Éditions Édouard Garand (p. 77-78).

CHAPITRE XIX

LES PÉRILS D’UN SOUTERRAIN


— Il y a un précipice ici ! Prenez garde ! cria Maurice.

Le sol du souterrain tombait soudainement, en effet, et Jean dut procéder au sondage, encore cette fois.

— Une vingtaine de pieds, annonça-t-il.

Mais, comme le rocher descendait en pente assez douce, on se laissa glisser jusqu’au bas comme on l’avait fait en quittant le « Manoir-Roux » et, cette fois aussi, on se trouva dans un long passage, qu’on se disposait à suivre, quand Maurice dit, tout à coup :

— Quelle heure peut-il bien être ?… Voilà longtemps que nous marchons ; il ne doit pas être loin de midi.

— Si j’en juge par la faim dont je suis tiraillé depuis près d’une heure, répondit Jean, en riant, s’est, dans tous les cas, le temps de dîner !

— Midi moins le quart, annonça Maurice. Mangeons !

On mangea de bon appétit, puis Maurice offrit un cigare à Jean.

— Avez-vous remarqué comme l’air est tout à fait respirable dans ce souterrain, Bahr ? demanda Maurice, pendant que lui et Jean fumaient.

— Oui, je l’ai remarqué. On ne ressent pas cette oppression qui existe toujours, dit-on, sous le sol. Probablement que ce souterrain est le lit d’une ancienne rivière et…

— Et il ne serait pas du tout surprenant qu’on arrivât bientôt à l’air libre, selon moi. Je ne crains qu’une chose, Jean ; c’est que nous n’approchions pas du but de notre excursion. Je me demande si nous ne faisons pas le tour du Rocher aux Oiseaux, dans ce souterrain, et si nous n’arriverons pas ainsi… sous le salon du « Manoir-Roux », notre lieu de départ.

— J’espère que non ! s’écrit Jean. Léo ! Léo ! Viens ici, Léo ! s’interrompit-il, car Léo s’était avancé jusqu’à l’endroit où s’arrêtaient les rayons de la lumière projetée par les fanaux, puis, à un moment donné, on ne l’aperçut plus.

— Léo ! Léo ! appela, de nouveau Jean.

Le chien accourut alors, tenant dans sa gueule ce qui paraissait être un chiffon de papier. Jean s’empara du chiffon en s’écriant :

— Voyez donc, Leroy ! Un chiffon de papier !…

— Un chiffon de papier… dans ce souterrain !

— Mais… non… c’est un carreau de toile !… C’est un mouchoir ! s’exclama Jean.

— Hein ! Un mouchoir ! Impossible ! dit Maurice.

— Je vous dis que c’est un mouchoir ! cria Jean. De plus — ciel ! — c’est un mouchoir appartenant à Marielle !

— Vous vous trompez, mon pauvre Jean ! dit tristement Maurice. Le désir de retrouver votre chère fiancée…

— Voyez, Maurice ! Voyez : son nom à Marielle est brodé dans un coin de la toile !… Marielle ! Marielle ! disait Jean, la voix couverte de sanglots.

— Alors… balbutia Maurice, Mlle Marielle… Elle est donc véritablement passée par ici !

— Oui, mon ami… et nous la retrouverons !

— Nous sommes donc à le recherche de Mlle Marielle ? demanda Max.

— Oui, mon petit, répondit Jean. Nous sommes à la recherche de Marielle. Et puisse Dieu nous conduire vers elle !

— Moi, mon oncle Jean, je vais promettre un chapelet en entier, sans en passer un seul « Ave », si nous retrouvons Mlle Marielle, dit Max.

— Bien, mon garçon ! dit Jean. Maintenant, continuons notre chemin !

Le passage semblait se dérouler à l’infini, et c’est d’un pas alerte qu’on le suivait. Certes, on ne marchait pas, dans ce souterrain, comme sur les planchers de nos maisons ; ce n’étaient que des montées et descentes. On ne suivait pas, non plus, un chemin droit ; au contraire, on ne faisait que tourner, soit à droite, soit à gauche.

— Voici que la voûte s’abaisse considérablement, fit, tout à coup remarquer Maurice.

— C’est vrai ! répondit Jean. Je l’ai remarqué, moi aussi.

Bientôt, la voûte fut si basse qu’on ne put la parcourir qu’à genoux.

Soudain, tous s’arrêtèrent d’un commun accord, car ils se trouvaient dans une grande perplexité : deux chemins les confrontaient, dont l’un allait à droite et l’autre à gauche… Lequel prendre ?… Jean et Maurice se regardaient sans parler… Que faire ? Que faire ?…

— Est-ce le chemin de droite que nous prenons, mon oncle Jean ? demanda Max.

Cela régla la question ; autant le chemin de droite que celui de gauche !

À peine furent-ils lancés dans le chemin de droite, que les explorateurs s’aperçurent qu’ils pénétraient dans un étroit boyau, boyau qui, en certains endroits, aurait pu être désigné du nom de tuyau. Ils durent ramper sur les genoux et sur les coudes, ou bien s’y faufiler, en s’éraillant les côtés. Ce boyau semblait interminable, et les trois excursionnistes eurent beaucoup à souffrir.

— Si nous sortons vivants de ce souterrain, se disait Maurice, personne n’ajoutera foi à nos paroles quand nous raconterons ce que nous avons vu… ce que nous avons enduré surtout… Ce boyau est interminable, de plus, il va en serpentant, ce qui rend notre rampage plus difficile encore… Je me demande si nous en avons pour longtemps…

On allait si lentement, qu’on dut mettre trois bons quarts d’heure à franchir le boyau qui, Jean calculait ainsi, du moins, devait avoir près d’un demi mille de long.

Enfin, la voûte commençait à s’élever un peu, et bientôt nos explorateurs se trouvèrent dans une grande chambre contenant, elle aussi, des colonnes. Heureux de pouvoir « marcher debout » comme disait Maurice, ils allaient d’un bon pas, quand la voix de Jean se fit entendre soudain :

— Écoutez !

Un bruit singulier parvenait à leurs oreilles, comme celui que ferait une chute d’eau.

— Marchons avec grande précaution, recommanda Jean. Halte ! cria-t-il aussitôt. Voici un précipice, un vrai, celui-là !

Un précipice en effet, un affreux précipice, au fond duquel grondait un torrent. Jean essaya d’en sonder la profondeur, mais il ne le put. Il prit alors un grand morceau de papier, qui avait servi à envelopper les provisions de leur panier ; dans ce papier il mit une pierre, puis ayant tourné le papier plusieurs fois autour de la pierre, il l’alluma et le jeta dans le précipice… Oui, c’était un gouffre, un gouffre qui paraissait sans fond, au bord duquel ils étaient arrivés ; un gouffre qui semblait devoir les arrêter…

Jean, ayant roulé un bout de papier en forme de torche, se mit à examiner les alentours, puis il dit :

— Ce n’est qu’une crevasse ; il faut la franchir… Cette crevasse n’a que huit pieds de largeur ; nous la franchirons avec des câbles.

À une des colonnes, Jean attacha solidement l’une des extrémités du câble qu’il avait porté autour de sa ceinture, ensuite, il fit un nœud coulant qu’il lança de l’autre côté de la crevasse, ayant soin, cependant, de garder l’autre extrémité du câble dans sa main gauche. Le câble, ainsi qu’un cerceau, enfila un tronçon de pierre, de l’autre côté de la crevasse ; le pont était fait.

— Leroy, passez le premier, dit Jean. Max passera ensuite, puis ce sera à mon tour. Allons !

— Et Léo, mon oncle Jean ?… Comment va-t-il pouvoir traverser ? demanda Max. Est-ce qu’il pourra marcher sur le câble ?

— Tiens, c’est vrai ! s’écria Jean. Il va falloir attacher Léo par la taille avec le câble, puis tirer dessus. Heureusement, je passerai le dernier ; sans cela, Léo se jetterait dans le gouffre pour me suivre.

Maurice se suspendit au câble et arriva de l’autre côté de la crevasse en sûreté. Puis ce fut le tour de Max. Mais l’enfant se cramponna à Jean et se mit à pleurer.

— J’ai peur, mon oncle Jean ! J’ai bien peur ! disait-il.

C’était effrayant aussi de traverser ce terrible gouffre qui ne devait pas avoir moins de cinquante pieds de profondeur, sur un simple câble !

— Sois un homme, Max ! implora Jean. Vois, M. Leroy t’attend de l’autre côté ; il te saisira par les bras, avant que tu aies le temps d’y penser. Va, mon petit !

— Viens, Max ! dit Maurice. Ne crains rien !

L’enfant tremblait de peur et, pour la première fois depuis qu’ils avaient entrepris cette exploration, Jean se dit qu’il avait eu tort d’emmener cet enfant de onze ans, presque un bébé.

Rassemblant tout son courage, Max se suspendit au câble, à son tour et il arriva, sans accident, de l’autre côté.

Jean s’empara ensuite de Léo, afin de lui faire passer le précipice. Le chien se débattait furieusement, croyant probablement, la pauvre bête, qu’on allait le jeter dans ce trou noir et profond, au fond duquel le torrent faisait un bruit d’enfer. Mais jean jeta à Maurice l’extrémité du câble qu’il avait attaché autour de Léo, puis il laissa doucement tomber le chien. Maurice tirant de toutes ses forces, parvint à ramener sur le rocher le pauvre animal, qui se mit à lui lécher les mains, en signe de reconnaissance.