Le secret de la marquise/Poésies canadiennes

Imprimerie P. H. Dalaire (p. 85-121).











Heureux qui dans ce vers sait, d’une voix tonnante,
Effrayer le méchant, le glacer d’épouvante ;
Qui, bien plus qu’avec goût, se fait lire avec fruit,
Et, bien plus qu’il ne plaît, surprend, corrige, instruit ;
Qui, suivant les sentiers de la droite nature,
A mis sa conscience à l’abri de l’injure ;
Qui, méprisant, enfin, le courroux des pervers,
Ose dire aux humains leurs torts et leurs travers.
Lecteur, depuis six jours, je travaille et je veille,
Non, pour de sons moelleux chatouiller ton oreille,
Ou chanter en vers doux de douces voluptés ;
Mais pour dire en vers durs de dures vérités.
Ces rustiques beautés qu’étale la nature ;
Ce ruisseau qui serpente, et bouillonne et murmure ;
Ces myrtes, ces lauriers, ces pampres toujours verts,
Et ces saules pleureurs et ces cyprès amers ;
D’un bosquets transparent la fraîcheur et l’ombrage,
L’haleine du zéphyre et le tendre ramage

Des habitants de l’air, et le cristal des eaux,
Purent cent et cent fois chantés sur les pipeaux.
Ni les soupirs de Pan, ni les pleurs des Pleïades,
Ni les nymphes des bois, ni les tendres naïades,
Ne seront de mes vers le thème et le sujet :
Je les ferai rouler sur un plus grave objet ;
Ma muse ignorera ces nobles épithètes.
Ces grands mots si communs chez tous nos grands poètes :
Me bornant à parler et raison et bon sens,
Je saurai me passer de ces vains ornements :
Non, je ne serai point de ces auteurs frivoles,
Qui mesurent les sons et pèsent les paroles.
Malheur à tout rimeur qui de la sorte écrit,
Au pays canadien, où l’on n’a pas l’esprit
Tourné, si je m’en crois, du côté de la grâce ;
Où Lafare et Chanlien marchent après Garasse.
Est-ce par de beaux mots qui rendent un doux son,
Que l’on peut mettre ici les gens à la raison ?
Non, il y faut frapper et d’estoc et de taille,
Être, non bel esprit, mais sergent de bataille,

« Si vous avez dessein de cueillir quelque fruit,
« Grondez, criez, tonnez, faites beaucoup de bruit :
« Surtout, n’ayez jamais recours à la prière ;
« Pour remuer les gens il faut être en colère :
« Peut-être vous craindrez de passer pour bavard ?
« Non, non, parlez, vous dis-je, un langage poissard ;
« Prenez l’air, et le son et la voix d’un corsaire, »
Me disait, l’autre jour, un homme octogénaire ;
« Armez-vous d’une verge, ou plutôt d’un grand fouet,
« Et criez, en frappant, haro sur le baudet. »


Oui, oui, je vais m’armer du fouet de la satire :
Quand c’est pour corriger, qui défend de médire ?
Doit-on laisser en paix le calomniateur,
Le ladre, le brigand, l’envieux, l’imposteur,
Quiconque de l’honneur et se joue et se moque ?
Que n’ai-je, en ce moment, la verve d’Archiloque ?
Mais qu’importe cela puisque je suis en train,
Si je ne suis Boileau, je serai Chapelain :
Pourvu que ferme et fort je bâtonne, je fouette,
En dépit d’Apollon, je veux être poëte,
En dépit de Minerve, en dépit des neuf Sœurs :
Les Muses ne sont rien, quand il s’agit de mœurs.
Si je ne m’assieds point au sommet du Parnasse,
À côté de Régnier, et de Pope et d’Horace,
Je grimperai tout seul sur un de nos coteaux ;
Là, sans gêne, sans peur, sans maîtres, sans rivaux,
Je pourrai hardiment attaquer l’avarice,
La vanité, l’orgueil, la fourbe, l’injustice,
La ruse, le mensonge, ou plutôt le menteur,
Et l’oppresseur barbare, et le vil séducteur.
À tous les vicieux je déclare la guerre,
Dès ce jour, dis cette heure...... « Ami, qu’allez-vous faire ? »
Va me dire un ami ; « de tous les vicieux
« Vous rendre l’ennemi ! Craignez, c’est sérieux ;
« Ah ! si vous m’en croyez, redoutez leur vengeance ;
« Peut-être vous pourriez...... » — Je sais que leur engeance
À la peau délicate, est fort sensible aux coups,
Se dresse de dépit et s’enfle de courroux.
Eh bien ! je leur verrai faire force grimaces ;
Puis après, je rirai de toutes leurs menaces :
Leur colère ressemble à celle du serpent,

Qui menace de loin et se sauve en rampant.

Allons, point de quartier, commençons par l’avare :
Cet homme, comme on sait parmi nous n’est pas rare ;
Du golfe de Gaspé jusqu’au Côteau du Lac ;
Du fond de Beauharnois jusque vers Tadousac,
Traversez, descendez, ou remontez le fleuve,
En vingt et cent façons vous en aurez la preuve.

Voyez cet homme pâle, et maigre et décharné :
De tous nos bons bourgeois c’est le plus fortune.
Il a des revenus quatre fois plus qu’un juge ;
Mais la triste avarice et le ronge et le gruge :
Plus mal que son valet vous le voyez vêtu ;
À le voir vous diriez du dernier malotru.
De quels mets croyez-vous que se couvre sa table ?
De gros lard, de babeurre et de sucre d’érable.
« Tous les mets délicats font tort à la santé, »
Dit-il, « et trop longtemps manger c’est volupté.
Jamais, surtout, il ne convient de boire… »

Un homme fut ici d’épargnante mémoire ;
Aux bûcheurs de son bois il offrait les copeaux[1]
Et par grâce y joignait les plus petits rameaux.
Ils lui rirent au nez, comme on se l’imagine.
Il fallait voir Orgon, marchant dans sa cuisine,
Regardant, maniant jusqu’aux moindres débris.
Orgon, aimant le vin jusqu’à se mettre gris,
Pour le boire attendait que la liqueur fut sûre ;
Jamais il n’eut l’esprit de la savourer pure :

On l’a vu gourmander les gens de sa maison,
Pour avoir, selon lui, mangé hors de saison :
« Il est, leur disait-il, juste qu’un homme dîne ;
« Mais manger le matin, c’est mauvaise routine :
« On doit, pour être bien, ne faire qu’un repas ;
« Et manger plusieurs fois, c’est œuvre de goujats. »

Au visage enfantin, à la voix féminine,
Vous connaissez Ormont, qui si souvent chemine ;
Ormont est gentilhomme, et même un peu savant,
Mais il est dominé par l’amour de l’argent :
Du matin jusqu’au soir, cet amour-là le ronge ;
Il pense à l’or, le jour, et, la nuit, il y songe :
Dans ses rêves, souvent, il croit voir des monts d’or.
Et, d’aise tressaillant, ramasser un trésor :
S’il lit, par passe temps, son Boileau, son Horace,
Il est, chez ces auteurs, deux chapitres qu’il passe.

Parlant d’un ton dévot, riant d’un air bénin,
À le voir, vous diriez qu’Alidor est un saint :
Cet homme prête au mois, et même à la journée,
Et retire, à coup sûr, cent pour cent par année :
Vous croyez qu’Alidor prête pour s’enrichir ?
Vous êtes dans l’erreur, c’est pour faire plaisir :
Non, ce n’est pas la soif de l’or qui le tourmente ;
Mais il est d’une humeur tout à fait obligeante.

Un bâton à la main et le corps en avant,
Richegris semble fuir ou voler en marchant :
Quoiqu’il ait cinquante ans, s’il n’en a pas soixante,
Et qu’il possède au moins vingt mille écus de rente,
Il n’est ni vieux, ni riche assez pour épouser ;

Il veut encore vieillir, encore thésauriser :
La toilette est coûteuse et la vie est fort chère ;
Si Richegris épouse, il mourra de misère.

« Eh ! va dire un plaisant, feignant d’être surpris,
« Apprenez à connaître un peu mieux Richegris,
« Peignez-le sous un jour un peu plus favorable ;
« N’allez pas dire au moins qu’il n’est pas charitable ;
« Sachez qu’il a… — Quoi donc ! vêtu… — Non, mais nourri. —
« Ah vraiment j’oubliais… — Quoi ?… — Le poisson pourri. »
Une année, en avril, sur la fin du carême,
Parmi les indigents la misère est extrême ;
Plein de compassion, Richegris fait prôner
Qu’abondamment il a de l’anguillé à donner :
Il en donne, en effet ; mais une marmelade,
Où surnagent les vers rend le mangeur malade,
Qui, pour remerciement, s’adressant au donneur,
Lui prodigue, indigné, le nom d’empoisonneur ;
Et non sans quelque droit. Si depuis lors il donne,
C’est si secrètement qu’il n’est vu de personne.
Eh ! qui pourrait blâmer Richegris d’avoir soin
Que de ses charités nul ne soit le témoin.

Gourat à ses voisins veut démontrer que riche
Peut, parfois, s’accorder et rimer avec chiche.
De peur qu’on ne le puisse aisément réfuter,
Lui-même, m’a-t-on dit, se plaît à raconter
À quel nombre de tours, de ruses et de finesses,
Il sait avoir recours, pour croître ses richesses.

Aliboron ne voit, ne connaît que l’argent
De bon, de précieux, d’estimable, de grand :
Les lettres, les beaux-arts, les talents, le génie,

Ne sont rien, à ses yeux, que fadaise et folie.

Tel, avec de grands tuons, ne sait, trouver comment
Lire, se promener, s’égayer un moment.
De madame Drabeau racontons l’infortune :
Trente mille louis composant sa fortune,
À balayer, frotter, trotter en sa maison.
Elle passe son temps. Si la peur du démon
Lui fait donner, parfois, quelque chose à l’église.
Elle refuse tout pour la noble entreprise
De son compatriote industrieux, savant.
Ce n’est pas, à l’ouïr, qu’elle tienne à l’argent ;
Mais, du matin au soir, attachée à l’ouvrage
À peine de dormir a-t-elle le courage.
Malheureuse, inquiète, on conçoit l’embarras
Où la mettent des biens dont elle n’use pas.
Si vous en avez trop, qu’une noble dépense
Vous, délivre à propos de votre dépendance.

Je pourrais rapporter vingt exemples frappants
D’avares citadins ; mais parcourons les champs :
Ce vice, dès longtemps, peu satisfait des villes,
Est allé dans les champs chercher d’autres asiles.

Tel est riche en biens-fonds, et n’a qu’un seul enfant :
Pour un écu par mois, ou six piastres par an.
Assez, pour son état, il peut le faire instruire ;
Mais son curé n’a pu, jusqu’à présent, l’induire,
Ni par sages discours, ni par graves raisons,
Ni par avis privés, ni par communs sermons,
À faire pour son sang ce léger sacrifice :
Dominé, maîtrisé par sa rustre avarice,

« On se passe, dit-il, de grec et de latin
« Bien plus facilement que de viande et de pain. »
Ces mots semblent jurer avec son ignorance ;
(Où les a-t-il appris ?) « une telle dépense,
« Un tel déboursement mettrait ma bourse à sec. »
Insensé, s’agit-il de latin et de grec ?
N’est-ce pas le français que ton fils doit apprendre ?
Réponds, et ne feins pas de ne me point entendre :
Si jusqu’à la science il ne peut pas monter.
Qu’il sache donc, au moins, lire, écrire et compter.
Il rit du bout des dents, et garde le silence :
L’avarice l’emporte, il n’est plus d’espérance.

Il neige, il grêle, il gèle à fendre un diamant ;
On arrive en janvier : un avare manant,
Voyant qu’au temps qu’il fait le marché sera mince,
Prend un frêle canot, et se met à la pince.
De la Pointe Levi traverser à Québec
En ce temps, c’est passer la Mer Rouge à pied sec.
Qu’arrive-t-il ? pour vendre une poularde, une oie,
Au milieu des glaçons, il perd tout et se noie.

Combien de gens sont morts à l’Âge de trente ans,
Pour n’avoir pas voulu débourser trente francs !
L’avarice souvent ressemble à la folie :
De même elle extravague et de même s’oublie.
« Ami, comment vas-tu, comment vont tes parents ? »
Dit Blaise à Nicolas, qu’il n’a vu de trois ans :
« D’où te viens cet ulcère aussi noir que de l’encre ?
— « Je ne sais. — Tu ne sais ! malheureux, c’est un chancre.
— « Un chancre ! non. — C’est donc un ulcère, malin.
— « Peut-être. — Eh ! que n’as-tu recours au médecin

« Plutôt qu’être rongé ? — Je le ferais sans doute ;
« Mais, Blaise, tu le sais, la médecine coûte ! »
L’insensé voulut vivre en dévorant son mal,
Non parce qu’il était réduit à la misère ;
Mais de peur d’appauvrir son unique héritière.

Là, le riche fermier laisse pourrir son grain ;
Il se vend quinze francs, il en demande vingt ;
La récolte venue, il n’en aura, pas douze ;
Car l’avare, souvent et s’aveugle et se blouse.

Ici, le tavernier, peu content de son gain,
Au moyen de l’eau, double et son rhum et son vin.

Ce fermier veut semer, et n’a point de semence ;
Il va chez son voisin, où règne l’abondance,
Lui demande un minot ou de seigle ou de pois :
« Oui, dit l’autre, « pourvu que tu m’en rendes trois,
« Que dis-je, trois ! c’est peu ; tu m’en remettras quatre.
— « Quatre pour un ! bon Dieu ! — Je n’en puis rabattre
« Il est, je crois, permis de gagner sur un prêt.
— « Oui, mais quatre pour un, c’est un fort intérêt. »
Que fera l’homme pauvre ? Il n’a pas une obole :
Il prend le grain du riche et lui rand sa parole.
En proie à la misère, à la perplexité,
Il sème, en maudissant l’avide dureté
De l’homme qui lui tient le couteau sur la gorge,
Pour un ou deux boisseaux de blé, de seigle ou d’orge.

Se laisser follement mourir contre son bien ;
Manger le bien d’autrui, pour conserver le sien
Sont deux cas différents : l’un n’est que ridicule,
Mais l’autre est criminel, et veut de la férule.

L’un fait tort à soi même et l’autre à son prochain.
On n’est point scélérat quand on n’est que vilain :
Il faut garder en tout une juste mesure,
Et surtout distinguer l’intérêt de l’usure.
Le vilain est un fou qui fait rire de soi ;
L’usurier, un méchant qui viole la loi.
C’est donc sur ce dernier qu’il faut faire main basse ;
Jamais cet homme-là ne mérita de grâce.
L’usurier, des humains trouble l’ordre et la paix ;
Par lui le pauvre est pauvre et doit l’être à jamais.
Il fut, à mon avis, ménagé par Molière ;
Boileau n’en parle pas d’un ton assez sévère :
Est-ce par des bons mots qu’on corrige ces gens ?
Il leur faut du bâton ou du fouet sur les flancs.
Mais je vois, à son air, que ma muse se fâche ;
Je lui ferme la bouche, et je finis ma tâche.









Mal ou bien, mon début fut contre l’avarice.
Cheminant, l’autre jour, je rencontre Fabrice ;
La canne sous le bras, un pamphlet à la main :
« L’avez-vous lu ? » dit-il. — Quoi ? — Ce dur Chapelain…
« Que vois-je ? vous riez ! mais ce n’est pas pour rire
« Que ce malin esprit me tance et me déchire.
« C’est bien à ce méchant qu’il faudrait du bâton :
« Que peut lui importer que je sois chiche ou non ?
« Parbleu ! que ne m’est-il donné de le connaître !
« Que ne puis-je, à l’instant, le voir ici paraître !
« Que j’aurais de plaisir à le bien flageller !......
« — Peut-être ce n’est pas de vous qu’il veut parler.
« — Si ce n’est pas de moi, c’est d’un qui me ressemble.
« — Dans ce cas, mon ami, c’est de vous deux ensemble.
L’on voit que ma satire a fait un peu de bruit :
Oh ! puisse-t-elle aussi produire un peu de fruit !
Il est temps d’en venir à ma seconde épître.

Celle-ci roulera sur un autre chapitre ;
Chapitre sérieux, et peu fait pour les vers ;
Mais je dois attaquer tous les vices divers.

On a beaucoup écrit et parlé de l’envie :
Mais dans tous ses replis l’a-t-on toujours suivie ?
« L’envie est un poison, a-t-on dit, dangereux,
« Car l’arbre qui le porte est un bois cancéreux.
« L’homme envieux ressemble au reptile, à l’insecte ;
« Car tout ce qu’il atteint de son souffle, il l’infecte :
« Mais cet homme, souvent, fait son propre malheur,
« Comme en voulant tuer, souvent l’insecte meurt. »
L’envie est fort commune au pays où nous sommes ;
Elle attaque et poursuit, très souvent, nos grands hommes.

Nos grands hommes ! tu ris, orgueilleux Chérisoi,
Qui crois qu’il n’est ici nul grand homme que toi,
Ou plutôt, qui voudrais qu’on t’y crut seul habile :
Croyance ridicule et désir inutile.
On porte envie aux biens, on porte envie au rang ;
Assez souvent, l’envie a méconnu le sang ;
Elle règne souvent dans la même famille,
Et la mère, parfois, porte envie à sa fille.
Je sais, à ce sujet, un fait assez plaisant.
Ce fait-là ne fut pas forgé par Lahontan :[2]
Sans aller consulter un auteur qui radote,
Je trouve au Canada mainte et mainte anecdote.

Une famille fut, jadis, à Montréal ;

Le patron se disait issu du sang royal :
Il ne le croyait pas, mais le faisait accroire.
Il mourut à trente ans, si j’ai bonne mémoire,
Ou plutôt, si l’on m’a conté la vérité,
Laissant peu de regrets aux gens de sa cité.
Peu de bien aux enfants de son aimable épouse ;
Épouse qui de lui jamais ne fut jalouse.
Elle avait vingt-cinq ans, quand son mari mourut.
Dès qu’on sut l’homme en terre, on vint, on accourut
Consoler, ranimer la jeune et belle veuve,
Qu’on croyait succomber sous la terrible épreuve.
Quand on sut que gaiment on pouvait l’aborder,
Chez elle, de partout, les galants d’abonder.
Que fit-elle avec eux ? Je ne saurais dire ;
Et ma muse, entre nous, n’aime point à médire.
Enfin, il en vient un qu’elle veut épouser ;
Mais, pour y parvenir, il lui fallut ruser.
De ses filles, déjà, l’aînée est femme faite,
Est belle, aimable, gaie, enfin presque parfaite ;
Et la mère avait beau vouloir se l’attacher,
Le galant paraissait vers le tendron pencher :
La plus jeune, à ses yeux, semblait aussi plus belle.
« Que faire ? comment me débarrasser d’elle ?
« Je ne vois qu’un moyen, c’est de la renfermer
« Sous la clef, dans sa chambre, afin d’accoutumer
« Mon amant à me voir et seule et sans ma fille. »
Quand l’amant arrivait, la mère de famille
Avait, auparavant, relégué dans un coin
L’objet de sa visite. Il ne se départ point ;
Il devient patient ; à tout on s’accoutume.
« Ma fille a la migraine, ou bien elle a le rhume. »

Disait la mère ; « hélas ! son mal est radical :
« De l’épouser, monsieur, vous vous trouveriez mal ;
« D’ailleurs, elle devient, de jour en jour moins belle ;
« Je suis, à dire vrai, beaucoup plus jeune qu’elle :
« Plût à Dieu qu’elle fût, de tout point, aussi bien,
« Car jamais, Dieu merci, je ne me plains de rien. »
Elle dit tant, fit tant, qu’à la fin, le compère
Laissa la fille en paix, pour épouser la mère.
Mais le fait dont je parle est passé de longtemps.
Citons, plutôt, des exemples vivants.
Rarement la beauté fut exempte d’envie
Les Grâces ont formé tous les traits de Sylvie :
J’admire, en la voyant, son front noble et serein ;
De roses et de lys se compose son teint :
Elle a le nez, les yeux et la bouche charmante.
Le port majestueux et la taille élégante ;
Elle rit, elle chante, elle parle, elle écrit
Avec grâce, dit tout, fait tout avec esprit :
À la voir, qui pourrait croire qu’on en médise ?
Écoutez, cependant, comment en parle Élise :
« Sylvie est belle, mais on pourrait l’égaler ;
« Et, sur son compte, je… je n’en veux pas parler ;
« Si je vous le disais, vous en seriez surprise.
« — Est-il vrai ? qu’est-ce donc ? que dites-vous, Élise ?
« Vous vous trompez, ma chère. — Oh ! non, je le sais bien,
« Je suis sûre du fait : mais je n’en dirai rien. »

Voilà souvent à quoi porte la jalousie :
Ce n’est pas médisance, ici, c’est calomnie.

« Mon voisin Philaris s’enrichit, » dit Médor ;
« Je ne sais pas, ma foi, d’où lui vient tout son or !

« Autant ou mieux que lui j’entends la marchandise ;
« Et c’est toujours chez lui qu’on voit la chalandise.
« Il faut qu’il soit fripon, ou bien qu’il soit sorcier ;
« Autrefois je l’ai vu pauvre et petit mercier ;
« Le voilà gros bourgeois, pouvant rouler carosse ;
« Pour le moins aussi fier qu’un enfant de l’Écosse ;
« Tandis qu’il faut que moi je me promène à pié.
« Philaris fait envie et moi je fais pitié :
« J’enrage de bon cœur voyant l’or qu’il entasse. »
Médor, sais-tu pourquoi ton voisin te surpasse ?
C’est que, sans être avare, il règle sa maison
Avec économie, et selon la raison :
Sa richesse par là promptement s’est accrue.

Cet homme qu’on rencontre à chaque coin de rue,
Devant vous toujours prêt à vous faire plaisir,
À l’ouïr, vous diriez qu’il n’a d’autre désir
Que votre intention, votre dessein prospère.
« Oui, vous réussirez, je le crois, je l’espère ;
« Et si, par quelque endroit, je pouvais vous servir......
Partez d’auprès de l’homme, ou laissez-le partir :
« Il croit venir à bout de sa folle entreprise,
Dit-il, ce fut-il jamais pareille balourdise ?
« C’est un homme sans fonds, sans appui, sans talents ;
« En vérité, je crois qu’il a perdu le sens. »
Cet homme qu’il noircit court la même carrière
Que lui-même, et le laisse assez loin en arrière.

L’Ignorant, quelquefois, porte envie au savant ;
La chose a même lieu de parent à parent.
Cette sorte d’envie est quelque peu rustique ;
Racontons sur ce point une histoire authentique.

Et dont tous les témoins sont encore vivants.
Philomathe n’eut point de fortunés parents ;
Tout leur bien consistait en une métairie.
Même, les accidents fâcheux, la maladie,
Le sort, l’iniquité d’un père à leur endroit,
Les réduisirent-ils encore plus à l’étroit :
Mais quoique Philomathe eut des parents peu riches.
Jamais, à son égard, il ne les trouva chiches,
Et de se plaindre d’eux jamais il n’eut sujet :
Rendre leur fils heureux était leur seul objet :
Ne pouvant lui laisser un fort gros héritage,
Ils voulurent qu’il eût le savoir en partage ;
Un bon tiers de leur gain et de leur revenu
Passait pour qu’il fût bien logé, nourri, vêtu.
Mais que gagnèrent-ils ? la haine de leurs frères ;
Tous les collatéraux et même les grands-pères
De ces sages parents deviennent ennemis,
Et laissent retomber leur haine sur leur fils.
Eux, pour toute réponse et pour toute vengeance,
Ils méprisent les cris de leur rustre ignorance.

L’envieux, quelquefois, porte envie à l’habit,
Et de le porter tel vous fait presque un délit.
L’on peut trouver à dire à chose de la sorte,
Alors qu’on y met plus que son état n’y porte ;
Mais blâmer de l’habit la forme ou la couleur,
C’est être, à mon avis, ridicule censeur,
Se mêler un peu trop des affaires des autres.
Ce travers est pourtant commun parmi les nôtres.
J’ai vu (l’on peut tenir le récit pour certain),
Un jeune homme, depuis quelques mois citadin,

Craignant d’être hué dans son rustique asile,
Laisser, pour s’y montrer, l’habillement de ville.
C’est-à-dire quitter l’habit pour le « capot ».

Le fait suivant est vrai, bien qu’il soit un peu sot ;
Je le tiens d’un témoin que je sais véridique :
Un jour, un citadin d’origine rustique,
Fut prié d’un souper que devait suivre un bal ;
C’était, s’il m’en souvient, un repas nuptial.
Le convive oublia de changer de costume.
(De ses nouveaux voisins il suivait la coutume :)
On le voit arriver, on ne dit rien d’abord ;
Dès le commencement, on est assez d’accord ;
Mais lorsque l’eau de vie est montée à la tête,
C’est alors qu’on se met à jouer à la bête.
De tomber sur notre hôte on cherche l’à-propos.
On le trouve, car l’hôte est fertile en bons mots.
« Tu te moques de nous, je crois, » lui dit un rustre,
« Ton habit est fort beau, mais il a trop de lustre :
« Nous sommes complaisants, nous allons l’éponger. »
Ils prennent l’hôte, et puis, tout droit le vont plonger,
Vêtu comme il était, au bord de la rivière ;
Et le roulent, après, dans un tas de poussière.
Le malheureux en fut malade quinze jours,
Et perdit son habit ; mais il eut son recours :
Nos rustres, amenés par devant la justice.
Payèrent médecin, habit, voyage, épice ;
Apprirent, comme on dit, à vivre à leurs dépens.

Mais l’envie est parfois, cause de maux plus grands.
Pourquoi nos gens heureux sont-ils en petit nombre ?
C’est que plusieurs de nous sont jaloux de leur ombre.

Quelqu’un désire-t-il, comme on dit, s’arranger,
Aussitôt chacun cherche à le décourager ;
Chacun le contredit, le tourne en ridicule ;
Et même de lui nuire on ne fait point scrupule.
Éconduits, jalousés, que d’hommes à talents
Ont quitté leur pays, ou sont morts indigents !
Est-ce ainsi qu’on en use en France, en Angleterre ?
L’étranger qui s’en vient habiter notre terre,
Voyant chez nous si peu d’accord ou d’amitié,
S’indigne contre nous, ou nous prend en pitié.
Faut-il que l’envie entre en des cœurs magnanimes !
Ici, Germains, Bretons sont toujours unanimes :
Nous ne les voyons point se nuire, s’affliger,
Pour un brinborion prêts à s’entregorger ;
Plaider pour un brin d’herbe, une paille, une cosse.
Voyez, surtout, voyez les enfants de l’Écosse,
Comme ils s’entraident tous, du manant au marquis.
Voyez les Iroquois et les Abénaquis ;
Nous osons les traiter de nations barbares ;
Mais voyons-nous chez eux des jaloux, des avares ?
De la simple nature ils suivent les sentiers ;
Ils sont farouches, fiers, indociles, altiers ;
Mais il faut voir entre eux la conduite qu’ils tiennent ;
Comme ils sont tous d’accord, et toujours se soutiennent.
Ce qu’ils furent jadis, ils le sont aujourd’hui.

Un autre tort c’est d’être envieux pour autrui ;
Quand on a des parents, vouloir qu’on les préfère
À quiconque se meut dans une même sphère ;
Grincer presque des dents, et frémir de fureur,
Si quelqu’autre est cru, dit aussi bon procureur,

Aussi bon médecin ; si, dans l’art littéraire,
Il sait également instruire, amuser, plaire,
Ce travers-là provient de partialité,
Et se peut appeler « familiarité »,
Si par là l’on entend, non propos de soudrille,
Mais amour exclusif des siens, de sa famille.

Toutefois, il faut être équitable et discret,
Et ne confondre point l’envie et le regret :
On peut, quand on est vieux, regretter la jeunesse ;
Quand on est pauvre, on peut désirer la richesse ;
On peut, quand on écrit d’un style trivial,
Sans crime, souhaiter d’écrire un peu moins mal.
Il est même permis à qui raisonne et parle
Aussi vulgairement que Baroch ou que Carle,
De vouloir être un peu moins sot et moins pesant.
Malheur à qui peut-être à tout indifférent.
Voit-on l’homme d’esprit réduit à la besace ;
L’imbécile occuper une honorable place ;
Ramper l’homme de bien, et le lâche régner ;
On peut, alors, on peut, à bon droit s’indigner.
Mais être malheureux par le bonheur d’un autre,
Croire du bien d’autrui, qu’il amoindrit le nôtre ;
C’est là ce que j’appelle être envieux, jaloux ;
C’est à cet homme-là que je porte mes coops…

« Recommencez-vous donc ? Ah ! bon Dieu ! trêve, trêve ! »
Oui, par pitié pour toi, jaloux P…r, j’achève.







(Extrait des étrennes pour le 1er Janv. 1822)

J’aurais voulu faire une chansonnette,
Ou mieux, peut-être, un petit compliment
Où respirât la grâce, l’enjouement ;
Mais, le moyen, si l’on n’est bon poëte !

Je m’en vais donc, suivant l’antique usage,
Suivant, surtout, les pas de nos aïeux,
Borner mes soins à des souhaits, des vœux ;
Peut-être, c’est le parti le plus sage.

À garçon, donc, je souhaite une femme
D’un corps gentil et d’un esprit bien fait,

Douce, agréable, aimante à son souhait,
Et qui se dise et qu’on appelle dame.

À vierge, aussi, pour époux je souhaite
Jeune homme qui puisse être son bonheur
Qui toujours soit gent et de belle humeur.
Et qui surtout comme reine la traite.

À mère, fille gentille et charmante ;
À père, fils qui soit tout son portrait ;
Vertueux, sage, estimable, discret ;
Et qui jamais parents ne mécontente.

À tous santé de tout mal aise exempte ;
Richesse à ceux que fortune éconduit ;
Bonheur à ceux qu’infortune poursuit,
Et joie à ceux que tristesse tourmente.










Les grands chefs





Faut-il qu’ils soient perdus, un jour,
Ces noms fameux dans notre histoire ?
Doivent-ils à notre mémoire
Échapper sans retour,
Les noms de ces enfants de la simple nature ?
Sans rehausser le ton, enfler nos chalumeaux,
Évoquons des tombeaux,
Ces hommes illustrés sans l’art ni la culture.

Je vois plus d’un brave Crillon,
Sans lettres, vainqueur dams l’arène ;
Plus d’un foudroyant Demosthène,
D’un fleuri Cicéron,
Chez ces peuples par nous appelés sauvages ;
Je vois, chez eux, briller des vertus, des talents,
Des hommes éloquents
Des négociateurs, des héros et des sages.

Je laisse des puissants Incas,
Et de l’illustre Montézume
L’éloge à plus habile plume ;
Et de Pokahontas

Je tairai la grandeur, les vertus magnanimes
Le cœur compatissant, la générosité ;
D’un renom mérité
Chez le Canadien seul je remplirai mes rimes.

Qui mérita, par l’amitié
Qu’il porte aux enfants de la France,
Mainte fois, leur reconnaissance :
Ce fut Garakonthié :
Entre les siens et nous grand négociateur,
Et pacificateur,
Que de fois il nous fut utile et nécessaire !

Salut, ô mortel distingué
Par la droiture et la franchise ;
Dont la candeur fut la devise,
Honneur d’Onnontagué :
Ce que j’estime en toi, c’est bien moins l’éloquence,
L’art de négocier, que la sincérité,
Que la véracité
Et des mœurs, chez les tiens, l’admirable décence.

Qui mérite d’être admiré
Par un cœur tendre, une âme pure ;
Par tous les dons de la nature ?
C’est Ouréhonharé ;
Qui, se donnant aux siens comme exemple et modèle,
Oubliant Denonville[3] et le fatal tillac,

Devient de Frontenac
L’admirateur, l’ami, le compagnon fidèle.
Avec les Canadiens, parfois
Avec les enfants de la France
S’il porte l’épée ou la lance
Contre les Iroquois,
Ne le croyons point lâche et traître à sa patrie :
Non, Ouréhonharé chérit sa nation,
Même avec passion ;
Mais il la voudrait voir hors de sa barbarie.

C’est lui, qui devenu chrétien,
Et près de son heure dernière,
Attentif, entendant un père
Qui, pieux, l’entretient
De Jésus par les Juifs meurtri sur le Calvaire,
Dans un dévot transport, hautement s’écria :
« Eh ! que n’étais-je là ?
« Ah ! je les eusse bien empêché de le faire. »

Qui connaît si bien les moyens,
Le jeu de la diplomatie ?
Qui, si prudemment négocie ?
C’est Téganissorens ;
Qui, trois fois, des Cantons ambassadeur illustre,
Dans l’art de rétablir ou préserver la paix.
L’émule du Français
A, trois fois, des Cantons fait accroître le lustre.

Le prenant sur un plus haut ton, …
D’une humeur plus fière et plus brusque,
L’homme qui jamais ne s’embusque,

C’est Ganihégaton :
Dans son discours jamais il ne feint ni ne flatte ;
C’est lui qui ne craint pas de dire, à Montréal,
À notre général :
« Je préfère à Québec et Boston et Manhatte. »
Entre ces guerriers, quel est donc
Ce chef à la mâle figure,
À la haute et noble stature ?
Ah ! c’est Kondiaronk ;
Ce guerrier valeureux, ce rusé politique,
Ou, pour dire le mot, ce grand homme d’État,
Cet illustre Yendat,
Presque digne du chant de la muse héroïque.
De quel esprit est-il doué,
Quand, deux fois, par sa politique
Et par son adroite rubrique
L’Iroquois est joué ?
Quand, pour le mot plaisant, la fine repartie,
Laissant loin en arrière et Voiture et Balzac,
Le seul de Frontenac,
Peut avec lui lutter à pareille partie.
Qui prit Michillimakinac,
Fit tomber Corlar dans le piège,
Mit devant le Détroit le siège ?
C’est le grand Ponthiac :
Ce chef parmi les chefs, ce nouvel Alexandre,
Qui des mains d’un rival recevant sa boisson
Dédaignant le soupçon
Contre l’avis des siens, aussitôt l’ose prendre ![4]

Mais Ponthiac, homme d’état,
Autant que guerrier magnanime,
Dans le grand dessein qui l’anime,
Veut être potentat.
Il le fut devenu, si sagement faciles,
Yendats, Miamis, Outaouais, Cristineaux,
Sous les mêmes drapeaux,
Eussent pu se montrer ses ordres dociles.

Par nul orateur éclipsé,
Égal au plus grand dans la guerre,
Du plus transcendant caractère,
Se montre Tecumsé :
« Lui ! non, le soleil seul se peut dire mon père, »
Dit-il, en rejetant le fauteuil d’Harrison ;
Et sur le vert gazon,
Il s’assied, se disant sur le sein de sa mère.[5]

Si sa main cueille le laurier
Au camp, sur le champ de bataille,
Son œil du bravache, sans faille,
Distingue le guerrier :
Il connaît l’à-propos de l’ordre et de la marche,
L’art du commandement : c’est qui dit encor.
Par reproche à Proctor :
« Quand Brock disait : Marchons, tu dis rudement : Marche. »

Donnant à son courroux l’essor :
« Pour éviter une défaite,
« Il faut, nis-tu, faire retraite, »
Répond-il à Proctor.
« Comme tu l’as prévu, notre sang, sans le vôtre
« Ne se répandra point pour défendre ces forts :
« Tous tes Anglais sont morts,
« Si leur sang ne se mêle, en combattant, au nôtre. »

Pourtant, revenu du propos
Que le dépit lui mit en tête,
Il consent à faire retraite :
Puis combat en héros,
Et meurt, quand devant lui tout recule et tout plie.
Des tribus, par la mort de ce chef des guerriers.
Se fanent les lauriers ;
Mon chalumeau se brise, et ma tâche est remplie.








La muse qui parfois m’inspire
Une épigramme, une chanson,
D’Horace me prêtant la lyre,
M’ordonne de hausser le ton,
Pour chanter dignement la gloire
Du héros qui, dans notre histoire
S’est fait un immortel renom.

Quel est ce guerrier magnanime
Qu’on remarque entre six héros,
Que l’amour de la gloire anime,
Et porte aux exploits les plus beaux ?
Iberville, nom que j’honore,
Qui mérite de vivre encore,
Inspire-moi des chants nouveaux.

Honneur de la chevalerie,
Cherchant la gloire et le danger,
Il court partout où la patrie
Succombe aux coups de l’étranger :
Les forêts, l’élément liquide,
Le pôle, la zone torride
Ne le sauraient décourager.

Du chevalier suivons les traces
Dans les tristes climats du nord ;
Région de neige et de glaces,
Lugubre image de la mort :
Tantôt marinier intrépide,
Tantôt fantassin homicide,
Tout succombe sous son effort.

Souvent, dans son abord rapide,
Chez les ennemis de son roi,
Son nom, comme celui d’Alcide,
Porte la terreur et l’effroi :
Et dans leurs paniques alarmes,
Se troublant, jetant bas les armes,
Ils se remettent sous la loi.

Si l’ordre du roi ne l’appelle
Dans les camps, parmi les soldats,
Soudain, entraîné par son zèle,
Il vole au milieu des combats ;
Il entend alors la patrie,
Qui d’une voix forte lui crie :
« Guerrier, ne te repose pas. »

Les guerriers n’ont plus rien à craindre,
Quand Iberville est avec eux ;
Ah ! que ses rivaux sont à plaindre,
S’il est au milieu de ses preux !
Deux fois aux rives acadiennes,
Avec ses bandes canadiennes,
Il demeure victorieux.

Autre théâtre de sa gloire,
La grande Île Anglaise le voit
Courir de victoire en victoire,
Entasser exploit sur exploit :
À l’aspect seul de son épée.
La ville de terreur frappée,
Du vainqueur reconnaît le droit.

La plage septentrionale.
Le voit pour la troisième fois ;
Mais, las ! la tempête fatale
Le semble réduire aux abois :
Il n’a plus qu’un vaisseau sur quatre,
Et le sort l’oblige à combattre
Ses ennemis, seul contre trois.

Faut-il que le héros succombe,
Victime d’un malheureux sort ?
Qu’il soit captif, ou que la tombe
Pour lui se trouve sur son bord ?
Du combat quelle fut la suite ?
L’un périt, l’autre prend la fuite.
Et l’autre entre captif au port…

De son roi le vœu pacifique
L’éloignant du sein des combats,
Pour le bien de la république,
Il paraît en d’autres climats :
Se transportant de plage en plage,
Notre héros devient un sage,
Et fonde de nouveaux états.

Ce grand homme comblé de gloire,
Iberville était Canadien ;
Mais pour honorer sa mémoire,
Son pays encore n’a fait rien :
De ses bienfaits reconnaissante
Ailleurs une ville naissante
A pris son nom et le retient.[6]




  1. Pour payement s’entend.
  2. Militaire et voyageur qui a écrit des Lettres, etc., sur le Canada, et qui ne jouit pas de la meilleure réputation de véracité. On fait particulièrement allusion ici à ce qu’il dit des dames de Montréal.
  3. Ourêhonhafé fut un des chefs iroquois attirés à Cataracouy par le marquis Denonville, et perfidement arrêtés et embarqués pour la France.
  4. Le guerrier Pontiac était brouillé avec les Anglais en 1762 : le major Roberts, chargé de le regagner, lui envoya de l’eau de vie. Quelques guerriers, qui entouraient leur chef, voulaient qu’on rejetât un présent si suspect, ne doutant pas que l’eau de vie ne fut empoisonnée. « Non, dit Ponthiac, l’homme qui est sûr de mon estime, et à qui j’ai rendu de si grands services ne peut songer à m’ôter le jour. » Et il avala la boisson d’un air aussi assuré qu’aurait pu te faire le plus intrépide héros de l’antiquité.
  5. Au conseil tenu à Vincennes, en 1811, Técumsé ayant fini sa harangue, regarda autour de lui, et voyant que chacun était assis et qu’il ne restait pas de siège, un dépit soudain se manifesta dans toute sa contenance. Aussitôt, le général Harrison ordonna qu’on lui donnât une chaise : quelqu’un lui en apporta une et lui dit, en s’inclinant : « Guerrier, votre père, le général Harrison, vous présente un siège. » « Mon père, s’écria le chef avec indignation, le soleil est mon père, et la terre est ma mère ; elle me nourrit et je repose sur son sein. Et aussitôt, il s’assit à terre, les jambes croisées.
  6. Depuis la publication de cette poésie un comté de la province de Québec a pris le nom d’Iberville.