Le roman de Violette/06

(Auteur présumé)
Antonio Da Boa-Vista (p. 113-130).
Chapitre VI

Le Roman de Violette, Bandeau de début de chapitre
Le Roman de Violette, Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE VI



L e lendemain à neuf heures moins cinq minutes, Violette était dans un bain parfumé à la verveine et moi dans une armoire formant un des angles, d’où je ne devais perdre ni un détail ni un mot.

Toute trace de ma personne avait disparu, les draps avaient été changés et aspergés d’eau de Cologne ambrée.

À neuf heures précises une voiture s’arrêta à la porte.

Un instant après la comtesse entra conduite par Léonie qui referma la porte derrière elle.

La comtesse poussa les verrous.

La chambre de bain était éclairée par une lampe brûlant dans un verre de Bohême rose, l’ouverture du haut avait été fermée pour qu’il n’y eût pas mélange de jour et de lumière, ce qui donne des tons blafards et faux.

— Violette ! Violette ! cria la comtesse de la porte, où donc es-tu ?

— Ici dans le cabinet, répondit l’enfant.

La comtesse en trois bonds eut traversé la chambre à coucher.

Elle s’arrêta sur le seuil.

Violette sortit de la baignoire son torse de Néride, en lui tendant les bras.

— Ah ! oui ! oui, dit la comtesse en s’y précipitant.

Elle était vêtue d’une longue blouse de velours noir tenue au col par un gros diamant et serrée à la taille par une ceinture russe tissée d’or, d’argent et de cerise.

Elle commença par ôter ses bas de soie rose et ses bottines qui se tiraient comme des bas ; puis elle déboutonna le bouton du haut, déboucla sa ceinture et laissa glisser sa blouse.

Sous la blouse de velours noir était un peignoir de batiste garni de Valenciennes au cou et aux manches.

Elle laissa glisser le peignoir comme elle avait laissé glisser la blouse de velours et elle se trouva nue.

C’était vraiment une magnifique créature que la comtesse, le type de la Diane chasseresse ; elle avait plutôt de la poitrine que de la gorge, sa taille était souple comme celle d’un arbre qui se balance au vent, le ventre était irréprochable et une forêt de poils roux en couvrait le bas comme une bouffée de flammes sortant d’un cratère.

Elle s’approcha de la baignoire et voulut s’y plonger.

Mais Violette l’arrêta.

— Ah ! laissez-moi vous voir, lui dit-elle. Vous êtes assez belle pour qu’on prenne le temps de vous regarder.

— Tu trouves, mon cher cœur ?

— Ah ! oui.

— Regarde, oh regarde ! Que je sente tes yeux me brûler comme des miroirs. Tiens tout cela est à toi, vois-tu, mes yeux, ma bouche, ma gorge…

— Et ce joli bouquet de poils aussi ? demanda Violette

— Oh ! lui surtout !

— Quel beau ton ! dit l’enfant, pourquoi n’est-il pas de la couleur de vos cheveux ?

— Pourquoi mes cheveux ne sont-ils pas de la couleur de mes poils ? Pourquoi suis-je une femme qui n’aime pas les hommes ? Parce que je suis un composé de contrastes. Allons, fais-moi place, mon cher amour ! J’ai hâte de sentir ton cœur battre contre le mien.

La baignoire était grande, il y avait place pour deux. La comtesse enjamba par-dessus et se laissa glisser près de Violette.

L’eau transparente comme du cristal permettait de tout voir.

La comtesse roula autour de Violette comme une couleuvre, elle passa sa tête sous son épaule, lui mordit le poil de l’aisselle en passant, allongea sa bouche jusqu’à la sienne.

— Ah ! dit-elle, je te tiens donc enfin méchante enfant et tu vas me payer ce que tu m’as fait souffrir.

Donne-moi d’abord ta bouche, tes lèvres, ta langue et quand je pense que c’est un homme qui t’a donné le premier de ces baisers-là ! qui t’a appris à le rendre, je ne sais à quoi tient que je ne t’étrangle !

Et comme un serpent qui lance sa tête en avant, la comtesse lui dardait baisers sur baisers, tandis que sa main s’arrondissait autour de son sein.

— Oh ! chers tétons ! mes amours, murmura la comtesse. C’est vous qui m’avez fait perdre la tête, qui m’avez rendue folle !

Et elle la carressait en relevant la tête en arrière, en fermant ses yeux à demi, et en faisant siffler son souffle entre ses dents.

— Mais parle-moi donc, délices de mon âme, dit-elle.

— Odette, chère Odette ! murmura Violette.

— Mais, voyez comme elle dit cela, le petit glaçon, comme elle dirait bonjour. N’avez-vous pas peur que votre Christian vous entende !

Attendez ! attendez et nous allons voir à mettre une dièze à la clef pour faire monter la note d’un demi-ton. Et sa main glissa du sein à la hanche et de la hanche plus bas ; mais là elle s’arrêta un instant comme si elle hésitait à franchir la limite.

— Sens-tu mon cœur qui bat contre ta poitrine ! Ah ! s’il pouvait baiser le tien comme je baise ta bouche !… s’il pouvait… sens-tu ?

— Oui, murmura Violette, qui commençait à ressentir les premières titillations du plaisir.

— Oui, ton doigt, n’est-ce pas ?

— Tu es si jeune, si peu formée encore que je sens à peine le cher petit bouton d’amour qui donne la fleur de vie à toute nature. Ah ! si fait, le voilà !

— Comme ton doigt est léger, comme il est doux, comme il frissonne en touchant à peine.

— Veux-tu plus vite ? Veux-tu plus fort ?

— Non, Non, comme cela c’est bien.

— Mais toi, tes mains où sont-elles donc ?

— Je t’ai dit que… je ne savais rien et qu’il faudrait tout m’apprendre.

— Même à jouir ?

— Ah ! Non. Cela vient, cela vient tout seul. Odette… chère Odette !… Odet…

La comtesse prit le reste du soupir dans un baiser.

— À la bonne heure, dit-elle, il ne suffit pas de parler une langue, il faut encore y mettre l’accent.

— Je suis une bonne écolière, dit Violette ; je ne demande pas mieux que d’apprendre

— Alors, viens hors de la baignoire, je ne puis pas mettre ma tête sous l’eau et j’ai deux mots à ajouter de vive voix à ce que mon doigt vient de te dire.

— Sortons, dit Violette, il y a bon feu et du linge devant.

— Viens, répondit la comtesse, je vais t’essuyer.

Elle sortit ruisselante de l’eau, belle comme Thétis, fière comme elle, elle croyait m’avoir trompé et elle triomphait.

Violette, soulevée entre ses bras, jeta un regard de mon côté comme pour me dire : c’est pour te plaire et par ton ordre que je fais tout cela.

Tous les rideaux étaient fermés et la chambre n’était éclairée que par la lueur du feu.

Toutes deux arrivèrent frissonnantes devant la cheminée, mais la comtesse ne s’occupa que de Violette. Je l’entendais à mesure qu’elle l’épongeait louer la partie du corps sur laquelle s’arrêtait sa main ; chacune avait sa part de caresses, de flatteries. Le cou, les bras, le dos, les épaules, la gorge, les reins, tout cela venait en quelque sorte par ordre chronologique. Quand à elle, l’ardeur de sa peau suffisait à sécher l’eau qui la mouillait ; de son côté Violette restait intacte et passive, se laissant faire, voilà tout.

De temps en temps la comtesse lui faisait un reproche.

— Mais tu ne trouves donc pas ma gorge belle, que tu ne la baises pas ? Tu ne trouves donc pas mon poil doux que tu ne le défrises pas entre les doigts ? Je te préviens que je suis toute en feu, moi, et que tout à l’heure, il faudra bien qu’à ton tour tu me rendes ce que je t’aurai donné et que tu me fasses jouir avec tes doigts, avec ta bouche…

— Mais, chère Odette, répondait Violette, tu sais bien que je t’ai dit que j’étais une petite ignorante.

— Oui, mais que tu ne demandais pas mieux que d’apprendre. Eh ! bien ! je vais te montrer.

Je les vis passer nues toutes les deux.

La comtesse portait Violette sur le lit, donc j’allais parfaitement les voir. La comtesse coucha Violette en travers sur les matelas, se mit à genoux sur la peau d’ours noir, lui écarta doucement les cuisses, regarda un instant cette charmante petite ogive de la nature qui donne si droit sur le cœur ; puis tout à coup, les narines dilatées, les lèvres retroussées, les dents frissonnantes comme une panthère qui se jette sur sa proie, elle y appliqua sa bouche.

Cette caresse est en général le triomphe de la femme qui se fait la rivale de l’homme. Il faut qu’à force d’habileté, d’adresse, d’agilité, elle ne laisse rien à regretter à la maîtresse près de laquelle elle joue un rôle pour lequel elle n’a pas été faite.

Il paraît qu’en promettant toutes les ivresses de la volupté à Violette, la comtesse ne s’était pas vantée. Je vis avec une certaine jalousie, ma chère petite maîtresse, se rouler, se tordre, crier, haleter, mourir sous cette bouche impitoyable qui semblait vouloir aspirer son âme jusqu’au dernier souffle.

Il est vrai que pour un peintre le spectacle était charmant et me dédommageait de ce petit mouvement jaloux que j’avoue en toute humilité.

La comtesse, ramassée sur ses genoux, les fesses bien assisses sur ses talons, suivait de son corps tous les mouvements du corps de Violette, ses reins avaient alors des soubresauts adorables et le désir lui donnait des frémissements de jouissance à jurer qu’elle ne perdait rien à être active et peut-être même y gagnait-elle quelque chose.

Enfin, la fatigue en arriva à ce point chez toutes deux que Violette glissa du lit sur la peau d’ours et qu’active et passive se couchèrent à côté l’une de l’autre.

— Ah ! murmura la comtesse, à mon tour, tu me dois bien cela ; et elle attira Violette à elle, lui prit la main et la plaça sur cette mousse couleur de feu qui en faisait un si grand contraste avec ses cheveux blonds et ses sourcils noirs.

Mais Violette avait sa leçon faite et d’un bout à l’autre l’exécuta en comédienne consommée. Sans doute la comtesse avait à se plaindre de sa maladresse, car je l’entendis murmurer. Mais ce n’est pas là, lui disait-elle, ton doigt est trop haut, là… là… non, trop bas. Ne sens-tu pas quelque chose qui se raidit, eh bien, c’est là qu’il faut agir. C’est ce chatouillement qui produit la jouissance, ah ! tu fais exprès, petite méchante.

— Mais, je t’assure que non, répondait Violette, je fais de mon mieux.

— Quand tu es dessus, pourquoi te retires-tu ? Tiens, dans ce moment-ci.

— Mon doigt glisse.

— Oh ! tu me brûles sans m’éteindre, dit la comtesse en se tordant en proie à des désirs insensés.

— Écoute, mon bel amoureux, dit Violette et essayons autrement.

— Comment ?

— Mets-toi sur le lit, la tête renversée en arrière du côté de la glace et moi à genoux, je te carresserai avec ma bouche.

— Tout ce que tu voudras.

La comtesse se redressa en bondissant, elle se renversa sur les reins, les yeux au plafond, les jambes écartées, le corps cambré par la rotondité du lit.

C’était le moment convenu, je sortis en rampant du cabinet.

— Suis-je bien comme cela, demanda Odette avec un charmant mouvement des fesses qui acheva de lui faire perdre son assiette.

— Oui, je crois, répondit Violette.

Là, maintenant, fais ma raie, écarte-moi le poil des deux côtés.

Je suivis à la lettre les instructions qui étaient données à ma petite amie.

— Est-ce là ? demanda Violette.

— Oui, et maintenant… la bouche… et si tu ne me fais pas jouir, je t’étrangle.

J’avais appliqué ma bouche à l’endroit indiqué et je n’avais pas eu de peine à rencontrer l’objet que dans sa maladresse feinte Violette était accusée de ne pas trouver ; la chose était d’autant plus facile qu’il était comme je l’avais prévu plus allongé chez la comtesse que chez les femmes ordinaires ; on eut dit le bouton d’un sein vierge raidi par la succion ; je commençai par le prendre et le rouler doucement entre mes lèvres.

La comtesse poussa un soupir de sensualité : Oh, dit-elle, c’est cela, si tu continues, je crois… je crois que tu ne me devras plus rien. Je continuai tout en attirant Violette à moi, et en lui montrant la part qu’elle avait à faire dans le trio.

Mais avec moi, Violette n’était pas la maîtresse maladroite d’Odette. C’était la complice du plaisir : devinant les mille caprices de la volupté, où je m’étais contenté de mettre la main, elle mit la bouche et je sentis avec une suprême jouissance qu’elle me rendait, sauf la différence de forme, la même caresse que je faisais à la comtesse. Celle-ci continuait d’être satisfaite.

— Oh ! vraiment, disait-elle, c’est que cela va très bien. Ah ! petite menteuse qui disait qu’il lui faudrait apprendre, c’est que c’est cela, c’est cela… pas trop vite. Je voudrais que cela durât toujours, ah… oh… ta langue, je la sens. Mais… tu es… très… oh là… très adroite ! Les dents maintenant… oh, bien oui… mordille-moi… ah ! mais… c’est que c’est tout à fait bien !

Si j’avais pu parler, j’aurais fait les mêmes compliments à Violette, l’ardente enfant avait l’instinct des choses d’amour.

J’avoue que je prenais un grand plaisir aux caresses que je faisais à la comtesse ; jamais je n’avais pressé de mes lèvres pêche plus parfumée que celle dont ma langue ouvrait la chair. Tout était ferme et jeune dans cette femme de vingt-huit ans comme dans une enfant de seize. On voyait que la brutalité masculine n’avait passé par là que pour ouvrir la voie des caresses plus délicates.

Ces caresses, je ne les centralisai pas sur le clitoris, siège du plaisir chez la jeune fille qui s’amuse seule ; il partage chez la femme faite, sans rien perdre de son intensité, son plaisir avec le vagin

Ma langue descendait de temps en temps dans les chaudes et riches profondeurs où s’allonge le col de la matrice. Alors la jouissance était égale, mais changeant de nature. D’ailleurs en ce moment-là, pour ne pas laisser de répit à la comtesse, mon doigt remplaçait mes lèvres sur le clitoris.

La comtesse était dans l’admiration.

— Oh ! disait-elle, c’est étrange, jamais je n’ai éprouvé tant de plaisir. Oh ! je ne te laisse pas finir, si tu ne me promets pas de recommencer. Tu sais que je sens tout, que je distingue tout, tes lèvres, tes dents, ta langue, oh si tu continues ainsi, je ne pourrai plus me retenir, je n’en aurai plus la force… Je jouis… tu sais… je jouis… oh ! c’est impossible que ce soit toi qui me donnes une pareille jouissance. Violette !… Violette.

Violette n’avait pas la moindre envie de répondre.

— Violette, dis-moi que c’est toi. Oh ! non, il y a trop de science de la femme là dedans. C’est impossible.

La comtesse fit un effort pour se relever, mais de mes deux mains appuyées sur sa gorge, je la fixai au lit ; d’ailleurs l’extrême jouissance commençait, je sentais tous les organes du plaisir se contracter sous mes lèvres. Je redoublai le mouvement de ma langue ; j’y mêlai le chatouillement de mes moustaches, que j’avais jusque là rendus témoins et non agents. La comtesse se tordit en criant, puis je sentis cette chaude effluve qui semble ruisseler de tout le corps et se concentrer au vagin, j’enveloppai une dernière fois le tour de mes lèvres dans une suprême aspiration et bon gré mal gré, je reçus la véritable âme de la comtesse.

Je n’avais attendu moi-même que ce moment là pour m’abandonner à toute la violence du plaisir.

Violette gisait mourante à mes pieds.

Je n’eus pas la force de m’opposer au mouvement que fit la comtesse qui poussa un cri terrible en jetant les yeux sur le champ de bataille et qui bondit hors du lit.

— Ma foi, dis-je à Violette, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour me brouiller avec la comtesse, c’est à toi de nous raccommoder.

Et je rentrai dans le cabinet de toilette.

J’entendis d’abord des cris, puis des larmes, puis des soupirs ; alors je soulevai la portière et je vis Violette qui me raccommodait de son mieux avec la comtesse en me succédant près d’elle.

— Ah, fit la comtesse quand Violette eut fini, je dois dire que c’est bon. Mais tout à l’heure c’était divin, et elle me tendit la main. La paix était faite.

Le traité conclu entre les belligérants fut : 1° que Violette resterait ma maîtresse absolue.

2° Que je la prêterais à la comtesse, mais en ma présence toujours.

3° Que je serais tant que je le voudrais, une femme, mais jamais un homme pour la comtesse.

On se rappelle les réserves faites par Violette.

Le traité fut écrit en triple et signé. Un renvoi indiqua que si la comtesse et Violette me trompaient, j’acquerrais pour le temps qu’aurait duré leur conversation criminelle les mêmes droits sur la comtesse que j’avais sur Violette.


Le Roman de Violette, Bandeau de fin de chapitre
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