Le sorcier de l’île d’Anticosti/À la recherche de l’or/Chapitre III

III

VOYAGE PÉRILLEUX

Le voyage est tellement périlleux, que ce serait folie de tenter seul l’aventure, et de vouloir traverser sans compagnons les passes ou défilés des Montagnes Rocheuses.

Les chercheurs d’or se réunissent donc un certain nombre, dix au moins.

Chacun a ses approvisionnements : farine, lard, légumes secs, aliments de toutes sortes ; vêtements, tente, outils, traîneau, armes, enfin, ce qui est nécessaire à la vie, car, une fois dans l’Alaska, on ne peut rien acheter qu’en payant un prix fabuleux les moindres objets.

Les bagages d’un mineur s’élèvent généralement au poids respectable de 2,000 livres.

La caravane part de Montréal pour se rendre à Vancouver, au bord de l’Océan.

Cette première partie du voyage, la plus facile, s’effectue en chemin de fer. Des steamers attendent les arrivants dans la rade ; l’embarquement se fait au milieu d’un désordre qu’il est plus aisé d’imaginer que de décrire ; puis, l’ancre est levée, et l’on s’avance vers l’inconnu.

Un grand nombre, avec de cruelles déceptions, reviendront plus pauvres qu’en partant. Combien d’autres, plus nombreux encore, ne reviendront jamais !

Il va sans dire que ces steamers, organisés pour transporter beaucoup de passagers, ne présentent aucun confort. L’endroit où les mineurs sont entassés pendant une traversée qui dure de cinq à six jours, est quelque chose d’horrible.

Et ils paient 35 piastres pour être enfouis dans une espèce de cage, où l’on ne mettrait pas des animaux ! On se demande comment une épidémie de choléra ou de typhus n’éclate pas sur le bateau.

Selon que la troupe des chercheurs d’or traverse la passe du Chilkoot ou celle de la White, le bateau s’arrête à Dyea ou à Skaguay.

Ces deux villes, appelées dans un avenir prochain à prendre une certaine extension, ne sont pour le moment[1] qu’une agglomération de tentes et de baraques. C’est ici que commencent réellement les dangers et les fatigues de ce rude chemin.

Le mineur s’y trouve avec un bagage relativement considérable, qu’il doit transporter ; soit en traîneau, avec le concours des chiens ; soit en recourant aux Indiens, qui font chèrement payer leurs services ; ou bien, ce qui est fréquent, il divise ses paquets, et, les chargeant sur ses propres épaules, opère l’ascension de la montagne, en se cramponnant au câble de secours.

Parvenu au sommet, après de nombreuses allées et venues, il remet ses colis dans le traîneau, et en avant.

Le pays qu’il traverse est remarquable par sa sauvage beauté, mais les admirateurs de cette nature primitive sont rares.

Ceux que la fièvre de l’or étreint, passent indifférents devant un spectacle qui ravirait les yeux d’un artiste ; les scintillements des glaciers les laissent froids. Ils ne pensent qu’aux richesses fabuleuses qui les attendent aux termes de cette longue route parsemée de cadavres humains.

Les ouragans de neige, particulièrement redoutables, ont déjà fait de nombreuses victimes.

Le thermomètre baisse et remonte alternativement ; après avoir suivi des sentiers de glace, un dégel survient et l’on marche dans la neige à moitié fondue. Les chiens et les chevaux ont les pieds en sang, les conducteurs jurent et les frappent, à demi aveuglés par l’ophthalmie, causée par la réverbération de la neige ; puis, enfin, harassés de fatigue, perclus de froid, on débarque sur le soir au refuge où l’on passera la nuit.

Les tentes sont dressées, et les poêles chauffés à blanc corrigent un peu la rigueur d’une température hyperboréenne ; après un repas sommaire, chacun s’enfonce avec délices dans son sac-lit, et oublie, dans un sommeil réparateur, les peines de cette dure journée, qui aura trop de lendemains semblables.

Et quand on atteint le lac Laberge, après avoir essuyé des fatigues inouïes et couru bien des périls dans le passage des rapides, souvent la débâcle se produit. Les glaçons séparés les uns des autres, se culbutent et rendent momentanément impraticables une route que la baisse de la température aurait rendu si facile.

On campe alors sur les bords du lac, et dès que la glace est solidifiée, les chiens sont attelés aux traîneaux et semblent voler sur cette surface unie. Le but se rapproche ; toutefois, combien de malheureux ne l’atteindront pas !

La maladie en a décimé beaucoup et leurs corps, sans sépulture, restent sur le chemin. Cette vue ne décourage pas les survivants ; ils continuent ce pénible voyage, et deux mois au moins après avoir quitté Skaguay, ils arrivent enfin à Dawson-City.

Mais ce n’est pas encore le terme définitif ; il faut passer plus loin et gagner les plaines du Klondyke. Le chercheur d’or touche enfin à la terre promise, il espère saisir le brillant mirage poursuivi depuis si longtemps. Il espère, il croit recevoir la récompense de ses durs labeurs et de son intrépidité ; le sol glacé qu’il va fouiller avec un nouveau courage renferme l’or convoité.

  1. Ce récit fut écrit avant 1902.