Le tour du Saguenay, historique, légendaire et descriptif/01

PRÉFACE




Faire aimer le pays est l’œuvre d’un patriote et savoir s’y prendre pour y parvenir rend la tâche facile. M. Potvin a le sentiment voulu pour comprendre les choses de cette manière et l’habileté nécessaire à une exposition attrayante, fidèle, qui laisse, après lecture, une meilleure connaissance de ce que l’on nous avait dit, comme de ce que nous avions vu en passant. Le voyage du Saguenay, pour tout le monde, c’est voir passer devant soi les tableaux d’un vaste et long panorama muet, superbe, varié, frappant, que l’on se promet de retrouver un jour ; néanmoins il lui a manqué jusqu’à présent la parole, ainsi qu’à tous les tableaux. La parole, seconde vie, la voilà dans l’écriture. Notre touriste ne passe devant rien sans nous en indiquer le pourquoi, sans réveiller, ou plutôt, ressusciter des souvenirs perdus, tant et si bien que nous vivons trois siècles en parcourant son itinéraire.

Aller de la sorte, de place en place, regarder, puis apprendre une foule d’événements qui ont eu lieu sur chaque point du parcours, quel charme, quel roman, quelle surprise pour un intellectuel, quoi ! pour le plus borné des promoteurs tout aussi bien. Le récit double et triple le plaisir.

Vous avez fait ce voyage, attendez : si vous voulez voir ces régions pour la « première fois », prenez ce livre — l’autre trajet ne compte pas : c’était un rêve. Ici, vous avez la réalité, intense, à longue vision, se déroulant d’époque en époque à travers trois cents ans et toujours remplie de souvenirs historiques. Vous allongez votre existence en arrière, ce que vous ne ferez jamais en avant. On se procure de la sorte une jouissance inattendue qui n’est pas dans le programme de la vie ordinaire. C’est, pour ainsi dire, un nouveau don du ciel, et, en effet la génération qui nous précédait n’a pas eu cet avantage : elle n’a vu que de ses yeux. Nous allons porter nos regards, ou si vous voulez, nos esprits, autrement loin.

Et, de plus, l’auteur nous conseille de ne plus faire une simple contre-marche. Il ouvre une voie de retour d’un pittoresque comme seul le Canada peut nous en offrir — c’est de rentrer à Québec par les forêts, les lacs, les rivières et les montagnes qui sont de l’autre côté du rideau. Tant que vous descendez le fleuve et remontez le Saguenay, il y a bordure à gauche ; allez toujours, virez quelque peu, revenez par le pays sauvage, l’inconnu, et vous aurez fait le tour des merveilles, ce qui n’est plus du tout revenir sur vos pas et revoir des perspectives déjà fixées dans votre mémoire. M. Potvin nous indique deux promenades en une seule course.

On disait d’un homme observateur qu’il avait découvert des environs autour de son village. Ce livre fait précisément la même chose à l’égard de trente ou quarante localités qui manquaient d’étude. Aux formes physiques des sites, il ajoute le souvenir des temps disparus. C’est complet et, après, avoir tout vu, tout compris, tout admiré, on rentre chez soi par la porte de derrière alors qu’on s’imaginait avoir atteint le bout du monde et avoir à revenir. Nous restons avec le présent qui est la beauté même et des aperçus dans le passé pour nourrir cent conversations. Vous pouvez, sous ce dernier rapport, lire l’ouvrage à la maison, sans aller jusqu’à Chicoutimi, et gagner encore pas mal de contentement — mais le mieux est de faire le tour puisque maintenant tour il y a. C’est un voyage dans un fauteuil.

Benjamin SULTE