Le venin des vipères françaises/Chapitre 6

Librarie J. B. Baillière et Fils (p. 93-100).

CHAPITRE VII

Action de quelques substances chimiques et diastases sur le venin.


La recliercbe de substances capables de neutraliser ou d’atténuer les elTets du venin de vij)ère a de tout temps préoccupé les médecins. L’ammoniaque d’abord conseillée à l’intérieur par Mead en 1702 (ind. bibl. 1) sous forme de confection de Ralcg^ de sel de ^ ipère^ par lîernard de Jussieu en 1747 sous forme d’eau de Luce a fourni l’occasion d’un grand nombre de travaux. Nous n’en i)arlons ici (pie iiarce qu’elle est restée un remède po])ulaire. Mais déjà Fontana après de très nombreuses expériences (1781) démontre que son action sur le venin de vipère est complètement nulle (ind. bibl. 3). Leroy de Méricourt et Delpccb condamnent son emploi en injection intraveineuse (ind. bibl. 3 et G) qu’avait préconisé Oré (ind. bibl. 4).

Kaufmann (ind. bibl. 10) a étudié l’action de divers réactifs chimiques sur le venin de vipère, Calmette sur le venin du naja (ind. bibl. 1892). Nous n’étudions ici que quelques uns de ces agents chimiques qui exercent une action réelle sur le venin.

Le permanganate de potasse préconisé par de Lacerda au 1/100e et en injection sous-cutanée autour du lieu de la morsure, fait le sujet d’une communication à l’Académie des sciences (1882) présentée par de Quatrefages (ind. bibl. 7). Vulpian, contrôlant les résultats obtenus, conclut que les injections ne seront efficaces que si elles sont faites immédiatement après la morsure (ind. bibl. 8). Urueta, dans sa thèse, rapporte une ou deux expériences faites avec cette substance employée contre l'envenimation et dont les résultats lui sont peu favorables (ind. bibl. 9).

Kaufmann (1889) (ind. bibl. 10), expérimentant avec le venin de vipère, voit qu’en présence du venin le permanganate perd sa coloration violette et prend une coloration brune et que le permanganate en solution à 1/100e exerce une action sur le venin, mais il accorde la préférence à l'acide chromique en solution à 1/100e. Il écrit ailleurs (ind. bibl. 11) :

« 4o Le permanganate, comme l’acide chromique en solution à 1/100e, empêche complètement l'apparition des accidents locaux ou les enraye quand ils ont déjà commencé à se produire au moment du traitement.

« 2o Ni le permanganate de potasse, ni l'acide chromique ne détruisent complètement la substance du venin qui produit les accidents généraux, mais ils atténuent l'un et l’autre son action. Ainsi une dose de venin simplement mortelle ne produit presque aucun accident, ni local ni général si le venin est traité préalablement par le permanganate de potasse ou l'acide chromique ; mais une dose de venin doublement ou triplement mortelle manifestera encore ses effets généraux, quoiqu'il n'y ait dans ce cas aucun accident local. Des doses très fortes tuent les animaux malgré le traitement par le permanganate ou l'acide chromique, mais la mort est toujours très lente à se pro duire. »

Calmette obtient des résultats analogues en expérimentant avec le venin du naja (ind. bibl. 12). Néanmoins, il préfère au permanganate le chlorure d’or en solution au 1/100 (1892).

En 1894, il écrit (ind. bibl. 13) :

« Les hypochlorites alcalins donnent des résultats bien supérieurs à ceux de toutes les substances signalées jusqu'ici comme antidotes du venin ; il suffit de trois gouttes d’une solution à 1/12{{e|e} de chlorure de chaux solide ou d’hypochlorite de soude pour détruire immédiatement in vitro l'activité de 1 milligramme de venin de cobra ou de 10 milligrammes de venin de vipère dissous dans 1 c.c. d’eau.

« On peut injecter de grandes quantités de ces hypochlorites dilués dans les tissus, dans les séreuses et même dans les veines sans provoquer aucun accident. Ils sont encore très efficaces lorsqu'on les injecte au bout d’un temps relativement très long après l'inoculation venimeuse, et à une grande distance du point inoculé.

« Les hypochlorites de soude, de potasse, toujours fortement alcalins, ont l'inconvénient d’occasionner d'assez vives douleurs, surtout si on emploie des solutions ordinaires du commerce dont la teneur en chlore varie de 11 à 15 litres par 1000 c.c.

Le chlorure de chaux solide, purifié, est d’un emploi plus commode ; grâce à sa faible alcalinité, il n'irrite pas les tissus et ne provoque aucune souffrance chez les animaux.

« Je me suis servi dans la plupart de mes expériences de solution de chlorure de chaux au 1/12e, titrant 4 litres 232 de chlore par 1000 c.c., et que je diluais, au moment de l'usage, dans 3 ou 5 parties d’eau ; je ramenais ainsi la dilution à injecter au titre de 1 litre 410 ou 0 litre 846 de chlore par 1000 c.c. On peut, dans ces conditions, en injecter de 10 à 30 c.c. aux lapins sous la peau ou dans le péritoine sans avoir à redouter aucun accident […] Chez les animaux inoculés avec une dose de venin mortelle en moins de 2 heures, on peut sûrement empêcher la mort en injectant la solution d'hypochlorite de chaux dans les 20 premières minutes après l’inoculation venimeuse. L'injection doit être faite, bien entendu en piqûres disséminées autour du lieu d’inoculation, et en divers points du corps de l'animal.

« Au-delà de 20 minutes et jusqu'à une demi-heure, l'intervention est encore très souvent suivie de guérison. Passé ce délai, si on prend soin de soutenir l'énergie cardiaque avec une dose faible de morphine injectée sous la peau (1 centigramme par exemple pour le lapin) les phénomènes asphyxiques peuvent être retardés et permettre à l'hypochlorite d'exercer son action

€ J'ai traité ainsi des animaux avec succès 50 minutes après l'injection d’une dose de venin capable de les tuer en 1 heure et demie environ. »

Ces substances ne sont pas seules à exercer une action destructive sur le venin.

Depuis longtemps on sait que le venin absorbé par les voies digestives n’exerce sur l’organisme aucune action toxique.

Les recherches de Fraser (ind. bibl. 14), de Phisalix (ind. bibl. 15) ont montré que la bile détruisait le pouvoir toxique du venin. Calmette (ind bibl. 16) a vu que tous les venins, mis en contact pendant 24 heures avec une certaine quantité de bile fraîche, perdent leur toxicité et ne produisent aucun effet nuisible lorsqu'on injecte le mélange à des animaux. Mais si l'on injecte du venin dans la vésicule biliaire de lapins, ceux-ci meurent dans le même temps que les animaux qui reçoivent la même dose en injections sous-cutanée parce que, dit Calmette, « le venin est probablement absorbé avant d’avoir pu être modifié ou détruit par la bile, cette destruction ne pouvant s’opérer qu'après un assez long contact ».

Les recherches de Wehrmann (ind. bibl. 17) et Carrière (ind. bibl. 18) ont montré que la bile, le suc gastrique et la pancréatine diminuaient ou atténuaient considérablement le pouvoir toxique des venins. Il en est de même des oxydases leucocytaires (Carrières). D'autres diastases telles que la papaïne, la présure, et l’amylase jouent à des degrés divers un rôle semblable (Wehrmann). Rappelons que Phisalix a montré que l’échidnase qu'il considère comme un ferment, détruit l'échidnotoxine. (Noir chapitre Il.)

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Mead (R.). – A mechanical account of poisons. (Lond., 1702.)

2. Jussieu (B. de). – Sur les effets de l’eau de Luce contre la morsure des vipères. (Mém. de l’Acad. roy. des sciences, p. 54. – Mercure de France, 3 sept. 1749.)

3. Fontana. – Traité sur le venin de la vipère, sur les poisons américains, sur le laurier cerise et sur quelques autres poisons végétaux. Florence, 1781. (Seconde partie, chap. II. Si l’alkali volatil est un remède assuré contre la morsure de la vipère.)

4. Oré. – Injection d’ammoniaque dans les veines pour combattre les accidents produits par la morsure de la vipère. (C.R. Acad. des sciences, 14 avril 1874.)

5. Méricourt (Leroy de). – Discussion sur la morsure des serpents venimeux. (Séances de l’Académie de médecine, 23 juin 1874 ; p. 559-572.)

6. Delpech. – Communication d’une lettre de M. Goupil des Pallières, correspondant à Nemours. (Académie de médecine, 23 juin 1874 ; p. 608-610.)

7. Quatrefages (de). – Note sur le permanganate de potasse considéré comme antidote du venin des serpents à propos d’une publication de M. J. R. de Lacerda. (C.R. Acad. des sciences. Paris, 1882, 20 février.)

8. Vulpian. – Etudes expérimentales relatives à l’action que peut exercer le permanganate de potasse sur les venins, les virus, et les maladies zymotiques. (C.R. Académie des sciences. Paris, 1882, 27 février. — J. de pharmacie et de chimie. Paris, 1882 ; p. 100-104. — Franco médicale. Paris, 1882 ; P 385 388.

9. Urueta. (R.). – Recherches anatomo pathologiques sur l’action du venin des serpents. Action physiologique, toxicologique et thérapeutique. (Thèse de Paris, 1884.)

10. Kaufmann. – Du venin de la vipère. (Mém. Académie de médecine, 1889.)

11. Kaufmann (Moufflet et). – Le traitement des morsures de serpent. (Revue scientifique. Paris, 1890 ; t. 45, p. 181.)

12. Calmette. (A.). – Etude expérimentale du venin de naja tri-pudians ou cobra capel, et exposé d’une méthode de neutralisation de ce venin dans l’organisme. (Annales de l’Institut Pasteur, février 1892.)

13. Calmette (A.). – Contribution à l’étude du venin des serpents. Immunisation des animaux et traitement de l’envenimation. (Annales de l’Institut Pasteur, mai 1894.)

14. Fraser (T.-R.). – Remarks on the antivenomous properties of the bile of serpents and other animals, and an explanation of the insusceptibility of animals to the poisonous action of venom introduced into the stomach. (Brit. M. Journal. Lond., 1897 ; p. 125-127. – Indian medical Rec. Calcutta, 1897.)

– Remerkungen über die antitoxischen Eigenschaflen der Galle der Schlangon und anderer Thiere. (Wien. med. RL, 1897 ; p. 481 498.)

15. Phisalix (G.). – La cholestérine et les sels biliaires vaccins chimiques du venin de vipère.(C.R. Acad, des sciences. Paris, 13 déc. 1897.)

16. Calmette (A.). – Sur le mécanisme de l’immunisation contre les venins. (Annales de l’Institut Pasteur, mai 1898.)

17. Wehrmann (C.). – Contribution à l’étude du venin des serpents. (Travail du laboratoire du docteur Calmette.) (Annales de l’Institut Pasteur, août 1898.)

18. Carrière (G.). – Étude expérimentale sur le sort des toxines et des antitoxines introduites dans le tube digestif des animaux. (Trav. du laboratoire de M. le docteur Calmette.) (Annales de l’Institut Pasteur, mai 1899.)