 1898. – C.R. Société de biologie. Paris, 20 juin 1896.)

11. Phisalix. – Antagonisme physiologique des glandes labiales supérieures et des glandes venimeuses chez la vipère et la couleuvre ; la sécrétion des premières vaccine contre le venin des secondes. Corollaires relatifs à la classification des ophidiens. (C.R. Société de biologie. Paris, 28 nov. 1896 ; p. 963-966.)

12. Phisalix. – Propriétés immunisantes du sérum d’anguille contre le venin de vipère. (C.R. Acad. des sciences. Paris, 28 déc. 1896.)

13. Calmette (A.) et Delearde. – Sur les toxines non microbiennes et le mécanisme de l’immunité par les sérums antitoxiques. (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, décembre 1896.)

14. Marmier (L.-A). – Les toxines et l’électricité. (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, 1896)

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16. Phisalix. – Venins et animaux venimeux dans la série animale. (Revue scientifique. Paris, 14 août 1897.)

17. Phisalix. – Antagonisme entre le venin des Vespidae et celui de la vipère ; le premier vaccine contre le second. (C.R. Académie des sciences. Paris, 6 décembre 1897. – C.R. Société biologie. Paris, 1897.)

18. Phisalix. — La cholestérine et les sels biliaires vaccins chimiques du venin de vipère.(C.R. Académie des sciences. Paris, 13 décembre 1897. – C.R. Société de biologie. Paris, 1897.)

19. Phisalix. — La tyrosine, vaccin chimique du venin de vipère. (C.R. Académie des sciences. Paris, 31 janvier 1898.)

20. Phisalix. – Les sucs de champignons vaccinent contre le venin de vipère. (C.R. Académie des sciences. Paris, 12 déc. 1898. – C.R. Société biologie. Paris, 1898.)

21. Phisalix. – Sur quelques espèces de champignons étudiés au point de vue de leurs propriétés vaccinantes contre le venin de vipère. (C.R. Société de biologie. Paris, 1898.)

22. Calmette (A.). – Sur le mécanisme de l’immunisation contre le venin. (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, mai 1898.)

23. Phisalix. – Recherches sur l’immunité naturelle des vipères et des couleuvres. (C. R. Académie dos sciences. Paris, 27 juillet 1903.)

24. Phisalix. – Les venins considérés dans leurs rapports avec la biologie générale et la pathologie comparée. (Revue générale des sciences pures et appliquées. Paris, 30 décembre 1903.) 25. Phisalix. – Influence des radiations du radium sur la toxicité du venin de vipère. (C.R. Académie des sciences. Paris, 22 février 1904.)

26. Phisalix. – Recherches sur les causes de l’immunité naturelle des vipères et des couleuvres. (C.R. Académie des sciences. Paris, 6 juin 1904.)