Le royaume merveilleux/Texte entier

RÉSUMÉ

DE
DANS UN MONDE INCONNU

Après des aventures mouvementées, un jeune liégeois, Lucien Rondia, habile monteur-électricien, est parvenu à pénétrer dans l’empire du Soleil. Celui-ci est situé dans le bassin de l’Amazone et gouverné par Atahualpa ii, le dernier descendant direct des incas du Pérou. Il a pu capter la confiance du monarque et épouser Linda, fille de celui-ci.

Sa présence a coïncidé avec la signature de l’accord conclu par le Brésil, le Pérou et la Bolivie, délimitant leurs frontières respectives. L’inca a été mis au courant par la captation des radio-télégrammes lancés par sans fil, grâce à l’installation complète que Lucien a montée à Cuzco, capitale de l’empire.

Se voyant dépouillé de ses domaines, il a sommé les divers pays intéressés de reconnaître ses droits.

Le triumvirat, connu sous le nom de A. B. C., c’est-à-dire l’Argentine, le Brésil et le Chili, directement lésés par les prétentions de Atahualpa ii, s’est préparé à la résistance.

Lucien a mis à profit les rancunes de la Bolivie, du Pérou et du Paraguay pour les amener à faire cause commune avec l’empire du Soleil. Pendant le délai fixé pour l’évacuation des territoires revendiqués par son beau-père, il est parvenu à monter une armée moderne, exercée et encadrée par des officiers de diverses nations. Se révélant habile stratège, il a réussi, dans une courte campagne, à battre le Chili d’abord, l’Argentine ensuite, puis groupant toutes ses forces, il a défait le Brésil.

Ce dernier a été forcé de faire la paix en donnant le Matto-Grosso au Paraguay, région qui auparavant appartenait à ce dernier pays. Le Pérou a obtenu ce que le Chili lui avait pris en 1881, ainsi que la Bolivie, le port tant convoité sur le Pacifique, qui la rend indépendante aussi bien du Chili que du Pérou.

En récompense des services rendus, l’inca a nommé Lucien Rondia, roi d’Araucanie en lui adjoignant la Patagonie. Toutefois le sort de ce royaume, dont Atahualpa ii, incarne seul le pouvoir spirituel comme chef suprême des adorateurs du soleil, reste lié à celui de l’empire du Soleil au point de vue extérieur et religieux. Ces faits sont le résumé de la publication « Dans un monde inconnu » parue il y a quelques semaines.


CHAPITRE I.



Depuis la guerre qui avait mis aux prises l’empire du Soleil et l’A. B. C., c’est-à-dire le triumvirat composé de l’Argentine, du Brésil et du Chili, cinq ans s’étaient écoulés.

Lucien Rondia, devenu Roi d’Araucanie et beau-fils d’Atahualpa ii par son mariage avec la fille de l’inca de l’empire du Soleil, avait mis à profit ce laps de temps pour moderniser son royaume. Du moins une partie qui se composait de Punta Arenas et son hinterland, car le reste du territoire était resté inaccessible aux étrangers. Suivant en cela l’exemple de son beau-père, il avait édicté des lois sévères, punissant même de mort celui qui aurait dépassé les limites autorisées.

C’est ainsi qu’à 500 kilomètres du port de Punta Arenas s’était créé une ville à l’aspect bizarre, aux cheminées gigantesques, crachant la fumée jour et nuit.

On se serait cru transporté dans une de ces usines telles que l’usine Krupp, à Essen, le Creusot, en France, et d’autres fabriques monstrueuses. Mais en pénétrant à l’intérieur, on se serait aperçu que ces ateliers n’avaient de ressemblance avec ceux d’Europe que du côté extérieur, car nul ouvrier y séjournait. Tout l’immense outillage qui remplissait les halls fonctionnait, mais mécaniquement.

Comment cela pouvait-il se faire ? Tout simplement grâce aux savantes recherches de Lucien Rondia, ouvrier hors ligne et des savants qui lui étaient attachés.

Pour faire comprendre au lecteur le mobile qui l’avait fait agir, nous devons nous reporter au lendemain de la victoire foudroyante obtenue par l’empire du Soleil sur l’A. B. C.

Dès la signature de la paix, Lucien était retourné à Cuzco, capitale de l’Empire, où, après un chaleureux accueil de la part du monarque et de sa famille, il avait eu un long entretien avec celui-ci. Mon fils, crois-tu à une paix durable ? interrogea l’inca, Non, répondit Lucien, je ne crois qu’à une trêve de cinq ou dix ans, puis la lutte recommencera plus meurtrière qu’auparavant. Vous devez vous rendre compte que la défaite qu’ils ont subie leur est plus cuisante au point de vue moral que matériel. Ils n’admettront jamais que des sauvages, comme ils nous appellent, puissent vaincre des civilisés comme eux. Par l’apport effréné d’émigrants, leur sang, leur mentalité se sont transformés au point de ne voir en nous, leurs anciens frères, que des êtres inférieurs.

Ils vont donc mettre à profit l’expérience du passé pour nous battre à leur tour. À mon avis, ils n’essayeront plus de jonction ni d’opérations en commun, mais tacheront, chacun de son côté, de nous attaquer. Ce qui aura le désavantage pour nous, d’éparpiller nos forces défensives.

En outre, ils vont faire appel à nos anciens alliés d’hier pour s’assurer tout au moins leur neutralité. J’ai idée qu’ils l’obtiendront, car si le Pérou, la Bolivie et le Paraguay ont fait cause commune avec nous, c’est parce que c’était leur intérêt. Une fois satisfaits, la logique veut qu’ils se tiennent à l’écart.

Atahualpa ii se leva de son siège et arpenta fébrilement la chambre. Ainsi, dit-il, en s’arrêtant devant Lucien, tu crois que nous sommes destinés à périr ? Ne pouvons-nous pas essayer de trouver de nouvelles alliances ? Lesquelles ? demanda Lucien. L’Équateur hait le Pérou et finira tôt ou tard par se battre avec lui. La Colombie hait l’État de Panama et l’aurait déjà attaqué sans les États-Unis qui l’ont sous leur protectorat. Le Vénézuela finira également par se battre avec la Colombie, de même que l’Uruguay avec le Paraguay. Comment voulez-vous donc, qu’ayant tant de soucis entre eux, ils épousent notre cause ?

Alors, dit l’inca, que faut-il faire ? Me donnez-vous pleins pouvoirs pour agir à ma guise ? demanda Lucien.

Oui, mon fils, dit Atahualpa ii. Eh bien. Je vous jure que moi vivant, ils ne vaincront jamais. Je ne peux pas vous dire d’emblée, comment je m’y prendrai, car je n’ai pas étudié la question à fond mais je vais faire appel largement aux nouvelles inventions, encore embryonnaires, pour les utiliser à notre profit. Pour cacher notre jeu vis-à-vis de l’A. B, C., nous allons garder 250,000 hommes et licencier les autres, tout en conservant notre cadre d’officiers et sous-officiers.

Il faut également beaucoup d’argent, peut-être un milliard, pour nous armer. Voici comment nous allons nous y prendre pour l’avoir sans éveiller les soupçons : Les pépites d’or que charrient nos rivières, donnent en moyenne 250 millions par an. Mais vous n’avez jamais pensé à leur provenance ? Non, dit Atahualpa ii. Elles proviennent, continua Lucien, de vastes gisements d’or souterrains que l’eau entraine avec elle. Mais cette quantité entrainée est infime en comparaison de la masse traversée.

Si on explorait les filons, nous obtiendrions des milliards d’or. Rendez-vous compte que nous sommes dans la région de l’or, de ce Potosi, de ce Cerro de Pasco qui furent l’Eldorado des premiers Conquistadors et qui, pendant des siècles, permit à l’Espagne de subvenir avec faste aux caprices de ses rois, tout en enrichissant les colons. Je vais faire monter les usines nécessaires au broyage du minerai. Même mieux, pour nous permettre de nous créer un trésor de guerre formidable, je vais faire frapper ici-même la monnaie des différents pays, ayant l’étalon d’or.

Je disposerai ainsi de livres sterling, de louis, d’aigles américains, bref, de toutes les pièces d’or ayant cours universel.

Pour nous permettre de les écouler sans éveiller les soupçons, je vais créer un peu partout, en Europe et aux États-Unis, des maisons de Banque ou de change qui s’occuperont principalement de donner de l’or pour des billets. Je fais cela, parce que si je déposais, directement à la Banque d’Angleterre par exemple, des livres sterling neuves, à la longue on finirait par s’en apercevoir, tandis que si je dépose une grande partie en billets et l’autre en or, on ne pourra remarquer l’opération.

Du reste, les millions déposés n’y séjourneront pas, puisqu’ils sont destinés à payer nos achats.

Je vais partir, moi-même pour acheter le matériel destiné aux usines, de même que pour engager les savants nécessaires à la formation d’un institut dans le genre de celui de Rockfeller aux États-Unis, qui s’occupera du perfectionnement des inventions nouvelles, d’après l’orientation que je leur indiquerai.

Ton plan est splendide, dit Atahualpa ii. Quand pars-tu ? Dès que vous m’aurez muni de 10,000 kilos de pépites d’or, soit 25 millions qui me sont nécessaires pour les achats.

Tu les auras après-demain à bord du canot automobile, car je suppose que tu passeras par Iquitos et Manaos pour vendre les pépites. C’est bien, répondit Lucien, je partirai le soir même. Deux jours après, dans la soirée, le petit yacht automobile emportait Lucien, Linda, son épouse, Don Manuel, l’homme de confiance de l’inca, et une dizaine de guerriers, vers la Javari et de là vers l’Amazone.

Six semaines après ces événements, Lucien et sa femme débarquaient à Lisbonne, d’où le Sud-Express les amena à Paris. Là, descendu à l’Élysée-Palace-Hôtel, il manda un de ses anciens camarades de l’Institut Montéfiore de Liège, devenu directeur d’une usine d’air comprimé.

Quand il fut arrivé, il lui narra son odyssée dès son départ de Liège, puis lui dit : Ce n’est pas, mon cher Bastin, pour te raconter cela que je t’ai fait venir, mais pour te demander si tu voudrais accepter un poste de confiance. Je te donnerai 50,000 fr. par an, et ce que tu auras à faire ne sera pas bien difficile. Je dispose tous les ans de 80 à 100 millions de francs de louis d’or provenant des ventes que mon beau-père, l’inca Atahualpo II, fait en pépites d’or.

Ne voulant pas attirer l’attention des spéculateurs sur la grande quantité d’or qu’il tire, il veut écouler son or monnayé qui, entre parenthèse, sort tout neuf des caves de la Banque de France, directement dans le public. Il faudrait donc créer à Paris, aux abords des gares, près des boulevards, des théâtres, des maisons de change qui, moyennant cinq centimes aux cent francs, changeraient des billets contre de la monnaie, principalement de l’or.

Il serait nécessaire de créer une vingtaine de ces maisons dans la capitale et quatre-vingts autres éparpillées à Lyon, Bordeaux, Marseille, Lille, bref dans toutes les villes importantes.

Je t’allouerai 10,000 francs pour frais de chaque agence, soit un million par an et tu auras comme bénéfice supplémentaire les cinq centimes aux cent francs de courtage, ce qui, sur cent millions par an, te fera 50,000 fr. de plus.

Ta mission consistera donc à centraliser toutes les sommes et à les déposer à la Banque de France en ton nom et de régler ensuite les divers achats que mon beau-père fera.

Tout cela est parfait, dit Bastin, mais comment se fait-il que ton beau-père reçoive tant de louis ?

Parce que dans tout le bassin de l’Amazone, il n’y a que l’or qui ait de la valeur, Les maisons françaises font venir des louis de la Banque de France et les anglaises des livres sterling. Tout de même Lucien, tu trouveras comme moi que c’est un peu compliqué de monter tant d’agences pour écouler cent millions, alors que le plus simple serait de les verser directement à la Banque de France.

Oui, répondit Lucien, seulement tu ne connais pas mon beau-père. Il est méfiant et ne veut pas qu’on sache que l’or de ses domaines lui rapporte. Aussi je te recommande quand ce sera de l’or que tu porteras à la Banque de France au lieu de billets, de faire effectuer ces versements dans diverses agences de cet établissement. Au surplus je te dirai que si nous sommes contents de toi, la première année, je te réserve un autre poste où tu pourras faire une fortune rapide.

J’accepte, dit Bastin, quand pourrai-je commencer ? Dans six mois environ, mais dans trois mois tu peux renoncer à ta place et à cet effet, je vais te donner tes six premiers mois d’appointements.

Tirant son carnet de chèques, Lucien en libella un, daté de trois mois plus tard, de l’import de francs.

Bastin resta quelques minutes encore, puis quitta son camarade. Surtout, lui recommanda ce dernier, pas un mot à âme qui vive de ce que je te dis. Choisis tes employés, surtout parmi les veuves pensionnées auxquelles un supplément de gain sera agréable. Fais leur suivre des cours pour qu’elles sachent reconnaître les faux billets des vrais et recommande-leur qu’en principe elles ne changent pas plus de mille francs à une seule personne. Ainsi tu diminueras les risques. C’est entendu, dit Bastin en s’éloignant.

Dès qu’il fut seul, Lucien rédigea diverses annonces à porter pour insertion à l’Agence Havas.

Dans les unes on demandait pour un État sud-américain des directeurs pour la frappe de la monnaie d’or. Dans les autres on demandait des chimistes, des ingénieurs des mines, des géologues, bref tout ce que l’Europe pouvait offrir de plus intellectuel. Les émoluments offerts étaient superbes et garantis par le paiement anticipatif au départ. Dès que les annonces furent rédigées, Lucien descendit au bureau de l’Hôtel et donna ordre de les porter à l’Agence Havas pour être publiées pendant une semaine dans les principaux journaux. Au bout de ce laps de temps, il avait reçu un nombre incalculable de lettres qu’il examina minutieusement. À mesure qu’il les lisait il les triait, et c’est ainsi qu’en arrivant à la fin, il n’en avait choisi que six méritant réellement son attention. La première était d’un nommé Daviel et avait trait à la place de directeur des Monnaies.

« Monsieur, » disait-elle, « je suis à même de remplir le poste que vous désirez octroyer, car j’ai passé par tous les services de la Monnaie de Paris depuis le découpage du lingot jusqu’à sa remise à la Banque de France.

« Je suis en outre graveur de mon métier et élève de Chaplain. C’est vous dire que je puis monter et faire fonctionner un établissement, même assez conséquent. »

Suivaient en outre des détails circonstanciés.

Je crois, se dit Lucien, qu’il pourrait faire mon affaire. Je vais le convoquer pour demain. Prenant une plume sur son bureau, il écrivit à Daviel de se présenter le lendemain à huit heures à l’hôtel.

Ensuite, il lut la suivante demande. Elle provenait d’un chimiste nommé Haguenau, se présentant comme élève de « Turpin, dont il avait été le collaborateur pendant cinq ans. À la suite de l’emprisonnement de ce dernier, lors du procès de la mélinite, il avait dû fuir pour éviter d’être compromis comme complice. Il me faudrait, » ajoutait-il, « trouver quelqu’un, homme ou puissance, qui voudrait faire les frais nécessaires à la mise sur pied de l’usine, car je suis l’inventeur d’une foule d’explosifs à puissance formidable, ainsi que d’autres inventions d’une valeur inestimable. »

Homme sensé ou fou, faut que je lui parle, dit Lucien, et il le convoqua pour le lendemain à onze heures du matin.

La troisième missive provenait d’un électricien, élève de Branly, et avait trait à la télégraphie sans fil.

Son auteur disait qu’écœuré d’être méconnu et de travailler continuellement pour la gloire des autres, il était prêt à s’expatrier s’il pouvait trouver un emploi indépendant et lui permettant de donner de l’expansion à son initiative.

Convoquons Monsieur Ramier pour neuf heures du matin, dit Lucien, en passant à la quatrième demande.

Monsieur Defrennes, ingénieur des mines, racontait ses rancœurs et son amertume de voir ses camarades plus jeunes et moins capables, occuper les meilleurs postes aux mines d’Anzin et Courrières, bien que lui eût fait cinq ans de stage dans les mines de la Rhodesia et du Transvaal. Lucien le convoqua pour dix heures du matin.

La cinquième demande était d’un autre domaine : « Monsieur, » disait-elle, « bien que je ne rentre pas dans la catégorie des emplois que vous offrez, je viens à tout hasard vous faire part d’une découverte que j’ai faite et dont vous pourriez avoir le monopole si nous nous entendons ».

« Elle a trait à l’aviation.

« Vous n’ignorez pas qu’avant le moteur léger on avait volé. Partant de ce principe que Lillienthal et d’autres avaient expérimenté, je me suis attaché à construire un appareil marchant sans moteur par le mouvement raisonné des ailes. Pour arriver à donner de la vitesse, j’ai imaginé un dispositif qui récupère la plus grande partie de la force perdue par le battement des ailes.

« Évidemment ce système en est à son début et il faudrait le perfectionner. Vous n’ignorez pas sans doute qu’aux Arts et Métiers existe déjà un modèle d’avion volant sans moteur, à côté de l’Avion d’Ader.

« Je n’ignore pas que des fous ont déjà essayé de voler sans moteur et ont piteusement échoué. Mais ceux-là étaient des visionistes, tandis que moi je suis aviateur de métier, ayant accompagné maintes fois Legagneux dans ses ascensions.

« J’ai étudié à fond les courants aériens et suis persuadé qu’à tout moment l’aviateur peut trouver le courant propice pour obtenir la vitesse désirée. »

Lucien convoqua Jules Larmion pour le lendemain à deux heures de l’après-midi.

Le signataire de la sixième demande, Pierre Dubois, était l’inventeur d’un métal, mélange d’éléments purs avec de l’aluminium. Par son dosage rationnel et grâce à une trempe, qui était son secret, il était parvenu à faire des plaques de cinq millimètres, impénétrables à deux cents mètres, aux balles de fusils, de mitrailleuses et même d’obus de 75 millimètres. « Mes plaques soumises à la Commission d’examen, aux Invalides, ont donné des essais concluants. Elles n’ont pas été acceptées parce que leur alliage contenait une certaine quantité d’or et de platine, ce qui rendait le prix de revient excessivement cher, presque cent fois plus que le coût habituel. »

Si cet homme dit vrai, pensa Lucien, ce n’est pas cela qui m’arrêterait. Il le convoqua pour trois heures de l’après-midi.

Quand il eut fini, il se dirigea vers l’appartement de Linda. Veux-tu sortir un peu ? lui dit-il. Tu dois t’ennuyer toute seule. Oh, non, mon Lucien, répondit Linda, je ne m’ennuie pas quand je suis seule, car je sais que tu travailles pour la grandeur de ma patrie, pour l’émancipation de ma race, et je me sens heureuse d’être l’épouse d’un héros tel que toi.

Tu persisteras donc toujours à voir en moi un homme différent des autres mortels ? Pourquoi cela ? demanda Lucien. Parce que cela est, répondit Linda. Je te vois entouré de l’auréole qui ornait le Christ en venant sur terre, et tu es pour moi le messie qui rendra à ma race spoliée ce que l’usurpateur lui prit.

Crois-tu donc que je réussirai ? demanda Lucien. Oh, oui, dit Linda, j’en suis sûre.

Eh bien, moi je ne le suis pas du tout. Ne sais-tu pas que l’A. B. C. peut nous encercler comme dans un étau, que nous ne pouvons compter sur nos alliés d’hier, que les États-Unis ne nous reconnaissent pas comme belligérants ?

Je sais tout cela, mais je suis convaincue que tu surmonteras toutes les difficultés. Que toutes les puissances de la terre et du ciel liguées contre toi, seraient impuissantes à te vaincre, car tu es invincible ! Dieu t’entende, murmura Lucien.

S’asseyant à côté d’elle, il se mit à rêver. Serait-ce donc vrai qu’il incarnait en lui l’émancipateur de la race indienne ? Ses actes, ses victoires foudroyantes ne seraient-elles donc que l’accomplissement, dirait-on, mécanique des dessins de la Providence ?

Il en fut vexé dans le fond, car tout être a en soi l’orgueil de ses actions et n’aime pas à être suggestionné par autrui, fut-il le Créateur. Bah ! finit-il par se dire, c’est du mysticisme et rien d’autre. Tirant un cigare, il se mit à fumer. Le temps passa ainsi jusqu’à l’heure du dîner.

Le lendemain matin, Lucien se trouvait dans son salon, quand on annonça Monsieur Daviel.

Peu après, un monsieur grisonnant faisait son entrée. Monsieur, lui dit Lucien, je suis Lucien ier, Roi d’Araucanie et beau-fils de l’inca de l’Empire du Soleil.

Daviel s’inclina et dit :

Pour un roi indien, vous causez joliment bien le français. Je n’ai pas grand mérite à cela puisque je suis Liégeois de naissance. Ah ! je comprends alors dit Daviel.

Pour en venir à nos affaires, dit Lucien, veuillez me raconter votre vie sans omettre de détails, même le plus intime. Êtes-vous marié ? Avez-vous des enfants ?

Je suis marié, sans enfant, répondit Daviel, mais n’étant pas heureux en ménage, c’est sans regret que je m’expatrierai.

Bien, dit Lucien. Vous êtes graveur n’est-ce pas ?

Assez fort même, répondit Daviel.

Lucien tira de son gousset une livre sterling neuve.

Voulez-vous, dit-il, me reproduire cela sur un bout de papier ?

Daviel tira un crayon, prit la monnaie et se mit à dessiner la pièce. Dès qu’il eut fini, il tendit le papier à Lucien, Celui-ci tira une loupe et se mit à examiner le dessin minutieusement. Pas le moindre détail y manquait. Combien gagnez-vous à la Monnaie ?

6,000 francs par an, dit Daviel. Si je vous donnais 50,000 francs par an seriez-vous satisfait ? demanda Lucien.

Oui, répondit le graveur. En ce cas, je vous engage pour dans un mois et vous verse d’avance six mois d’appointements, dès la signature du contrat. Mais je vous recommande le secret le plus absolu sur la destination que vous prendrez. Il va sans dire que le voyage s’effectue à mes frais, Venez donc me voir dans huit jours pour signer votre engagement. Auparavant, veuillez me faire parvenir un devis d’installation d’une usine d’une importance à peu près semblable à la Monnaie française, bien entendu quant aux machines seulement, car l’édifice sera construit en fer ou bois, je ne sais pas encore.

C’est entendu, Monsieur, dit Daviel. Dès demain, vous aurez de mes nouvelles.

Peu après son départ, on annonça Monsieur Ramier, Un homme d’une quarantaine d’années fit son apparition.

Veuillez vous asseoir, monsieur dit Lucien. J’ai reçu votre lettre et m’intéresse énormément à la télégraphie sans fil. Avez-vous trouvé une amélioration à celle-ci ?

Oui, répondit Ramier. J’ai trouvé le moyen d’empêcher la dissémination des ondes hertziennes. Puis j’ai inventé un appareil permettant d’entendre l’approche d’un sous-marin à cinq kilomètres de distance. J’ai perfectionné la téléphonie sans fil et la photographie à distance.

C’est très intéressant tout cela, dit Lucien, Mais toutes ces inventions sont-elles bien à point ? Et si elles le sont pourquoi ne les avez-vous pas offertes au gouvernement français ou à une autre puissance ?

Ah, monsieur, s’exclama Ramier, on voit que vous connaissez peu la bureaucratie des ministères.

Si vous n’êtes pas recommandé par l’un ou par l’autre, bien en Cour, votre invention dormira pendant des années dans les archives de la Commission des inventions aux Invalides.

Quelles preuves pourriez-vous me donner de ce que vous me dites est vrai ? Dans l’affirmative, que demanderiez-vous de moi ? Monsieur, répondit Ramier, j’ignore qui vous êtes, mais je suis prêt à vous mener à la Tour Eiffel, d’où nous émettrons une nouvelle sensationnelle sur un point désigné d’avance. Je vous garantis que le poste le plus proche ne saisira pas la moindre parcelle de mon radio-télégramme. Je suis, répondit Lucien, le Roi d’Araucanie et beau-fils d’Atahualpa ii, l’inca de l’Empire du Soleil. Votre invention, pour nos contrées, nous serait précieuse. Si ce que vous avancez est vrai je vous donne 100,000 francs par an et vous monte une usine d’après vos données. En garantie de l’exécution de ma promesse, je vous donnerai 50,000 francs dès les essais concluants. J’accepte, dit Ramier, Veuillez vous trouvez demain matin au pied de l’ascenseur, de la Tour Eiffel, vers six heures. Étant connu du personnel, j’aurai toute liberté d’action pour mon expérience.

À demain donc, dit Lucien, en le reconduisant.

Dès qu’on introduisit l’ingénieur Defrennes, Lucien lui dit qui il était et que son pays étant rempli de minerai d’or, il pourrait l’employer.

Après examen des divers certificats élogieux de Defrennes, Lucien l’engagea à raison de 50,000 francs par an et lui demanda un devis pour une installation complète de broyage et fonderie.

Peu après le départ de Defrennes, on introduisit le chimiste Haguenau, homme d’une cinquantaine d’années.

Lucien s’avança au devant de lui et le pria de s’asseoir. Ensuite lui dit : Monsieur Haguenau, je suis un grand admirateur de Turpin et tout ce qui le touche de près est sûr de ma bienveillance.

Je suis le Roi d’Araucanie et ma fortune de même que celle de l’inca de l’Empire du Soleil, mon beau-père, nous permettent de tenter les expériences les plus coûteuses.

Enhardi par ces paroles, Haguenau commença à raconter à Lucien sa vie de chercheur, ses déboires, ses démêlés avec la justice à cause de Turpin. Cependant je n’ai trahi à aucun moment mon pays, ajouta-t-il, et si Turpin, dans un moment d’écœurement pour les vilénies qu’on lui faisait, faillit le faire, je ne pris aucune part à son acte. Toutes les expériences ont toujours été faites par nous deux, c’est vous dire qu’il n’avait aucun secret pour moi.

Mais en dehors des inventions faites en commun, je suis l’inventeur d’un explosif qui a la particularité de pouvoir être comprimé, sans danger, au point de pouvoir être introduit dans la douille d’une cartouche. Dès qu’elle atteint son but, l’explosion est formidable. Pourriez-vous me prouver cela ? demanda Lucien.

À l’instant si vous voulez, répondit Haguenau en tirant de la poche de son gilet une petite cartouche du calibre de 7 mm et la présentant à Lucien :

Voici la substance, et si vous avez une auto nous irons dans un endroit écarté du Bois de Boulogne. J’ai mon revolver sur moi. Au lieu de tirer avec une balle ordinaire, je tirerai avec mon produit. Vous verrez ainsi le résultat.

Lucien sonna et demanda qu’on préparât une limousine, car il allait sortir.

Peu après, Haguenau et lui s’installaient dans la voiture et filaient vers le Bois. Arrivés à l’hippodrome d’Auteuil, Lucien fit arrêter, puis regarda si personne ne les observait.

S’écartant un peu, il dit à Haguenau :

Tirez vers la pelouse, à terre. Nous verrons bien l’effet.

Le chimiste plaça sa cartouche dans le barillet, puis fit feu dans la direction demandée.

Presque aussitôt et bien que l’explosion eut lieu à 100 mètres, un déplacement d’air formidable faillit renverser les trois hommes et la limousine. Un trou profond d’au moins cinq mètres béait à l’endroit que le projectile avait touché.

Filons maintenant dit Lucien au chauffeur en remontant dans la voiture avec Haguenau.

Qu’en dites-vous ? demanda ce dernier. Splendide, fit Lucien. Et vous garantissez que c’est sans danger pour le manipulateur ? Oui, monsieur, car l’explosion n’aura lieu que par percussion ou par le choc à l’arrivée.

Que demanderiez-vous pour votre invention ? demanda Lucien. 200,000 francs par an pendant dix ans, en plus des appointements de 50,000 francs par an comme directeur de l’usine à créer chez vous. J’accepte et vous prie de me faire tenir au plus tôt un devis pour l’installation qu’il vous faudrait.

Quelques instants après, on atteignait l’hôtel. Lucien garda Haguenau à déjeuner. Le chimiste partit un peu avant deux heures. Il venait à peine de partir qu’on annonçait Monsieur Larmion. Introduit aussitôt, Lucien constata qu’il avait à faire à un tout jeune homme, imberbe, mais aux yeux et au front intelligents. Veuillez vous asseoir, lui dit Lucien, en tirant un étui de sa poche et lui offrant un cigare.

Larmion s’assit, alluma son cigare puis commença : Votre annonce avait trait à une demande pour un État sud-américain. En quelle qualité traitez-vous pour lui ?

Comme Souverain d’Araucanie et beau-fils d’Atahualpa II, inca de l’Empire du Soleil, répondit Lucien.

Ah, c’est vous, Monsieur Lucien Rondia sans doute ? demanda Larmion. Lui-même, fit Lucien en s’inclinant.

Monsieur, dit l’aviateur, je suis un de vos admirateurs. Vos victoires sur l’A. B. C. nous ont rempli d’enthousiasme. Croyez bien que je serais heureux d’entrer à votre service.

Je ne demande pas mieux, dit Lucien, mais je crains que votre avion sans moteur ne puisse nous rendre des services.

Voici pourquoi : L’avion, pour nous, ne peut servir que pour la guerre et doit par conséquent être rapide. Étant donné que le vôtre ne marche qu’avec le vent, l’aéroplane, s’il n’y a pas de vent, restera en panne ou à peu près, comme un bateau à voile.

Permettez, monsieur Rondia, interrompit Larmion. Quand j’ai créé l’avion sans moteur ce fut pour l’usage de tout le monde. Ce n’est pas ma faute si l’aviation a été monopolisée par la guerre. C’est dommage même !

Ne pourriez-vous vous orienter vers le moteur électrique ? demanda Lucien. Puisque vous avez un dispositif de récupération d’énergie, ne peut-il pas servir à emmagasiner l’électricité perdue ? Larmion se mit à réfléchir. Tout à coup il leva la tête et dit : Vous venez de me donner l’intuition de l’usage approprié de mon dispositif. Il peut d’autant plus emmagasiner l’électricité perdue, qu’il est lui-même le producteur automatique de celle-ci.

À la bonne heure ! dit Lucien, sur ces bases nous nous entendrons. Que demandez-vous pour monter une usine de ces appareils, et pour mettre votre invention exclusivement à mon service ? 100.000 francs par an dit Larmion.

C’est bien, répondit Lucien. Je vous engage à partir de ce jour et vais vous verser 10.000 francs d’arrhes.

Veuillez vous mettre en route dès demain pour acheter les machines et outils nécessaires à une usine devant produire cent avions par mois.

Vous pouvez engager des ouvriers, mais veuillez les prévenir qu’au moins pendant cinq ans, ils ne pourront quitter l’État d’Araucanie.

Choisissez-les donc parmi les célibataires sans attaches familiales. Sous ce rapport, je suis inflexible.

C’est entendu, dit Larmion. Lucien tirant son carnet de chèques, en libella un de dix mille francs au nom de l’aviateur. Celui-ci le prit puis quitta Lucien peu après. À trois heures précises se présenta Monsieur Pierre Dubois. Lucien le reçut et après lui avoir dit qui il était, lui demanda si le métal dont il lui avait parlé dans sa lettre, pouvait être essayé.

Parfaitement répondit Dubois, j’ai apporté une plaquette avec moi. Développant un paquet qu’il avait sous son bras, il présenta à Lucien un morceau de métal de 5 mm très léger et malléable.

Voulez-vous venir avec moi chez Gastinne-Renette ? demanda-t-il. Vous l’essayeriez là.

Avec plaisir, répondit Lucien en prenant son chapeau.

Comme ce n’est pas loin, nous irons à pied, dit-il à la porte de l’hôtel. Comme vous voudrez, répondit Dubois.

Quelques minutes après, ils pénétraient au stand de l’armurier Gastinne-Renette, avenue d’Antin.

Justement celui-ci s’y trouvait. Apercevant Dubois, il s’avança à sa rencontre, car il le connaissait et avait assisté à ses expériences.

Voici, dit ce dernier, le Roi d’Araucanie, auquel je veux montrer le degré de résistance de mes plaques, dit Dubois à l’armurier.

Gastinne-Renette appela un employé et fit placer la plaquette à vingt mètres de distance.

Puis il présenta à Lucien des revolvers d’ordonnance et un fusil Lebel à cartouche de guerre.

Celui-ci tira plusieurs coups. À chacun de ceux-ci la plaque était ramenée et examinée. Pas la moindre trace de pénétration, mais des signes de glissement. On aurait dit que le métal amortissait le choc le plus formidable et laissait tomber inerte le projectile à ses pieds.

Monsieur, dit Gastinne-Renette à Lucien, j’ai assisté aux expériences faites avec la plaque au camp de Châlons. On a tiré à 200 mètres avec des mitrailleuses et des canons de 75 et j’ai pu constater que le résultat était identique à celui que vous venez d’obtenir.

Je l’attribue d’abord à la malléabilité du métal, qui, sous le coup qui le frappe, cède imperceptiblement, mais se ressaisit aussitôt et se contracte pour la résistance.

Monsieur, répondit Lucien, une affirmation aussi formelle venant d’un homme aussi expérimenté que vous me dispense d’autres preuves.

Une fois sortis du stand, Lucien se tourna vers Dubois et lui dit : Votre métal peut-il se produire en grandes quantités ? Évidemment, répondit Dubois. Si pour mes mélanges, je me contente de petits creusets, rien n’empêche de construire une usine pour produire en conséquence.

Êtes-vous marié ? demanda ensuite Lucien. Non. monsieur, répondit Dubois. Quoique âgé de 41 ans, je suis célibataire.

Cela ne vous ferait rien alors de rester plusieurs années sans revenir dans votre pays ?

Oh non, dit Dubois, en haussant les épaules. Je n’y tiens pas tant que cela ! Et que demanderiez-vous pour votre invention, c’est-à-dire pour vous charger de diriger l’usine de fabrication du métal ? Un million de francs, répondit Dubois. En outre 100,000 francs par an pour la diriger.

J’accepte, dit Lucien, je vais vous verser 25,000 francs à valoir sur vos appointements et le million sera déposé le lendemain du contrat où vous voudrez.

Veuillez me faire tenir au plus tôt les plans et devis de l’usine à construire.

Rentré à l’hôtel, il remit à Dubois les 25,000 fr. promis et celui-ci lui remit le morceau de plaque qu’il avait apporté.

Dès qu’il fut parti, Lucien se dirigea vers la chambre de Linda. Ma jolie, dit-il en l’embrassant, si tout ce que les hommes que j’ai vus aujourd’hui est tel qu’ils me l’ont fait entrevoir, je crois que je deviendrai réellement invincible. Je n’en ai jamais douté, mon héros et suis heureuse que tu partages mon opinion ; resterons-nous longtemps ici ? Non, répondit Lucien, nous partons demain pour Liège, voir mon ami Jules Renkin et l’engager à venir avec nous. Puis nous irons en Angleterre et dans un mois nous retournerons chez nous.

Le lendemain, ils quittaient Paris dans la soirée, mais auparavant Lucien avait assisté à l’expérience de Ramier à la Tour Eiffel. Un message avait été lancé vers le Havre avec prière de répéter son contenu. Aucun autre poste que celui indiqué par l’inventeur n’avait répondu à l’appel. Lucien l’avait engagé à raison de 100,000 francs par an pour implanter son système en Araucanie et dans l’Empire du Soleil.

Son stage à Liège fut court. Il convainquit son ami Jules et sa femme, et ceux-ci lui promirent de l’accompagner.

Après quelques achats de matériel de scierie et autres dont il avait besoin, il partit vers l’Angleterre.

Là il s’aboucha avec une vingtaine de banques pour l’envoi de l’or anglais qu’il fabriquerait.

Il donna comme motif de ses envois, qu’il avait monopolisé tout le caoutchouc et autres matières premières et qu’il recevait beaucoup d’or anglais, la seule monnaie courante dans le bassin de l’Amazone.

Il était du reste résolu à ne pas envoyer des pièces neuves, mais à leur faire subir une préparation leur donnant un aspect usagé.

Les banquiers acceptèrent sans méfiance et se gardèrent bien de se faire connaître les uns aux autres un si bon client, susceptible de leur laisser en dépôt 25 ou 30 millions par an.

En éparpillant ainsi les dépôts, Lucien comptait émettre en Angleterre et France 3 à 400 millions de francs par an. Le reste, il l’écoulerait dans d’autres pays d’Europe et un peu partout en Amérique du Nord et du Sud. Il revint donc à Paris voir les savants engagés. Ceux-ci avaient tout préparé. Lucien paya les matériaux commandés et les fit adresser à Punta Arenas.

Quant à lui et toute sa suite, ils s’embarquèrent à Ostende sur un yacht qu’il avait acheté en Angleterre. Celui-ci avait la particularité d’avoir un faible tirant d’eau. Il comptait ainsi arriver jusqu’à Cuzco même, sans changer de bateau.

Il ne se trompait pas dans ses prévisions. Arrivé à Iquitos il trouva Don Manuel avec le canot-automobile, un radio-télégramme lancé du Para avait annoncé son arrivée.

Comme le palais de l’inca ne comportait pas d’installation moderne, Lucien pria les savants de séjourner provisoirement dans le yacht.

Du reste, ils ne devaient pas rester à demeure dans l’Empire du Soleil. Daviel, le graveur. Ramier, le télégraphiste, le chimiste Haguenau, l’aviateur Larmion et Dubois, l’inventeur du métal impénétrable, allaient en Araucanie avec Lucien.

Defrennes seul restait à Cuzco, car il devait commencer le prospectage de l’Empire au point de vue minier.

Comme il connaissait bien l’espagnol, il lui fut adjoint Don Manuel pour l’accompagner.

Quinze jours après son départ, Lucien arrivait à Légia, la nouvelle capitale qu’il voulait fonder, située à 500 kilomètres de Punta Arenas et sur les confins de l’Empire du Soleil. Le chemin de fer qu’il allait faire construire passerait à 100 kilomètres de là et relierait Punta Arenas à Buenos Ayres.

En attendant sa construction, il fit usage d’un chemin de fer Decauville à voie étroite qui amena, dès le début, les matériaux amenés à Punta-Arenas. Parmi ceux-ci se trouvaient quelques maisons démontable destinées aux savants et à lui-même.

Le mobilier nécessaire accompagnait celles-ci.

Son premier soin fut de s’assurer s’il ne pourrait trouver sur place les matériaux nécessaires pour bâtir une ville.

Voyons, se dit-il, est-ce le bois ou le fer que je vais employer ? Après consultation des savants, ceux-ci lui conseillèrent le bois.

Dubois lui trouva en une semaine de temps, un mélange incombustible à une flamme de 100 degrés. C’est suffisant, dit-il à Lucien, car si un incendie éclatait, avant que le foyer dépassa cette chaleur, il serait déjà éteint.

Toutefois, par précaution contre la foudre, il faudrait munir les bâtisses de paratonnerres.

Lucien fit donc installer sa scierie portative et commença l’abattage et le débitage des bois, il choisit de préférence le quebracho, bois serré et dur comme du fer.

Ensuite vint l’installation de la centrale électrique destinée à faire mouvoir les machines-outils que lui et ses savants imaginèrent. La grande difficulté fut le combustible. La houille manquait. Par contre, on trouva assez bien de pétrole. Il mit donc à profit l’abondance des bois de ses forêts pour produire du charbon de bois, lequel, joint à la sciure et aux résidus du pétrole, lui donna un aggloméré d’une puissance calorique extraordinaire.

Six mois après l’arrivée des savants, les usines fonctionnaient.

La difficulté du début pour la frappe de la monnaie, fut la répugnance de Defrennes à faire le faux monnayeur.

Mais Lucien lui faisant entrevoir le but patriotique qu’il avait, le dommage minime qu’il causait, car en somme il ne lésait personne en frappant de la monnaie d’un si bon aloi, le convainquit bientôt.

Les louis d’or, les livres sterling, bien d’autres monnaies usuelles furent frappées. L’or partait de Punta Arenas à bord d’un vapeur acheté par Lucien et était délivré en France, à Bastin, tous les trois mois en plusieurs fois. On employait de préférence les marins, tous des Araucans. Ceux-ci débarquaient au nombre d’une vingtaine à terre et portaient autour de leur corps une centaine de mille francs, soit une trentaine de kilos.

Chaque descente comportait ainsi deux millions. En deux jours de temps vingt-cinq millions étaient débarqués.

Le capitaine, un Ostendais, en qui Lucien avait grande confiance et qu’il payait royalement, avait loué au Havre un cottage écarté dont Bastin avait aussi la clef.

Là, dans un caveau aménagé pour cet usage, on empilait les trésors que Bastin venait ensuite chercher dans une automobile au fur et à mesure de ses besoins.

Comme l’or envoyé avait déjà subi une préparation lui donnant un aspect usagé, il avait renoncé à installer des maisons de change en province. Une banque avait été montée et il payait toutes les fournitures de Lucien, en or. Quant au surplus, il le versait directement à la Banque de France au nom de Lucien.

Le vapeur « Herstal », comme l’avait dénommé Lucien, embarquait du chargement pour Punta-Arenas, puis allait en Angleterre, où le même manège recommençait.

En quatre ans, Lucien était parvenu à avoir un compte créditeur de 100 millions à la Banque de France, de 300 millions à la Banque d’Angleterre et 300 autres millions répartis entre vingt banques différentes. De plus, il avait fait faire des virements aux Banques de Belgique, Allemagne, Italie et Espagne pour 300 autres millions, il disposait donc d’un milliard disponible à tout moment. Indépendamment de cela, il était parvenu à avoir dans les États-Unis un autre milliard réparti entre diverses banques.

Ce trésor de guerre était indépendant des formidables achats qu’il avait faits et qui se chiffraient par 500 millions par an. Il avait fait construire un chemin de fer aérien qui reliait Légia, sa capitale, à Cuzco, la capitale de l’Empire du Soleil.

Quant au chemin de fer de Punta-Arenas à Buenos-Ayres, il avait été payé aussi par Lucien.

Toute la main-d’œuvre avait été fournie par des Araucans. Lucien leur avait imposé à chacun une dîme de travail de 48 heures effectives par semaine, soit 8 heures par jour.

Mais ceux-ci étaient libres de les faire selon leurs convenances, soit en faisant plus d’heures à la fois, soit en en faisant moins une semaine, quitte à se rattraper la semaine suivante.

Par contre, Lucien subvenait aux besoins de l’ouvrier et de son ménage. Quant à la main-d’œuvre nécessaire à l’extraction de l’or dans l’Empire du Soleil, elle était fournie par les sujets d’Atahualpa ii.



CHAPITRE II


Messieurs, dit Lucien, Roi d’Araucanie, à ses collaborateurs, voulons-nous discuter, en conseil, la situation générale ? Les six hommes se levèrent de leurs sièges et se dirigèrent, précédés de Lucien, vers la salle du conseil.

Là, autour d’une magnifique table de palissandre ornée de nacre, ils se tinrent debout jusqu’à ce que Lucien leur eut dit de s’asseoir.

Dès qu’ils y furent invités, ils s’assirent et Lucien commença : Il y a aujourd’hui cinq ans que vous me prêtez votre collaboration.

Dès le début de nos relations, je vous fis entrevoir qu’un long laps de temps s’écoulerait avant que l’œuvre à laquelle je vous avais conviés, pût donner ses fruits.

Je m’excuse envers vous, Messieurs, de l’isolement dans lequel je vous ai tenus, mais j’avais pour cela de puissantes raisons. Vous n’ignorez pas que mon beau-père et moi étions menacés d’encerclement complet par nos ennemis.

Que l’issue que nous avions par l’Amazone, le Waldonado et d’autres fleuves pouvait nous être barrée du jour au lendemain.

Heureusement nous avions Punta-Arenas comme issue directe à l’Océan. Mais une puissante flotte, une flottille de sous-marins, un champ de mines pouvait nous fermer ce port. Il fallait à tout prix me rendre absolument indépendant, conquérir une maîtrise quelconque, obtenir la suprématie de l’air et d’autres éléments.

Grâce à vos recherches, je crois l’avoir obtenue. Je vous en remercie, Messieurs, du plus profond de mon cœur.

Maintenant que la tâche est finie, du moins dans sa sphère scientifique, je vous rends votre liberté.

Au seuil de la guerre qui va commencer, je ne veux pas vous imposer d’autres obligations.

Que celui d’entre vous qui désire rentrer en Europe, veuille bien me l’indiquer et je m’empresserai, tant qu’il en est temps encore, de le reconduire à Buenos-Ayres par le Trans-Andin. Personne ne bougea. Larmion se leva.

Monsieur Lucien, commença-t-il, je crois être l’interprète de ces messieurs, en vous disant que ce n’est pas au moment où nous allons voir le succès couronner nos recherches, ou nos découvertes, que nous penserions à vous quitter.

Nous avons tous, dès le début, été captivés par le rôle que vous nous assigniez. Nous avons fini même par aimer ce peuple au milieu duquel nous vivions, et je puis affirmer que j’aime les unités de mon corps d’aviateurs-pilotes autant que des frères.

Je suis persuadé qu’il en est de même pour le corps de fusiliers que Monsieur Dubois a formé. N’est-ce pas, fit-il en se tournant vers celui-ci. Oui, répondit ce dernier, ils m’aiment comme un père et je les aime comme s’ils étaient mes enfants.

Il en est de même pour tous ces messieurs.

Lucien se leva à nouveau et dit : Puisqu’il en est ainsi, nous allons discuter notre plan de campagne.

Voyons d’abord la situation internationale : en Amérique du Sud nous ne pouvons compter sur personne ; j’ai fait sonder le Pérou et la Bolivie, ces pays refusent de se joindre à nous et je crois même qu’un traité secret a été signé avec le Brésil pour le partage de l’Empire du Soleil. L’Uruguay et le Paraguay sont maintenus par l’Argentine, l’Amérique Centrale ne peut nous aider en rien, étant trop éloignée et maintenue en outre par les États-Unis. Leurs sympathies vont du reste à l’A. B. C. Il en est de même des États-Unis ; l’Europe, de son côté, ne peut nous être d’aucune aide et sympathise avec nos ennemis. Seul l’Orient nous est favorable. La Chine, le Japon, l’Inde nous ont promis, les uns une agitation populaire, d’autres leur appui en officiers et cadres. Vous n’ignorez pas que nous avons conservé tous les officiers japonais de la précédente guerre, de même que les divers engagés volontaires. Nous disposons donc de 500,000 hommes de première ligne, de 4,000 bouches à feu et de 10,000 mitrailleuses avec une réserve de munitions pour une campagne d’un an. Nous sommes en outre montés pour fabriquer ici même tout le matériel et les munitions nécessaires. Mais en regard de ce que nous pouvons aligner, voyons ce que peuvent faire nos ennemis.

L’Argentine est disposée à mettre en ligne un million d’hommes, 2,500 bouches à feu et 5,000 mitrailleuses.

Le Brésil ira jusqu’à deux millions d’hommes et 10,000 mitrailleuses. Son artillerie ne comportera que 500 bouches à feu, car il est obligé de batailler dans des forêts et des rivières.

Le Chili mettra à la disposition de l’A. B. C. 500,000 hommes, 2,500 bouches à feu et 5,000 mitrailleuses.

Comme il n’est pas obligé, comme dans la guerre précédente, de défendre le front de Bolivie, il est probable que son rôle consistera à l’invasion de l’Araucanie par la terre de Feu. Je suppose même que sa flotte bombardera Punta-Arenas, et bloquera le détroit de Magellan pour empêcher tout ravitaillement.

Je suis amené à croire qu’il agira ainsi, car le passage des Andes lui coûterait énormément d’hommes.

Les renseignements que j’ai reçus, me portent à croire que je ne me trompe pas, car en ces derniers temps on a aperçu beaucoup d’officiers dans ces parages.

En outre de grandes quantités de mines sous-marines ont été achetées, ainsi que des torpilles. Deux submersibles sont en route également à destination de Copiapo où, je suppose, se trouvera la base de ceux-ci. Le barrage du détroit de Magellan m’importe peu, car j’ai fait tous mes approvisionnements pour longtemps.

Mais pour empêcher à mon tour l’approvisionnement du Chili par mer, j’ai établi deux bases, une dans l’île de Régimal à l’Océan Antarctique et l’autre dans une des îles de Chincha, la plus déserte de ce groupe, pour empêcher le passage dans l’Océan Pacifique.

Ces îles ayant été achetées par moi et placées sous la protection du pavillon belge, ne peuvent être attaquées sans complications diplomatiques. Leur propriétaire fictif est du reste mon ami Bastin, qui est censé faire du commerce licite. Voyons maintenant les forces maritimes de l’Argentine et du Brésil, du moins celles qu’ils pourraient aligner contre nous, car nous-mêmes, n’ayant pas de flotte de guerre, ils laisseront dans leurs ports les cuirassés et croiseurs pour ne se servir que des torpilleurs et sous-marins pouvant naviguer dans les rivières comme l’Amazone.

L’Argentine dispose de 25 torpilleurs et trois sous-marins. Le Brésil de 80 torpilleurs et de 4 sous-marins.

En regard de tout cela, nous ne pouvons opposer que six sous-marins partagés dans nos deux bases navales.

Mais je le répète, Messieurs, la guerre maritime m’importe peu. De plus, ces unités sont construites tout autrement que celles de l’A. B. C. : leur coque est en métal Dubois impénétrable aux obus et torpilles, leurs moteurs sont munis du dispositif Larmion pour la récupération de l’énergie et produire indéfiniment de l’électricité. Leurs torpilles contiennent de l’Haguenite, due aux savantes recherches de notre distingué confrère ici-présent.

Bref nos sous-marins sont invulnérables.

Un autre point qui a son importance pour nous, c’est le côté économique.

Dans ce domaine, voici ce que j’ai fait :

Depuis environ un an, j’ai fait acheter aux Bourses de Paris et Londres tous les emprunts argentins, brésiliens et chiliens que j’ai pu obtenir. Le public, dans l’éventualité d’une guerre, lançait ce papier en quantité. Croyant que les rachats provenaient des États eux-mêmes pour soutenir leurs cours, la hausse ne s’est pas produite.

Je suis donc détenteur de deux milliards de francs de ventes de ces pays, soit la presque totalité de ceux-ci.

Dès la déclaration de guerre, je lance ces valeurs à jet continu et empêche le placement de nouveaux emprunts.

Je ne connais pas un groupe assez puissant ni assez désintéressé qui puisse racheter le papier que j’offrirai.

Si la guerre est longue, ces pays vont s’épuiser financièrement, leur exportation se trouvera arrêtée par la guerre sous-marine que je porterai jusque dans leurs eaux.

Passons maintenant à l’aviation. Dans ce domaine nous sommes les maîtres incontestés. Le Brésil dispose de quatre dirigeables, six cents avions et 350 pilotes. L’Argentine de deux dirigeables, cinq cents avions et 300 pilotes. Le Chili d’un dirigeable, quatre cents avions et 275 pilotes. Cela leur donne sept dirigeables, 1,500 avions et 928 pilotes.

Nous possédons dix dirigeables, 1,000 avions et 3,000 pilotes, avec cette particularité que nos moteurs électriques donnent une vitesse de kilomètres à l’heure contre les 120 de moyenne des leurs, que nos avions sont tous recouverts du métal Dubois, de même que l’enveloppe de nos dirigeables, que par le dispositif Larmion nous pouvons voler beaucoup plus longtemps qu’eux.

En outre, avec la puissance de nos moteurs, nos avions transportent dix hommes et le pilote, tandis qu’eux n’en transportent que deux. C’est là. Messieurs, où nous sommes forts. Nos ennemis ignorent absolument notre puissance, car tout cela a été fait en secret. Nul étranger, à part vous six, n’a pénétré dans nos ateliers et nos usines.

Avec nos projectiles à l’Haguenite, nous sommes à même de les détruire avant qu’ils nous atteignent.

Je n’oublierai pas non plus notre confrère Ramier.

Grâce à lui, nous avons installé des postes de télégraphie sans fil munis de son dispositif récepteur. Nous pouvons ainsi correspondre sans risque d’être interceptés.

Je n’oublierai pas non plus Messieurs Defrennes et Daviel : Grâce à eux deux, l’un en trouvant, l’autre en frappant l’or, nous avons les moyens de nous fortifier.

Passons maintenant à notre plan de campagne :

Je vous dirai tout d’abord que j’ignore quand la guerre éclatera, je sais seulement que l’Argentine mobilise en secret. Au fur et à mesure que les unités rentrent, elles sont envoyées par chemin de fer à Parral, au Grand Chaco, où des immenses camps de concentration ont été créés.

J’ai capté hier une dépêche annonçant que Ferucci, ancien compagnon de Garibaldi, faisait appel à ses compatriotes de Buenos-Ayres pour la constitution d’une légion italienne. Du Chili, je ne sais que l’envoi d’éclaireurs à la Terre de Feu. Le Brésil, lui aussi, mobilise en secret. Son armée du Nord vient d’être déplacée et se trouva à 500 kilomètres des frontières de l’Empire du Soleil. Celles du centre et du Sud ont avancé parallèlement.

Pour éviter une invasion subite, vu la courte distance, j’ai fait miner le Tavajos, le Saô-Miguel et le Texeira qui forment nos frontières naturelles.

En outre, à dix kilomètres en arrière, j’ai fait placer des fortins portatifs munis de mitrailleuses.

J’ai cent mille hommes concentrés au centre, prêts à se porter aux deux ailes en cas de besoin.

Je vais en mobiliser encore 600,000, de façon à pouvoir en placer 400,000 de plus contre le centre brésilien.

Les autres deux cents mille me serviront : cent mille pour arrêter l’invasion chilienne et cent mille pour renforcer mon armée d’Araucanie, qui sera portée ainsi à 500,000 hommes. Avec ma supériorité aérienne, je suis à même de soutenir leur choc combiné.

Voici maintenant mon plan d’attaque, car je ne vous cache pas que je veux riposter à leur offensive par une contre-offensive puissante.

Nos ennemis se figurent qu’en attaquant ensemble, ils vont nous obliger à éparpiller nos forces.

Je suis donc d’avis d’attaquer les Argentins en bataille rangée dans les plaines du Grand-Chaco, de me retrancher et de tenir coûte que coûte contre les Brésiliens et Chiliens.

L’armée brésilienne du Nord mettra au bas mot deux mois pour faire sa jonction avec celle du centre, car elle doit traverser des forêts inextricables.

Celle du Sud mettra ou moins autant, car les difficultés sont les mêmes.

Les deux ailes des Brésiliens sont plus fortes que le centre, car elles doivent s’éparpiller beaucoup plus.

Par conséquent mes 500,000 hommes peuvent soutenir facilement, étant retranchés, le choc du centre d’abord et des ailes ensuite.

Cette armée sera commandée par l’inca lui-même, ayant comme chef d’état-major le colonel Nogi, parent du vainqueur de Port-Arthur, et qui fut lui-même attaché à l’état-major japonais à ce moment.

Pour que les Chiliens envahissent l’Araucanie, il faut qu’ils passent par les montagnes ou par mer. Je vais faire garder toutes les passes des montagnes et faire croiser les sous-marins. Je compte, sans être optimiste que les Chiliens seront arrêtés également pendant deux ou trois mois, car il faut compter qu’avant d’arriver au cœur de mon royaume, il faudra conquérir pic par pic.

Mes avions, du reste, feront bonne besogne.

Reste l’Argentine, dont je me charge de régler le compte.

Voyez-vous, Messieurs, quelque chose dans mon plan qui ne soit pas conforme à vos idées ? Parlez sans crainte de me froisser.

Dubois se leva et dit : Je crois être l’interprète de mes collègues en vous affirmant qu’ils approuvent complètement vos idées. N’est-ce pas Messieurs ?

Oui, répondirent ceux-ci ensemble.

Dans ce cas nous allons désigner le poste que chacun occupera dans la prochaine campagne.

Comme je vous l’ai dit, l’armée contre le Brésil sera commandée par Atahualpa ii, celle contre l’Argentine par moi. Un de vous voudrait-il diriger l’armée contre le Chili ? Vous, Monsieur Defrennes, qui êtes un ingénieur émérite ? Je veux bien, répondit ce dernier, si vous me donnez comme chef d’état-major le capitaine Oku, un spécialiste en matière de retranchements.

Convenu, dit Lucien, j’en parlerai au capitaine.

Voici les autres postes que je veux vous offrir :

Le service de ravitaillement serait assuré par avions et dirigeables, bien entendu en ce qui concerne les projectiles, car vous n’ignorez pas que pour l’alimentation, nos indiens emportent assez de vivres sur eux pour un mois de campagne. Ceci simplifie notablement le service d’intendance. Je vous offre la direction de ce service, Monsieur Ramier.

J’accepte, dit ce dernier. Je vous donnerai, dit Lucien, deux dirigeables et 500 avions.

Pour le service d’ambulance, j’ai pensé à vous, monsieur Daviel. Vous auriez un dirigeable et 500 avions également. Comme le service d’ambulance est mieux organisé chez nos ennemis que chez nous, vous ne vous occuperiez que de nos blessés, Inutile de nous embarrasser de prisonniers. Étant donné qu’en deux heures nous franchissons plus de 400 kilomètres et que nos avions peuvent porter une douzaine d’hommes, en dix heures vous pourriez transporter 50 à 60,000 blessés, ce qui est déjà un chiffre énorme. C’est entendu, dit Daviel, j’accepte ce poste. Quant à vous, Monsieur Larmion, je vous offre la direction de l’aéronautique et la surveillance de nos postes de télégraphie sans fil. J’accepte, dit l’aviateur.

Je ne vous ai rien offert, ajouta Lucien, en se tournant vers Haguenau et Dubois, car votre présence est plus que jamais indispensable à la tête de nos diverses usines.

Les interpellés s’inclinèrent.

Maintenant, Messieurs, veuillez me permettre de vous annoncer une nouvelle qui vous sera agréable.

En dehors de vos émoluments habituels, j’ai fait déposer à la Banque de France à Paris un million de francs au nom de chacun de vous six.

Les bénéficiaires se levèrent et Haguenau dit :

Monsieur Lucien, au nom de mes collègues et au mien, je vous remercie de votre munificence, cependant, nous n’avions pas besoin d’un stimulant de ce genre pour vous dire que nous vous sommes dévoués jusque la mort. Je vous remercie Messieurs, dit Lucien, en leur serrant la main à tour de rôle, puis il ajouta : l’heure du déjeuner est arrivée, voulez-vous passer dans la salle à manger ?

Comme vous voudrez, dit Haguenau.

Les sept hommes se dirigèrent vers la sortie et peu après pénétraient dans une luxueuse salle à manger.

Lucien se dirigea vers un acoustique et cria : Linda, viens-tu déjeuner ? J’arrive de suite, fut la réponse.

Cinq minutes après, elle faisait son apparition.

Les savants lui serrèrent la main à tour de rôle puis, dès qu’elle se fut assise, prirent place à leur tour.

Lucien sonna sur un gong placé devant lui et presque aussitôt le milieu de la table s’écartait pour livrer passage à un service de table pour huit personnes.

Le potage était déjà servi, des tranches de pain, des hors-d’œuvres variés se trouvaient sur d’autres assiettes.

Dans une autre corbeille, il y avaient des couteaux, des fourchettes, des cuillères, puis des serviettes de table.

La corbeille se déplaça automatiquement et vint se placer dans une rainure ; un courant électrique la fit mouvoir tout autour de la table.

En passant devant chaque convive, elle s’arrêtait et celui-ci prenait les ustensiles nécessaires. Il en fut de même pour le potage ; dès celui-ci achevé, les convives plaçaient leur assiette dans l’emplacement réservé et qui commençait à se mouvoir vers l’endroit où se trouvait l’ascenseur devant la mener vers les cuisines.

Ensuite vinrent les verres et bouteilles de vin ou eaux minérales, suivant les goûts de chacun, puis successivement les poissons, les viandes, le gibier, le dessert. Enfin la nappe se replia d’elle même une fois le café bu et les tasses enlevées. Comme la fumée ne gênait pas Linda, les hommes se mirent à fumer. Peu après, Linda partit.

Avez-vous reçu des nouvelles intéressantes par sans fil ? demanda Lucien à Ramier.

Pas grand chose répondit celui-ci : les cours de la bourse de Liverpool pour les caoutchoucs, puis trois appels de détresse provenant, deux de l’Océan Indien où règne un typhon assez fort et un autre de l’Atlantique à hauteur des Açores.

Je me doute que l’A. B. C. ne communique plus par sans fil et envoie ses dépêches par câble.

Et vous autres. Messieurs, n’avez-vous rien de neuf non plus ? continua Lucien en se tournant vers les autres convives. Moi, dit Larmion, je faillis perdre, par son imprudence, un de mes meilleurs élèves.

Nous nous trouvions à 3000 mètres de hauteur quand il lui prit la fantaisie de grimper de son siège sur le plan supérieur de l’aile pour ramasser sa casquette qui venait de s’envoler.

Sur le coup le monocoque faillit se retourner, je n’eus que juste le temps de me lancer sur le stabilisateur car mon appareil allait capoter et l’imprudent être lancé par dessus bord de 3000 mètres de haut.

Après une vive remontrance, il promit de ne plus recommencer. Les autres savants n’avaient rien de remarquable à signaler.

Dès qu’ils eurent fini de fumer ils s’en allèrent, Lucien se dirigea vers le téléphone d’où il donna ordre à l’état-major de mobiliser les hommes nécessaires pour porter l’armée au pied qu’il avait annoncé en Conseil. Ensuite il passa à l’appartement de Linda : Ma Linda, lui dit-il, nous approchons du moment où nos ennemis vont se lancer à nouveau contre nous.

Le sang va couler à flots, mais cette guerre sera décisive. Ou nous vaincrons définitivement, ou l’empire du Soleil n’existera plus.

Je vais prendre le commandement de l’armée qui opérera contre l’Argentine et ton père celui contre le Brésil ; une autre armée moins nombreuse opérera contre le Chili ; je l’ai placée sous les ordres de Defrennes qui est un ingénieur de grand mérite.

Je compte partir demain pour Cuzco où j’aurai un dernier entretien avec ton père. Viens-tu avec moi ?

Oui, répondit Linda, je t’accompagnerai aussi dans ta campagne. Cela n’est pas possible, ma chérie, car je dois opérer en dirigeable. Qu’est-ce que cela fait ! dit Linda, partout tu iras je t’accompagnerai. Soit, consentit son mari, mais tu sais ce n’est pas un palais, un dirigeable ; tu auras froid là-haut. Je prendrai mes précautions, dit Linda.

Lucien partit faire un tour dans les usines. Toute l’après-midi se passa ainsi jusqu’à l’heure du dîner où les savants revinrent prendre leur repas.

Ensuite ils allèrent au salon où chacun passa son temps selon ses désirs : les uns jouèrent aux cartes, d’autres au billard. Lucien se plongea dans la lecture des derniers journaux reçus d’Europe.

Vers dix heures tous regagnèrent leurs chambres respectives, mais nulle part on ne trouvait trace de serviteurs, en sonnant de diverses façons on obtenait ce que l’on désirait, automatiquement.

C’était une création imaginée par Lucien d’après la maison électrique de Paris. Elle avait l’avantage de permettre de causer sans témoins ; les chambres à coucher étaient conçues dans le même esprit. Le lendemain matin Lucien et Linda montaient dans leur wagon spécial et peu après, le courant ayant fonctionné, ils filaient à 300 kilomètres à l’heure vers Cuzco où ils arrivèrent trois heures après. Dès son arrivée au palais de l’inca, Lucien prit son beau-père à part et lui dit :

Mon père, le moment d’agir va bientôt sonner ; il lui fit part des décisions prises : il faut ordonner de suite la mobilisation des hommes pour que vous puissiez opposer 500.000 hommes aux brésiliens.

Vous avez ici les armes et munitions nécessaires pour ceux-ci ; dès mon retour à Légia je vous enverrai le Colonel Nogi qui sera votre chef d’état-major, c’est un officier très capable. C’est bien mon fils, mais toi-même ne viendras-tu pas voir ce qui se passe ici ?

Évidemment, mon père, mon dirigeable évoluera tantôt par ici, tantôt sur le Grand-Chaco où je compte livrer bataille aux Argentins.

Le même soir il repartait vers Légia et donnait des instructions au colonel Nogi. Celui-ci convoqua ses officiers et en leur compagnie se dirigea vers Cuzco.

Ceux-ci ayant séjourné dans le pays pendant 5 ans, connaissaient à fond l’aïmara, la langue du pays, de même que la topographie de celui-ci.

Huit jours après leur arrivée, les hommes appelés rentraient, et au fur et à mesure étaient dirigés vers la frontière où des camps étaient préparés.

Un mois s’était écoulé depuis la conversation que Lucien avait eue avec les savants, quand parvint la demande du Brésil et de l’Argentine à l’inca Atahualpa II, d’avoir à évacuer les territoires cédés par ceux-ci, endéans un délai de 3 mois, faute de quoi ils lui déclareraient la guerre. La réponse devait être parvenue dans la quinzaine. L’inca transmit la demande de l’A. B. C. à Lucien en le priant d’y répondre lui-même, ce qu’il ferait était accepté d’avance par lui.

Lucien lança donc aux présidents des républiques de l’Argentine, Brésil et Chili le message suivant :

« En réponse à votre message hautain, demandant l’évacuation des territoires qui m’appartiennent, non pas par votre don, mais par droit légitime, je me demande si réellement j’ai affaire à des gens sensés ou bien à des spoliateurs sans vergogne.

Se peut-il que vous fouliez aux pieds l’engagement solennel pris il y a cinq ans, que vous commettiez une pareille forfaiture à l’honneur ? Prenez garde, Monsieur, car pareil crime mérite un châtiment exemplaire ! Je suis de taille à vous le donner.

Si endéans les 48 heures vous ne me faites pas des excuses et ne cessez votre mobilisation, que je connais depuis quelque temps déjà, c’est moi qui vous déclarerai la guerre.

Toutefois, avant d’en arriver là, permettez-moi de vous dire, que devant l’humanité et devant l’histoire c’est vous qui en assumerez la responsabilité.

Réfléchissez bien, je vous en conjure, avant de lancer ainsi à la mort des centaines de mille de vos semblables et qui sont nos frères de race. Ce n’est pas la crainte d’être vaincu qui me fait parler ainsi, mais le sentiment de ma force, car je suis plus armé que vous ne le croyez,

« Atahualpa II inca de l’Empire du Soleil ».

Il envoya en outre un autre message ainsi conçu :

« Moi, Lucien I, roi d’Araucanie, préviens son Excellence que je suis entièrement solidaire des actes de mon beau-père et ferai cause commune avec lui ».

Le lendemain, parvenait la réponse des trois présidents. Elle était conçue d’une façon identique.

« Maintenons prétentions précédentes et nous considérerons, à partir de demain minuit, en état de guerre si nous ne recevons pas satisfaction immédiate »

Inutile de répondre, dit Lucien à l’inca, par sans fil, Commencez les opérations. De son côté il réunit les savants et leur fit part de la résolution qu’il avait prise de rentrer en campagne dès le jour suivant. Le lendemain matin, Defrennes et son état major partaient en dirigeable pour surveiller les chiliens.

À peine le dirigeable eut-il franchi la frontière qu’il fut accueilli à coups de canon et de mousqueterie.

En réponse à ce salut il lança quelques bombes sur les hangars des avions. Il put constater que les projectiles chargés d’haguenite, produisaient de grands ravages.

Il constata en outre, en poussant sa reconnaissance plus loin, qu’il régnait dans les ports un mouvement fébrile. C’était un va et vient de troupes et du matériel qu’on embarquait. Il lança donc l’ordre à la station de sous-marins des îles de Chincha et à celle de l’Antarctique de se rapprocher au plus tôt de la côte Chilienne.

Néanmoins, par précaution, il maintint ses hommes en surveillance dans les Andes, craignant une attaque par là aussi.

Lucien de son côté avait donné ordre à ses troupes d’avancer vers le Grand Chaco. Pour activer l’envoi à la frontière et prévenir la destruction du chemin de fer, il lança 3000 avions en avant avec 10 hommes dans chacun. En dix heures, il avait massé 130.000 hommes à l’embranchement du chemin de fer.

L’artillerie suivait par route et par voie ferrée. Quand le dernier coup de minuit sonna le lendemain, il avait déjà sous la main 3 corps d’armée de 50.000 hommes, 2500 mitrailleuses et 1500 canons avec leurs munitions. Le reste suivait à marches forcées.

L’inca de son côté n’était pas resté inactif ; toute son armée était en route vers la frontière brésilienne ; il n’avait pas tant à se presser car depuis longtemps il avait déjà 100.000 hommes sur place. Les Argentins n’étaient pas restés inactifs non plus, dès l’envoi du premier message, le généralissime Pellegrini avait fait avancer 3 corps d’armée sous les ordres des généraux Alvarado, Buendia et Torres.

Ces troupes arrivèrent presque en même temps que celles de Lucien mais attendirent les 7 autres corps d’armée que l’Argentine mettait en première ligne, soit 500.000 hommes.

Tous les préparatifs étaient faits pour le choc formidable qui allait se produire.

Lucien capta deux radio-télégrammes, l’un émanant du généralissime Osma de l’armée chilienne, annonçant à ses collègues argentins et brésiliens son entrée en campagne.

Un autre du généralissime Brito de Guimaraes annonçant sa marche en avant à la tête de 10 corps d’armée vers le centre de l’empire du Soleil.

En avant pour la gloire de la patrie ! s’exclama Lucien en donnant ordre de préparer une attaque de nuit pour le soir même.



CHAPITRE III.

LA CAMPAGNE DU GRAND CHACO


Bataille de Parral


Vers une heure du matin les éclaireurs et sentinelles argentines signalèrent l’avance de l’ennemi qui, en rangs serrés, s’avançait vers le centre argentin. En outre les vigies des deux ailes annoncèrent le même mouvement vers les deux extrémités.

L’obscurité de la nuit empêchait de se rendre compte du nombre approximatif d’hommes qui prenaient part au mouvement, mais le généralissime, d’accord avec le général Torres qui commandait le centre, supposa que l’ennemi essayait un mouvement tournant et avait par conséquent mis beaucoup plus d’hommes aux extrémités qu’au centre.

Il fit donc déplacer l’artillerie vers les deux bouts en conservant mille mitrailleuses pour soutenir l’attaque de front.

En outre, et pour riposter par une contre-attaque, il fit opérer à sa cavalerie un vaste mouvement destiné à envelopper lui-même l’ennemi. Il savait que celui-ci ne disposait pas de chevaux et il présuma ainsi pouvoir gagner de vitesse sur lui.

Ces ordres donnés, il s’avança vers le centre avec son état-major. Quand il y parvint, les premiers coups de feu commençaient à être tirés, les mitrailleuses commençaient à crépiter.

Les Araucans ne tiraient qu’à balles de fusil, mais dès qu’un projectile atteignait un argentin, l’effet en était terrible : l’homme touché était un homme mort, les chairs s’éparpillaient déchiquetées par la violence de l’explosion. Toute blessure était mortelle.

Ils parvinrent ainsi à deux cents mètres des Argentins ; à ce moment-là une nuée d’avions ennemis, armés de projecteurs, qui lançaient une lueur aveuglante, fit son apparition au dessus du champ de bataille ; il y en avait des centaines qui évoluaient entre 3 à 400 mètres de hauteur. Le général Torrès donna ordre aux mitrailleuses de tirer sur eux, la distance lui semblant propice.

Malgré la violence du feu, pas un ne fut abattu, bien au contraire ils descendirent jusqu’à 200 mètres et commencèrent à tirer des coups de fusil sur les Argentins, de préférence sur les servants des mitrailleuses, qui tombaient à tour de rôle, mortellement blessés ou morts sur le coup.

Les Araucans avançaient par bonds et se trouvèrent bientôt à 100 mètres de distance. Les hommes qui tombaient étaient immédiatement recueillis et portés vers l’arrière, d’où des avions les transportaient à 100 kilomètres plus loin ; des médecins indiens, maîtres dans l’art de guérir les blessures par les plantes, les soignaient immédiatement.

Une heure après le début de la bataille, les mitrailleuses ne crépitaient plus, presque tous ses servants gisaient morts sur le champ de bataille ; seule l’infanterie continuait à tenir. Au fur et à mesure que les hommes tombaient, ils étaient remplacés par d’autres.

Le front de bataille avait 2000 mètres au centre. Dans cet espace on pouvait compter, deux heures après le début de l’action, des milliers de cadavres. Les Argentins se servaient de ceux-ci pour s’abriter contre les balles mais, bien qu’ils ne fussent qu’à 50 mètres de l’ennemi, ils tiraient au hasard, aveuglés par les projecteurs des avions. Devant l’intervention de ceux-ci le général Torres avait fait monter cent avions argentins mais les Araucans leur avaient fait la chasse et les avaient abattus. Une heure avant le lever du jour, Lucien donna l’ordre d’assaut : les Araucans se précipitèrent à la baïonnette et mirent en fuite les Argentins, mille mitrailleuses tombèrent en leur pouvoir ; poursuivant leur offensive, ils parvinrent à couper en deux l’armée argentine qui se replia en désordre vers ses deux extrémités. Quand l’aube apparut on put contempler le carnage de la nuit.

30.000 cadavres Argentins jonchaient le champ de bataille. De son côté, Lucien avait eu 400 tués et 5000 blessés.

La situation se présentait alors ainsi :

Le généralissime, le général Torres et le restant des troupes du centre s’étaient repliés vers leur aile gauche pour garder le chemin de fer. Elle comprenait le corps d’armée du général Alvarado, presque, intact soit 50.000 hommes auxquels il fallait ajouter 20.000 hommes, restant du corps d’armée Torres, soit 70.000 hommes, 500 canons et 1000 mitrailleuses.

L’aile droite comprenait le corps d’armée Buendia, 500 canons et 1000 mitrailleuses. Ces troupes étaient complètement séparées du reste de l’armée car Lucien avait poussé son avance à 12 kilomètres plus loin. De son côté il disposait de 175.000 hommes, avec les renforts reçus pendant la nuit, de 1500 canons et 5000 mitrailleuses. Pour éviter l’arrivée de renforts argentins, il donna depuis le bord de son dirigeable, l’ordre d’attaquer l’aile gauche argentine et d’engager à cet effet 100.000 hommes, 1000 canons et 3000 mitrailleuses, le reste soit 75.000 hommes, 500 canons et 2000 mitrailleuses, devait foncer sur l’aile droite commandée par Buendia, et l’anéantir.

La tactique de la nuit, simuler un mouvement tournant pour anéantir le centre, devait être abandonnée.

Il fallait attaquer de front vu sa supériorité numérique en hommes et bouches à feu.

Mais le généralissime Pellegrini n’accepta pas la bataille dans des conditions aussi défavorables et ordonna de se replier en arrière, à 25 kilomètres de là, escomptant à nouveau l’arrivée de renforts demandés d’urgence, qui lui rendraient sa supériorité numérique.

Dès que Lucien capta ses ordres il ordonna une attaque aérienne avec 1500 avions qui ne devaient s’occuper que de l’artillerie ; abattre les servants, tel était l’ordre formel.

Puis il fit déployer son artillerie et commença le duel.

La configuration du terrain, rien que des plaines, ne permettait ni aux uns ni aux autres de cacher les canons.

Force fut donc aux argentins de faire face aux ennemis ; leurs avions furent forcés, dès le début, de s’abstenir car ils étaient pourchassés par les avions araucans.

Vers six heures du matin, après deux heures de combat, les argentins ne tiraient presque plus avec leurs canons.

Par contre l’artillerie araucane tonnait toujours ; ses obus, chargés à l’haguenite, faisaient des ravages terribles dans les rangs argentins, l’évacuation de l’infanterie se faisait péniblement, gênée par les obus qui la pourchassaient.

Voyant le désordre s’introduire dans les rangs ennemis, Lucien fit avancer son infanterie.

Entre ces deux sorts : être fusillé par derrière ou périr en combattant, le généralissime ne pouvait pas choisir. Il fit donc aligner ses troupes sur un front de dix kilomètres ainsi que ses mitrailleuses.

L’artillerie araucane se borna dès lors à bombarder les renforts qui affluaient et les empêcher de prendre part à la bataille.

Les avions, de leur côté, continuaient à empêcher les canons de tirer. Comme le front était assez vaste, Lucien commanda à son infanterie de se déployer et d’avancer en tirailleurs.

C’est ainsi que vers dix heures, ne se trouvant plus qu’à 50 mètres de l’ennemi, il donna l’ordre d’attaque générale.

Les fusiliers des avions, tirant de 200 mètres de haut, visaient les servants des mitrailleuses et les abattaient en masse. Le corps à corps fut terrible. Les Araucans, commandés par leurs officiers japonais, enfonçaient tout, culbutaient les obstacles, sautaient comme des tigres par dessus les cadavres et avançaient toujours. La débandade commença, les hommes, les officiers étant impuissants à les retenir, fuyaient.

L’état-major et le généralissime durent prendre la fuite pour éviter d’être capturés.

À midi le chemin de fer avait été dépassé et les fuyards s’éloignaient, la plupart sans armes, vers le Sud c’est-à-dire en Patagonie. Le butin était de 500 canons et 1000 mitrailleuses, des munitions et tout le matériel de guerre.

45.000 cadavres jonchaient à nouveau le champ de bataille, pas de blessés, car les blessures à l’haguenite étaient mortelles.

De son côté, Lucien eut 1500 morts et 7000 blessés recueillis aussitôt par ses avions d’ambulance.

Du côté du corps d’armée Buendia, les choses n’avaient pas marché mieux. Dès le début il avait commencé à se replier en arrière comme l’avait commandé le généralissime.

Mais Lucien l’avait forcé au combat. Toutefois ce corps d’armée avait résisté plus longtemps car l’effort principal de Lucien s’était porté vers l’aile gauche argentine.

En outre le terrain était plus favorable à l’artillerie argentine ; à midi elle tenait encore.

Lucien voulut en finir. Reportant le gros de ses forces contre Buendia, il fit pleuvoir sur ses troupes la pluie de fer de ses 1500 canons et 3000 mitrailleuses.

300 avions en outre concentrèrent le feu de leurs fusiliers sur les batteries ennemies.

120.000 hommes, la moitié de chaque côté, commencèrent un vaste mouvement pour encercler l’ennemi pendant que le reste avançait de front.

Buendia donna ordre alors de battre en retraite, mais celle-ci, sous la pression des Araucans, se convertit en défaite.

Le général ne put se sauver à temps : sur le point d’être capturé il prit son révolver et se fit sauter la cervelle.

D’autres officiers en firent de même ou se firent massacrer, pas un ne se rendit. À une heure il ne restait plus sur le champ de bataille que les canons et mitrailleuses sans servants et 40.000 cadavres, le reste s’était enfui dans toutes les directions. D’une armée de 150.000 hommes, il ne restait plus que des miettes et toute son artillerie capturée.

À une heure et quart Lucien lançait à son beau-père le radiotélégramme suivant :

« Viens de remporter une brillante victoire sur les Argentins. Ceux-ci ont eu 115.000 tués, 1000 canons et 2000 mitrailleuses capturés. Nos pertes sont de 3000 tués et 15.000 blessés peu atteints pour la plupart. Tenez ferme de votre côté car espère finir en un mois avec les Argentins pour me retourner contre le Chili ensuite ».

« Je continue ma marche en avant sur Buenos Ayres ».

Il ordonna ensuite de continuer tout le long du chemin de fer pour pouvoir se servir de celui-ci en cas de besoin.

C’est ainsi qu’en deux jours de marches forcées, il se trouvait à 100 kilomètres plus loin.

Il apprit alors par ses avions, que les Argentins concentraient à nouveau 500.000 hommes avec 1500 canons et 3000 mitrailleuses à 50 kilomètres de là. Faisant hâter ses renforts, il parvint à grouper lui aussi 500.000 hommes, 2000 canons, 4000 mitrailleuses et 1500 avions munis de 10 tirailleurs chacun.

Quand il eut fait ses préparatifs il donna l’ordre de marche en avant.


Bataille de Campo Santo


Le jour commençait seulement à poindre quand les sentinelles avancées (argentines) signalèrent l’approche des Araucans.

Ceux-ci avançaient parallèlement au chemin de fer, dont ils gardaient les deux côtés, sur un rayon de cinq kilomètres à droite et à gauche.

Aussitôt les avions argentins commencèrent à s’élever pour pouvoir repérer le tir de l’artillerie.

Lucien les laissa approcher puis, quand ils furent à proximité, il fit élever les siens qu’il n’avait pas voulu démasquer auparavant ; comme ils étaient recouverts entièrement de métal Dubois, il ne craignait nullement le tir.

Alors commença une chasse mouvementée : cinquante avions araucans pourchassèrent et anéantirent 25 avions argentins dont les occupants furent tués.

Devant cet échec, les argentins ne recommencèrent plus, se contentant de leurs ballons captifs pour régler le tir de leurs canons. Ceux-ci étaient cachés dans les replis du terrain et sur quelques monticules, s’élevant dans la plaine.

Lucien laissa tirer pour pouvoir découvrir lui-même l’endroit où étaient postées les batteries puis à son tour donna ordre aux canons de tirer et aux avions d’abattre les servants des pièces argentines.

Le dispositif de bataille était différent de celui adopté à la bataille de Parral : l’expérience aidant, on avait renforcé le centre qui comprenait 3 corps d’armée plus un à chaque extrémité. Cinq corps d’armée se tenaient à dix kilomètres de là, prêts à intervenir au moment voulu.

Par contre, toute l’artillerie se trouvait en première ligne y compris 3.000 mitrailleuses.

Comme les Argentins et leurs alliés ignoraient tout des forces et de l’artillerie de l’empire du Soleil ainsi que du royaume d’Araucanie, ils croyaient n’avoir devant eux que les troupes qui prirent part à la bataille de Parral, forcément diminuées par la lutte.

Ne voulant pas montrer dès le commencement le nombre de bouches à feu dont il disposait, Lucien fit avancer son artillerie de façon à ce qu’il n’y eut jamais plus de 1000 canons tirant à la fois.

Les mille autres, avec 200 mitrailleuses, firent une vaste mouvement tournant avec 200.000 hommes qu’il détacha du gros de son armée pour attaquer les réserves massées à 3 lieues de là.

Ainsi il pourrait entamer toute la masse d’un coup.

Dès ces ordres mis à exécution, la bataille commença. Elle débuta par un duel d’artillerie accompagné d’attaques aériennes. Au fur et à mesure que la canonnade diminuait d’intensité du côté des Argentins, il faisait progresser son infanterie.

Trois heures s’étaient écoulées ainsi, quand lui parvint le bruit des canons envoyés contre les réserves.

Il ordonna d’accélérer l’avance des fantassins, et aux avions de se rapprocher de la terre pour que le tir fut plus efficace. De leur côté les Argentins crurent le moment opportun pour effectuer un mouvement enveloppant et à cet effet dégarnirent un peu leur centre.

Lucien en profita pour faire foncer son infanterie, laquelle parvint, comme à la bataille de Parral, à couper en deux l’armée argentine. Celle-ci demanda aux réserves d’accourir mais il était trop tard car elles étaient déjà aux prises avec l’armée envoyée contre elle.

À nouveau la bataille était gagnée par Lucien car aussitôt qu’il eut scindé l’ennemi, il fonça sur les deux extrêmes et le mit en complète déroute.

Il était alors dix heures du matin : forçant l’allure, il parvint vers deux heures de l’après-midi, au secours de son aimée, aux prises avec les réserves.

Vers cinq heures il en était maître. Outre tout le matériel d’artillerie de l’ennemi, il avait fait prisonniers 120.000 hommes, 260.000 cadavres jonchaient le terrain, le reste s’était replié sur Buenos Ayres distant de 120 kilomètres du champ de bataille.

Les pertes de Lucien consistaient en 8000 tués et 35.000 blessés, mais le coup porté à l’Argentine était mortel car il ne lui restait plus pour défendre sa capitale que 350 à 400.000 hommes, sans artillerie, sauf quelques vieux canons à demeure dans les forts.

Après avoir communiqué ce nouveau succès à l’inca Atahualpa II, il commença sa marche en avant sur Buenos Ayres.

Il disposait encore de 440.000 hommes : en en laissant 10.000 pour garder les prisonniers qu’il ne voulait pas envoyer à Légia, mais bien à Punta Arenas par chemin de fer, il entreprit par petites étapes l’investissement.

Une semaine après, il se trouvait à 15 kilomètres du but. Il y trouva les Argentins retranchés ; ne voulant pas s’attarder dans une guerre pareille, il fit creuser plusieurs mines souterraines dans lesquelles il fit déposer de grandes quantités d’haguenite.

Cet explosif formidable eut tôt fait de lui livrer passage. Il avança de 6 kilomètres en une nuit et parvint presque à la banlieue de Buenos-Ayres.

Alors commença un bombardement continuel de la ville, tantôt par avions, tantôt par son artillerie.

Entre temps il progressait avec son infanterie.

Une quinzaine s’était écoulée depuis l’investissement, quand un matin, se présenta un parlementaire qui fit part à Lucien, de ce qu’il était chargé par le gouvernement argentin, de lui demander ses conditions de paix.

Lucien les lui indiqua : Reddition sans conditions, de la ville. Occupation de celle-ci jusqu’à la fin de la guerre avec le Brésil et le Chili. Comme indemnité de guerre, il exigeait la remise de la flotte et de tout le matériel de guerre.

En outre la reconnaissance implicite et sans contestation, des territoires cédés précédemment à l’Araucanie.

Le parlementaire le quitta et revint quatre heures plus tard : on acceptait la reconnaissance des territoires, la reddition et l’occupation de la ville, mais en échange de la flotte, on offrait une quantité équivalente en espèces.

Lucien fut intraitable, mais pour calmer les craintes de l’Argentine dans le cas où, sans flotte, elle serait attaquée plus tard par le Brésil, il lui offrit une alliance défensive contre ce dernier pays. Si je tiens tant à la flotte et au matériel de guerre, ce n’est pas parce que j’en ai besoin mais parce que ainsi je vous enlève pour longtemps toute velléité de recommencer contre moi.

Le parlementaire partit à nouveau et revint deux heures après, annoncer que le gouvernement acceptait les conditions et l’alliance proposée.

Les préparatifs furent donc faits pour l’entrée solennelle des troupes araucanes pour le lendemain.

Lucien tint à frapper le peuple argentin en lui faisant montre de sa puissance. Il fit venir les prisonniers qu’il avait faits à Campo Santo car il allait les rendre à l’Argentine, puis à la tête de ses 440.000 hommes, ses milliers de canons et de mitrailleuses, il fit son entrée dans la ville.

Pendant ce temps le ciel était sillonné de ses milliers d’avions et dirigeables, ses troupes campèrent dans le parc de Belgrano, assez vaste pour les contenir.

Le même jour il reçut la visite du président du Conseil des Ministres, pour préparer le protocole de paix.

Après quelques difficultés de détail, il fut convenu que la flotte, les dirigeables, avions et pilotes resteraient à Buenos Ayres jusqu’à la signature de la paix avec le Brésil et le Chili, que selon les circonstances, ils partiraient pour Punta Arenas ou une autre destination que Lucien indiquerait, une garnison de 40.000 hommes resterait là jusqu’à la fin des hostilités, que les armes de l’armée argentine lui seraient confiées et les hommes licenciés.

Quand tout fut discuté et accepté, le président du conseil retourna au palais de la présidence, où il devait soumettre les conditions à ses collègues et au président de la République. Ensuite il soumettrait le tout à l’assentiment des chambres législatives.

Toutes ces formalités durèrent quelques jours : Quand elles furent achevées, il fut convenu que pour fêter la signature de la paix un grand banquet serait donné au palais.

Au jour fixé, Lucien s’y rendit, ayant eu au préalable un entretien avec le président de la République ; il y fit allusion à son projet d’union entre tous les pays de l’Amérique latine y compris le Mexique.

Vous avez tort, dit-il au président, de vous chamailler entre vous et d’éparpiller vos forces. Ne voyez-vous donc pas le péril qui vous menace ? Le colosse du Nord a déjà une emprise sur Panama, il peut à sa guise remonter vers la Colombie et le Vénézuela. C’est justement pour cela que nous avions fondé L’A. B. C. répondit le président. C’est vous qui nous désunissez :

Pardon s’exclama Lucien, lors de notre première guerre, vous aviez accordé ce que nous demandions et n’aviez qu’à nous laisser tranquilles. Si je m’insurge, et je le ferai toujours, c’est parce que vous formez un triumvirat qui prétend imposer ses vues par la force aux autres nations latines.

Peut-être un jour serez-vous heureux, quand on vous aura fait sentir ce que la doctrine de Monroë a d’excessif, de me trouver là prêt à défendre vos intérêts lésés.

Ah ! ce jour-là vous ne nous traiterez plus en sauvages mais en sauveurs ! Voulez-vous, demanda le président, que je m’entremette auprès de mes collègues du Chili et du Brésil pour amener un rapprochement et éviter une effusion de sang inutile ? Avec plaisir, monsieur le président, mais je crains bien que ce sera en vain. Avec ces pays, comme du reste avec le vôtre, il n’y a que la force qui compte.

Tant qu’ils n’auront pas essayé de nous battre, ils ne céderont pas. Sur ces entrefaites on annonça que le déjeuner était servi. Lucien prit place à la droite du Président et Linda, sa femme, à sa gauche. Les autres convives s’assirent selon leur rang protocolaire. Quand vint l’heure des toasts, le président se leva et dit : Messieurs, Mesdames : Je lève mon verre à la prospérité du royaume d’Araucanie et de l’empire, de ses souverains et de son peuple.

Lucien à son tour se leva et dit : Je vous invite à lever vos verres à la prospérité de l’Argentine et à la prompte constitution de tous les peuples de l’Amérique latine, en une Fédération où chaque état sera représenté selon ses forces.

Ce toast fut applaudi avec frénésie car beaucoup des convives voyaient en Lucien le futur régénérateur des peuples et le seul capable de contenir les appétits de la grande république du nord.

Dès le banquet terminé, Lucien et son épouse furent reconduits dans l’automobile présidentielle jusqu’à leur demeure. Le lendemain matin commença l’embarquement des troupes de Lucien vers Légia, il dura quatre jours.

Il ne resta à Buenos-Ayres que les 40.000 hommes de garnison avec 250 canons et 750 mitrailleuse. Tout le reste quitta l’Argentine.

Quand Lucien fut prêt à partir, le président de la République vint à nouveau le voir. Je vous apporte, dit-il, l’acte de paix rédigé en double. Veuillez y apposer votre signature. Lucien signa et conserva l’exemplaire qui lui revenait. En outre, dit le président, je vous annonce qu’en réponse à mes offres de médiation, le Chili et le Brésil ont décliné mes bons offices.

Je le regrette, répondit Lucien, mais je m’y attendais.

Le président de la république resta déjeuner avec lui.

Après le repas, il le reconduisit vers le hangar des dirigeables. Lucien, Linda et sa suite prirent place dans celui qui leur était destiné.

Après avoir salué toute l’assistance, le gigantesque oiseau s’envola à la vitesse de 225 kilomètres à l’heure.

Le soir même il arrivait à Légia.


Campagne du Chili


Combat naval de Coquimbo


Dès que les stations navales de Regimal et Chincha eurent pris connaissance des ordres de Defrennes, les officiers japonais des sous-marins, donnèrent l’ordre de départ.

Ils naviguèrent en surface jusqu’à l’approche des eaux chiliennes qu’ils atteignirent le soir de l’ouverture des hostilités. Naviguant tantôt en surface, tantôt en plongée selon qu’ils voyaient un bateau suspect, l’escadrille du Nord atteignit Talcahuano et celle du Sud Antofagasta.

Cette nuit là, rien d’anormal ne se produisit. Au matin les flottilles firent leur jonction et naviguant de conserve, arrivèrent devant Coquimbo.

Ils y étaient à peine d’une heure, quand ils virent poindre dans le lointain une infinité de navires.

Après observation attentive ils reconnurent quatre cuirassés, six croiseurs-cuirassés, douze destroyers et vingt torpilleurs. Suivaient en outre quarante transports bondés de troupes, au moins 3000 hommes dans chacun.

Les commandants des sous-marins firent effectuer les préparatifs de combat.

Ensuite ils se rapprochèrent des bateaux arrivants. Se plaçant tous les six en lignes parallèles, ils visèrent, puis lancèrent leurs torpilles. Six torpilleurs furent atteints et coulèrent. Une nouvelle décharge atteignit six destroyers.

Les six autres destroyers et les quatorze torpilleurs s’élancèrent à leur poursuite mais les sous-marins plongèrent, tout en se dirigeant vers les transports.

Quand ils crurent le moment propice, ils remontèrent à la surface. L’escadre chilienne encadrait les transports mais les sous-marins se trouvaient entre les cuirassés et ceux-ci. Ils visèrent et lancèrent six torpilles. Sans s’arrêter ils lancèrent à nouveau six autres torpilles. Douze transports coulèrent. Les cuirassés, de la place où ils se trouvaient, ne pouvaient tirer sans toucher les transports.

Les sous-marins en profitèrent pour lancer encore 12 torpilles. Comme ils n’étaient qu’à 300 mètres, celles-ci portaient toutes. Chaque transport touché était coulé. La mer était remplie de noyés, de blessés, de soldats nageant vers les cuirassés. Ceux-ci avaient envoyé des chaloupes pour recueillir les naufragés mais la mer était houleuse.

Bien des barques, trop chargées, coulèrent à pic.

Les destroyers et torpilleurs étaient parvenus à contourner les cuirassés et pourchassaient les sous-marins mais ceux-ci plongèrent par dessous les transports et se trouvèrent de l’autre côté de ceux-ci.

Auparavant ils avaient lancé leurs six torpilles et détruit les six destroyers qui avançaient sur eux.

Les quatorze torpilleurs restants, se lancèrent à leur poursuite et contournèrent les transports mais les sous-marins, à leur tour, plongèrent et se trouvèrent du côté des cuirassés.

En même temps ils torpillaient six autres transports. Craignant à la fin d’être privés de munitions, ils se dirigèrent à toute vitesse vers Reginal, station la plus proche. Auparavant ils avaient radio-télégraphié à Legia, l’exploit accompli. L’appareil dont ils s’étaient servi était une nouvelle invention de Ramier : il supprimait les antennes.

Tous les avions et dirigeables d’Araucanie en étaient pourvus. D’après leurs constatations, 30 transports, 12 destroyers et 6 torpilleurs avaient coulés par leurs projectiles.

Comme la charge de torpilles de chaque sous-marin n’était que de douze, ils laissèrent 2 d’entre eux avec les charges complètes pour garder l’entrée du port, puis s’éloignèrent vers le Sud, Six heures après le départ de leurs compagnons, les deux commandants de sous-marins aperçurent le gros de la flotte chilienne. Cette fois leur disposition était toute autre, les cuirassés et croiseurs cuirassés étaient en avant, les transports au milieu flanqués des torpilleurs.

Les deux sous-marins visèrent les cuirassés de tête et peu après, deux explosions lançaient les cuirassés en l’air. La force de l’haguenite était telle qu’elle équivalait à cent fois la puissance des explosifs habituels des torpilles.

Les cuirassés et croiseurs commencèrent à tirer sur les sous-marins ; en voyant cela, ceux-ci plongèrent pour attaquer l’arrière de l’escadre. Peu après, visant deux transports, il les coulaient. À leur tour les torpilleurs se lancèrent à leur poursuite. À nouveau ils se placèrent au devant des cuirassés et coulèrent les deux autres. À ce moment, les croiseurs commencèrent à tirer. De leur côté, les torpilleurs délaissant leurs transports se mirent à leur poursuite.

Les sous-marins profitèrent de cette circonstance pour se porter sur l’arrière et en quatre fois, lancèrent 8 torpilles qui coulèrent les 8 autres transports.

Grisés par ces succès, ils résolurent d’attaquer les croiseurs et de les couler. Ils se portèrent donc à l’avant et coup sur coup, lancèrent six torpilles qui coulèrent les croiseurs.

Ce coup d’audace leur fut fatal, un des torpilleurs parvint à éperonner un des sous-marins qui coula, le flanc éventré. Toutefois son équipage put se sauver, il fut fait prisonnier par un des torpilleurs.

Le deuxième sous-marin disparut, mais en plongeant, put lancer une torpille qui coula, à son tour, le torpilleur qui avait éperonné son compagnon.

Ensuite il se dirigea vers le Sud à la rencontre des quatre autres submersibles.

En cours de route il radio-télégraphia le nouveau succès obtenu. D’une flotte de 72 navires, il en restait à peine une douzaine. Les pertes en vies humaines pouvaient être évaluées à 130.000 hommes, y compris l’équipage des bateaux coulés. Quand le gouvernement chilien apprit ce désastre, il renonça à attaquer l’Araucanie par la Terre de Feu, et envoya 350 mille hommes vers les Andes, avec 1500 canons et 3500 mitrailleuses. En outre, 150 pilotes étaient adjoints à cette armée. Cela constituait tout ce qui restait au pays, car hommes, canons et avions avaient été engloutis dans le désastre de Coquimbo.

Il fut convenu que les Andes seraient forcées en cinq endroits différents par cinq corps d’armée auxquels seraient adjoints 300 canons, 700 mitrailleuses et 30 avions. Une réserve de cent mille hommes était laissée pour combler les vides.

Dès que Defrennes put constater les cinq endroits choisis, il y posta 20.000 hommes et 500 mitrailleuses dans chacun.

En outre chaque passe était défendue par 100 avions.

Une semaine après le désastre de Coquimbo, les chiliens arrivaient au pied des Andes. Quinze jours se passèrent en escarmouches sans résultat appréciable, car les passes étaient tellement étroites que la plus large n’avait pas dix mètres.

Il fallut donc que les Chiliens franchissent des cimes de 2, 3 et jusqu’à 4000 mètres de haut.

Quand ils y arrivaient, ils trouvaient la crête gardée par une quantité de défenseurs. En quinze jours, ils avaient perdu plus de 150.000 hommes inutilement.

Sur ces entrefaites, arriva la nouvelle de l’anéantissement de l’Argentine, puis l’offre de médiation de celle-ci.

Le Chili refusa catégoriquement de faire la paix.

Lucien, résolu à en finir au plus tôt, décida de tenter un coup d’audace. En une nuit, avec 3000 avions, il fit franchir les Andes en 10 voyages, à 300.000 hommes et 3000 mitrailleuses. Puis, gardant ces avions pour détruire les servants des canons ennemis, il avança sur les derrières des Chiliens. En même temps Defrennes avait ordre d’avancer avec ses 100.000 hommes et 1500 canons, vers le Chili.

La bataille s’engagea dès le matin. Ce fut d’abord Lucien qui attaqua. Ayant choisi le centre des passes, il parvint, selon sa méthode, à écarter les divers corps d’armée, puis il les battit à tour de rôle.

Quand le soir vint, la bataille était gagnée.

Les Chiliens n’avaient plus d’artillerie et avaient laissé 115.000 hommes sur le terrain. Lucien avait eu 2000 tués et 14.000 blessés, renvoyés aussitôt à Légia. En outre, 200.000 hommes avaient été contraints de capituler.

Lucien envoya aussitôt vers les frontières de l’empire du Soleil, 300.000 hommes, l’artillerie, les mitrailleuses et les avions, ne conservant avec lui que 80.000 hommes, 300 canons et 500 mitrailleuses de même que 100 avions, avec lesquels il marcha sur Santiago.

Il y parvint après quatre jours et y entra après une courte résistance.

Comme pour l’Argentine, il exigea la remise du restant de la flotte et du matériel de guerre, l’occupation de Valparaiso et Santiago jusqu’à la fin de la guerre.

Il signa la paix et un traité d’alliance, puis, après avoir laissé 30.000 hommes, 300 canons et 300 mitrailleuses pour assurer l’exécution des conventions, il quitta le pays et se rendit en dirigeable vers Cuzco, envoyant les 30.000 hommes disponibles, par chemin de fer.

En moins de deux mois, il avait fini deux campagnes et avait les mains libres pour lutter contre le Brésil, son plus redoutable adversaire, car la guerre avec ce pays, devait se faire dans un pays de forêts et rivières, peu pratique aux opérations de grande envergure.

Il se réservait toutefois d’obliger son ennemi à se battre, là où cela lui conviendrait le mieux.

Il commença par donner ordre aux sous-marins, de gagner Buenos Ayres et d’attendre là ses instructions.

Ensuite il fit une levée supplémentaire d’hommes pour combler les vides, de façon à pouvoir avoir sous ses ordres 500.000 hommes.

En outre, tous les dirigeables devaient rallier Cuzco, leur nouveau port d’attache.

Son armée, jointe à celle de l’empire du Soleil, s’élevait à un million d’hommes, 4.000 canons, 10.000 mitrailleuses, 4.000 avions et 10 dirigeables. Mais ces troupes étaient celles de première ligne.

Dans la précédente guerre il avait pu mobiliser 2.000.000 d’hommes, armés, il est vrai, en grande partie de flèches empoisonnées.

La situation avait changé depuis : la production de ses usines lui permettait de ravitailler, en munitions, un plus grand nombre d’hommes, il avait en outre un atout formidable : ses avions invulnérables, montés par des fusiliers émérites, les meilleurs tireurs de l’empire.

Le produit dont étaient remplis ses projectiles, l’haguenite, lui permettait de soutenir une longue guerre. Plus elle serait longue, mieux cela vaudrait, car tout homme touché, était un homme mort.

Son service d’ambulance par avions, lui était également très précieux ; cela lui permettait de ramener les blessés dans des conditions de confort et de rapidité, inconnues jusqu’à ce jour.

Une fois ramenés à Cuzco ou à Légia, selon les cas, ils étaient soignés par des médecins indiens, lesquels n’étaient pas chirurgiens, il est vrai, mais savaient guérir les blessures par les remèdes simples, genre d’homéopathie, qui donnait des résultats excellents car la nature produit toutes les plantes médicinales, à la guérison des maladies humaines, le tout c’est de les connaître et de savoir s’en servir. Comme depuis des siècles, les indiens n’avaient jamais connu d’autres produits pour guérir les maux, les blessures, les morsures des fauves, des serpents, des caïmans et d’autres animaux de la jungle, ils étaient parvenus par l’étude, la sélection et la pratique, à guérir tout sans intervention chirurgicale, tout au plus connaissaient-ils l’antisepsie et encore, à leur façon.

Dès son arrivée à Cuzco, Lucien reçut le colonel Nogi, et ensemble ils se dirigèrent vers le front qui faisait face au centre brésilien, le seul qui avait commencé les opérations. Comme l’inca voulait temporiser et permettre à Lucien d’en finir avec l’Argentine et le Chili, les hostilités s’étaient bornées à de simples escarmouches. Les Brésiliens attendaient probablement l’arrivée des armées du Nord et du Sud, ce qui porterait leurs effectifs de première ligne à 1 000 000 d’hommes, 500 canons, 10 000 mitrailleuses, 4 dirigeables et 600 avions.

Un million d’hommes étaient tenus en réserve.


Campagne du Brésil


Bataille de Tavajos


Dès le début des opérations, le généralissime Brito de Guimaraes, avait ordonné à ses troupes de ne pas se presser car il attendait d’abord les armées du Nord et du Sud et ensuite le résultat des campagnes du Chili et du Brésil. Il se borna donc à pousser jusqu’au Tavajos, rivière ayant cinq mètres de profondeur en moyenne et une largeur de 100 à 300 mètres, selon les endroits.

Il fit construire les ponts nécessaires pour le passage des troupes, les fit placer mais n’alla pas plus loin, se bornant à faire garder les deux extrémités.

Les troupes de l’inca voyaient bien tout cela, mais ordre leur avait été donné de laisser avancer et de ne pas faire sauter les mines dont le fleuve était parsemé.

Celles-ci étaient placées principalement contre les bateaux qui amèneraient des troupes ou du matériel.

Les choses en étaient là quand Lucien arriva.

Le colonel Nogi avait mis à profit le répit des opérations, pour faire abattre toute la forêt en arrière, sur un espace de 500 kilomètres carrés, soit 17 de long sur 30 de fond, environ. Les arbres avaient été sciés assez près de la racine, pour ne pas permettre aux assaillants de s’abriter en tirant. Selon la méthode japonaise, employée à Moukden et ailleurs, il avait tendu des pièges : des excavations, masquées par du feuillage, bref il employa toutes les ruses de guerre lui permettant de tirer profit d’un terrain préparé à l’avance. Tout à coup parvint la nouvelle, captée par les appareils du sans fil, que l’armée du Nord était à une journée de marche de Tavajos. Le général Brito de Guimaraes se décida alors à l’attaque, comptant sur les arrivants pour achever la défaite qu’il comptait infliger aux troupes de l’inca. Il envoya des éclaireurs qui lui apprirent l’existence du terrain préparé par Nogi. Tant mieux, dit-il à ses officiers, j’aime mieux une bataille rangée, que des embuscades derrière des arbres.

Deux cent cinquante mille hommes ainsi que les 500 canons et 2500 mitrailleuses, franchirent le Tavajos. Le reste devait suivre à dix heures d’intervalle. Ils parvinrent à la plaine artificielle vers huit heures du soir et y campèrent pour la nuit.

Lucien aurait pu les attaquer à ce moment, mais se rendant compte qu’il n’avait devant lui qu’une partie des troupes, il préféra attendre le passage du Tavajos par le reste. Il laissa donc tranquille, les arrivants.

À l’aube, on lui signala le passage des 250 000 autres avec 1500 mitrailleuses. Ces troupes parvinrent vers 5 heures du matin. Lucien donna aussitôt ordre aux avions de détruire les ponts jetés sur le Tavajos, ce qui fut accompli vers cinq heures et demie.

Alors il se démasqua aux Brésiliens en commençant le feu avec ses 4000 canons. Ceux-ci ripostèrent avec les leurs, mais les avions firent leur besogne de destruction et anéantirent les servants.

Le généralissime s’était vite rendu compte du traquenard qui lui avait été tendu, aussi fit-il rebrousser le génie pour reconstruire les ponts, dans le cas d’une retraite, mais les avions veillaient. Au fur et à mesure que les pontonniers arrivaient à la rive, ils étaient abattus par les fusiliers.

Informé de ce fait, le général Brito de Guimaraes prit la résolution d’effectuer une trouée en tous sens avec ordre aux troupes de se replier vers la rive si on ne parvenait pas à enfoncer le cercle indien.

Les troupes avancèrent en demi cercle, laissant le fleuve derrière eux. À ce moment les mitrailleuses indiennes commencèrent un feu meurtrier, mais les Brésiliens y répondirent vigoureusement. Ils avaient le désavantage de ne pas voir l’ennemi caché, néanmoins le cercle brésilien s’élargissait, malgré les pertes subies. Bientôt ils se trouveraient dans la forêt. Lucien, résolu à en finir, fit placer ses canons pour seconder ses mitrailleuses.

Les Brésiliens reculèrent, les canons et mitrailleuses se turent du côté indien, les avions commencèrent à abattre les servants des mitrailleuses, et la charge commença.

De tous côtés, s’élancèrent à l’assaut, des milliers et milliers d’indiens. En même temps explosèrent les mines masquées par les branchages. Ce qui n’était pas massacré, sautait.

Au bout de trois heures de combat, il restait aux Brésiliens, à peine 200 000 hommes massés en carré dans le centre de la vaste plaine.

À vrai dire, ils tiraient sans discontinuer et repoussaient les assaillants, mais ceux-ci avaient l’avantage de se déployer, tandis que les Brésiliens formaient un immense bloc compact, de plusieurs kilomètres carrés. Vers onze heures du matin, le général Fonseca, chef du 4me corps d’armée, dit au généralissime : « La bataille est perdue depuis longtemps et rester ici ne sert qu’à faire tuer inutilement nos soldats.

Il ne nous reste que deux solutions : Nous rendre ou faire une trouée du côté du Tavajos et le traverser à la nage. »

Je ne saurai me résoudre à me rendre, répondit le généralissime, dans ma longue carrière militaire, je n’ai, non plus, jamais reculé. Général Silveira, dit-il à un de ses voisins, je vous passe le commandement, puis appuyant son révolver sur sa tempe, il dit encore : Adieu, Messieurs, et une détonation retentit ; le général Brito de Guimaraes tomba raide mort. Pendant qu’on s’empressait autour du cadavre, le général Silveira ordonna à la cavalerie et aux mitrailleuses d’effectuer une charge à fond de train du côté de la rivière, puis aux différents corps, de se replier pour suivre la cavalerie. À ce moment parvint un radio-télégramme de l’armée du Nord, annonçant son arrivée dans deux heures.

Le général Silveira télégraphia à l’armée du Nord de se diriger à marches forcées vers le Sud avec Fayares, dans le Matto Grosso, comme point de concentration.

Il télégraphia dans les mêmes termes à l’armée du Sud. Messieurs dit-il à son entourage, si je donne cet ordre, c’est parce que je prévois que l’ennemi va envahir notre territoire. Il ne peut le faire par le Nord, puisqu’il se heurtera aux forêts et rivières ; avec son artillerie il ne pourrait passer. Il est donc mathématique qu’il envahira le Brésil par le seul point propice : le Matto Grosso, la partie qui nous resta depuis la dernière guerre avec l’Uruguay. Cette partie touche justement à ses frontières. Pendant qu’il parlait, ses ordres étaient en voie d’exécution. Dix minutes après, on pouvait voir les cavaliers se lancer à fond de train vers le Tavajos, suivis par les chiens des mitrailleuses. Ensuite les fantassins fermèrent la marche. Laissez-les partir, ordonna Lucien, car une victoire ici, ne terminerait pas la guerre, je les rattraperai bien ensuite et chez eux. En même temps il ordonnait à la flotte Chilienne, devenue sa propriété, comme celle de l’Argentine, de gagner Buenos Ayres au plus tôt, de se mettre à la disposition du commandant Hayashi, chef de la flottille de sous-marins, puis il fit revenir toute l’artillerie et les mitrailleuses à Cuzco, d’où elles devaient s’acheminer vers Buenos Ayres.

Il donna ordre à l’armée de se diriger également vers cette dernière ville.

La perte des brésiliens, dans la bataille de Tavajos, était de 300 000 hommes au bas mot, celle de l’armée de l’inca, de 7000 tués et 42 000 blessés, ramenés à Légia par avions.

En outre, Lucien avait conquis 300 canons et 1000 mitrailleuses, ses troupes mirent trois semaines pour atteindre Buenos Ayres.

Là, en vertu de son traité d’alliance, il demanda à ce qu’on remit les flottes argentines et ses équipages.

Quand elles furent prêtes, il disposa de 2 cuirassés chiliens et de sept argentins, de 12 croiseurs chiliens et 22 argentins.

En outre, le Chili envoya son dirigeable. Quant aux torpilleurs et sous-marins du Chili, il les conserva dans leur pays pour la défense des côtes. L’Argentine lui donna aussi ses deux dirigeables.

Il disposa de douze de ceux-ci en plus du sien, en regard des quatre que possédait le Brésil.

Complétant son armée par une nouvelle levée, il disposa d’un million d’hommes, 4000 canons, 10 000 mitrailleuses et 4000 avions.

Bien qu’il n’eut que 3000 pilotes, son corps de fusiliers aériens, était de 40 000 hommes se remplaçant à tour de rôle.

De son côté, le Brésil combla les vides causés par la bataille de Tavajos et porta son armée à 2 000 000 d’hommes, répartis dans le Matto-Grosso face à l’empire du Soleil.

Pour remplacer l’artillerie perdue, on en acheta à la Colombie, le Vénézuela, l’Uruguay et le Paraguay. En démontant ceux qui gardaient les côtes et partout où on put les trouver, on arriva à 3000 canons de divers calibres.

La flotte comprenait : Huit cuirassés, 28 croiseurs, 25 destroyers et 35 torpilleurs. Tous ces navires n’étaient pas modernes, seuls, les cuirassés dataient de moins de dix ans.

Quant aux sous-marins, de modèle démodé, ils ne servaient qu’à la défense des ports, et n’accompagnaient jamais la flotte en haute mer. Dès que la flotte de guerre fut prête, Lucien réquisitionna tous les bateaux disponibles au port, quelle que fut leur nationalité. Il y en avait 120.

Promettant qu’ils seraient de retour dans une quinzaine de jours, et une forte indemnité pour chacun, il obtint l’assentiment des propriétaires ou agents.

Deux jours après, cette formidable armée navale, mettait le cap sur Santos, où elle débarqua sans coup férir.

Cinq cent mille hommes envahirent le Brésil avec 2000 canons, 5000 mitrailleuses et 1000 avions.

Revenant sur Buenos Ayres, les transports et la flotte de guerre embarquèrent le restant de l’armée envahissante, qui fut ainsi complètement débarquée.

Laissant retourner les transports sur Buenos Ayres, Lucien fit croiser la flotte pour rencontrer celle du Brésil qui venait de se diriger à sa rencontre.

Il donna ordre aux troupes, d’avancer vers Rio de Janeiro et lui-même, accompagné de la flotte de dirigeables qui escortaient le sien, il se mit à la recherche de la flotte brésilienne.

Les cinq sous-marins du commandant Hayashi l’accompagnaient, ainsi que 500 avions.

Ils étaient parvenus à 100 kilomètres de Rio et ils n’avaient rien aperçu, quand Lucien capta un radio-télégramme de l’amiral Texeira ordonnant l’alignement de combat.

Peu après, les destroyers et torpilleurs firent leur apparition, les avions les pourchassèrent et en coulèrent 35, mais de la flotte de Lucien, cinq croiseurs coulèrent à la suite des torpilles lancées. Les 25 destroyers et torpilleurs brésiliens se replièrent vers le gros de la flotte, laquelle commença le tir à 15 kilomètres de distance.

À ce moment les 4 dirigeables brésiliens firent leur apparition et commencèrent à jeter des bombes.

Un croiseur coula peu après, mais les dirigeables de Lucien réussirent à détruire les 4 brésiliens au bout d’un quart d’heure. Donnant ordre aux avions de pourchasser les destroyers et torpilleurs, et aux sous-marins de s’occuper des cuirassés, il se mit lui-même à la tête des dirigeables pour couler les croiseurs. Après une heure de bataille, il n’y avait plus de destroyers sur la mer et les dirigeables avaient réussi à couler 20 croiseurs. Trois cuirassés avaient également fait explosion à la suite de torpillage, mais Lucien avait eu un cuirassé coulé par l’explosion de la soute aux poudres, provoquée par un obus brésilien.

S’approchant jusqu’à six mille mètres, les cuirassés et croiseurs de Lucien envoyaient bordée sur bordée.

Trois autres cuirassés brésiliens coulèrent, ainsi que les 8 croiseurs restants ; Lucien eut encore trois croiseurs coulés.

Voyant presque toute la flotte anéantie, les 2 cuirassés brésiliens

Lucien lança à leurs trousses : sous-marins, avions, dirigeables, cuirassés et croiseurs.

C’est à ce moment que le sous-marin du commandant Hayashi fut atteint si lourdement par une pièce de gros calibre qu’il coula avec tout son équipage.

Mais les quatre autres submersibles finirent par couler les deux cuirassés.

La flotte brésilienne était complètement anéantie et Lucien était maître de la mer.

Il établit le blocus de la baie de Rio Janeiro.

Pour défendre ce port il n’y avait que deux submersibles, mais les bateaux de Lucien étaient munis de l’appareil Ramier pour l’annonce et la découverte des sous-marins.

Ceux-ci furent coulés dès leur première sortie, par les avions.


Bataille et prise de Rio Janeiro




Quand le gouvernement brésilien connut l’approche de l’ennemi, il s’empressa de télégraphier aux armées du Matto Grosso de se retrancher et d’envoyer le plus de troupes possible, surtout de l’artillerie.

Un million d’hommes, 2000 canons, 5000 mitrailleuses et 250 avions furent ainsi concentrés dans la capitale.

La défense était assumée par le général Mello, jeune officier de grand mérite. Son premier soin fut de partager la défense en secteurs indépendants, car ainsi la perte d’un de ceux-ci, n’entrainait pas de conséquences funestes pour les autres. En outre, les approches des ouvrages furent garnies de rangées de fil de fer barbelé, elles furent minées et reliées à des stations de sans fil, permettant à tout moment de les faire sauter.

Les hauteurs dominant la baie et l’ancienne ville, furent garnies de canons et d’hommes.

Tous ces préparatifs formidables, l’énorme quantité d’hommes et d’engins accumulés pour la défense, rendaient Rio imprenable à toute armée moderne.

Mais ses défenseurs ignoraient tout des moyens d’attaque de Lucien, ils ne connaissaient ni l’haguenite, ce formidable explosif employé pour les projectiles, ni le métal Dubois, impénétrable aux balles et obus.

Ils ne connaissaient pas non plus la puissance ni la vitesse des moteurs électriques des avions, ni l’existence de ce corps de tirailleurs aériens dressés par Larmion.

En tout autre moment, certes, la défense pouvait dormir tranquille car tout, même la configuration du terrain, se prêtait admirablement au

Les secteurs se divisaient ainsi :

À quinze kilomètres de la ville, et entourant celle-ci d’une ceinture circulaire, des fortins bétonnés avaient été aménagés, espacés de cent en cent mètres. Dans les intervalles évoluaient les troupes de défense garanties par les obstacles ; de trois en trois kilomètres les mêmes dispositions avaient été prises. Il y avait ainsi quatre lignes à franchir pour atteindre la ville. Cela composait douze secteurs numérotés de 1 à 12, car les quatre points cardinaux étaient désignés par un nombre, quelle que fut leur orientation.

Deux cent cinquante mille hommes étaient affectés à la défense des secteurs, et autant pour guerroyer en dehors d’eux.

Les cinq cent mille autres constituaient les réserves.

Du bord de son dirigeable, Lucien contemplait ces préparatifs de défense, qui, au fond, l’inquiétaient bien peu car son attaque serait adaptée aux moyens de l’adversaire.

Il n’attaquerait que le point vulnérable et qui pourrait lui assurer la victoire définitive.

Il se borna donc à étudier le point où il pourrait faire transporter, par avions, une quantité considérable de troupes, et attendit l’arrivée de son armée.

Dès qu’elle fut à 30 kilomètres de Rio, il donna ordre à ses avions, d’attaquer et détruire les avions et hangars ennemis.

En une journée ceux-ci firent pleuvoir des bombes et détruisirent toute la flotte aérienne brésilienne.

Ce qui ne fut pas détruit entièrement, fut tellement détérioré, qu’il lui était impossible de prendre l’air.

Il s’assurait ainsi la maîtrise de cet élément.

Ce point était capital pour lui, car quoi que muni de moteurs électriques silencieux, le coup qu’il allait tenter ne pouvait réussir que s’il l’achevait sans encombre.

Il avait remarqué que tout autour de la ville haute, il existait de vastes plaines, hippodromes, camps d’instruction et autres endroits propices à un débarquement aérien.

Ces espaces se trouvaient en deçà de la zone fortifiée. S’il parvenait à faire atterrir là, quelques centaines de mille hommes, il franchissait les obstacles sans lutte, et l’artillerie ennemie ne pouvait lui nuire pendant un certain laps de temps.

Profitant d’une nuit sans lune, il parvint en quinze voyages avec ses avions, à débarquer 450,000 hommes et 3000 mitrailleuses. Le voyage étant de 30 minutes, il fallut à ces 3000 avions, huit heures pour achever l’opération : il était 3 heures du matin quand elle fut finie.

Les emplacements étant assez éloignés de la ville et des secteurs, personne ne s’en était aperçu, car le départ avait été fait à 50 kilomètres de la ville.

À quatre heures du matin commença l’attaque des secteurs 1, 2, 3 et 4, c’est à dire ceux qui précisément se trouvaient placés vis-à-vis de l’emplacement du débarquement.

Lucien envoya cent mille hommes, attaquer par derrière, les défenseurs des secteurs.

Pris entre deux feux, ils ne purent tenir qu’une heure, bien que des renforts fussent envoyés des secteurs voisins ; Lucien les empêcha d’arriver au secours.

Dès que ses troupes assaillantes eurent dépassé les obstacles et rejoint le gros de l’armée, il donna ordre d’attaquer simultanément par derrière.

Une partie des troupes fit face aux réserves qui accouraient, mais comme elles n’avaient pas d’artillerie, il put facilement les tenir en respect.

Les avions commencèrent leur besogne habituelle de destruction des servants des mitrailleuses et canons ennemis.

Après trois heures de combat, les brésiliens ne tiraient plus qu’à balle. Les troupes placées en dehors des secteurs étaient revenues au secours des défenseurs de ceux-ci, mais sans artillerie elles étaient impuissantes.

Les milliers de canons de Lucien fauchaient leurs rangs d’une manière effroyable.

Des centaines de mille cadavres jonchaient le sol. Les brésiliens s’en servaient pour s’abriter.

Vers onze heures du matin. Lucien ordonna l’attaque générale, il voulait en finir.

Son infanterie s’élança au pas de charge et délogea les brésiliens. Ce qui ne fut pas tué se rendit.

À midi tout était fini du côté des secteurs, mais la ville résistait. Il fit braquer ses 4000 canons vers celle-ci, puis lança par avion la sommation de se rendre.

Si endéans deux heures ce n’était pas chose faite, il bombarderait la ville par terre et par l’air.

Le délai s’écoula sans que personne ne bougea.

Il donna ordre de commencer le feu, et aux avions et dirigeables de bombarder au moyen de bombes.

Au bout de 30 minutes, le drapeau blanc fut hissé et deux parlementaires vinrent annoncer que la ville se rendait sans conditions. Lucien demanda à ce que la garnison vînt déposer les armes avant de pénétrer dans Rio de Janeiro.

Pendant trois heures les troupes défilèrent devant lui, et au fur et à mesure elles étaient massées dans un emplacement spécial.

Vers quatre heures de l’après-midi, Lucien fit son entrée, à la tête de cent mille hommes, avec toute son artillerie et ses mitrailleuses. Il fit placer ses canons de façon à occuper tous les points stratégiques de la ville, puis s’achemina vers le palais du gouvernement pour discuter les conditions de paix.

Celles-ci furent à peu près semblables à celles du Chili et de l’Argentine. Il n’offrit, toutefois, pas une alliance comme aux autres pays, se réservant de discuter cette question à un congrès spécial de toutes les républiques latines.

Le protocole de paix fut signé deux jours après ; les troupes du Matto Grosso devaient rentrer dans la capitale endéans une quinzaine de jours, ce qui fut fait.

Dans l’intervalle, Lucien avait tâté le terrain auprès du Mexique et autres pays de l’Amérique centrale, de même que du côté du Vénézuela, de la Colombie, l’Équateur et l’Uruguay.

Tous les autres pays étant ou ayant été ses alliés, il se borna à les convier à un congrès qui se tiendrait à Rio et où serait discutée la question d’une alliance défensive militaire et économique contre quiconque empiéterait sur les droits souverains de chacun de ces états. Un mois plus tard, les délégués se trouvaient tous à Rio de Janeiro et commençaient leurs travaux.

On débuta par le domaine économique ; après avoir constaté que sous ce rapport, tous ces états dépendaient de l’Europe et des États-Unis, il fut décidé :

Que des efforts seraient faits pour monter, selon les situations géographiques des états, les usines nécessaires à fabriquer les produits pour leur consommation.

À cet effet, il fut convenu qu’une dénonciation de tous les traités de commerce serait faite simultanément par tous les états contractants, prenant cours le jour de la dénonciation pour porter ses effets deux ans plus tard.

Il fut convenu en outre, que si les États lésés empêcheraient l’établissement des usines projetées, on ferait appel aux ouvriers japonais et chinois de même qu’aux matières brutes nécessaires, telles que fer, acier et cuivre.

Lucien comptait trouver néanmoins les ingénieurs et hommes nécessaires, dans les états de second ordre de l’Europe ; puis vint la question financière :

Sous ce rapport, il fit part à la conférence, qu’il était détenteur de deux milliards de rentes argentine, brésilienne et chilienne, ce qui le rendait maître du marché.

Il promit en outre, un milliard par an pour soutenir le marché des rentes des états contractants.

Tout nouvel emprunt devait être émis dans les diverses capitales de l’Amérique latine exclusivement.

Pour empêcher le flot montant de celle-ci et que les pays ne fussent envahis par la masse étrangère et ne perdent ainsi tout libre arbitre, il fut décidé de la restreindre très sensiblement : par une loi spéciale qui serait édictée, les fortunes devaient rester en Amérique latine et non émigrer comme leurs propriétaires.

On discuta ensuite la question sociale et religieuse : Il fut convenu que l’empire du Soleil et le royaume d’Araucanie, deviendraient républiques dès que l’instruction nécessaire serait donnée à leurs peuples.

Un délai de vingt ans était fixé à cet effet, mais l’obligation de fréquenter une école, fut imposée dès l’âge de six ans.

Une commission fut nommée pour faire de l’aïmara et du quechua, les langues véhiculaires de toute la race indienne, une grammaire serait créée.

Au point de vue religieux, on décida la liberté des cultes et l’abolition des religions d’état.

L’inca deviendrait le chef spirituel des adorateurs du soleil. La question défensive fut ensuite traitée à fond : il fut convenu que tous les états-majors des divers pays, devaient être solidaires les uns des autres, qu’un grand État-Major serait créé sous les ordres de Lucien, qu’une armée de dix millions d’hommes pourrait être mise sur pied et devrait appuyer n’importe lequel des pays, qui serait attaqué. Quant à la flotte, celle-ci devait comprendre globalement le double de celle des États-Unis.

Un tribunal d’arbitrage fut créé pour aplanir pacifiquement, tout conflit qui pourrait surgir entre les états contractants qui s’engageaient à respecter ses arrêts.

Pour ne pas laisser la prépondérance des États-Unis devenir plus grande, il fut convenu de creuser le canal du Nicaragua et de rendre navigables le Madré de Dios et le Madeira jusqu’au cœur de la Bolivie et les confins du Chili, leur terminus : l’Ucuyali, le Pilcomayo jusqu’au centre du Pérou, le Napo jusqu’au cœur de l’Équateur et par ses affluents jusqu’au Vénézuela.

Le Brésil s’engageait à faire correspondre ces forts affluents de l’amazone, jusqu’au Paraguay et au Maldonado soit par eau ou par fer.

Un délai maximum de dix ans fut fixé pour l’achèvement de ces travaux.

Les états contractants décidèrent en outre que la construction du Pan-Américain, devant relier l’extrême sud de l’Amérique méridionale, serait abolie en tant que contrôlée par les États-Unis.

Si cette construction s’imposait, elle devrait être faite aux frais des divers États sans contrôle étranger.

À la clôture, Lucien prit la parole et tint à montrer la portée de ces résolutions. que je m’étais imposée : l’émancipation de la race indienne. Il m’est doux de constater en ce jour solennel, que ses droits méconnus, que les spoliations méthodiques vont être, reconnus les uns, abolies les autres.

Après quatre siècles d’esclavage et d’oppression, elle voit poindre, l’aurore d’un avenir radieux, dont ce Soleil qui est son Dieu, en est l’incarnation.

Oui, Messieurs, rendez-vous en compte et que la honte vous monte au front, vous tous qui êtes ici, avez considéré l’indien plutôt comme une bête de somme que comme un être humain : Au point de vue religieux, vous l’avez traqué, forcé au christianisme. Vous lui avez ravi ses trésors pour enrichir vos rois, les premiers maîtres.

Vint la période de l’indépendance, elle ne fut pas meilleure pour l’indien, vous lui avez proscrit sa langue natale, lui avez refusé le droit électoral, et tout cela au profit de l’étranger dont vous incarniez les idées.

Votre sang même, n’a presque plus d’atomes de sang indigène : par vos mariages, d’où l’indien était toujours proscrit, vous avez perdu toute sympathie pour lui et le considériez comme un être inférieur.

Vous n’avez même pas essayé de l’émanciper en lui donnant l’éducation.

Il a fallu que ce soit moi, un étranger, qui vienne en ces contrées pour le libérer.

J’y suis parvenu à force de ténacité et de luttes, quand je bataillai contre vous, quand mes hordes innombrables se lançaient à l’assaut, elles y allaient, guidées par un idéal de sacrifice aux mânes de la patrie.

Elles mouraient, mais avec le sourire sur les lèvres, car elles savaient que leur immolation aidait l’émancipation de leur race.

C’est là le secret de mes victoires, car j’aurai vaincu même sans l’aide de mes engins modernes.

Rendez-vous en bien compte pour l’avenir. Messieurs, le courage, en dehors de la discipline, n’est stimulé que par l’exaltation de l’être humain envers le sentiment du beau, du noble. Quand on voit le soldat se ruer au combat, quand il est lancé dans un tourbillon de fumée et de mitraille, il n’est pas l’être humain devenu fauve sanguinaire, mais l’héroïsme incarné, poussé au paroxysme. Rares sont les exceptions et dans mes indiens je ne crois pas qu’elles existent.

Faites donc votre mea culpa, Messieurs, et à l’avenir soyez bons pour vos frères de race car ce sont eux les propriétaires légitimes de cette Amérique si belle, si riche, douée de tout ce qu’il faut à l’être humain.

La Providence, dans ses desseins secrets, a choisi cet Éden pour le trop-plein de la vieille Europe. Dans leur évolution atavique vers l’Ouest, les peuples seront peut-être forcés de la traverser dans leur poussée vers l’orient.

Les barrières que je veux créer ne sont destinées à les arrêter que provisoirement.

Ce que je veux, c’est éviter qu’elles noient les personnalités, je veux que les indiens subsistent, car ils ont droit à la vie comme la race noire ou blanche.

Les États-Unis ont détruit la presque totalité de ceux-ci, l’élément anglo-saxon a submergé tout entier ; de ce côté-là, le mal est irréparable, mais je veux sauver ce qui peut encore être sauvé.

Pourquoi veut-on à tout prix la prépondérance de la race blanche ? Croyez-vous, Messieurs, que la couleur de la peau ait une influence sur le cerveau ?

J’en doute pour ma part, car si les indiens avaient eu des siècles de culture intellectuelle, ils équivaudraient aux blancs. Prenez un être blanc dès sa naissance, isolez-le et laissez le tout seul parmi nos indiens, sa mentalité ne sera pas supérieure à la leur, malgré son issue.

L’être humain se façonne comme on l’élève. Nos indiens deviendront des intellectuels, comme les blancs, le jour où ils auront l’éducation.

Un autre péril, que je veux vous signaler, nous vient du nord, il est né de la fausse idée qu’on se fait de nos indiens : C’est la doctrine de Monroë, qui nous place sous le protectorat des États-Unis, à tout moment.

Voilà le péril qu’il nous faut combattre, Messieurs, car nous sommes menacés de perdre notre indépendance, de ne devenir qu’un des satellites des nombreux astres qui ornent le drapeau de l’Union.

Je sais bien qu’il y a des partisans de cette union, qui souhaitent que ce soit un fait, mais devant les expériences du passé, devant la disparition de la race indienne dans leur contrée, moi, leur apôtre, leur émancipateur, je m’insurge de toutes mes forces, car ce serait la destruction de la race indienne.

Le jour où cela deviendrait un fait accompli, leurs frères d’Orient, à leur tour, se lèveraient pour protester et s’insurger.

Voilà pourquoi je ne veux, à aucun prix, être sous la tutelle nord-américaine. Si parmi vous, Messieurs, il y en a qui sont les partisans de pareille union, je vous prie de vous lever et de m’en indiquer les motifs. Les représentants du Nicaragua et de Honduras se levèrent. Messieurs, dit le délégué du Nicaragua, moi et mon collègue sommes au regret de vous dire que nos pays ne sont plus libres de leur politique extérieure. Nous adhérerons aux vœux du congrès et nous souhaitons de tout cœur sa réussite, mais ne voulons pas être cause d’une guerre prématurée. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de reconnaître à nos indiens le droit électoral, le droit à l’instruction publique et obligatoire et de favoriser les engagements de nos sujets dans les armées du Guatemala et du Mexique.

Quant au percement du canal du Nicaragua, nous l’approuvons inconditionnellement et ferons tous nos efforts pour le faire aboutir.

Dans ce domaine nous comptons réussir, car nous avons de grandes puissances en notre faveur, heureuses de s’affranchir du Contrôle des États-Unis, le canal de Panama est essentiellement d’un avantage national, quoiqu’il soit internationalisé en théorie. Ce fut la seule remarque faite. Lucien continua donc : « Il est de la plus haute importance pour l’avenir de la race indienne, que le passé, dans sa grandeur, soit toujours présent aux générations futures. Favorisez donc la création de partis ou de groupements qui aient comme devise « Patrie avant tout »

Ne chassez pas les étrangers, des emplois que vos gouvernements leur octroient si généreusement, mais favorisez l’accès des nationaux par la création de concours.

En un mot, devenez nationalistes dans toute la pureté que comporte ce mot.

Réprimez sans pitié, toute tendance à l’internationalisme, car un peuple sans patrie est un foyer sans feu.

Après quelques années de ce régime, vous verrez le changement que vous obtiendrez. » Sur ces mots il s’assit.

Le délégué de l’Argentine, doyen de l’assemblée, se leva et dit :

Messieurs, vous venez d’entendre résumer par la bouche du plus autorisé d’entre nous, le programme que comportent les décisions prises par notre congrès.

Je crois être l’interprète fidèle de cette assemblée en disant qu’il a notre approbation unanime.

Aux mâles accents, au cri de ralliement que lance Monsieur Lucien Rondia, répondons par ces mots qui expriment tous nos souhaits : « Vive l’Amérique indépendante. »

Je crois inutile de répéter ce qu’il vient de dire si noblement.

Jamais, depuis Simon Bolivar, le grand libérateur, l’Amérique latine posséda un patriote aussi éclairé et aussi désintéressé.

Rendons lui les hommages qui lui sont dûs, et en commémoration de ses services, que chacun de nos pays fasse édifier sur la plus belle place de sa capitale, une statue qui porte ces mot : « Lucien Rondia, l’émancipateur de la race indienne »

Il entrera ainsi, vivant, dans l’immortalité.

Une salve d’applaudissements couvrit ces mots, ce fut la fin du congrès.

Le lendemain, tous quittaient la ville pour regagner leurs pays respectifs. Lucien regagna Cuzco et après un entretien avec l’inca, Atahualpa II, rentra à Légia en compagnie de Linda, sa femme.

Celle-ci ne se sentait pas bien, se trouvant dans un état de grossesse avancé. Elle avait tout de même voulu suivre toutes les campagnes dans le dirigeable de son mari.

Dès son retour, elle fit part à son mari de son état. Celui-ci fit venir de Buenos Ayres, un des plus célébrés médecins qui resta à Légia jusqu’à la fin.

Ce fut un garçon qui naquit. Les père et mère étant chrétiens, un prêtre de Punta Arenas le baptisa ; Comme son père, on le nomma Lucien.

Jules Renkin en fut le parrain et l’épouse de l’inca la marraine. L’inca dut refuser cet honneur, l’enfant n’était pas de sa religion.

Quelques mois après ces événements, Lucien, Linda, l’enfant, Jules Renkin et tous les savants s’embarquaient vers l’Europe dans le yacht du roi d’Araucanie.

Ils allaient rendre visite aux divers souverains de l’Europe, sur l’invitation de ces derniers.

Lucien accepta l’offre, car il tenait à faire reconnaître officiellement l’état d’Araucanie, l’avenir pouvant l’obliger à tenir un rôle prépondérant à la tête des nations de l’Amérique latine.

Après une tournée de 3 mois où il reçut l’accueil le plus empressé, il rentra à Cuzco accompagné de tous ses amis qui ne voulaient plus le quitter.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dix ans se sont écoulés depuis, et suivant le programme tracé par Lucien, l’Amérique latine s’est transformée de fond en comble. Partout des usines fabricant les objets nécessaires, ont remplacé les grands magasins d’antan, chargés de marchandises européennes et nord Américaines. Les indiens ont obtenu leurs droits électoraux, les enfants fréquentent les écoles et s’instruisant merveilleusement.

Lucien, de son côté, a travaillé en compagnie de ses savants, pour rendre son peuple de plus en plus fort dans l’art de la guerre. Des découvertes sensationnelles ont été faites dans les laboratoires qui lui assurent jusqu’à cette heure, la prépondérance de l’air, de la mer et de la terre.

Grâce aux milliards mis à leur disposition, ses alliés ont établi l’étalon d’or, renforçant ainsi leur crédit.

Malgré des budgets, croissant d’année en année, les dettes sont amorties progressivement.

Tous les grands travaux sont finis, et on peut aller de Para à Punta Arenas, par eau et chemin de fer électrique en 4 jours, à Valparaiso en 3 jours, et à Lima en 2 jours.

Pour obtenir les vitesses nécessaires à la rapidité du trafic, on a eu recours à l’électricité, et la vitesse de 350 kilomètres est une moyenne souvent dépassée.

Pour traverser les immenses forêts équatoriales, on a eu recours aux trolleys aériens.

Quant aux dépêches télégraphiques, elles parviennent par des appareils sans fil, sans antenne.

On est parvenu à correspondre ainsi jusqu’à 10.000 kilomètres de distance. Ramier, l’inventeur du système, prétend atteindre les antipodes sous peu.

Les deux enfants de Lucien, dont une fillette appelée Julie, née depuis sept ans, deviennent de vrais savants, grâce à leur père et à ses aides.

Quant à Linda, elle est devenue plus jolie que lors de son mariage. Elle a maintenant 32 ans.

Tout ceci serait fait pour rendre Lucien, l’homme le plus heureux de la terre et il ne l’est pas cependant :

Une angoisse mortelle l’étreint en apprenant les préparatifs, et découvertes faites par l’institut Edison et d’autres de ce genre.

Les États Unis se préparent pour la lutte qui doit leur donner la suprématie sur le Nouveau Monde.

De ce choc gigantesque des blancs contre les jaunes, qui sera le vainqueur ? L’édifice construit avec tant de peines et de soins est-il sur le point de s’écrouler ou de prendre un nouvel essor ?

Déjà, il y a trois ans, il a failli être prêt à tirer l’épée hors du fourreau à cause du Mexique, mais l’affaire finit par s’arranger.

Maintenant, c’est l’Orient qui s’agite. Les Philippines, encouragées par le Japon, sont sur le point de se déclarer indépendantes. Ces gens-là sont des frères de race et ce serait une lâcheté de les abandonner à leur sort. Tout dépend de ce que fera le Japon. Son aide ira-t-elle jusqu’à déclarer la guerre aux États-Unis ?

Et dans cette éventualité, que fera la Chine ?

C’est le secret de demain !

FIN