Un Toast à la prochaine Révolution
Un Toast à la prochaine Révolution.
Un banquet, en commémoration du 24 Février, a réuni à Londres, sous la dénomination de Banquet des Égaux, la plupart des réfugiés politiques. Les journaux anglais n’ont pas fait connaître les discours qui ont été prononcés à cette occasion, par MM. Louis Blanc et consorts. Mais il paraît que le toast suivant leur avait été envoyé de Belle-Isle par M. Blanqui, au nom de la société dite des Amis de l’Égalité. C’est un acte qui doit être lu et médité. Par les menaces dont les ultra-révolutionnaires poursuivent leurs anciens amis, on peut juger du sort que leur triomphe ménagerait à leurs anciens adversaires et à toute la société.
Voici ce toast :
« Quel écueil menace la révolution de demain ? L’écueil où s’est brisée celle d’hier, la déplorable popularité de bourgeois déguisés en tribuns.
« Ledru-Rollin, Louis Blanc, Crémieux, Lamartine, Garnier-Pagès, Dupont (de l’Eure), Flocon, Albert, Arago, Marrast !
« Liste funèbre ! Noms sinistres, écrits en caractères sanglants sur tous les pavés de l’Europe démocratique.
« C’est le gouvernement provisoire qui a tué la révolution ! c’est sur sa tête que doit retomber la responsabilité de tous les désastres, le sang de tant de milliers de victimes.
« La réaction n’a fait que son métier en égorgeant la démocratie. Le crime est aux traîtres que le peuple confiant avait acceptés pour guides et qui ont livré le peuple à la réaction.
« Misérable gouvernement ! Malgré les cris et les prières, il lance l’impôt des 45 centimes qui soulève les campagnes désespérées.
« il maintient les états-majors royalistes, la magistrature royaliste, les lois royalistes. Trahison !
« Il court sus aux ouvriers de Paris ; le 15 avril, il emprisonne ceux de Limoges, il mitraille ceux de Rouen le 27 ; il déchaîne tous leurs bourreaux, il berne et traque tous les sincères républicains. Trahison ! Trahison !
« À lui seul, le fardeau terrible de toutes les calamités qui ont presque anéanti la Révolution !
« Oh ! Ce sont là de grands coupables et entre tous les plus coupables, ceux en qui le peuple trompé par des phrases de tribun voyait son épée et son bouclier ; ceux qu’il proclamait avec enthousiasme, arbitres de son avenir.
« Malheur à nous, si, au jour du prochain triomphe populaire, l’indulgence oublieuse des masses laissait monter au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat ! Une seconde fois, c’en serait fait de la Révolution !
« Que les travailleurs aient sans cesse devant les yeux cette liste de noms maudits ! Et si un seul apparaissait jamais dans un gouvernement sorti de l’insurrection, qu’ils crient tous, d’une voix : Trahison !
« Discours, sermons, programmes ne seraient encore que piperies et mensonges ; les mêmes jongleurs ne reviendraient que pour exécuter le même tour, avec la même gibecière ; ils formeraient le premier anneau d’une chaîne nouvelle de réaction plus furieuse ! Sur eux, anathème et vengeance, s’ils osaient jamais reparaître ! Honte et pitié sur la foule imbécile qui retomberait encore dans leurs filets !
« Ce n’est pas assez que les escamoteurs de février soient à jamais repoussés de l’Hôtel de Ville, il faut se prémunir contre de nouveaux traîtres.
« Traîtres seraient les gouvernements qui, élevés sur les pavois prolétaires, ne feraient pas opérer à l’instant même : 1o Le désarmement général des gardes bourgeoises. 2o L’armement et l’organisation en milice nationale de tous les ouvriers.
« Sans doute, il est bien d’autres mesures indispensables, mais elles sortiront naturellement de ce premier acte qui est la garantie préalable, l’unique gage de sécurité pour le peuple.
« Il ne doit pas rester un fusil aux mains de la bourgeoisie. Hors de là, point de salut !
« Les doctrines diverses qui se disputent aujourd’hui les sympathies des masses, pourront un jour réaliser leurs promesses d’amélioration et de bien-être, mais à la condition de ne pas abandonner la proie pour l’ombre.
« Elles n’aboutiraient qu’à un lamentable avortement si le peuple, dans un engouement exclusif pour les théorie, négligeait le seul élément pratique assuré, la force !
« Les armes et l’organisation, voilà l’élément décisif de progrès, le moyen sérieux d’en finir avec la misère ! Qui a du fer, a du pain. On se prosterne devant les baïonnettes, on balaye les cohues désarmées. La France hérissée de travailleurs en armes, c’est l’avènement du socialisme.
« En présence des prolétaires armés, obstacles, résistances, impossibilités, tout disparaîtra.
« Mais, pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de la liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’au bénite d’abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours !
« Que le peuple choisisse !’’
« Prison de Belle-Isle-en-Mer, le 10 février 1851.