Le siège de Québec/Le trésor du père Raymond

Éditions Édouard Garand (p. 77-80).

XIX

LE TRÉSOR DU PÈRE RAYMOND


Avant de suivre l’historique de notre récit, il est deux personnages qui, le lendemain de ce jour, allaient jouer sur les Plaines d’Abraham un rôle presque héroïque et qu’il importe de retracer : nous voulons parler de Pertuluis et Regaudin.

Notre lecteur n’a pas oublié la bonne raclée que leur avait fait administrer Flambard en la taverne de la mère Rodioux, au commencement de cette même nuit. Les deux pourfendeurs avaient réussi à échapper à la mort, en se ruant au travers de l’unique croisée du cabaret. Ils s’étaient jetés dehors, éperdus, fous, éclopés, presque agonisants, mais surtout honteux et enragés de haine et de vengeance.

Au moment où ils allaient aborder la rue Sault-au-Matelot, ils se heurtèrent tous deux à la garde de ronde que commandait le vicomte de Loys. Mais ils exécutèrent un presque volte-face et décampèrent dans la direction opposée, au travers d’amoncellements de ruines et de décombres et se perdirent dans les ténèbres. Après un quart d’heure d’une course échevelée, ils s’arrêtèrent hors d’haleine devant une baraque à demi démolie au pied de la falaise et sous le Fort Saint-Louis. Et, par crainte d’être découverts par le guet, ils se réfugièrent dans les décombres de la hutte, s’assirent au hasard sur des débris et se mirent à éponger leurs fronts en sueur.

— Ventre-de-Cochon ! gronda Pertuluis, quel savon !

— Biche-de-Bois ! hoqueta Regaudin, j’en ai le gosier tout déchiré et tout meurtri par son âcreté !

— Si nous avions seulement un carafon ou deux ?

— Plutôt deux qu’un… jamais en ma vie je n’ai eu tant soif !

— Et moi, donc, reprit Pertuluis, il me semble que j’ai mangé tout le sel de la mer !

— Comme moi… J’ai du feu dans l’estomac, biche-de-biche !

— Sais-tu, Regaudin, que je boirais les sueurs d’un ivrogne ?

— Sais-tu, Pertuluis, que pour étancher ma soif je boirais le verre d’un carafon sec ?

— C’est vraiment affreux une telle soif ! murmura naïvement Pertuluis. Mais un carafon sec.

— C’est que, sourit tristement Regaudin, je m’imaginerais que le dit carafon est encore tout plein d’une suave et exquise eau-de-vie.

— Ah ! ah !

Les deux compères demeurèrent silencieux et songeurs.

Ce silence fut rompu peu après par Regaudin.

— Pertuluis, dit-il, oublies-tu que nous venons de contracter une dette envers ce galeux de Flambard ?

— Non, répondit en frissonnant Pertuluis, j’y pense. Déjà je médite de lui manger les yeux, ventre-de-crapaud.

— Et la langue !

— Et le cœur !

— Et le ventre !

— Demain, reprit Pertuluis avec un accent farouche, oui, pas plus tard que demain, j’en ferai un massacre entier de ce bretteur d’enfer !

— Oui, demain nous en ferons un pain d’épices ! Ah ! le chien, traiter de la sorte deux grenadiers du roi ! Pertuluis, je me plaindrai au roi !

— Regaudin, j’écrirai à Monsieur de Berryer !

— J’irai à Madame de Pompadour pour lui dénoncer ce farceur de Flambard !

— Oui, ce farceur qui nous a dénoncés au roi pour nous faire pendre !

— C’est lui que le roi pendra ou fera pendre, quand il saura !

— Enfer et Satan ! jura Pertuluis, Je lui ferai expier cette fessée et cette soif tant et si bien que je le verrai se rouler à mes pieds dans la poussière et me crier merci !

— Foi de Regaudin, je le martyriserai de telle sorte qu’il devra souhaiter les tortures qu’infligent les sauvages. Je lui ferai suer eau et sang, tant et si bien que je m’en abreuverai à me soûler le reste de mes jours…

Pan ! pan ! pan !…

Pertuluis sauta en l’air.

Regaudin poussa un cri d’épouvante.

Pan… pan… pan !

Des hauteurs de Lévis les canons anglais crachaient leurs boulets sur la basse et la haute-ville… ces terribles boulets dont on avait un peu perdu le souvenir depuis un mois. De même que notre compère Regaudin, la population de la cité s’était trouvée sur le coup glacée par l’effroi et la surprise. Car depuis l’effroyable bombardement du mois de juillet alors que toute la ville, haute et basse, avait été détruite presque en entier, on ne pouvait supposer que les Anglais recommenceraient de jeter leurs boulets et leurs bombes sur la capitale. Que pouvait-il leur rester à détruire, que quelques maisons et baraques qu’on avait raccommodées à la hâte ? Le reste, c’est-à-dire les grands édifices avaient été abandonnés ; plusieurs n’étaient que des murs troués, crevés, défoncés. Pour les réparer ou les relever on attendait que les Anglais fussent partis ! Les citadins, pour la plupart, vivaient dans leurs caves. Oui, à quoi bon bombarder un tas de débris ? Ah ! oui, on se le demandait avec étonnement, mais aussi avec terreur !

Mais il faut croire que les Anglais avaient leur but !

Pertuluis avait grommelé :

— Ces Anglais sont-ils stupides un peu, Regaudin… vois, il n’y a que des débris partout !

Des boulets de fer tombaient sur les cahutes avoisinantes déjà détruites et achevaient de les détruire en poussière. Des bombes éclataient avec un fracas terrible, faisant trembler terre et ciel, et les deux grenadiers entendaient pleuvoir au-dessus de leurs têtes des débris de toutes sortes.

Un projectile vint s’abattre sur ce qui restait du toit de la baraque qui les abritait ; il se produisit un craquement sinistre, et, avec un bruit infernal, toit et murs s’écroulèrent.

— À la cave ! rugit Pertuluis.

— À la cave ! répéta Regaudin.

Dans l’obscurité ils cherchaient le panneau de la trappe. Heureusement pour eux, les murs de la baraque, emportés par la pesanteur de la partie du toit qui était demeurée intacte, penchèrent du côté de la falaise qui en arrêta la chute complète, sans cela, les deux grenadiers eussent probablement été écrasés à mort.

Un pan de mur demeurait suspendu au-dessus de leurs têtes, et les projectiles continuaient de pleuvoir sur le voisinage.

À la hâte ils fouillèrent les décombres, les repoussèrent et finirent par trouver le panneau de la trappe. Mais l’obscurité était si profonde que Pertuluis cria :

— Ta bougie, Regaudin !

— Ton briquet, Pertuluis !

En fouillant ses poches, Regaudin trouva un bout de chandelle que son camarade réussit à allumer.

— Au ! diable, grogna Pertuluis en promenant ses yeux autour de lui, ne sommes-nous pas ici dans cette cabane de ce vieux mendiant…

— Le père Raymond ?

— Juste.

— Oui, c’est bien la demeure du vénérable mendiant, cher Pertuluis. Mais voilà la cave…

Regaudin s’y précipita en entendant la pluie de fer redoubler autour d’eux.

Pertuluis le suivit et laissa retomber derrière lui le panneau de la trappe.

À l’instant même, un fracas terrible retentissait, la terre parut secouée violemment, à tel point que Regaudin dégringola la moitié de l’escalier de la cave ; puis il se fit une avalanche de pierres… mais une telle avalanche que les deux grenadiers crurent un moment que tout le cap et toute la haute-ville s’abattaient sur eux. Mais une fois encore ils ne subirent que l’effet de la peur : une partie des murailles du Fort Saint-Louis venait de dégringoler sur les décombres du voisinage.

— Ventre-de-bœuf ! grommela Pertuluis, je me demande si nous pourrons jamais sortir d’ici vivants !

En finissant ces paroles il mettait les pieds sur le sol humide de la cave. Regaudin se relevait de sa chute en maugréant. Alors Pertuluis éleva sa bougie pour examiner l’endroit. À la même seconde Regaudin poussa un cri effrayant, mais un cri comme jamais en sa vie Pertuluis n’en avait entendu. Et il vit son compagnon livide comme la mort, secoué comme une feuille par un tremblement indicible, et il vit en même temps Regaudin regarder avec horreur une chose extraordinaire. Ses yeux cherchèrent aussitôt l’affreuse chose, ils la découvrirent aux pieds de Regaudin. Pertuluis ne put s’empêcher de faire un pas de recul… car, là, sous les regards épouvantés des deux grenadiers gisaient deux corps humains immobiles, inanimés. Ces deux cadavres demeuraient étendus face contre terre, côte à côte, et l’un d’eux de son bras gauche enserrait le cou de l’autre, comme si, dans la mort, ils avaient voulu s’en aller ensemble l’un contre l’autre. Puis Regaudin remarqua que ces deux cadavres masquaient un trou quelconque. Chassant l’horreur, il se pencha, souleva le premier cadavre et le rejeta par-dessus l’autre. Il vit sa face qui était d’une lividité affreuse, des yeux grand ouverts, mais blancs, ce qui parut plus creux.

— Le père Raymond ! bégaya-t-il.

— Et sa femme ! ajouta Pertuluis en frappant du pied l’autre cadavre.

Les deux corps apparaissaient sans blessures. Étaient-ils morts de faim ou simplement d’épouvante ?

— Hé ! Regaudin, cria tout à coup Pertuluis, qu’est-ce que je vois là ?

Il indiquait le trou.

Mais ce trou, Regaudin l’avait déjà aperçu, et au moment où son compagnon l’interpellait, il avait aperçu bien autre chose ! Il fut secoué de nouveau des pieds à la tête par un tremblement encore plus violent que le premier. Mais ce n’était pas de l’horreur cette fois… c’était une espérance folle ! Regaudin voyait un coffre dans le trou ! Il se jeta dessus à plat ventre, criant :

— Ah ! mon coffre… mon coffre, Pertuluis ! Mon coffre que j’avais perdu !

Les yeux de Pertuluis papillotèrent comme la flamme de sa bougie.

— Ventre-de-roi ! Regaudin, n’est-ce pas plutôt le mien que ce lourdaud de mendiant m’aurait esbroufé ?

— Biche-de-biche ! que non pas ! C’est ce coffre, ce même pauvre coffre que j’avais prêté à sa femme pour y mettre ses joyaux ! Oh ! mon cher coffre !… Même que ces deux brigands me l’ont un peu allégé !

— Allégé, dis-tu ? Mais tu ne peux le soulever à toi seul. Laisse-moi faire, Regaudin !

— Il est trop lourd pour toi, Pertuluis. Vois-tu ? On dirait que quelque force satanique le retient au fond du trou. Voyons, approche le quinquet, Pertuluis ! Oh ! mon coffre !… mon cher coffre ! Et dire que je le retrouve dans le fond d’une fosse !

— Qu’heureusement on n’a pas comblé, ajouta Pertuluis.

Regaudin fit un grand effort pour tirer à lui le coffre, Pertuluis entendit sa respiration rude, terrible ; il vit les nerfs de son cou se tendre, prêts à se briser… Mais le coffre ne montait pas vite.

— Laisse-moi faire, te dis-je ! reprit Pertuluis.

— Que non, cher ami, tu t’éreinterais !

Enfin, Regaudin réussit à tirer tout à fait le coffre de son trou. Par un rapide mouvement il souleva le couvercle, et deux cris de surprise joyeuse se mêlèrent aux bruits de la canonade. Puis, à genoux tous deux et penchés sur le coffre, les deux grenadiers plongeaient leurs mains dans un flot de pièces d’or et d’argent, flot qui rutilait et qui bruissait merveilleusement.

— Ah ! Pertuluis, une vraie musique de Paradis !

— Oh ! Regaudin… que de carafons dans ce coffre !

Déjà Pertuluis emplissait ses poches.

— Eh là ! eh là ! hurla Regaudin en repoussant son compère, ne me pille pas ! Attends !

Il se mit à emplir ses poches à son tour.

— Un vrai trésor de Pharaon ! bégayait-il.

— J’ai envie de m’en emplir le ventre, Regaudin, car on ne pourra pas tout emporter…

Et voyant à la fin qu’il ne pourrait tout prendre, Regaudin laissait Pertuluis piger à sa guise dans le tas qui ruisselait, qui chantait à rendre fous des avares.

Une fois qu’ils eurent bourré leurs poches, et, appesantis par la lourdeur des beaux louis, les deux grenadiers s’assirent pour se concerter.

— Moi, suggéra Pertuluis, je remettrais le coffre et le reste de son contenu dans le trou que je comblerais ensuite. Plus tard, lorsque notre provision sera épuisée, nous reviendrons.

— Tu as peut-être raison, Pertuluis. Mais voilà… si le hasard faisait que d’autres vauriens de brigands, de mendiants, de voleurs vinssent à mettre les pattes ici ?

— Bah ! on va empiler dessus toutes les planches de la maudite baraque.

— C’est bon, à l’œuvre, dit Regaudin.

Les deux grenadiers travaillèrent durant une heure à mettre à l’abri leur trésor. Puis, fatigués, rompus, assoiffés et le ventre torturé par la faim, ils décidèrent de sortir de la cave et de chercher par la basse-ville un cabaret d’abord, une auberge ensuite. Mais sortir de là ne fut pas aussi facile qu’ils l’avaient pensé ; quantité de poutres et de planches étaient tombées sur le panneau de la trappe qu’ils ne purent soulever. Une barre de fer se trouvait là. Avec cet outil Pertuluis réussit à faire sauter les gonds du panneau. Mais il restait encore à reculer les poutres et planches. Les deux grenadiers travaillèrent longtemps et péniblement, avant de pouvoir pratiquer une ouverture suffisante pour leur permettre de passer. Ils avaient travaillé sans la conscience du temps qui s’écoulait. Ils avaient seulement remarqué, et non sans une grande satisfaction, que le bombardement avait cessé.

Enfin, ils grimpèrent hors de leur trou et se trouvèrent en pleine clarté du jour. Tout, autour d’eux, n’était que débris. Ils se dirigèrent vers la rue Sault-au-Matelot. Chemin faisant ils croisèrent des femmes et des enfants sans foyer qui pleuraient. Dans la main des enfants les deux grenadiers mirent des poignées de louis, comme si avec de l’or, à ce moment tragique, ces femmes et ces enfants pouvaient se construire un logis et trouver de quoi manger ! C’était fou… c’était si fou que les enfants jetèrent l’or, que les femmes, après s’être ravisées peu après, ramassèrent ! Quoi ! plus tard cet or pourrait devenir utile encore ! Les deux grenadiers passèrent devant le cabaret de la mère Rodioux, avec le secret espoir d’y pouvoir vider un carafon. Mais à leur grande déception, ils virent la baraque de l’ancienne mendiante en ruines.

Nos deux compères, mourant de faim et de soif, décidèrent d’aller tenter fortune à la haute-ville.

De là-haut partaient toutes espèces de rumeurs mêlées d’appels de clairons, de roulements de canons, de galopades de chevaux. Dans la rade de Québec et devant Beauport les vaisseaux de la flotte ennemie évoluaient en tous sens, et autour des navires voguaient des berges chargées de matelots et de soldats. Des berges et des navires approchaient à une assez faible distance de la Canardière, puis ils côtoyaient la rive en descendant vers Montmorency, puis remontaient le fleuve.

Les deux grenadiers, avant d’atteindre la Porte du Palais, virent ce mouvement et ces manœuvres.

— Ah ! diable, fit remarquer Pertuluis, les Anglais vont-ils encore débarquer par là ?

Ils accélérèrent leur marche. Bientôt ils furent sous la Porte du Palais qu’ils trouvèrent toute grande ouverte. Ni gardes ni sentinelles ne se trouvaient là. Les environs de la Porte étaient déserts ; mais plus loin, du côté du Fort Saint-Louis d’une part, et du côté de la Porte Saint-Jean de l’autre, partaient des bruits étranges.

Les deux copains montèrent dans la direction du Fort Saint-Louis. Ils espéraient trouver à mi-chemin une auberge où ils pourraient se restaurer. Ils croisèrent un grenadier qui courait et dévalait vers la Porte du Palais. Pertuluis reconnut un camarade de son détachement, et l’arrêta.

— Que se passe-t-il au juste ? demanda-t-il.

— Les Anglais… répondit laconiquement le grenadier… dans la plaine !

Il indiqua la campagne vers les Portes Saint-Jean et Saint-Louis.

— Oh ! oh ! fit Regaudin, décidément ça sent la poudre !

— En avant ! cria Pertuluis, on se bat !

— Taille en pièces ! hurla Regaudin.

— Pourfends et tue ! rugit Pertuluis.

Ils prirent leur course. L’instant d’après, ils se mêlaient curieusement à des régiments assemblés devant le Château et le Fort.

Montcalm, monté sur un coursier brun et fringant, donnait des ordres rapides. Sa voix brève et véhémente retentissait dans l’espace :

— Soldats du roi de France, c’est aujourd’hui votre jour de gloire !…

Une longue clameur s’éleva pour saluer ces paroles fières du chef.

Déjà des bataillons de miliciens marchaient vers la Porte Saint-Jean. Des régiments de réguliers, chantant leurs refrains guerriers, gagnaient la Porte Saint-Louis.

Des femmes apeurées et des enfants curieux se mêlaient aux soldats : les femmes encourageaient leurs maris ou faisaient leurs adieux ; les enfants, eux, semblaient envier le sort de ces guerriers, et tous les accompagnaient vers les Portes de la ville. On ne voyait pas de larmes, on ne sentait pas de désespoir. S’il n’y avait pas de joie, il y avait de l’espérance ! Les soldats paraissaient marcher à une victoire certaine, et cette certitude fortifiait ces pauvres femmes dont les souffrances et les angoisses avaient été durant si longtemps une torture sans nom.

Pertuluis et Regaudin, la langue sèche, la faim au ventre, aperçurent tout à coup leur détachement qui s’élançait au pas de course à la suite du général Montcalm et de ses aides-de-camp. Ils coururent au détachement en criant à tue-tête :

— Aux Anglais !

Ils couraient ainsi, sans fusil, sans rapières, sans même de pistolets.

Un aide-de-camp de Montcalm, qui revenait du Château où il avait porté des ordres à M. de Ramezay, les dépassa. Puis il s’arrêta surpris.

— Hé là ! vous autres, cria-t-il, où allez-vous ainsi sans armes ?

— Ventre-de-cochon ! jure Pertuluis, nous allons démancher les Anglais !

— Biche-de-bois ! dit Regaudin à son tour, nous allons scalper les English !

L’officier se mit à rire.

On se trouvait près de la Porte Saint-Louis où commandait le vicomte de Loys.

— Vicomte, dit l’aide-de-camp, veuillez donner des armes à ces deux braves !

Il désignait Pertuluis et Regaudin.

De Loys les reconnut de suite. Ces deux hommes, comme il le savait, étaient deux gredins de la plus vile espèce, deux gibiers de potence dont il lui aurait plu de purger la société.

Mais, à cet instant, il lui fallait oublier le passé, l’heure était grave, les minutes précieuses ; et puis, après tout, ces deux hommes étaient soldats et ils allaient se battre pour la cause du roi de France !

Il donna des ordres à un sous-lieutenant qui fit remettre aux deux grenadiers des fusils, des rapières et des munitions. Pertuluis et Regaudin s’inclinèrent devant le vicomte.

— Merci, mon gentilhomme, c’est pour la France et le roi !

— Merci, monsieur le vicomte, dit Regaudin à son tour, on va savoir ce que vaut un Français contre dix Anglais !

Ils franchirent à la course la Porte Saint-Louis.

Contre dix Anglais, avait dit Regaudin.

Pas tout à fait… mais presque.