Éditions Édouard Garand (p. 70-71).

CHAPITRE XIII

LE BAISER DU PARDON


— Misérables ! Misérables que vous êtes tous deux ! s’écria Jean. Vile empoisonneuse ! Vile complice ! Ah ! vous allez, Mlle Vallier, payer de votre vie le terrible crime que vous avez commis !

— Grâce ! Grâce ! C’est tout ce que pouvait articuler Louise Vallier. Ayez pitié, M. Bahr !

— Pitié ! tonna Jean. Avez-vous eu pitié, vous ?… Avez-vous eu pitié de votre pauvre petit frère Bébé Guy ?… Avez-vous eu pitié de cette douce victime, mon innocente et pure Marielle ? … De la pitié ? Jamais !

— Nous avons tout entendu ! dit, en ce moment, la voix de Mlle Solange. J’étais là, avec Nounou. Oh ! misérable folle ! s’écria-t-elle, en s’approchant de Louise Vallier. Mais, vous allez être arrêtée, sur l’heure !… Nounou, acheva Mlle Solange en se tournant du côté de la servante, courez chercher M. Rust ; dites-lui que nous avons trouvé l’empoisonneuse de Bébé Guy. Qu’il vienne immédiatement !

Mlle  Solange, intervint Jean, j’aurais autre chose à proposer… Je vais écrire une confession détaillée du crime, et Mlle Vallier signera cette confession. De cette manière, nous éviterons un procès, dans lequel le nom des Dupas serait par trop souvent mentionné… Si Marielle n’avait pas disparu, nous n’aurions pas eu même cette pitié pour l’empoisonneuse de Bébé Guy ; mais cette confession suffira, pour le moment, ne le pensez-vous pas ?

— Peut-être avez-vous raison, Jean, répondit Mlle Solange. Jamais une tache n’a terni notre nom jusqu’ici et…

— Je vais rédiger le document tout de suite, dit Jean, qui se mit à écrire rapidement.

Quand la confession fut prête, Jean s’approcha de Louise Vallier et dit :

— Signez ce document, Mlle Vallier, Mlle Solange, M. Leroy, Nounou et moi nous signerons ensuite, comme témoins.

— Et si je refuse de signer ? demanda Louise, avec un de ses sourires sots que tous détestaient tant.

— Refusez, une fois seulement, de signer cette confession, Mlle Vallier et Nounou ira immédiatement chercher M. Rust, puis, bientôt vous coucherez dans une cellule de prison de Québec… À vous de choisir !

Louise Vallier, comprenant que ce n’était plus le temps de rire, prit la plume de la main de Jean, puis, fermement, elle signa. Mlle Solange. Jean, Maurice et Nounou ayant signé le document à leur tour, comme témoins, tous s’approchèrent alors de Charles Paris.

— Vous, Monsieur, dit Jean, vous signerez aussi un papier que je vais préparer, disant que vous avez vu Mlle Louise Vallier dans l’accomplissement de la première partie de son crime. Ensuite, M. Leroy et moi irons chez-vous, et vous nous remettrez les deux verres et le petit entonnoir… Vous comprenez, n’est-ce pas ?… Considérez-vous chanceux de ne pas être arrêté, comme complice, puisque vous avez vu préparer le crime et n’avez rien dit.

— M. Bahr, répondit Charles Paris, j’ai agi comme vous l’eussiez fait vous-même, à ma place… Auriez-vous trahi Mlle Dupas, vous, si…

— Taisez-vous ! Taisez-vous ! cria Jean, en colère. Mlle Dupas était un ange d’innocence et de pureté, incapable, conséquemment, d’imaginer un si terrible crime… N’avez-vous pas compris que Mlle Vallier est une détraquée ?… Je le sais depuis longtemps qu’elle est folle ; mais j’étais loin de me douter qu’elle fut une folle dangereuse… Vous allez donc. M. Paris, signer le document que je vais rédiger, puis…

Jean s’arrêta court : M. et Mme Dupas venaient d’entrer, et ils s’arrêtaient, stupéfaits, sur le seuil de la porte. Alors, Mlle Solange s’approcha d’eux et dit, en désignant Louise Vallier :

— Mon neveu Pierre, et vous aussi, Madame, je vous présente l’empoisonneuse de Bébé Guy !

— Je le savais !… murmurèrent, en même temps, M. et Mme Dupas.

— Vous le saviez ! s’écrièrent-ils tous.

— Tu le savais, neveu Pierre ! reprit Mlle Solange. Vous le saviez, Madame !… Pourtant, Mme Dupas, vous avez hautement accusé Marielle du plus abominable des crimes… Tu le savais, Pierre !… Pourtant, tu as laissé arrêter ta fille : plus que cela, tu l’as maudite, en la présence de tous !

— Mon Dieu ! s’exclama Pierre Dupas, je le sais maintenant, je le sais depuis le matin de la disparition de Marielle… et j’en meurs !

— Laissez-moi parler ! dit Mme Dupas. Quand j’ai accusé Marielle, Dieu sait que je la croyais coupable… Marielle était entrée dans ma chambre à pas de loup, elle s’était penchée sur moi et, me croyant endormie, elle avait dit, entre haut et bas : « Comme elle dort ! C’est le temps ! » C’était le temps de… quoi ? Tout à coup, je pensai à mon enfant et j’accourus auprès de mon bébé. J’aperçus ma belle-fille penchée sur le berceau de mon petit, lui faisait prendre un remède qu’il refusait d’avaler… Mon Dieu ! mon Dieu !… Marielle, surprise de me voir arriver dans la chambre, alors qu’elle me croyait profondément endormie, laissa tomber par terre le verre et la cuillère qu’elle tenait dans la main… J’étais sûre qu’elle avait l’air coupable, et je la soupçonnais déjà, quand mon bébé chéri fut pris d’horribles convulsions… Mme Dupas pleurait, elle sanglotait même : il était évident qu’elle déplorait sincèrement son erreur.

— Madame, dit Jean, tout l’hiver dernier vous avez été malade… Qui vous a soignée, alors que vous étiez languissante et souffrante ?… Votre enfant est né… Qui lui prodiguait des soins et de l’affection ?… N’est-ce pas Marielle, cet ange, Marielle toujours ?.

— Je sais ! Je sais !… Oh ! M. Bahr, je l’aimais Marielle, surtout depuis le renoncement qu’elle avait fait de la moitié de l’héritage de sa tante Solange en faveur de mon fils… Mais… Louise vint me souffler le soupçon contre la fille de mon mari et…

Personne ne répondit ; mais le regard méprisant que tous jetèrent sur Louise Vallier en disait assez long.

— Et comment avez-vous découvert (quoique trop tard) qui avait empoisonné votre fils, Mme Dupas ? demanda Mlle Solange.

— Mon Dieu ! pleura Mme Dupas. Mon Dieu, ayez pitié de moi et de ma malheureuse fille !… Je vais tout vous raconter, reprit-elle. Vous le savez peut-être, après le trépas de mon bébé et l’arrestation de Marielle, je n’eus pas tout à fait conscience de ce qui se passait autour de moi… Le Docteur Jasmin me fit prendre une prise pour calmer mes nerfs, et je finis par m’endormir… Vers les six heures du matin, (lundi matin) je m’éveillai, et soudain, un souvenir me revint à la mémoire : la veille, le jour de la mort de mon enfant, il pouvait être onze heures du matin, quand, entrant dans ma chambre, je cherchai, en vain, sur la table, la fiole contenant les remèdes de Guy. Pendant que je cherchais ainsi, Louise entra, portant la fiole dans sa main. Elle eut l’air très-étonnée (et très confuse, je m’en suis rappelée ensuite) en m’apercevant, et même, je crus la voir frissonner quand je lui demandai : « D’où viens-tu, Louise, et que fais-tu avec cette fiole de remèdes ? Cependant, elle eut vite trouvé une réponse : — J’étais à mettre un peu d’ordre sur cette table, me répondit-elle, quand j’ai cru entendre frapper à la porte et je suis descendue ouvrir, sans m’apercevoir que je tenais cette fiole à la main. » La réponse sembla assez naturelle… et ce n’est que plus tard, (trop tard hélas !) que je me remémorai cet instant.

« J’éveillai mon mari, continua Mme Dupas, et je lui dis tout. Hâtivement, il se leva, nous nous habillâmes tous deux, puis nous descendîmes dans la salle, décidés à disculper Marielle, sans perdre un instant… Marielle avait disparu !… »

— Peut-être aurais-je dû parler alors, dit Pierre Dupas ; mais, à cause de ma femme, si éprouvée déjà, je me suis tu… et je défie qui que ce soit de n’avoir pas fait comme moi… Nous avons gardé ce terrible secret ma femme et moi, et…

M. Bahr, interrompit ici Louise Vallier, suis-je libre ?

— Libre comme l’air, Mlle Vallier, répondit Jean. J’ai ici votre confession signée de votre main ; vous êtes libre, je le répète.

— Alors, au revoir, tous ! dit Louise ! Mère, ajouta-t-elle, en s’approchant de Mme Dupas qui pleurait, sans pouvoir se consoler, je sais que vous ne me pardonnerez jamais… Au revoir, mère !

— Pauvre malheureuse Louise ! s’écria Mme Dupas. Je sais que tu n’es pas tout à fait responsable de tes actes ; je pleure sur ton terrible crime, mais je te pardonne et je t’aime… quand même !

Mme Dupas déposa un baiser de pardon sur le front de sa fille… Ce baiser du pardon, comme elle fut consolée ensuite de l’avoir donné !