Le tour du Saguenay, historique, légendaire et descriptif/16
XIII
CHICOUTIMI
La « Rivière du Nord » — Histoire en raccourci — Les Rois du Saguenay — L’exploitation de la forêt — La colonisation.
E croirait-on ? Chicoutimi est aux portes de Québec ; n’en déplaise à ceux qui continuent de confondre Chicoutimi avec Rimouski. En effet, étant
donné que Chicoutimi est situé sous le 48° 25′ 5″ de latitude nord et Québec à peu près sur le 47° et sur la même ligne longitudinale, il se trouve que Chicoutimi
est, en droite ligne, à 110 milles au nord de Québec. Cent dix milles, qu’est-ce dans notre immense pays ? Chicoutimi est le chef-lieu du comté de ce nom. La fondation de cette intéressante petite ville date de
1840. Autrefois, à partir de Tadoussac jusqu’à Chicoutimi, inclusivement, tout appartenait à M. Price, comme on disait simplement. Les moulins Price donnaient
le pain quotidien à presque toutes les familles de la région. À Tadoussac, quai, villas, bateaux, goélettes, hôtels, tout appartenait à M. Price ; à Grande-Baie,
à Bagotville, quais et moulins à M. Price ; à l’Anse Saint-Étienne, à Saint-Étienne, à Sainte-Catherine, à M. Price. C’était le roi.
Aujourd’hui, l’ancien Royaume de Saguenay a changé de roi, et, cette fois, c’est un roi de notre race. En effet, à Chicoutimi, à Bagotville, à Grande-Baie et partout, dans la région, moulins, bateaux, maisons, ponts, chemins de fer, quais, tout appartient à M. J.-E.-A. Dubuc.
Aux tout premiers jours de sa découverte, Chicoutimi semble avoir eu une importance bien modeste. La mission de Chicoutimi se confondait alors avec celle de Tadoussac : elle n’était qu’un pied de portage et, à l’instar de la plupart de nos villes, Chicoutimi n’a pas même eu l’honneur d’avoir été une bourgade sauvage. Les premiers registres de Chicoutimi semblent avoir été tenus par le Père Louis-André, de 1703 à 1709 et, après un intervalle d’une douzaine d’années, par le Père Laure qui, d’après Buies, semble y avoir résidé et y avoir construit une chapelle sur les hauteurs du Portage. Donc, avant 1810, il n’y avait à Chicoutimi qu’une mission où se rassemblaient les sauvages de retour de leurs chasses et un poste à l’usage de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Mais la situation avantageuse de ce poste frappa les explorateurs, les marchands de bois et les sociétés de colonisation.
Les uns et les autres firent des tentatives pour faire de Chicoutimi autre chose qu’un pied de portage. La transformation s’est faite, mais à peu près seule, par l’initiative privée, à travers les obstacles de toutes sortes qui, lit-on quelque part, « auraient pu rebuter n’importe qui, excepté au Canadien français. »
Mais il faut avouer que le commerçant de bois eut une grande influence dans la fondation et les développements de Chicoutimi. En 1812. arrivait à
Collection Marius Barbeau, Ottawa.
permission d’y fonder un établissement pour l’exploitation du bois très riche qui couvrait toute la région. McLeod reconnut la supériorité des forces hydrauliques de la Rivière Chicoutimi et il y construisit, en 1847, des moulins qui, agrandis d’années en années, devinrent les grandes scieries que nous y voyions encore il y a une quinzaine d’années, qui furent le germe du village de Chicoutimi, les causes de la ville d’aujourd’hui, et qui sont remplacés, à présent, par les usines à pulpe contrôlées par M. Dubuc.
Aujourd’hui, la Compagnie Price songe à établir, de nouveau, de grands moulins à l’endroit à peu près où s’élevaient les anciens : ce serait un retour du passé ou plutôt une répétition dans l’histoire du Saguenay.
Autour des premiers moulins construits par McLeod, un village d’ouvriers s’organisa et s’agrandit d’année en année. Il devint le village de Chicoutimi.
Après McLeod, un autre personnage important entra en scène qui, ainsi que ses fils qui lui succédèrent, jouèrent un rôle prépondérant dans l’histoire de Chicoutimi : ce fut M. William Price, fondateur de la maison Price. La Société des 21 s’entendit avec lui pour l’exploitation des forêts du haut et du bas Saguenay. Plus tard, à la suite de malheurs répétés, la plupart des membres de la Société des 21 vendirent leurs parts à M. Price qui était le créancier de la société. Celui-ci, jusqu’alors, n’avait pas encore pénétré à Chicoutimi ; ses moulins avaient été établis à Petit-Saguenay, à l’Anse Saint-Étienne et à Tadoussac. Mais après la mort de Peter McLeod, M. William Price fut nommé curateur des biens de McLeod à Chicoutimi ; il les administra jusqu’à ce qu’ils fussent vendus en 1861. En 1868 fut fondée la Société Price Brothers and Co.
Jusqu’en 1896, les moulins Price furent les industries maîtresses de Chicoutimi. Ils furent remplacés par les usines de pulpe actuelles ; grâce à ces industries qui présidèrent au développement de Chicoutimi depuis sa fondation, on peut donc considérer Chicoutimi comme une ville industrielle. Les diverses péripéties de la formation et des développements de Chicoutimi évoluèrent autour de ces industries.
Au point de vue canonique, Chicoutimi fut fondé en 1842. Après l’apostolat des Pères Jésuites, Chicoutimi ne fut plus visité qu’une fois par année par les prêtres séculiers vu qu’il n’y avait, à Chicoutimi, qu’une mission pour les sauvages. La colonie qui s’était établie à Grande-Baie avec les Vingt-et-un et dont les membres venaient de Charlevoix souffrirent beaucoup de l’absence des secours religieux. En 1839, M. Decoigne, curé de la Baie-Saint-Paul, et M. Lévesque, curé de la Malbaie, vinrent donner une mission à leurs anciens paroissiens. La mission se renouvela en 1840, 1841 et 1842. À la suite de la mission de 1842, par M. Bourret, nouveau curé de la Malbaie, ce dernier représenta à l’évêque les besoins pressants d’un curé dans cette région. Le 2 novembre de la même année, M. l’abbé Charles Pouliot arriva à la Baie des Ha ! Ha ! avec des lettres de mission. Il fut le premier curé résident de la mission. Il resta à la Grande-Baie jusqu’en 1841 alors qu’il fut remplacé par les RR. PP. Oblats : Honorat Durocher, qui fut le premier curé de Saint-Sauveur, Québec, Bourassa et Fisette, qui étaient autorisés à fonder, au Saguenay, une mission de leur ordre. Ils firent construire une chapelle à Saint-Alphonse et une autre à Chicoutimi. Cette dernière fut bénite le 17 janvier 1845. Ce fut la première chapelle construite à Chicoutimi. Alors, la population du Saguenay était de 3,000 âmes dont 600 à Chicoutimi. Les développements furent ensuite très rapides. De 1842 à 1912, 41 paroisses ont été érigées canoniquement avec registres. En 1878, l’organisation de la hiérarchie dans l’Église de Chicoutimi atteignit son plein épanouissement et M. Dominique Racine, troisième curé de Chicoutimi, était sacré premier évêque du nouveau diocèse. Lui seul fonda dix paroisses, le Séminaire, l’Hôtel-Dieu, le Couvent du Bon-Pasteur, le Couvent des Ursulines de Roberval, etc. Le deuxième évêque fut Mgr L.-N. Bégin, aujourd’hui le vénérable cardinal de l’Église métropolitaine de Québec, et le troisième est S. G. Mgr Labrecque (1920).
De 1847 jusqu’à présent, il y eut neuf curés à Chicoutimi.
L’histoire politique de Chicoutimi a varié suivant les remaniements successifs de la carte électorale. Nommons seulement les premiers représentants de Chicoutimi aux diverses Chambres : à la Chambre Haute : Pascal de S. La Terrière, en 1856 ; à la Chambre des Communes : P.-A. Tremblay, en 1879 ; à l’Assemblée Législative : P.-A. Tremblay.
C’est à Chicoutimi qu’en 1845 fut érigée la première municipalité qui se soit vue au Saguenay. Cette municipalité comprit d’abord les townships Chicoutimi, Laterrière, Simard et Tremblay, c’est-à-dire Le Grand-Brûlé et Sainte-Anne. En 1855, le comté de Chicoutimi est érigé en municipalité comme chef-lieu. En 1863 est organisée la première corporation du village de Chicoutimi et M. Jean Guay est le premier maire. En 1879, Chicoutimi entrait dans la liste des villes canadiennes.
En 1911, d’après le dernier recensement, la population de Chicoutimi était de 5,880, l’augmentation à partir du recensement précédent ayant été de 2,054.
Voilà l’histoire de Chicoutimi en raccourci ; quelques notes seulement, pourrions-nous dire plus précisément. Ces notes imparfaites sont cependant suffisantes pour nous faire voir l’énorme travail de développement qui s’est accompli, dans cette région lointaine, depuis 1842, époque de la Réserve, jusqu’à 1919, un peu plus que cinquante ans, alors que l’on voit Chicoutimi tel qu’il est aujourd’hui — en 1920.