Le second livre des Sonnets pour Hélène

Sonnets pour Hélène, Texte établi par Roger Sorgéds. Bossard (p. 121-210).
LE SECOND LIVRE
DES SONNETS
POUR HELENE


I

Soit qu’un sage amoureux ou soit qu’un sot me lise,
Il ne doit s’esbayr voyant mon chef grison,
Si je chante d’amour : tousjours un vieil tison
Cache un germe de feu dessous la cendre grise.

Le bois verd à grand’peine en le souflant s’attise,
Le sec sans le soufler brusle en toute saison.
La Lune se gaigna d’une blanche toison,
Et son vieillard Tithon l’Aurore ne mesprise.

Lecteur, je ne veux estre escoLIer de Platon,
Qui pour trop contempler a tousjours le teint blesme :
Ny volontaire Icare ou lourdaut Phaëthon,

Perdus pour attenter une sottise extrême :
Mais sans me contrefaire ou Voleur ou Charton,
De mon gré je me noye et me brusle moymesme.

II

Afin qu’en renaissant de siècle en siècle vive
La parfaite amitié que Ronsard vous portoit,
Comme vostre beauté la raison luy ostoit,
Comme vous enchaisnez sa liberté captive :

Afin que d’âge en âge à nos neveux arrive,
Que toute dans mon sang vostre figure estoit,
Et que rien sinon vous mon cœur ne souhaitoit,
Je vous fais un présent de ceste Sempervive.

Elle vit longuement en sa jeune verdeur :
Long temps après la mort je vous feray revivre,
Tant peut le docte soin d’un gentil serviteur,

Qui veut en vous servant toutes vertus ensuivre.
Vous vivrez et croistrez comme Laure en grandeur,
Au moins tant que vivront les plumes et le livre.

III

Amour, qui as ton règne en ce monde si ample,
Voy ta gloire et la mienne errer en ce jardin :
Voy comme son bel œil, mon bel astre divin.
Surmonte de clairté les lampes de ton Temple.

Voy son corps des beautez le portrait et l’exemple,
Qui ressemble une Aurore au plus beau du matin :
Voy son front, mais un ciel seigneur de mon Destin,
Où comme en un miroer Nature se contemple.

Voy-la marcher pensive, et n’aimer rien que soy,
T’emprisonner de fleurs et triompher de toy :
Voy naistre soubs ses pieds les herbes bien-heureuses.

Voy sortir un Printemps des rayons de ses yeux :
Et voy comme à l’envy ses flames amoureuses
Embellissent la terre et serenent les Cieux.

IV

Tandis que vous dancez et ballez à vostre aise.
Et masquez vostre face ainsi que vostre cœur,
Passionné d’amour, je me plains en langueur,
Ore froid comme neige, ore chaud comme braise.

Le Carnaval vous plaist : je n’ay rien qui me plaise
Sinon de souspirer contre vostre rigueur.
Vous appeller ingrate, et blasmer la longueur
Du temps que je vous sers sans que mon mal s’appaise.
 
Maistresse, croyez moy je ne fais que pleurer,
Lamenter souspirer et me désespérer :
Je désire la mort et rien ne me console.

Si mon front si mes yeux ne vous en sont tesmoins.
Ma plainte vous en serve, et permettez au moins
Qu’aussi bien que le cœur je perde la parole.

V

N’oubliez, mon Hélène, aujourd’huy qu’il faut prendre
Des cendres sur le front, qu’il n’en faut point chercher
Autre part qu’en mon cœur, que vous faites seicher,
Vous riant du plaisir de le tourner en cendre.
 
Quel pardon pensez-vous des Célestes attendre ?
Le meurtre de vos yeux ne se sçauroit cacher :
Leurs rayons m’ont tué, ne pouvant estancher
La playe qu’en mon sang leur beauté fait descendre.

La douleur me consume, ayez de moy pitié.
Vous n’aurez de ma mort ny profit ny louange :
Cinq ans méritent bien quelque peu d’amitié.

Vostre volonté passe et la mienne ne change.
Amour qui voit mon cœur voit vostre mauvaistié :
Il tient l’arc en la main, gardez qu’il ne se vange.

VI

ANAGRAMME.

Tu es seule mon cœur, mon sang et ma Déesse,
Ton œil est le file et le ré bien-heureux,
Qui prend, quand il luy plaist, les hommes genereux,
Et se prendre des sots jamais il ne se laisse,

L’honneur, la chasteté, la vertu, la sagesse,
Logent en ton esprit, lequel rend amoureux
Tous ceux qui de nature ont un cœur désireux
D’honorer les beautez d’une docte Maistresse.

Les noms ont efficace et puissance et vertu :
Je le voy par le tien, lequel m’a combatu
Et l’esprit et le corps par armes non légères.
 
Sa force à moy fatale a causé mon soucy.
Voilà comme de nom, d’effect tu es aussi
Le ré des genereus, Elene de Surgeres.

VII

Ha que ta Loy fut bonne et digne d’estre apprise,
Grand Moise, grand Prophète, et grand Minos de Dieu,
Qui grand Législateur commandas à l’Hebrieu
Qu’après sept ans passez liberté fust acquise.

Je voudrois, grand Guerrier, que celle que j’ay prise
Pour Dame, et qui se sied de mon cœur au milieu,
Voulust qu’en mon endroit ton ordonnance eust lieu,
Et qu’au bout de sept ans m’eust remis en franchise.

Sept ans sont ja passez qu’en servage je suis :
Servir encor sept ans de bon cœur je la puis,
Pourveu qu’au bout du temps de son cœur je jouisse.

Mais ceste Grecque Helene ayant peu de souci
De la loy des Hebrieux, d’un courage endurci
Contre les loix de Dieu n’affranchit mon service.

VIII

Je plante en ta faveur cest arbre de Cybelle,
Ce Pin, où tes honneurs se liront tous les jours :
J’ay gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
Qui croistront à l’envy de l’escorce nouvelle.

Faunes qui habitez ma terre paternelle,
Qui menez sur le Loir vos dances et vos tours.
Favorisez la plante et luy donnez secours,
Que l’Esté ne la brusle, et l’Hyver ne la gelle.
 
Pasteur qui conduiras en ce lieu ton troupeau.
Flageolant une Eclogue en ton tuyau d’aveine,
Attache tous les ans à cest arbre un tableau.
 
Qui tesmoigne aux passans mes amours et ma peine :
Puis l’arrosant de laict et du sang d’un agneau,
Dy, Ce Pin est sacré, c’est la plante d’Helene.

IX

Ny la douce pitié, ny le pleur lamentable
Ne t’ont baillé ton nom : ton nom Grec vient d’ester,
De ravir, de tuer, de piller, d’emporter
Mon esprit et mon cœur, ta proye misérable.

Homère en se jouant de toy fit une fable,
Et moy l’histoire au vray. Amour, pour te flater,
Comme tu fis à Troye, au cœur me vient jetter
Le feu qui de mes os se paist insatiable.

La voix, que tu feignois à l’entour du Cheval
Pour décevoir les Grecs, me devoit faire sage :
Mais l’homme de nature est aveugle à son mal,

Qui ne peut se garder ny prévoir son dommage ;
Au pis-aller je meurs pour ce beau nom fatal.
Qui mit toute l’Asie et l’Europe en pillage.

X

Adieu belle Cassandre, et vous belle Marie,
Pour qui je fu trois ans en servage à Bourgueil :
L’une vit, l’autre est morte, et ores de son œil
Le Ciel se resjouyst dont la terre est marrie.
 
Sur mon premier Avril, d’une amoureuse envie
J’adoray vos beautez : mais vostre fier orgueil
Ne s’amollit jamais pour larmes ny pour dueil,
Tant d’une gauche main la Parque ourdit ma vie.

Maintenant en Automne encores malheureux,
Je vy comme au Printemps de nature amoureux,
Afin que tout mon âge aille au gré de la peine.
 
Et or’que je deusse estre affranchi du harnois,
Mon Colonnel m’envoye à grands coups de carquois,
R’assieger Ilion pour conquérir Heleine. [

XI

Trois jours sont ja passez que je suis affamé
De vostre doux regard, et qu’à l’enfant je semble
Que sa nourrice laisse, et qui crie et qui tremble
De faim en son berceau, dont il est consommé.

Puis que mon œil ne voit le vostre tant aimé,
Qui ma vie et ma mort en un regard assemble,
Vous deviez, pour le moins, m’escrire, ce me semble :
Mais vous avez le cœur d’un rocher enfermé.

Fiere ingrate et rebelle, à mon dam trop superbe,
Vostre courage dur n’a pitié de l’amour,
Ny de mon palle teint ja flestry comme une herbe.

Si je suis sans vous voir deux heures à séjour.
Par espreuve je sens ce qu’on dit en proverbe.
L’amoureux qui attend se vieillist en un jour.

XII

Prenant congé de vous, dont les yeux m’ont domté,
Vous me distes un soir comme passionnée,
Je vous aime, Ronsard, par seule destinée,
Le Ciel à vous aimer force ma volonté.

Ce n’est pas vostre corps, ce n’est vostre beauté
Ny vostre âge qui fuit vers l’Automne inclinée :
Ja cela s’est perdu comme une fleur fanée :
C’est seulement du Ciel l’injuste cruauté.

Vous voyant, ma Raison ne s’est pas défendue.
Vous puissé-je oublier comme chose perdue.
Helas ! je ne sçaurois et je le voudrois bien.

Le voulant, je rencontre une force au contraire
Puis qu’on dit que le Ciel est cause de tout bien,
Je n’y veux résister, il le faut laisser faire.

XIII

Quand je pense à ce jour, où près d’une fontaine
Dans le jardin royal ravy de ta douceur,
Amour te descouvrit les secrets de mon cœur,
Et de combien de maux j’avois mon ame pleine :

Je me pasme de joye, et sens de veine en veine
Couler ce souvenir, qui me donne vigueur,
M’aguise le penser, me chasse la langueur,
Pour espérer un jour une fin à ma peine.

Mes Sens de toutes parts se trouvèrent contens,
Mes yeux en regardant la fleur de ton Printemps,
L’oreille en t’escoutant : et sans ceste compagne,

Qui tousjours nos propos tranchoit par le milieu,
D’aise au Ciel je volois, et me faisois un Dieu :
Mais tousjours le plaisir de douleur s’accompagne.

XIV

A l’aller, au parler, au flamber de tes yeux,
Je sens bien, je voy bien que tu es immortelle :
La race des humains en essence n’est telle :
Tu es quelque Démon ou quelque Ange des cieux.

Dieu pour favoriser ce monde vicieux.
Te fit tomber en terre, et dessus la plus belle
Et plus parfaite idée inventa la modelle
De ton corps, dont il fut luy-mesmes envieux.

Quand il fit ton esprit, il se pilla soy-mesme :
Il print le plus beau feu du Ciel le plus suprême
Pour animer ta masse, ainçois ton beau printemps.

Hommes, qui la voyez de tant d’honneur pourveue,
Tandis qu’elle est çà bas, soulez-en vostre veue.
Tout ce qui est parfait ne dure pas long temps.

XV

Je ne veux comparer tes beautez à la Lune :
La Lune est inconstante, et ton vouloir n’est qu’un.
Encor moins au Soleil : le Soleil est commun,
Commune est sa lumière, et tu n’es pas commune.

Tu forces par vertu l’envie et la rancune.
Je ne suis, te louant, un flateur importun.
Tu semblés à toy-mesme, et n’a portrait aucun :
Tu es toute ton Dieu, ton estre et ta Fortune.

Ceux qui font de leur Dame à toy comparaison.
Sont ou présomptueux, ou perclus de raison :
D’esprit et de sçâvoir de bien loin tu les passes :

Ou bien quelque Démon de ton corps s’est vestu,
Ou bien tu es portrait de la mesme Vertu,
Ou bien tu es Pallas, ou bien l’une des Grâces.

XVI

Si vos yeux cognoissoyent leur divine puissance,
Et s’ils se pouvoyent voir, ainsi que je les voy.
Ils ne s’estonneroyent, se cognoissant, dequoy
Divins ils ont veincu une mortelle essence.

Mais par faute d’avoir d’eux-mesmes cognoissance,
Ils ne peuvent juger du mal que je reçoy
Seulement mon visage en tesmoigne pour moy.
Le voyant si desfait, ils voyent leur puissance.

Yeux, où devroit loger une bonne amitié.
Comme vous regardez tout le Ciel et la terre.
Que ne penetrez-vous mon cœur par la moitié ?

Ainsi que de ses rais le Soleil fait le verre,
Si vous le pouviez voir vous en auriez pitié.
Et aux cendres d’un mort vous ne feriez la guerre.

XVII

Si de vos doux regars je ne vais me repaistre
A toute heure, et tousjours en tous lieux vous chercher,
Helas ! pardonnez-moy : j’ay peur de vous fascher.
Comme un serviteur craint de desplaire à son maistre.
 
Puis je crains tant vos yeux, que je ne sçaurois estre
Une heure en les voyant sans le cœur m’arracher,
Sans me troubler le sang : pource il faut me cacher,
Afin de ne mourir pour tant de fois renaistre.

J’avois cent fois juré de ne les voir jamais.
Me parjurant autant qu’autant je le promets :
Car soudain je retourne à r’engluer mon aile.

Ne m’appelez donq plus dissimulé ne feint.
Aimer ce qui fait mal, et revoir ce qu’on craint.
Est le gage certain d’un service fidèle.

XVIII

Je voyois me couchant, s’esteindre une chandelle,
Et je disois au lict bassement à-par-moy,
Pleust à Dieu que le soin, que la peine et l’esmoy,
Qu’Amour m’engrave au cœur, s’esteignissent comme elle.

Un mastin enragé, qui de sa dent cruelle
Mord un homme, il luy laisse une image de soy,
Qu’il voit tousjours en l’eau : Ainsi tousjours je voy
Soit veillant ou dormant, le portrait de ma belle.

Mon sang chaud en est cause. Or comme on voit souvent
L’Esté moins bouillonner que l’Automne suivant,
Mon Septembre est plus chaud que mon Juin de fortune.

Helas ! pour vivre trop, j’ay trop d’impression.
Tu es mort une fois, bien-heureux Ixion,
Et je meurs mille fois pour n’en mourir pas une.

XIX

Bon jour ma douce vie, autant remply de joye,
Que triste je vous dis au départir adieu :
En vostre bonne grâce, hé dites-moy quel lieu
Tient mon cœur, que captif devers vous je r’envoye :

Ou bien si la longueur du temps et de la voye
Et l’absence des lieux ont amorty le feu
Qui commençoit en vous à se monstrer un peu :
Au moins s’il n’est ainsi, trompé je le pensoye.
 
Par espreuve je sens que les amoureux traits
Blessent plus fort de loin qu’à l’heure qu’ils sont près,
Et que l’absence engendre au double le servage.

Je suis content de vivre en l’estât où je suis.
De passer plus avant je ne dois ny ne puis :
Je deviendrois tout fol, où je veux estre sage.

XX

Amour, qui tiens tout seul de mes pensers la clef,
Qui ouvres de mon cœur les portes et les serres,
Qui d’une mesme main me guaris et m’enferres,
Qui me fais trespasser et vivre derechef :

Tu distilles ma vie en si pauvre méchef,
Qu’herbes drogues ny jus ny puissance de pierres
Ne pourroyent m’alleger, tant d’amoureuses guerres
Sans trêves tu me fais, du pied jusques au chef.
 
Oiseau, comme tu es, fay moy naistre des ailes,
Afin de m’en-voler pour jamais ne la voir :
En volant je perdray les chaudes estincelles,

Que ses yeux sans pitié me firent concevoir.
Dieu nous vend chèrement les choses qui sont belles.
Puis qu’il faut tant de fois mourir pour les avoir.

XXI

Amour, tu es trop fort, trop foible est ma Raison
Pour soustenir le camp d’un si rude adversaire.
Trop tost, sotte Raison, tu te laisses desfaire :
Dés le premier assaut on te meine en prison.

Je veux, pour secourir mon chef demi-grison,
Non la Philosophie ou les Loix : au contraire
Je veux ce deux-fois nay, ce Thebain, ce Bon père,
Lequel me servira d’une contrepoison

Il ne faut qu’un mortel un immortel assaille.
Mais si je prens un jour cest Indien pour moy,
Amour, tant sois tu fort, tu perdras la bataille,

Ayant ensemble un homme et un Dieu contre toy.
La Raison contre Amour ne peut chose qui vaille :
Il faut contre un grand Prince opposer un grand Roy.

XXII

Cusin, monstre à double aile, au mufle Elephantin,
Canal à tirer sang, qui voletant en presse
Sifles d’un son aigu, ne picque ma Maistresse,
Et la laisse dormir du soir jusqu’au matin.
 
Si ton corps d’un atome et ton nez de mastin
Cherche tant à picquer la peau d’une Déesse,
En lieu d’elle, Cusin, la mienne je te laisse :
Que mon sang et ma peau te soyent comme un butin.
 
Cusin, je m’en desdy : hume moy de la belle
Le sang, et m’en apporte une goutte nouvelle
Pour gouster quel il est. Hà, que le sort fatal

Ne permet à mon corps que le tien il peust estre !
Boivant son tiède sang, je luy farcis cognestre
Qu’un petit ennemy fait souvent un grand mal.

XXIII

Aller en marchandise aux Indes précieuses,
Sans acheter ny or ny parfum ny joyaux,
Hanter sans avoir soif les sources et les eaux,
Fréquenter sans bouquets les fleurs délicieuses.

Courtiser et chercher les Dames amoureuses,
Estre tousjours assise au milieu des plus beaux,
Et ne sentir d’amour ny flèches ny flambeaux,
Ma Dame, croyez-moi, sont choses monstrueuses.

C’est se tromper soy-mesme : aussi tousjours j’ay creu
Qu’on pouvoit s’eschaufer en s’approchant du feu.
Et qu’en prenant la glace et la neige on se gelle.

Puis il est impossible estant si jeune et belle.
Que vostre cœur gentil d’Amour ne soit esmeu.
Sinon d’un grand brasier, au moins d’une estincelle.

XXIV

Amour, je pren congé de ta menteuse escole,
Où j’ai perdu l’Esprit, la Raison et le Sens,
Où je me suis trompé, où j’ay gasté mes ans,
Où j’ay mal-employé ma jeunesse trop folle.

Malheureux qui se fie en un enfant qui voile,
Qui a l’esprit soudain, les efîects inconstans.
Qui moissonne nos fleurs avant nostre printans,
Qui nous paist de créance et d’un songe frivole.

Jeunesse l’allaicta, le sang chaud le nourrit.
Guider l’ensorcela, paresse le pourrit.
Entre les voluptez vaines comme fumées.

Cassandre me ravit, Marie me tint pris,
Ja grison à la Cour d’une autre je m’espris.
Le feu d’Amour ressemble aux pailles allumées.

XXV

Le mois d’Aoust bouillonnoit d’une chaleur esprise
Quand j’allay voir ma Dame assise auprès du feu :
Son habit estoit gris, duquel je me despieu,
La voyant toute palle en une robbe grise.

Que plaignez— vous, disoy-je, en une chaire assise ?
Je tremble et la chaleur reschaufer ne m’a peu,
Tout le corps me fait mal, et vivre je n’ay peu
Saine comme j’estois, tant l’ennuy me tient prise.

Si l’Esté, la jeunesse et le chaud n’ont pouvoir
D’eschaufer vostre sang, comment pourroy-je voir
Sortir un feu d’une âme en glace convertie ?

Mais, Corps, ayant souci de me voir en esmoy,
Serois-tu point malade en langueur comme moy,
Tirant à toy mon mal par une sympathie ?

XXVI

Au milieu de la guerre, en un siècle sans foy,
Entre mille procez, est-ce pas grand’folie
D’escrire de l’Amour ? De manotes on lie
Les fols qui ne sont pas si furieux que moy.

Grison et maladif r’entrer dessous la loy
D’Amour, ô quelle erreur ! Dieux, merci je vous crie.
Tu ne m’es plus Amour, tu m’es une Furie,
Qui me rens fol, enfan, et sans yeux comme toy :

Voir perdre mon pays, proye des adversaires,
Voir en nos estendards les fleurs de liz contraires.
Voir une Thebayde et faire l’amoureux !

Je m’en vais au Palais : adieu vieilles Sorcières.
Muses je prens mon sac, je seray plus heureux
En gaignant mes procez, qu’en suivant vos rivières.

XXVII

Le Juge m’a trompé : ma Maistresse m’enserre
Si fort en sa prison, que j’en suis tout transi :
La guerre est a mon huis. Pour charmer mon souci,
Page, verse à longs traits du vin dedans mon verre.

Au vent aille l’amour, le procez et la guerre,
Et la melancholie au sang froid et noirci :
Adieu rides adieu, je ne y plus ainsi :
Vivre sans volupté c’est vivre sous la terre.

La Nature nous donne assez d’autres malheurs
Sans nous en acquérir. Nud je vins en ce monde,
Et nud je m’en iray. Que me servent les pleurs,

Sinon de m’attrister d’une angoisse profonde ?
Chasson avec le vin le soin et les malheurs :
Je combas les soucis, quand le vin me seconde.

XXVIII

Ma peine me contente, et prens en patience
La douleur que je sens, puis qu’il vous plaist ainsi.
Et que daignez avoir souci de mon souci,
Et prendre par mon mal du vostre expérience.

Je nourriray mon feu d’une douce espérance.
Puis que vostre desdain vers moy s’est adouci.
Pour résister au mal mon cœur s’est endurci,
Tant la force d’Amour me donne d’asseurance.

Aussi quand je voudrois, je ne pourrois celer
Le feu dont vos beaux veux me forcent de brusler.
Je suis soulfre et salpestre, et vous n’estes que glace.

De parole et d’escrit je monstre ma langueur :
La passion du cœur m’apparoist sur la face,
La face ne ment point : c’est le mirouer du cœur.

XXIX

Vous triomphez de moy, et pource je vous donne
Ce Lierre qui coule et se glisse à l’entour
Des arbres et des murs, lesquels tour dessus tour,
Plis dessus plis il serre, embrasse et environne.

A vous de ce Lierre appartient la Couronne.
Je voudrois, comme il fait, et de nuict et de jour
Me plier contre vous, et languissant d’amour.
D’un nœud ferme enlacer vostre belle colonne.

Ne viendra point le temps que dessous les rameaux,
Au matin où l’Aurore esveille toutes choses,
En un Ciel bien tranquille, au caquet des oiseaux

Je vous puisse baiser à lèvres demy-closes.
Et vous conter mon mal, et de mes bras jumeaux
Embrasser à souhait vostre yvoire et vos roses ?

MADRIGAL

Voyez comme tout change (hé qui l’eust espéré !)
Vous me souliez donner, maintenant je vous donne
Des bouquets et des fleurs : Amour vous abandonne,
Qui seul dedans mon cœur est ferme demeuré.

Des Dames le vouloir n’est jamais mesuré,
Qui d’une extrême ardeur tantost se passionne,
Tantost d’une froideur extrême l’environne,
Sans avoir un milieu longuement asseuré.

Voila comme Fortune en se jouant m’abaisse :
Vostre appréhension et vostre seul penser
Un temps furent à moy, or’ vostre amour me laisse.
Le temps peut toute chose à la fin effacer.
 
Ne vous mocquez pourtant du lien qui me presse,
Soyez douce à mon cœur sans tant le reblesser.
Dieu pour punir l’orgueil commet une Déesse
Son sein vous esclouyt, gardez de l’offenser.

XXX

Ma Dame beut a moy, puis me bailla sa tasse,
Beuvez, dit-ell’, ce reste où mon cœur j’ay versé :
Et alors le vaisseau des lèvres je pressay,
Qui comme un Batelier son cœur dans le mien passe.
 
Mon sang renouvelle tant de forces amasse
Par la vertu du vin qu’elle m’avoit laissé,
Que trop chargé d’esprits et de cœurs, je pensay
Mourir dessous le faix, tant mon ame estoit lasse.

Ah Dieux, qui pourroit vivre avec telle beauté
Qui tient tousjours Amour en son vase arresté ?
Je ne devois en boire, et m’en donne le blâme.

Ce vase me lia tous les Sens dés le jour
Que je beu de son vin, mais plustost une flame.
Mais plustost un venin, qui m’en-yvra d’amour.

XXXI

J’avois esté saigné, ma Dame me vint voir
Lorsque je languissois d’une humeur froide et lente :
Se tournant vers mon sang, comme toute riante
Me dist en se jouant, Que vostre sang est noir !

Le trop penser en vous a peu si bien mouvoir
L’imagination, que l’ame obéissante
A laisse la chaleur naturelle impuissante
De cuire de nourrir de faire son devoir.

Ne soyez plus si belle, et devenez Medee :
Colorez d’un beau sang ma face ja ridée.
Et d’un nouveau Printemps faites moy r’animer.
 
Æson vit rajeunir son escorce ancienne :
Nul charme ne sçauroit renouveller la mienne.
Si je veux rajeunir il ne faut plus aimer.

XXXII

Si la beauté se perd fais-en part de bonne heure,
Tandis qu’en son Printemps tu la vois fleuronner :
Si elle ne se perd, ne crain point de donner
A tes amis le bien qui tousjours te demeure.

Venus, tu devrois estre en mon endroit meilleure,
Et non dedans ton camp ainsi m’abandonner :
Tu me laisses toy-mesme esclave emprisonner
Es mains d’une cruelle où il faut que je meure.

Tu as changé mon aise et mon doux en amer :
Que devoy-je espérer de toy, germe de mer,
Sinon toute tempeste ? et de toy qui es femme

De Vulcan, que du feu ? de toy garce de Mars,
Que couteaux, qui sans cesse environnent mon âme
D’orages amoureux de fiâmes et de dars ?

XXXIII

Amour seul artizan de mes propres mal-heurs,
Contre qui sans repos au combat je m’essaye,
M’a fait dedans le cœur une mauvaise playe.
Laquelle en lieu de sang ne verse que des pleurs.

Le meschant m’a fait pis, choisissant les meilleurs
De ses traits, ja trempez aux veines de mon faye :
La langue m’a navrée, à fin que je bégaye
En lieu de raconter à chacun mes douleurs.

Phebus, qui sur Parnasse aux Muses sers de guide,
Pren l’arc, revenge moy contre mon homicide :
J’ay la langue et le cœur percez t’ayant suivy.

Voy comme l’un et l’autre en bégayant me saigne.
Phebus, dés le berceau j’ai suivy ton enseigne,
Conserve les outils qui t’ont si bien seni.

XXXIV

Cythere entroit au bain, et te voyant près d’elle
Son Ceste elle te baille à fin de le garder.
Ceinte de tant d’amours tu me vins regarder
Me tirant de tes yeux une flèche cruelle.

Muses, je suis navré, ou ma playe mortelle
Guarissez, ou cessez de plus me commander.
Je ne suy vostre escole, à fin de demander
Qui fait la Lune vieille, ou qui la fait nouvelle.

Je ne vous fais la Cour, comme un homme ocieux,
Pour apprendre de vous le mouvement des Cieux,
Que peut la grande Eclipse, ou que peut la petite,

Ou si Fortune ou Dieu ont fait cest Univers :
Si je ne puis fléchir Hélène par mes vers,
Cherchez autre escolier, Déesses je vous quitte

XXXV

J’ay honte de ma honte, il est temps de me taire,
Sans taire l’amoureux en un chef si prison,
Il vaut mieux obeyr aux loix de la Raison,
Qu’estre plus désormais en l’amour volontaire.
 
Je l’ay juré cent fois : mais je ne le puis faire.
Les Roses pour l’Hyver ne sont plus de saison :
Voicy le cinquicsme an de ma longue prison,
Esclave entre les mains d’une belle Corsaire.

Maintenant je veux estre importun amoureux
Du bon pere Aristote, et d’un soin généreux
Courtizer un Platon à nostre vie utile.
 
Il est temps que je sois de l’Amour deslié :
Il vole comme un Dieu : homme je vais à pié.
Il est jeune il est fort : je suis gris et débile.

XXXVI

Maintenant que l’Hyver de vagues empoulees
Orgueillist les Torrens, et que le vent qui fuit
Fait ores esclatter les rives d’un grand bruit,
Et ores des forests les testes efeuillees :

Je voudrois voir d’Amour les deux ailes gelées.
Voir ses traicts tous gelez, desquels il me poursuit,
Et son brandon gelé dont la chaleur me cuit
Les veines que sa flame a tant de fois bruslees.

L’Hyver est tousjours fait d’un gros air espessi,
Pour le Soleil absent ny chaud ny esclairci :
Et mon ardeur se fait des rayons d’une face,

Laquelle me nourrit d’imagination.
Tousjours dedans le sang j’en ay l’impression,
Qui force de l’Hyver les neiges et la glace.

XXXVII

Une seule vertu, tant soit parfaite et belle.
Ne pourroit jamais rendre un homme vertueux :
Il faut le nombre entier en rien défectueux :
Le Printemps ne se fait d’une seule arondelle.

Toute vertu divine acquise et naturelle
Se loge en ton esprit. La Nature et les Cieux
Ont versé dessus toy leurs dons plus précieux :
Puis pour n’en faire plus ont rompu le modelle.

Ici à ta beauté se joint la Chasteté,
Ici l’honneur de Dieu, ici la Pieté,
La crainte de mal-faire, et la peur d’infamie :

Ici un cœur constant, qu’on ne peut esbranler.
Pource en lieu de mon cœur, d’Helene et de ma vie,
Je te devrois plustost mon Destin appeler.

XXXVIII

Yeux, qui versez en l’ame ainsi que deux Planettes,
Un esprit qui pourroit ressusciter les morts,
Je sçay dequoi sont faits tous les membres du corps,
Mais je ne puis sçavoir quelle chose vous estes.

Vous n’estes sang ny chair, et toutefois vous faites
Des miracles en moy, tant vos regards sont forts,
Si bien qu’en foudroyant les miens par le dehors.
Dedans vous me tuez de cent mille sagettes.

Yeux la forge d’Amour, Amour n’a point de traits
Que les poignans esclairs qui sortent de vos rais.
Dont le moindre à l’instant toute l’ame me sonde.

Sans les sentir je meurs : soudain je suis refait
Quand je les sens au cœur, ayant le mesme effect
En moy par leur chaleur qu’a le Soleil au monde.

XXXIX

Comme un vieil combatant qui ne veut plus s’armer,
Ayant le corps chargé de coups et de vieillesse,
Regarde en s’esbatant l’Olympique jeunesse
Pleine d’un sang bouillant aux joustes escrimer :

Ainsi je regardois du jeune Dieu d’aimer,
Dieu qui combat tousjours par ruse et par finesse.
Les gaillards champions, qui d’une chaude presse
Se veulent en l’arene amoureuse enfermer :

Quand tu lis reverdir mon escorce ridée
De ta charmante voix, ainsi que fit Medee
Par herbes et par jus le père de Jason.

Je n’ay contre ton charme opposé ma défense :
Toutefois je me deuls de r’entrer en enfance,
Pour perdre tant de fois l’esprit et la Raison.

XL

Laisse de Pharaon la terre Egyptienne,
Terre de servitude, et vien sur le Jourdain :
Laisse moy ceste Cour et tout ce fard mondain
Ta Circe, ta Serene, et ta magicienne.

Demeure en ta maison pour vivre toute tienne,
Contente toy de peu : l’âge s’enfuit soudain.
Pour trouver ton repos, n’atten point à demain :
N’atten point que l’hyver sur les cheveux te vienne.

Tu ne vois à ta Cour que feintes et soupçons :
Tu vois tourner une heure en cent mille façons :
Tu vois la vertu fausse, et vraye la malice.

Laisse ces honneurs pleins d’un soin ambitieux,
Tu ne verras aux champs que Nymphes et que Dieux,
Je seray ton Orphée, et toy mon Eurydice.

XLI

Ces longues nuicts d’hyver, où la Lune ocieuse
Tourne si lentement son char tout à l’entour,
Où le Coq si tardif nous annonce le jour,
Où la nuict est année à l’ame soucieuse :

Je fusse mort d’ennuy sans ta forme douteuse,
Qui vient, ô doux remède, alléger mon amour,
Et faisant toute nue entre mes bras séjour,
Rafraichist ma chaleur, bien qu’elle soit menteuse.

Vraye tu es farouche et fiere en cruauté :
On jouist de ta feinte en toute privauté.
Près d’elle je m’endors, près d’elle je repose.
 
Rien ne m’est refusé. Le bon sommeil ainsi
Abuse par le faux mon amoureux souci.
S’abuser en amour n’est pas mauvaise chose.

XLII

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous esmerveillant,
Ronsard me celebroit du temps que j’estois belle.

Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie.
 
Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie.

XLIII

Genévres hérissez, et vous Houx espineux.
L’un hoste des déserts, et l’autre d’un bocage :
Lierre, le tapis d’un bel antre sauvage,
Sources qui bouillonnez d’un surgeon sablonneux :

Pigeons qui vous baisez d’un baiser savoureux,
Tourtres qui lamentez d’un éternel vefvage,
Rossignols ramagers, qui d’un plaisant langage
Nuict et jour rechantez vos versets amoureux :

Vous à la gorge rouge estrangere Arondelle,
Si vous voyez aller ma Nymphe en ce Printemps
Pour cueillir des bouquets par ceste herbe nouvelle,

Dites luy pour néant que sa grâce j’attens,
Et que pour ne souffrir le mal que j’ay pour elle,
J’ay mieux aimé mourir que languir si long temps

XLIV

Celle, de qui l’Amour vainquit la fantaisie,
Que Jupiter conceut sous un Cygne emprunté :
Ceste sœur des Jumeaux, qui fist par sa beauté
Opposer toute Europe aux forces de l’Asie,

Disoit à son mirouer, quand elle vit saisie
Sa face de vieillesse et de hideuseté :
Que mes premiers Maris insensez ont esté
De s’armer pour jouyr d’une chair si moisie !

Dieux, vous estes jaloux et pleins de cruauté !
Des dames sans retour s’en-vole la beauté :
Aux serpens tous les ans vous ostez la vieillesse.

Ainsi disoit Helene en remirant son teint.
Cest exemple est pour vous : cueillez vostre jeunesse.
Quand on perd son Avril, en Octobre on s’en plaint.

XLV

Ha ! que je suis marry que la mort nous desrobe
Celuy qui le premier me fist voir ton attrait :
Je le vy de si loin, que la poincte du trait
Demeura sans entrer dans les plis de ma robe.
 
Mais ayant de plus près entendu ta parole,
Et veu ton œil ardent, qui de moy m’a distrait,
Au cœur tomba la flèche avecque ton portrait,
Mais plustost le portrait de ce Dieu qui m’affole.

Esblouy de ta veue, où l’Amour fait son ny,
Claire comme un Soleil en flames infiny.
Je n’osois t’aborder, craignant de plus ne vivre.
 
Je fu trois mois rétif : mais l’Archer qui me vit,
Si bien à coups de traits ma crainte poursuint,
Que battu de son arc m’a forcé de te suivre.

XLVI

Lettre, je te reçoy, que ma Déesse en terre
M’envoye pour me faire ou joyeux, ou transi,
Ou tous les deux ensemble : ô Lettre, tout ainsi
Que tu m’apportes seule ou la paix, ou la guerre,

Amour en te lisant de mille traits m’enferre,
Touche mon sein, à fin qu’en retournant d’ici,
Tu contes à ma Dame en quel piteux souci
Je vy pour sa beauté, tant j’ay le cœur en serre !

Touche mon estomac pour sentir mes chaleurs,
Approche de mes yeux pour voir tomber mes pleurs.
Que larme dessus larme amour tousjours m’assemble.

Puis voyant les effects d’un si contraire esmoy,
Dy que Deucalion et Phaëthon chez moy,
L’un au cœur l’autre aux yeux se sont logez ensemble.

XLVII

Lettre, de mon ardeur véritable interprète,
Qui parles sans parler les passions du cœur,
Poste des amoureux, va conter ma langueur
A ma Dame et comment sa cruauté me traite.
 
Comme une messagère et accorte et secrette
Contemple en la voyant sa face et sa couleur,
Si elle devient gave, ou palle de douleur,
Ou d’un petit souspir si elle me regrette.

Fais office de langue : aussi bien je ne puis
Devant elle parler, tant vergongneux je suis.
Tant je crains l’offenser, et fault que le visage

Blesme de ma douleur en rende tesmoignage.
Tu pourras en trois mots luy dire mes ennuis :
Le silence parlant vaut un mauvais langage.

XLVIII

Le soir qu’Amour vous fist en la salle descendre
Pour danser d’artifice un beau ballet d’Amour,
Vos yeux, bien qu’il fust nuict, ramenèrent le jour,
Tant ils sceurent d’esclairs par la place respandre.

Le ballet fut divin, qui se souloit reprendre,
Se rompre, se refaire, et tour dessus retour
Se mesler, s’escarter, se tourner à l’entour.
Contre-imitant le cours du fleuve de Méandre.
 
Ores il estoit rond, ores long, or’estroit.
Or’en poincte, en triangle, en la façon qu’on voit
L’escadron de la Grue évitant la froidure.

Je faux, tu ne dansois, mais ton pied voletoit
Sur le haut de la terre : aussi ton corps s’estoit
Transformé pour ce soir en divine nature.

XLIX

Je voy mille beautez, et si n’en voy pas-une
Qui contente mes yeux : seule vous me plaisez,
Seule quand je vous voy, mes Sens vous appaisez :
Vous estes mon Destin, mon Ciel, et ma Fortune,

Ma Venus mon Amour ma Charité ma brune,
Qui tous bas pensemens de l’esprit me rasez,
Et de haultes vertus l’estomac m’embrasez,
Me soulevant de terre au cercle de la Lune.

Mon œil de vos regards goulûment se repaist :
Tout ce qui n’est pas vous luy fasche et luy deplaist,
Tant il a par usance accoustumé de vivre

De vostre unique douce agréable beauté.
S’il pèche contre vous affamé de vous suivre,
Ce n’est de son bon gré, c’est par nécessité.

L

Ces cheveux, ces liens, dont mon cœur tu enlasses,
Bougez, primes, subtils, qui coulent aux talons,
Entre noirs et chastains bruns déliez et longs,
Tels que Venus les porte et ses trois belles Grâces,

Me tiennent si estrains, Amour, que tu me passes
Au cœur en les voyant cent poinctes d’aiguillons,
Dont le moindre des nœuds pourroit des plus félons
En leur plus grand courroux arrester les menaces.

Cheveux non achetez empruntez ny fardez,
Qui vostre naturel sans feintise gardez,
Ha ! que vous estes beaux ! permettez que j’en porte

Un lien à mon col, à fin que sa beauté,
Me voyant prisonnier lié de telle sorte,
Se puisse tesmoigner quelle est sa cruauté.

LI

Je suis esmerveillé que mes pensers ne sont
Las de penser en vous y pensant à toute heure :
Me souvenant de vous, or’je chante, or’je pleure,
Et d’un penser passé cent nouveaux se refont.
 
Puis légers comme oyseaux ils volent et s’en-vont,
M’abandonnant tout seul, devers vostre demeure :
Et s’ils sçavoient parler, souvent vous seriez seure
Du mal que mon cœur cache, et qu’on lit sur mon front.
 
Or sus venez Pensers, pensons encor en elle.
De tant y repenser je ne me puis lasser :
Pensons en ses beaux yeux, et combien elle est belle.

Elle pourra vers nous les siens faire passer.
Venus non seulement nourrit de sa mammelle
Amour son fils aisné, mais aussi le Penser.

LII

Belle gorge d’albastre, et vous chaste poictrine,
Qui les Muses cachez en un rond verdelet :
Tertres d’Agathe blanc, petits gazons de laict,
Des Grâces le séjour, d’Amour et de Cyprine :

Sein de couleur de liz et de couleur rosine,
De veines marqueté, je vous vy par souhait
Lever l’autre matin, comme l’Aurore fait
Quand vermeille elle sort de sa chambre marine.

Je vy de tous costez le Plaisir et le Jeu,
Venus, Amour, la Grâce armez d’un petit feu,
Voler ainsi qu’enfans, par vos coustaux d’yvoire,

M’esblouyr, m’assaillir et surprendre mon fort :
Je vy tant de beautez que je ne les veux croire.
Un homme ne doit croire aux tesmoins de sa mort.

LIII

Quand le ciel te fist naistre, il rompit la modelle
Des Vertus, comme un peintre efface son tableau,
Et quand il veut refaire une image du Beau,
Il te va retracer pour en faire une telle.

Tu apportas d’enhaut la forme la plus belle.
Pour paroistre en ce monde un miracle nouveau,
Que couleur, ny outil, ny plume, ny cerveau,
Ne sçauroient égaler, tant tu es immortelle.

Un bon-heur te défaut : c’est qu’en venant çà bas
Couverte de ton voile on ne t’admira pas.
Tant fut ton excellence à ce monde incognue,

Qui n’osa regarder les rayons de tes yeux.
Seul je les adoray comme un thresor des Cieux,
Te voyant en essence, et les autres en nue.

LIV

Je te voulois nommer, pour Hélène, Ortygie
Renouvellant en toy d’Ortyge le renom.
Le tien est plus fatal : Helene est un beau nom,
Helene, honneur des Grecs, la terreur de Phrygie :

Si pour sujet fertil Homère t’a choisie,
Je puis, suivant son train qui va sans compagnon,
Te chantant m’honorer, et non pas toy, sinon
Qu’il te plaise estimer ma rude Poésie.

Tu passes en vertu les Dames de ce temps.
Aussi loin que l’Hyver est passé du Printemps,
Digne d’avoir autels, digne d’avoir Empire.

Laure ne te veincroit de gloire ny d’honneur
Sans le Ciel qui luy donne un plus digne sonneur,
Et le mauvais destin te fait présent du pire.

LV

J’errois en mon jardin, quand au bout d’une allée
Je vy contre l’Hyver boutonner un Soucy.
Geste herbe et mon Amour fleurissent tout ainsi :
La neige est sur ma teste, et la sienne est gelée.

O bien-heureuse amour en mon ame escoulee
Par celle qui n’a point de parangon icy.
Qui m’a de ses rayons tout l’esprit esclarcy,
Qui devroit des François Minerve estre appellee :

En prudence Minerve, une Grâce en beauté,
Junon en gravité, Diane en chasteté,
Qui sert aux mesmes Dieux, comme aux hommes d’exemple.

Si tu fusses venue au temps que la Vertu
S’honoroit des humains, tes vertus eussent eu
Vœuz, encens et autels, sacrifices et temple.

LVI

De Myrte et de Laurier fueille à fueille enserrez
Helene entrelassant une belle Couronne,
M’appela par mon nom : Voyla que je vous donne,
De moy seule, Ronsard, l’escrivain vous serez.

Amour qui l’escoutoit, de ses traicts acerez
Me pousse Helene au cœur, et son Chantre m’ordonne :
Qu’un sujet si fertil vostre plume n’estonne :
Plus l’argument est grand, plus Cygne vous mourrez.

Ainsi me dist Amour, me frappant de ses ailes :
Son arc fist un grand bruit, les fueilles éternelles
Du Myrte je senty sur mon chef tressaillir.

Adieu Muses, adieu, vostre faveur me laisse :
Helene est mon Parnasse : ayant telle Maistresse,
Le Laurier est à moy, je ne sçaurois faillir.

LVII

Seule sans compagnie en une grande salle
Tu logeois l’autre jour pleine de majesté,
Cœur vrayment généreux, dont la brave beauté
Sans pareille ne treuve une autre qui l’egalle.

Ainsi seul en son Ciel le Soleil se devalle,
Sans autre compagnon en son char emporté :
Ainsi loin de ses Dieux en son Palais voûté
Jupiter a choisi sa demeure royale.

Une ame vertueuse a tousjours un bon cœur :
Le Lièvre fuyt tousjours, la Biche a tousjours peur,
Le Lyon de soymesme asseuré se hazarde.
 
La peur qui sert au peuple et de frein et de Loy,
Ne sçauroit estonner ny ta vertu ny toy :
La Loy ne sert de rien, quand la Vertu nous garde.

LVIII

Qu’il me soit arraché des tetins de sa mère
Ce jeune enfant Amour, et qu’il me soit vendu :
Il ne fait que de naistre et m’a desja perdu !
Vienne quelque marchand, je le mets à l’enchère.

D’un si mauvais garçon la vente n’est pas chère,
J’en feray bon marché. Ah ! j’ay trop attendu.
Mais voyez comme il pleure, il m’a bien entendu.
Appaise toy mignon, j’ay passé ma cholere,

Je ne te vendray point : au contraire je veux
Pour Page t’envoyer à ma maistresse Helene,
Qui toute te ressemble et d’yeux et de cheveux.

Aussi fine que toy, de malice aussi pleine,
Comme enfans vous croistrez, et vous jou’rez tous deux :
Quand tu seras plus grand, tu me payras ma peine.

LIX

Passant dessus la tombe où Lucrèce repose,
Tu versas dessus elle une moisson de fleurs :
L’eschaufant de souspirs, et l’arrosant de pleurs,
Tu montras qu’une mort tenoit ta vie enclose.

Si tu aimes le corps dont la terre dispose,
Imagine ta force et conçoy tes rigueurs :
Tu me verras cruelle entre mille langueurs
Mourir, puis que la mort te plaist sur toute chose.

C’est acte de pitié d’honorer un cercueil,
Mespriser les vivans est un signe d’orgueil.
Puis que ton naturel les fanstômes embrasse,

Et que rien n’est de toy, s’il n’est mort, estimé.
Sans languir tant de fois, esconduit de ta grâce.
Je veux du tout mourir pour estre mieux aimé.

LX

Je suis pour vostre amour diversement malade,
Maintenant plein de froid, maintenant de chaleur :
Dedans le cœur pour vous autant j’ay de douleur,
Comme il y a de grains dedans vostre Grenade.
 
Yeux qui fistes sur moy la première embuscade,
Des-attisez ma flame, et desseichez mes pleurs :
Je faux, vous ne pourriez : car le mal dont je meurs.
Est si grand qu’il ne peut se guarir d’une œillade.

Ma Dame croyez moy je trespasse pour vous :
Je n’ay artère, nerf, tendon, veine ny pous.
Qui ne sente d’Amour la fièvre continue.

La Grenade est d’Amour le symbole parfait :
Ses grains en ont encor la force retenue,
Que vous ne cognoissez de signe ny d’effait.

LXI

Ma Dame, je me meurs abandonné d’espoir :
La playe est jusqu’à l’oz : je ne suis celuy mesme
Que j’estois l’autre jour, tant la douleur extrême
Forçant la patience, a dessus moy pouvoir.
 
Je ne puis ny toucher gouster n’ouyr ny voir :
J’ay perdu tous mes Sens, je suis une ombre blesme :
Mon corps n’est qu’un tombeau. Malheureux est qui aime,
Malheureux qui se laisse à l’Amour décevoir !

Devenez un Achille aux playes qu’avez faites,
Un Telefe je suis, lequel s’en va périr :
Monstrez moy par pitié vos puissances parfaites.
 
Et d’un remède prompt daignez moy secourir.
Si vostre serviteur cruelle vous desfaites,
Vous n’aurez le Laurier pour l’avoir fait mourir.

LXII

Voyant par les soudars ma maison saccagée,
Et mon pays couvert de Mars et de la mort.
Pensant en ta beauté tu estois mon support.
Et soudain ma tristesse en joye estoit changée.

Résolu je disois. Fortune s’est vangee,
Elle emporte mon bien et non mon reconfort.
Hà, que je fus trompé ! tu me fais plus de tort
Que n’eust fait une armée en bataille rangée.
 
Les soudars m’ont pillé, tu as ravy mon cœur :
Tu es plus grand voleur, j’en demande justice
Aux Dieux qui n’oseroient chastier ta rigueur.
 
Tu saccages ma vie en te faisant service :
Encores te mocquant tu braves ma langueur,
Qui me fait plus de mal que ne fait ta malice.

LXIII

Vous estes le bouquet de vostre bouquet mesme,
Et la fleur de sa fleur, sa grâce et sa verdeur,
De vostre douce haleine il a pris son odeur :
Il est comme je suis de vostre amour tout blesme.

Ma Dame, voyez donc, puis qu’un bouquet vous aime.
Indigne de juger que peut vostre valeur,
Combien doy-je sentir en l’ame de douleur.
Qui sers par jugement vostre excellence extrême ?

Mais ainsi qu’un bouquet se flestrist en un jour,
J’ay peur qu’un mesme jour flestrisse vostre amour.
« Toute amitié de femme est soudain eftacee.

Advienne le destin comme il pourra venir.
Il ne peut de vos yeux m’oster le souvenir :
Il faudroit m’arracher le cœur et la pensée.

LXIV

Je ne serois marry si tu comptois ma peine,
De conter tes degrez recontez tant de fois :
Tu loges au sommet du Palais de nos Rois :
Olympe n’avoit pas la cyme si hautaine.
 
Je pers à chaque marche et le pouls et l’haleine :
J’ay la sueur au front, j’ay l’estomac penthois.
Pour ouyr un nenny, un refus, une vois
De desdain, de froideur et d’orgueil toute pleine.

Tu es comme Déesse assise en très-haut lieu.
Pour monter en ton Ciel je ne suis pas un Dieu.
Je feray de la court ma plainte coustumiere

T’envoyant jusqu’en haut mon cœur devotieux.
Ainsi les hommes font à Jupiter priere :
Les hommes sont en terre, et Jupiter aux cieux.

LXV

Mon ame mille fois m’a prédit mon dommage :
Mais la sotte qu’elle est, après l’avoir prédit,
Maintenant s’en repent, maintenant s’en desdit,
Et voyant ma Maistresse elle aime d’avantage.

Si l’ame si l’esprit qui sont de Dieu l’ouvrage,
Deviennent amoureux, à grand tort on mesdit
Du corps qui suit les Sens, non brutal, comme on dit
S’il se trouve esblouy des raiz d’un beau visage.

Le corps ne languiroit d’un amoureux souci,
Si l’ame si l’esprit ne le vouloient ainsi.
Mais du premier assaut l’ame est toute esperdue,

Conseillant comme Royne au corps d’en faire autant.
Ainsi le Citoyen sans soldars combattant
Se rend aux ennemis, quand la ville est perdue.

LXVI

Il ne faut s’esbahir, disoient ces bons vieillars
Dessus le mur Troyen, voyans passer Helene,
Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine,
Nostre mal ne vaut pas un seul de ses regars.

Toutefois il vaut mieux pour n’irriter point Mars,
La rendre à son espoux, afin qu’il la r’emmeine,
Que voir de tant de sang nostre campagne pleine,
Nostre havre gaigné, l’assaut à nos rampars.

Pères il ne falloit à qui la force tremble,
Par un mauvais conseil les jeunes retarder :
Mais et jeunes et vieux vous deviez tous ensemble

Pour elle corps et biens et ville hazarder.
Menelas fut bien sage, et Paris ce me semble :
L’un de la demander, l’autre de la garder.

LXVII

Ah, belle liberté, qui me senois d’escorte.
Quand le pied me portoit où libre je voulois !
Ah, que je te regrette ! helas, combien de fois
Ay-je rompu le joug, que malgré moy je porte !

Puis je l’ay rattaché, estant nay de la sorte.
Que sans aimer je suis et du plomb et du bois :
Quand je suis amoureux j’ay l’esprit et la vois,
L’invention meilleure et la Muse plus forte.

Il me faut donc aimer pour avoir bon esprit,
Afin de concevoir des enfans par escrit,
Prolongeant ma mémoire aux despens de ma vie.

Je ne veux m’enquerir s’on sent après la mort :
Je le croy : je perdrois d’escrire toute envie :
Le bon nom qui nous suyt, est nostre reconfort.

LXVIII

Tes frères les Jumeaux, qui ce mois verdureux
Maistrisent, et qui sont tous deux liez ensemble,
Te devroîent enseigner, au moins comme il me semble,
A te joindre ainsi qu’eux d’un lien amoureux.

Mais ton corps nonchalant revesche et rigoureux,
Qui jamais en son cœur le feu d’amour n’assemble,
En ce beau mois de May, malgré tes ans ressemble,
O perte de jeunesse ! à l’Hyver froidureux.

Tu n’es digne d’avoir les deux Jumeaux pour frères :
A leur germeuse humeur les tiennes sont convenus traires,
t’est desplaisante, et son fils odieux,

Au contraire, par eux tout est plein d’allégresse.
De Grâces et d’Amours : change de nom Maistresse :
Un autre plus cruel te convient beaucoup mieux.

LXIX

Ny ta simplicité ny ta bonne nature,
Ny mesme ta vertu ne t’ont peu garentir
Que la Cour ta nourrice, escole de mentir,
N’ait dépravé tes mœurs d’une fausse imposture.

Le proverbe dit vray, souvent la nourriture
Corrompt le naturel : tu me l’as fait sentir,
Qui fraudant ton serment m’avois au départir
Promis de m’honorer de ta belle figure.

Menteuse contre Amour, qui vengeur te poursuit,
Tu as levé ton camp pour t’enfuyr de nuict,
Accompagnant ta Royne (ô vaine couverture !)

Trompant pour la faveur ta promesse et ta foy.
Comment pourroy-je avoir quelque faveur de toy,
Quand tu ne veux souffrir que je t’aime en peinture ?

LXX

Ceste fleur de Vertu, pour qui cent mille larmes
Je verse nuict et jour sans m’en pouvoir soûler,
Peut bien sa destinée à ce Grec égaler,
A ce fils de Thetis, à l’autre fleur des armes.

Le Ciel malin borna ses jours de peu de termes :
Il eut courte la vie ailée à s’en-aller :
Mais son nom qui a fait tant de bouches parler,
Luy sert contre la mort de pilliers et de termes.

Il eut pour sa prouesse un excellent sonneur :
Tu as pour tes vertus en mes vers un honneur,
Qui malgré le tombeau suivra ta renommée.

Les Dames de ce temps n’envient ta beauté,
Mais ton nom tant de fois par les Muses chanté,
Qui languiroit d’oubly si je ne t’eusse aimée.

LXXI

Maistresse quand je pense aux traverses d’amour,
Qu’ore chaude ore froide en aimant tu me donnes,
Comme sans passion mon cœur tu passionnes,
Qui n’a contre son mal ny trêve ny séjour :

Je souspire la nuict, je me complains le jour
Contre toy, ma Raison, qui mon fort abandonnes,
Et pleine de discours, confuse, tu t’estonnes
Dés le premier assaut sans défendre ma Tour.

Non : si forts ennemis n’assaillent nostre place,
Qu’ils ne fussent vaincus si tu tournois la face,
Encores que mon cœur trahist ce qui est mien.

Une œillade, une main, un petit ris me tue :
De trois foibles soudars ta force est combatue :
Qui te dira divine, il ne dira pas bien.

LXXII

Afin que ton renom s’estende par la plaine
Autant qu’il monte au Ciel engravé dans un Pin,
Invoquant tous les Dieux, et respandant du vin.
Je consacre à ton nom ceste belle Fontaine.
 
Pasteurs, que vos troupeaux frisez de blanche laine
Ne paissent à ces bords : y fleurisse le Thin,
Et tant de belles fleurs qui s’ouvrent au matin,
Et soit dite à jamais la Fontaine d’Helene.

Le passant en Esté s’y puisse reposer,
Et assis dessus l’herbe à l’ombre composer
Mille chansons d’Helene, et de moy luy souvienne.

Quiconques en boira, qu’amoureux il devienne :
Et puisse en la humant, une flame puiser
Aussi chaude qu’au cœur je sens chaude la mienne.

STANCES

DE LA FONTAINE D’HELENE

Pour chanter ou reciter à trois personnes.
LE PREMIER

Ainsi que ceste eau coule et s’enfuyt parmy l’herbe,
Ainsi puisse couler en ceste eau le souci,
Que ma belle Maistresse, à mon mal trop superbe,
Engrave dans mon cœur sans en avoir mercy.

LE SECOND

Ainsi que dans ceste eau de l’eau mesme je verse.
Ainsi de veine en veine Amour qui m’a blessé.
Et qui tout à la fois son carquois me renverse,
Un breuvage amoureux dans le cœur m’a versé.

LE PREMIER

Je voulois de ma peine esteindre la mémoire :
Mais Amour qui avoit en la fontaine beu,
Y laissa son brandon si bien qu’au lieu de boire
De l’eau pour l’estancher, je n’ay beu que du feu.

LE SECOND

Tantost ceste fontaine est froide comme glace.
Et tantost elle jette une ardante liqueur.

Deux contraires effects je sens quand elle passe,
Froide dedans ma bouche, et chaude dans mon cœur.

LE PREMIER

Vous qui refraischissez ces belles fleurs vermeilles,
Petits frères ailez, Favones et Zéphyrs,
Portez de ma Maistresse aux ingrates oreilles.
En volant parmy l’air, quelcun de mes souspirs.

LE SECOND

Vous enfans de l’Aurore, allez baiser ma Dame :
Dites luy que je meurs, contez luy ma douleur.
Et qu’Amour me transforme en un rocher sans ame,
Et non comme Narcisse en une belle fleur,

LE PREMIER

Grenouilles qui jasez quand l’an se renouvelle,
Vous Gressets qui servez aux charmes, comme on dit,
Criez en autre part vostre antique querelle :
Ce lieu sacré vous soit à jamais interdit.

LE SECOND

Philomele en Avril ses plaintes y jargonne,
Et ses bords sans chansons ne se puissent trouver :
L’Arondelle l’Esté, le Ramier en Automne,
Le Pinson en tout temps, la Gadille en Hyver.

LE PREMIER

Cesse tes pleurs, Hercule, et laisse ta Mysie,
Tes pieds de trop courir sont ja foibles et las :
Icy les Nymphes ont leur demeure choisie,
Icy sont tes Amours, icy est ton Hylas.

LE SECOND

Que ne suis-je ravy comme l’enfant Argive ?
Pour revencher ma mort, je ne voudrois sinon
Que le bord, le gravois, les herbes et la rive
Fussent tousjours nommez d’Helene et de mon nom !

LE PREMIER

Dryades, qui vivez sous les escorces sainctes,
Venez et tesmoignez combien de fois le jour
Ay-je troublé vos bois par le cry de mes plaintes,
N’ayant autre plaisir qu’à souspirer d’Amour ?

LE SECOND

Echo, fille de l’Air, hostesse solitaire
Des rochers, où souvent tu me vois retirer,
Dy quantes fois le jour lamentant ma misère,
T’ay-je fait souspirer en m’oyant souspirer ?

LE PREMIER

Ny Cannes ny Roseaux ne bordent ton rivage,
Mais le gay Poliot, des bergères amy :

Tousjours au chaud du jour le Dieu de ce bocage,
Appuyé sur sa fleute, y puisse estre endormy.

LE SECOND

Fontaine à tout jamais ta source soit pavée,
Non de menus gravois de mousses ny d’herbis :
Mais bien de mainte Perle à bouillons enlevée,
De Diamans, Saphirs. Turquoises et Rubis.

LE PREMIER

Le Pasteur en tes eaux nulle branche ne jette.
Le Bouc de son ergot ne te puisse fouler :
Ains comme un beau Crystal, tousjours tranquille et nette
Puisses-tu par les fleurs éternelle couler.

LE SECOND

Les Nymphes de ces eaux et les Hamadryades,
Que l’amoureux Satyre entre les bois poursuit,
Se tenans main à main, de sauts et de gambades,
Aux rayons du Croissant y dansent toute nuit.

LE PREMIER

Si j’estois grand Monarque, un superbe édifice
Je voudrois te bastir, où je ferois fumer
Tous les ans à ta feste autels et sacrifice,
Te nommant pour jamais la Fontaine d’aimer.

LE SECOND

Il ne faut plus aller en la forest d’Ardeine
Chercher l’eau dont Regnaut estoit si désireux :
Celuy qui boit à jeun trois fois en la fonteine,
Soit passant ou voisin, devient tout amoureux.

LE PREMIER

Lune, qui as ta robbe en rayons estoilee,
Garde ceste fontaine aux jours les plus ardans :
Defens-la pour jamais de chaut et de gelée,
Remply-la de rosée, et te mire dedans.

LE SECOND

Advienne après mille ans qu’un Pastoureau desgoise
Mes amours, et qu’il conte aux Nymphes d’icy près.
Qu’un Vandomois mourut pour une Saintongeoise,
Et qu’encores son ame erre entre ces forests.

LE POETE

Garsons ne chantez plus, ja Vesper nous commande
De serrer nos troupeaux, les Loups sont ja dehors…

Demain à la frescheur avec une autre bande
Nous reviendrons danser à l’entour de ces bords.

Fontaine, ce-pendant de ceste tasse pleine
Reçoy ce vin sacré que je renverse en toy :
Sois dite pour jamais la Fontaine d’Heleine,
Et conserve en tes eaux mes amours et ma foy.

LXXIII

Il ne suffit de boire en l’eau que j’ay sacrée
A ceste belle Grecque, afin d’estre amoureux:
Il faut aussi dormir dedans un antre ombreux,
Qui a joignant sa rive en un mont son entrée.
 
Il faut d’un pied dispos danser dessus la pree,
Et tourner par neuf fois autour d’un saule creux :
Il faut passer la planche, il faut faire des vœux
Au Père sainct Germain qui garde la contrée.

Cela fait, quand un cœur scroit un froid glaçon,
Il sentira le feu d’une estrange façon
Enflamer sa froideur. Croyez ceste escriture.

Amour du rouge sang des Geans tout souillé,
Essuyant en ceste eau son beau corps despouillé,
y laissa pour jamais ses feux et sa teinture.

LXXIV

Adieu cruelle adieu, je te suis ennuyeux :
C’est trop chanté d’Amour sans nulle recompense.
Te serve qui voudra, je m’en vais, et je pense
Qu’un autre serviteur ne te servira mieux.
 
Amour en quinze mois m’a fait ingénieux,
Me jettant au cerveau de ces vers la semence :
La Raison maintenant me r’appelle, et me tanse :
Je ne veux si long temps devenir furieux.

Il ne faut plus nourrir cest Enfant qui me ronge.
Qui les crédules prend comme un poisson à l’hain,
Une plaisante farce, une belle mensonge,

Un plaisir pour cent maux qui s’en-vole soudain :
Mais il se faut résoudre et tenir pour certain
Que l’homme est malheureux qui se repaist d’un songe.

ELEGIE

Six ans estoient coulez, et la septiesme année
Estoit presques entière en ses pas retournée,
Quand loin d’affection, de désir et d’amour,
En pure liberté je passois tout le jour.
Et franc de tout soucy qui les ame dévore,
Je dormois dés le soir jusqu’au poinct de l’Aurore.
Car seul maistre de moy j’allois plein de loisir,
Où le pied me portoit, conduit de mon désir.
Ayant tousjours és mains pour me servir de guide
Aristote ou Platon, ou le docte Euripide,
Mes bons hostes muets, qui ne faschent jamais :
Ainsi que je les prens, ainsi je les remais.
O douce compagnie et utile et honneste !
Un autre en caquetant m’estourdiroit la teste.

Puis du livre ennuyé, je regardois les fleurs,
Fueilles, tiges, rameaux, espèces et couleurs.
Et l’entrecoupement de leurs formes diverses.
Peintes de cent façons, jaunes rouges et perses,
Ne me pouvant saouler, ainsi qu’en un tableau.
D’admirer la Nature, et ce qu’elle a de beau :
Et de dire en parlant aux fleurettes escloses,

 « Celuy est presque Dieu qui cognoist toutes choses,
Esloigné du vulgaire, et loin des courtizans,
De fraude et de malice impudens artizans.

Tantost j’errois seulet par les forests sauvages,
Sur les bords enjonchez des peinturez rivages,
Tantost par les rochers reculez et déserts,
Tantost par les taillis, verte maison des cerfs.
 
J’aimois le cours suivy d’une longue rivière.
Et voir onde sur onde allonger sa carrière,
Et flot à l’autre flot en roulant s’attacher,
Et pendu sur le bord me plaisoit d’y pescher,
Estant plus resjouy d’une chasse muette
Troubler des escaillez la demeure secrette.
Tirer avecq’la ligne en tremblant emporté
Le crédule poisson prins à l’haim apasté,
Qu’un grand Prince n’est aise ayant prins à la chasse
Un cerf qu’en haletant tout un jour il pourchasse.
Heureux si vous eussiez d’un mutuel esmoy
Prins l’apast amoureux aussi bien comme moy.
Que tout seul j’avallay, quand par trop désireuse
Mon ame en vos yeux beut la poison amoureuse.
 
Puis alors que Vesper vient embrunir nos yeux.
Attaché dans le ciel je contemple les cieux.

En qui Dieu nous escrit en notes non obscures
Les sorts et les destins de toutes créatures.
Car luy, en desdaignant (comme font les humains)
D’avoir encre et papier et plume entre les mains,
Par les astres du ciel qui sont ses characteres,
Les choses nous prédit et bonnes et contraires :
Mais les hommes chargez de terre et du trespas
Mesprisent tel escrit, et ne le lisent pas.
 
Or le plus de mon bien pour décevoir ma peine,
C’est de boire à longs traits les eaux de la fontaine
Qui de vostre beau nom se brave, et en courant
Par les prez vos honneurs va tousjours murmurant,
Et la Roynee se dit des eaux de la contrée :
Tant vault le gentil soin d’une Muse sacrée,
Qui peult vaincre la mort et les sorts inconstans,
Sinon pour tout jamais, au moins pour un long temps.
Là couché dessus l’herbe en mes discours je pense
Que pour aimer beaucoup j’ay peu de recompense,
Et que mettre son cœur aux Dames si avant,
C’est vouloir peindre en l’onde, et arrester le vent :
M’asseurant toutefois qu’alors que le vieil âge
Aura comme un sorcier changé vostre visage.
Et lors que vos cheveux deviendront argentez.
Et que vos yeux, d’amour ne seront plus hantez,

Que tousjours vous aurez, si quelque soin vous touche,
En l’esprit mes escrits, mon nom en vostre bouche.

Maintenant que voicy l’an septième venir.
Ne pensez plus Helene en vos laqs me tenir.
La Raison m’en délivre, et vostre rigueur dure,
Puis il fault que mon âge obeysse à nature.

LXXV

Je m’en-fuy du combat, mon armée est desfaite :
J’ay perdu contre Amour la force et la raison :
Ja dix lustres passez, et ja mon poil grison
M’appellent au logis, et sonnent la retraite.

Si comme je voulois, ta gloire n’est parfaite,
N’en blasme point l’esprit, mais blasme la saison :
Je ne suis ny Paris, ny desloyal Jason :
J’obéis à la loy que la Nature a faite.

Entre l’aigre et le doux, l’espérance et la peur,
Amour dedans ma forge a poly cest ouvrage.
Je ne me plains du mal, du temps, ny du labeur,

Je me plains de moymesme et de ton faux courage.
Tu t’en repentiras, si tu as un bon cœur.
Mais le tard repentir n’amande le dommage.

LXXVI

Vous ruisseaux, vous rochers, vous antres solitaires.
Vous chesnes, héritiers du silence des bois,
Entendez les souspirs de ma dernière vois,
Et de mon testament soyez présents notaires.

Soyez de mon mal-heur fidèles secrétaires,
Gravez-le en vostre escorce, afin que tous les mois
Il croisse comme vous : ce pendant je m’en vois
Là bas privé de sens, de veines, et d’artères.

Je meurs pour la rigueur d’une fiere beauté.
Qui vit sans foy, sans loy, amour ne loyauté.
Qui me succe le sang comme un Tygre sauvage.

Adieu forests adieu ! Adieu le verd séjour
De vos arbres, heureux pour ne cognoistre Amour
Ny sa mère qui tourne en fureur le plus sage.

LXXVII

DIALOGUE DE l’AUTHEUR ET DU MONDAIN

Est-ce tant que la Mort ? est-ce si grand mal-heur
Que le vulgaire croit ? Comme l’heure première
Nous faict naistre sans peine, ainsi l’heure derniere,
Qui acheve la trame, arrive sans douleur,

Mais tu ne seras plus ? Et puis : quand la pâleur
Qui blesmist nostre corps sans chaleur ne lumière
Nous perd le sentiment ! quand la main filandiere
Nous oste le désir perdans nostre chaleur !

Tu ne mangeras plus ? Je n’auray plus envie
De boire ne manger, c’est le corps qui sa vie
Par la viande allonge, et par réfection :

L’esprit n’en a besoin. Venus qui nous appelle
Aux plaisirs te fuira ? Je n’auray soucy d’elle.
« Qui ne désire plus, n’a plus d’affection.

LXXVIII

Helas ! voicy le jour que mon maistre on enterre,
Muses, accompagnez son funeste convoy :
Je voy son effigie, et au dessus je voy
La Mort qui de ses yeux la lumière luy serre.
 
Voila comme Atropos les Majestez atterre
Sans respect de jeunesse ou d’empire ou de foy.
Charles qui fleurissoit nagueres un grand Roy,
Est maintenant vestu d’une robbe de terre.

Hé ! tu me fais languir par cruauté d’amour :
Je suis ton Promethée, et tu es mon Vautour.
La vengeance du Ciel n’oublira tes malices.

Un mal au mien pareil puisse un jour t’avenir.
Quand tu voudras mourir, que mourir tu ne puisses.
Si justes sont les Dieux, je t’en verray punir.

LXXIX

Je chantois ces Sonnets amoureux d’une Helene,
En ce funeste mois que mon Prince mourut :
Son Sceptre, tant fust grand, Charles ne secourut,
Qu’il ne payast la debte à la Nature humaine.
 
La Mort fut d’un costé, et l’Amour qui me meine,
Estoit de l’autre part, dont le traict me ferut,
Et si bien la poison par les veines courut,
Que j’oubliay mon maistre, attaint d’une autre peine.

Je senty dans le cœur deux diverses douleurs,
La rigueur de ma Dame, et la tristesse enclose
Du Roy, que j’adorois pour ses rares valeurs.

La vivante et le mort tout malheur me propose :
L’une aime les regrets, et l’autre aime les pleurs :
Car l’Amour et la Mort n’est qu’une mesme chose.


FIN DU SECOND LIVRE
DES SONNETS D’HELENE.